Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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colimasson
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyVen 4 Sep 2015 - 22:10

L’effort pour rendre l’autre fou - Un élément dans l'étiologie et la psychothérapie de la schizophrénie (1959) d'Harold Searles


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Searle10

La thèse de l’article publié en 1959 par Harold Searles peut se résumer en une phrase :
« L'instauration de toute interaction interpersonnelle qui tend à favoriser un conflit affectif chez l'autre - qui tend à faire agir les unes contre les autres différentes aires de sa personnalité –tend à le rendre fou (c'est à dire schizophrène). »


En s'appuyant sur les travaux de Bateson, Harold Searles souligne l'importance des injonctions de nature contradictoire (le double bind) dans l'étiologie de la schizophrénie. Paul-Claude Racamier définit ainsi le double bind : « le paradoxe se définit comme une formation psychique liant indissociablement entre elles et renvoyant incessamment l’une à l’autre deux propositions ou impositions qui sont inconciliables et cependant non opposables ».  Ces injonctions contradictoires peuvent se pratiquer à différents niveaux :
- une demande d'intervention thérapeutique du parent à l'enfant avec rejet des efforts déployés pour aider.
- la technique de la stimulation-frustration.
- la dénégation parentale face aux réalités sensibles.


Harold Searles n'accuse personne et ne cherche pas à culpabiliser l'entourage du schizophrène. Dans sa critique psychanalytique du noyau familial, David Cooper écrira lui aussi que le schizophrène est l'individu, peut-être le plus sain, qui s'est sacrifié pour préserver les dernières parcelles de salubrité mentale de sa famille. Harold Searles dresse alors une liste des motifs sous-jacents à l'effort pour rendre l'autre fou :
- équivalent psychologique du meurtre.
- désir d'extérioriser la folie que l'on sent menaçante en soi.
- désir de voir cesser une situation conflictuelle intolérable et incertaine.
- besoin d'extérioriser des besoins sur le mode psychotique.
- désir de trouver une âme sœur pour adoucir la solitude insupportable de celui qui se sent menacé par la folie.
- désir d'encourager l'autre dans le sens d'une intimité plus saine et d'une meilleure intégration.
- désir d'individuation de l'enfant passant par l'obligation de rendre le parent fou.
- désir de retrouver ou de perpétuer les gratifications inhérentes au mode de relation symbiotiques malgré l'angoisse et la frustration d'une relation psychotique.


Dans la dernière partie de son analyse, Harold Searles évoque les difficultés du travail du psychothérapeute lorsqu'il travaille avec un patient réagissant sur le mode de la relation psychotique. Il faut non seulement résister à l'effort que fait le patient pour rendre le thérapeute fou, mais il faut encore plus résister à ses propres manœuvres, conscientes ou non, pour conforter le patient dans sa situation psychotique. Les interprétations prématurées avancées par certains psychothérapeutes maladroits peuvent avoir des conséquences désastreuses pour l'équilibre psychologiquement d'un individu sur la sellette.


La dernière raison invoquée dans les motifs expliquant l'effort pour rendre l'autre fou justifie selon lui la longue durée du traitement complet des schizophrènes :


« J'ai depuis longtemps constaté […] que nous sommes particulièrement enclins à développer une attitude de désespoir au cours de notre travail avec un patient, comme moyen de nous accrocher inconsciemment aux gratifications déniées, mais, en fait, profondément valorisées, que nous tirons d'un mode symbiotique de relation patient-thérapeute. […] L'une des raisons pour lesquelles, selon moi, la schizophrénie est si difficile à résoudre est que le thérapeute rencontre tant de résistance interne à aider le patient à sortir de la relation symbiotique patient-parent reconstituée dans le transfert. »


La reconnaissance de l'existence d'une telle phase doit permettre au thérapeute de la dépasser pour procurer au patient ce que son parent n'a pas réussi à lui offrir. Harold Searles recommande enfin : « [L’analyste] doit, pour mieux aider ses patients, être prêt à affronter son propre conflit entre d'une part, son désir d'aider le patient à devenir mieux intégré (c'est-à-dire, plus mature et plus sain), et, d'autre part, son désir de se cramponner à lui, ou même de le détruire, en favorisant la perpétuation ou l'aggravation de la maladie, l'état de mauvaise intégration ». Avec cette analyse, Harold Searles donne une base solide aux réflexions qui formeront plus tard le noyau dur de l'antipsychiatrie.


