Crossed – Valeurs familiales (2012) de David Lapham
Gouzi-Gouza, les zombies sont de retour, et ils vont vous jouer un mauvais tour (celui de vous faire perdre quelques dizaines de minutes de lecture, même si on peut aussi lire ce comics sur le trône ou dans les embouteillages pour faire passer le temps). Mais peut-être êtes-vous une âme sensible ? Dans ce cas, vous frissonnerez dès la première page. En bon pavlovien que vous êtes (peut-être), la lecture de cette sentence stéréotypée devrait vous faire couler des sueurs froides :
« Après tout ce que j’ai vu et fait, je ne crois plus en rien du tout ». Damned, qu’allons-nous lire de si terrible ? On se crispe sur le trône, on fait vrombir le moteur, et on tourne les pages…
C’est vrai que la toute jeune Adeline n’est pas épargnée. Derrière la façade rutilante d’une vie bourgeoise dans un grand ranch se cachent, bien sûr, des immondices qui ne conviennent pas à une famille de haut rang. Sa jeune sœur Emily se fait régulièrement violer par son père. Ce n’est un secret pour personne, et lorsque Adeline décide de se révolter contre cet état de fait, son père lui fait regretter ses ardeurs en lui imposant le même sort. Adeline décide de sortir le flingue pour se venger définitivement, mais voilà-t’y pas qu’au même moment se ramène une horde de zombies à quatre neurones.
Ces bestioles n’ont jamais été réputées pour leur vivacité d’esprit, mais celles de
Crossed frappent particulièrement par leur air hébété de spectateurs de La Roue de la Fortune. Sans doute leur langage est-il un peu plus châtié (
« Je veux bouffer sa chatte », « Le jus coule sur la bite de papa », « J’ai mis du sang plein son énorme pine ») et leurs mœurs étranges les font se parer d’accessoires au goût douteux (les bébés déchiquetés servent de slip et les bites sont autant de perles qui permettent aux femmes de se parer de colliers somptueux). Heureusement, grâce à Papa, les zombies sont balayés d’un revers de main, mais le ranch menacé doit être rapidement abandonné. Prétexte à une belle déambulation dans les Etats-Unis sauvages, à jouer au chat et à la souris avec des bandes de zombies de plus en plus denses.
Prétexte à réflexion philosophique ? Il ne faudrait pas exagérer non plus… Ce n’est pas parce que Dieu est évoqué
(« Dieu veut faire table rase du passé », « Un seul esprit, un seul but, un seul Dieu ») qu’il faudrait croire tout de suite qu’on a affaire à un monument théologique.
Réflexion politique ? La communauté des survivants, appelée fort originalement « Nouvel Eden », n’est rien d’autre qu’une bande de fuyards à flingues commandés par l’homme le plus brutal de la fratrie, j’ai nommé « Papa ». Oh, oh, oh, comment accepter cette contradiction flagrante entre l’homme chef de tribu et l’homme violeur de petite fille ? Nous voilà partis sur des considérations fameuses concernant le Mal, ses rapports avec le Bien, et la part de ces notions contenue dans chaque individu.
On préfèrerait que
Crossed ne nous inflige pas sa philosophie de comptoir et que l’histoire se contente de nous bourriner quelques zombies sexuellement assoiffés qui eux, au moins, n’ont pas la prétention d’éduquer leurs pauvres lecteurs. Les auteurs touchent presque leur but : à force de prendre leurs lecteurs pour des êtres aussi déficients que ces zombies, on finit par s’attacher davantage à ces derniers qu’à la communauté fière et imbue des survivants. Un peu plus et on se mettrait à hurler en cœur avec les zombies : « Coupe ta bite ! Bouffe ta chatte ! » (attention aux voisins quand même) pour que razzia soit faite des cow-boys modernes qui se prennent pour les derniers représentants de la race humaine. Pour un peu plus de réconfort, il vaudrait franchement mieux qu’ils disparaissent.
Après une débauche de gore et de pas-propre, le rideau se baisse –voire se casse carrément la gueule sur la scène- et laisse tout pantelant… La fin est minable et essaierait même de faire chialer le patibulaire qui aurait survécu au massacre zombie des pages précédentes. Quoi, se dit-on : tout ça pour ça ? Le papier est-il si bon marché qu’on s’en serve pour torcher des pages de pipi-caca ? Bon, il est vrai que certaines illustrations sont mignonettes et que les couleurs montrent une véritable intention de capter l’œil amorphe du lecteur désintéressé (à raison), mais pourquoi s’encombrer d’autant de pages ? Un poster et hop, le tour est joué.
Allez, bonne nuit. Vous ne devriez normalement pas faire de cauchemars…
Petite galerie du gore et du pas-propre :
Mais il y a aussi de beaux paysages avec des chevaux fougueux qui courent, crinière au vent :