Ne reste plus qu’à transposer cette analyse aux injonctions contradictoires qui peuplent nos parcours de consommateurs/producteurs pour se rendre compte que la folie nous guette en ricanant derrière ses grands étendards bourgeois…


« En lisant le livre fort intéressant que Meerloo a récemment écrit sur la question, le Viol de l'esprit, j'ai souvent été frappé par les nombreuses analogies entre les techniques de lavage de cerveau qu'il décrit - conscientes et délibérées – et les techniques inconscientes (ou largement inconscientes) que l'on découvre à l'oeuvre dans l'expérience présente et passée des schizophrènes, techniques qui visent à entraver le développement du moi et à saper son fonctionnement.
[…] D'après Meerloo, le lavage de cerveau et les techniques avoisinantes se rencontrent sous la forme a) d'expériences délibérées au service d'idéologies politiques totalitaires; et b) courants culturels profonds agissant dans notre société actuelle, et aussi bien dans les pays démocratiques. Ce sont les mêmes techniques que je décris, mais se rapportant ici à une troisième aire : la vie des schizophrène.»



one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 George10
Georges Rouault

Exemples de double-bind :

"… Lorsque ces enfants sentaient la colère et l'hostilité d'un parent, chose qui leur arrivait souvent, le parent niait aussitôt qu'il était en colère et insistait pour que l'enfant le nie également; l'enfant se trouvait ainsi confronté à un dilemme : devait-il croire le parent ou ses propres sens ? S'il croyait ses sens, il conservait une prise solide sur la réalité; s'il croyait le parent, il maintenait la relation dont il avait besoin, mais faussait sa perception de la réalité. La dénégation parentale se répétant, l'enfant n'arrivait pas à développer une épreuve de réalité adéquate. »


« J'ai eu un patient qui, tout au long de son enfance, s'était entendu dire : "Tu es fou !" Chaque fois qu'il décelait la dénégation défensive de ses parents, il perdait confiance en ses propres réponses affectives, à tel point que pendant des années, il dut se fier à un chien pour savoir, d'après la réaction de celui-ci à telle ou telle personne, si celle-ci était bienveillante et digne de confiance, ou si, au contraire, elle était hostile et s'il devait se mettre en garde contre elle. »


Conditions dans lesquelles se déclenche la maladie:

« Il est important de noter ici que, dans de très nombreux cas où se déclenche une psychose, les circonstances précipitantes, quelles qu'elles soient, ont conduit le patient à prendre conscience de certaines vérités sur lui-même et sur ses relations avec la famille; ces vérités, réellement précieuses et dont il a depuis longtemps besoin, pourraient fournir la base d'une rapide croissance du moi, d'une rapide intégration de la personnalité. Mais elles arrivent trop vite pour que le moi du patient les assimile, et le moi régresse, reculant devant ce qui est maintenant, pratiquement, une boite de Pandore ouverte. »


Considération sur la relation thérapeute/patient:

« [L’analyste] doit, pour mieux aider ses patients, être prêt à affronter son propre conflit entre d'une part, son désir d'aider le patient à devenir mieux intégré (c'est-à-dire, plus mature et plus sain), et, d'autre part, son désir de se cramponner à lui, ou même de le détruire, en favorisant la perpétuation ou l'aggravation de la maladie, l'état de mauvaise intégration. »
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyVen 4 Sep 2015 - 22:16

pia a écrit:

Oui j'avais vu ça. Il y a par exemple des poissons que tu peux manger et d'autres pas etc...
Mais c'est un régime qui a un temps non? Il parle de restriction dans le sens de se priver d'aliments pour les remplacer par d'autres? Sensible...

Je pense simplement qu'il s'agit de revenir à un peu de bon sens. Pas toujours facile dans une société de consommation où tout est disponible en surabondance. On est obligé d'employer des termes compliqués et de faire des listes contraignantes et laborieuses pour que les gens réapprennent simplement à manger de tout, en quantités modérées, et sans outrance.

Hanta a écrit:
Les travaux de Gernez n'ont jamais été soumis à un comité de lecture scientifique. Il serait préférable de le préciser.
Il est un temps d'ailleurs où la médecine allopathique est fortement décriée (parfois à raison) mais il est également dangereux et j'y ai souvent assisté, de voir des médecines alternatives se présenter comme remplaçant avec réussite la médecine officielle pour lutter ou guérir le cancer. J'ai vu des personnes se faire conseiller de manger davantage de miel pour lutter contre un cancer du foie et refuser la chimio. J'en ai vu d'autres s'investir seulement dans l'acupuncture. ils ne sont plus là.
Ces médecines alternatives ont de pratique qu'elles ne sont pas soumises à un calcul de leur taux de réussite.

Dans d'autres genres, il y a aussi les admirateurs du new age avec la mise en avant du prana qui est un processus méditatif où l'on jeune tout en ne se nourrissant que de l'air que l'on reçoit pendant notre méditation.
Les théories fleurissent autant que les cancers pullulent, ces gens y croient et en meurent.

Je suis très sensible à ce sujet ayant vu le cancer de très près.

On a tous vus le cancer de très près, qu'on soit concerné soi-même ou dans son entourage.
Dans mon commentaire, je précise à plusieurs reprises que Willem ne recommande jamais de remplacer les méthodes traditionnelles par la sienne. Il la propose en complément, et pour atténuer les effets négatifs de la chimio/radio. C'est tout.
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyMer 9 Sep 2015 - 17:33

Contre la méthode – Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance (1975) de Paul Feyerabend


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 51div310

Les anarchistes sont quand même des rigolos… ils s’en prennent au système, à la société et à la politique, mais ils osent rarement démolir le dogme scientifique. Heureusement que Paul Feyerabend est là pour leur remettre un peu de plomb dans la cervelle.


Et si notre science était une science de ratés ? Les théories que nous avons sélectionnées l’ont été souvent en vertu de l’unanimité apparente qu’elles suscitaient. Mais l’absence de difficultés majeures ne résulterait-il pas de l’appauvrissement du contenu empirique, proposé par l’élimination des propositions alternatives ?


Plusieurs stades doivent être franchis pour réaliser l’anarchisme épistémologique. Le premier nécessite ainsi de démasquer l’imposture qui se cache derrière le supposé selon lequel la science permettrait d’accéder à la vérité. Les hommes sérieux ne diront jamais qu’ils valident une théorie plutôt qu’une autre parce qu’ils se sont soumis à la contingence de facteurs arbitraires qui dépendent du contexte historique, géographique et politique de leur environnement, ou de leur vie privée. Pourtant on ne devrait jamais négliger de s’intéresser à la petite histoire qui entoure la plupart des « grandes » découvertes.


« Le scientifique est restreint par les caractéristiques de ses instruments, la somme d’argent disponible, l’intelligence de ses assistants, l’attitude de ses collègues, ses partenaires –il ou elle se trouve limité par d’innombrables contraintes physiques, physiologiques, sociologiques et historiques. »


Paul Feyerabend dénonce ainsi les fondements de la philosophie aristotélicienne, bourrés à ras-bord de mots d’ajustage ad hoc tels que « semblable » ou « analogue ». Dans une autre catégorie, il encense Galilée qui, en proposant sa théorie de l’héliocentrisme, a provoqué un changement majeur de paradigme scientifique. Son mérite est d’avoir réalisé cet exploit en utilisant des moyens non-scientifiques tels que les hypothèses ad hoc.


« Ainsi, Galilée a […] utilisé des hypothèses ad hoc. C’était une bonne chose. S’il ne l’avait pas fait, il aurait opéré ad hoc de toute façon, mais cette fois-là, en fonction d’une théorie ancienne. Alors, puisqu’on ne peut ne pas « être » ad hoc, il vaut mieux être ad hoc pour une théorie nouvelle ; car une nouvelle théorie, comme toute chose nouvelle, donnera un sentiment de liberté, d’excitation et de progrès. Il faut applaudir Galilée d’avoir préféré protéger une hypothèse intéressante, plutôt qu’une hypothèse sans éclat. »


Il a violé des règles importantes de la méthode scientifique d’Aristote, canonisée par les positivistes logiques, pour dépasser les contradictions empiriques soulevées par l’utilisation récente des télescopes. Selon Ronchi : « Galilée était totalement ignorant de la science de l’optique, et ce n’est pas trop s’avancer que de supposer que ce fut là une circonstance des plus heureuses, à la fois pour lui, et pour l’humanité en général. »


Et puisqu’il faut s’intéresser aussi aux petites choses : « Galilée fait de la propagande. Il se sert de trucs psychologiques, en plus de toutes les raisons intellectuelles qu’il a à offrir ». Galilée l’emporta grâce à son style, son art de la persuasion, parce qu’il écrivit en italien et non en latin, mais aussi parce qu’il est intervenu au bon moment, attirant dans son sérail ceux qui étaient opposés aux idées anciennes.


Le second stade d’accomplissement de l’anarchisme épistémologique se montre plus souriant et implique que l’on reconnaisse que la violation des règles de l’épistémologie est nécessaire pour le progrès. La science cache des squelettes dans ses placards : elle n’ose pas admettre, par peur de perdre toute légitimité, qu’elle procède de l’inclination à la théorie. Au temps zéro de la science, rien n’existait. Il a bien fallu choisir arbitrairement des axiomes. Paul Feyerabend nous demande de réfléchir sur les raisons qui nous ont poussés à choisir tel axiome plutôt que tel autre. Comme Wittgenstein le pensait, ces fondements ont une origine moins rationnelle qu’esthétique. Pourquoi la droite est-elle le chemin le plus court entre deux points ? A ceux qui répondront que c’est évident, et que cela ne pouvait pas être autrement, Paul Feyerabend remonte le cours du temps et nous fait apercevoir l’époque de la Grèce archaïque sous un angle que nous avons trop peu souvent l’occasion de considérer. La transition de l’univers paratactique des Grecs archaïques à l’univers dualiste substance/apparence de leurs successeurs est comparable au système quantique : impossible de superposer ces deux visions du monde contradictoires. Que penseraient les grecs archaïques de nos axiomes et de nos certitudes ? Et nous, que pensons-nous connaître d’eux ? On ne pourra jamais les comprendre vraiment si nous n’essayons pas d’aborder leur science d’un point de vue anthropologique. Leur mythologie, par exemple, est un théâtre de marionnettes, et on risquerait de passer à côté de certaines subtilités si nous n’avons pas connaissance de ce fait. R. Lattimore nous donne un exemple :


«Zeus est qualifié de conseiller, de dieu de la montagne-tonnerre ou de dieu paternel, non pas selon ce qu’il fait, mais selon les nécessités du mètre. Il n’est pas Zeus nephelegerata lorsqu’il rassemble les nuées, mais lorsqu’il satisfait le groupe métrique, UU-UU-. »


Peu importe à Paul Feyerabend que la science ressemble à ce qu’elle est devenue, ce qui lui tient à cœur c’est qu’elle se permette des évasions, un peu plus de souplesse et de la folie pure lorsqu’elle se heurte à des impasses. Reconnaissons une bonne fois pour toutes que l’être humain n’est pas seulement rationnel : il se comporte souvent de manière imprévisible et incohérente et ses buts peuvent changer à n’importe quelle occasion, qu’il s’agisse d’une discussion bouleversante, d’une expérience de conversion religieuse, ou pour impressionner un partenaire amoureux. Cette reconnaissance devrait aboutir à la séparation de l’Etat et de la Science, ce qui nous donnerait peut-être de plus grandes chances de réaliser l’humanité dont nous sommes capables, sans l’avoir jamais réalisée.


« La séparation de l’Etat et de l’Eglise doit être complétée par la séparation de l’Etat et de la Science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. »


C’est le côté gai luron qui se manifeste lorsque Paul Feyerabend glisse en passant, dans une note de bas de page, qu’il espère être pris pour un dadaïste :


« Un dadaïste reste complètement froid devant une entreprise sérieuse quelconque, et il sent anguille sous roche dès qu’on cesse de sourire pour prendre une attitude et une expression faciale annonçant que quelque chose d’important va être dit. Un dadaïste est convaincu qu’une vie digne d’être vécue ne sera possible que si nous commençons par prendre les choses à la légère […]. J’espère qu’après avoir lu cette brochure, le lecteur se souviendra de moi comme d’un dadaïste désinvolte et non comme d’un anarchiste sérieux. »


Mais son discours Contre la méthode est aussi et surtout un pamphlet adressé contre cette raison rigide qui nous force parfois à penser que la culture est une gangue à barbarie, et que le devenir de l’humanité, dirigée d’une main de fer par une science implacable, semble parfois très obscur.  


« Ne va-t-elle pas créer un monstre, la science telle que nous la connaissons aujourd’hui […] ? ne va-t-elle pas faire violence à l’homme, le transformer en un mécanisme misérable, froid, pharisaïque, sans charme, ni humour ? »



one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Feyera10


« La condition de compatibilité qui exige que les nouvelles hypothèses s’accordent avec les théories admises est déraisonnable en ce qu’elle protège la théorie ancienne, et non la meilleure. »


L'expérience de l'électricité fournit une illustration de cette affirmation:

« Nous avons besoin de ces moyens irrationnels [la propagande, l’émotion, les hypothèses ad hoc, et l’appel à des préjugés de toutes sortes] pour soutenir ce qui n’est qu’une foi aveugle –jusqu’à ce que nous ayons trouvé les sciences auxiliaires, les faits, les arguments qui transforment cette foi en « connaissance » solide. »


Une séparation de la foi et de la science, vraiment ?

« Et la Raison, pour finir, rejoint tous ces monstres abstraits –l’Obligation, le Devoir, la Moralité, la Vérité-, et leurs prédécesseurs plus concrets –les Dieux- qui ont jadis servi à intimider les hommes et à restreindre un développement heureux et libre ; elle dépérit… »


Le conseil ultime pour être un bon anarchiste épistémologique :

« [L]es buts [de l’anarchiste épistémologique] restent stables, ou changent à la suite d’une discussion, ou par ennui, ou après une expérience de conversion, ou pour impressionner une maîtresse –et ainsi de suite. »
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyDim 20 Sep 2015 - 22:19

Jeu et réalité – L’espace potentiel (1971) de Donald Winnicott


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Winnic10

Carl Gustav Jung, les décennies bien tassées, se plaisait à faire des petites constructions dans la terre et la boue, avec des cailloux, pour renouer avec son côté enfantin et son esprit de jeu. Donald Winnicott se fiche lui aussi d’avoir l’air sérieux et on le voit souvent ramper par terre et babiller avec les bébés. Il ne les méprise pas, il sait qu’ils ont quelque chose à lui dire, à leur façon.


Donald Winnicott  ne s’incline pas seulement devant les bébés. Il commence son livre en remerciant plus généralement ses patients pour tout ce qu’ils lui ont appris, bien loin de ce qu’il pouvait imaginer connaître avant de commencer sa carrière. En cela, il se rapproche des chantres de l‘anti-psychiatrie, Ronald Laing et David Cooper en tête, qui affirmaient que du patient ou du médecin, le malade n’était pas toujours celui que l’on croyait.  Etendant son humilité à l’étendue de ses pratiques, Donald Winnicott interroge ses certitudes pour les remettre en question à chaque fois que l’occasion se présente à lui de réviser ses acquis, et lorsqu’on lui dit que l’individu se définit par ses relations interpersonnelles externes et sa réalité intérieure, il propose une troisième zone d’existence : l’aire intermédiaire d’expérience, à laquelle contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure.


Cette aire intermédiaire d’expérience se constitue chez le nourrisson dans son rapport avec sa mère (rappelons que la mère peut être n’importe quel prototype protecteur, à la limite un robot bien programmé ferait l’affaire, voire un hologramme si celui-ci avait un peu de consistance), puis dans son rapport avec son environnement. Un seul critère pour ceux-ci : être suffisamment bon, c’est-à-dire ni trop ni trop peu. Trop peu et l’enfant, livré à lui-même, n’aurait pas la confiance nécessaire pour élaborer cette aire intermédiaire d’expérience. Trop et l’enfant n’en ressentirait pas le besoin, se retrouvant ainsi bien dépourvu lorsque l’hiver affectif viendra un jour ou l’autre frapper à sa porte.


« La mère (qui n'est pas forcément la propre mère de l'enfant) suffisamment bonne est celle qui s'adapte activement aux besoins de l'enfant. Cette adaptation active diminue progressivement, à mesure que s'accroît la capacité de l'enfant de faire face à une défaillance d'adaptation et de tolérer les résultats de la frustration. […]
En fait, pour que les soins soient bénéfiques, c’est le dévouement qui importe, non le savoir-faire ou les connaissances intellectuelles. »



Rien de bien sorcier, mais il fallait oser le dire. Donald Winnicott se montre proprement génial et réaliste en proposant que la perfection n’existe pas, qu’il faut arrêter de se prendre la tête avec des dogmes conçus une fois pour toutes, qu’on aimerait appliquer à tout le monde et surtout à n’importe qui. A chacun selon ses besoins.


« [Le phénomène ou l’objet transitionnel] est une défense contre l’angoisse, en particulier contre l’angoisse de type dépressif. »


Et hop, une petite angoisse pas trop longue et supportable, et le bébé investit l’objet transitionnel (qui peut être un bout de ficelle, une peluche, un rituel ou un visage). Celui-ci va subir plusieurs phases de tests : prise de possession, amour et haine, constance, aptitude à survivre à la destruction, vitalité. L’objet est condamné dès le début à connaître un désinvestissement progressif qui témoigne du bon développement de l’enfant. Winnicott résume très bien ce processus dans son hallucination auditive du discours qui pourrait relier le bébé à l’objet, si tous deux parlaient comment vous et moi :


« Le sujet dit à l’objet : « Je t’ai détruit », et l’objet est là, qui reçoit cette communication. A partir de là, le sujet dit : « Hé ! l’objet, je t’ai détruit. » « Je t’aime. » « Tu comptes pour moi parce que tu survis à ma destruction de toi. » »


Dans ce rapport avec l’objet transitionnel s’élaborera l’aire intermédiaire d’expérimentation :


« L'aire intermédiaire à laquelle je me réfère est une aire, allouée à l'enfant, qui se situe entre la créativité primaire et la perception objective basée sur l'épreuve de réalité. »


On comprend que ces observations permettent à Winnicott de mieux comprendre les problèmes des enfants, sans exclure les problèmes des adultes qui ont morflé dès les premières années de leur vie, et qui ne s’en sont jamais vraiment remis. Plus étonnant encore, la réflexion peut se transposer également au processus thérapeutique en lui-même. Winnicott ne s’illusionne pas. Freud et compagnie ont beau prendre leur petit air sérieux, au fond, ils s’amusent toute la journée. Le thérapeute est la maman, le patient est le bébé, et la séance qui les réunit est une belle aire de jeux dont les règles s’établissent progressivement.


« En psychothérapie, à qui a-t-on affaire ? A deux personnes en train de jouer ensemble. Le corollaire sera donc que là où le jeu n'est pas possible, le travail du thérapeute vise à amener le patient d'un état où il n'est pas capable de jouer à un état où il est capable de la faire. »


On comprend l’excitation réciproque : à quel jeu allons-nous nous frotter ? Le thérapeute espère bien sûr ne pas devoir perdre la partie, mais les jeux les plus diaboliques sont ceux qui ne se terminent jamais. Ceux-ci restent dans la mémoire du thérapeute comme un souvenir des plus cuisants échecs. Pour éviter cela, il ne faut pas tricher avec les interprétations toutes prêtes qu’on passe au four à micro-ondes, et qui se décomposent sitôt servies dans l’assiette.


« Le patient a été incapable de se reposer en raison d’une défaillance de l’apport de l’environnement qui a annulé le sentiment de confiance. Le thérapeute a, à son insu, abandonné son rôle professionnel et il l’a fait en revenant au rôle de l’analyste intelligent qui veut mettre de l’ordre dans le chaos. »


Enfin, Winnicott étend également ses observations à ces grands nourrissons que sont les adolescents. A la pulsion de mort qui imprègne les plus jeunes succède alors la pulsion de meurtre. Qui est visé ? Les parents, la famille, l’environnement le plus immédiat, dans la tourmente de la crise d’adolescence. Winnicott fournit alors des conseils précieux aux parents dépourvus de la société moderne lorsque celle-ci, usant de sa plus cruelle coercition douce, leur enjoint de se montrer cool à outrance. Au fond, le gosse n’a pas vraiment envie d’aller en boîte à quatorze ans (de toute façon, il n’a pas encore de quoi se payer une bouteille de vodka) et il trouve ça beaucoup plus excitant de lutter pour réclamer ce droit. Il brandit son désir comme une arme, pour tuer ses parents, espérant moins qu’ils n’abdiquent qu’ils ne résistent.


« On peut estimer que [laisser tomber votre responsabilité d’adulte], c’est laisser tomber vos enfants (à un moment critique). A ce jeu de la vie, vous abdiquez précisément au moment où ils viennent pour vous tuer. Y a-t-il alors quelqu’un d’heureux ? Certainement pas l’adolescent qui devient celui sur lequel on s’appuie. L’activité de l’imagination se perd, la lutte de l’immaturité cesse. Se rebeller n’a plus de sens, l’adolescent qui remporte trop tôt la victoire est pris à son propre piège.»


Libre à chacun de ramper devant ses gosses si cette éducation doit les conduire à une destination précise, mesurée, réfléchie, mais s’il s’agit seulement de paraître détendu, en accord avec les injonctions contradictoires d’une société qui veut faire croire qu’elle a bien digéré son mai 68, cessez le massacre. Soyez adultes, osez représenter une figure que l’enfant pourra  respecter et sur laquelle il pourra se reposer jusqu’à ce qu’il ait atteint sa vraie maturité. En attendant, permettez-lui encore d’être un peu fou, fou de cette manière particulière qui lui est concédée. « Cette folie ne deviendra véritable folie que si elle apparaît plus tardivement ». Et là, autant dire que le jeu sera bien plus laborieux.


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Beckma10
Max Beckmann


Etude théorique de l'objet transitionnel :

« 1. L'objet transitionnel prend la place du sein ou de l'objet de la première relation.
2. L'objet transitionnel précède l'établissement de l'épreuve de la réalité.
3. En relation avec l'objet transitionnel, le petit enfant passe du contrôle omnipotent (magique) au contrôle par la manipulation (comportant l'érotisme musculaire et le plaisir de la coordination).
4. L'objet transitionnel peut finir par devenir un objet fétiche et persister sous cette forme dans la vie sexuelle de l'adulte.
5. L'objet transitionnel peut, de par l'organisation érotique anale, prendre la place des fèces (mais ce n'est pas pour cette raison qu'il peut sentir mauvais et rester sale). »



Une autre définition de la mère (ou du thérapeute) suffisamment bon(ne) :

« L’amour de la mère ou du thérapeute ne signifie pas seulement répondre aux besoins de dépendance, mais en vient à vouloir dire autre chose : fournir l’opportunité à ce bébé ou à ce patient d’aller de la dépendance vers l’autonomie. »


Conclusion appliquée à la psychothérapie :

« Ces réflexions nous fournissent une indication sur le procédé thérapeutique à adopter : il faut donner une chance à l'expérience informe, aux pulsions créatives, motrices et sensorielles de se manifester; elles sont la trame du jeu. C'est sur la base du jeu que s'édifie toute l'existence expérientielle de l'homme. »


Et conclusion appliquée à la vie :

« Il est vraisemblable que nous ne serons jamais à même d'expliquer cette pulsion créative; vraisemblable aussi que nous ne serons jamais tentés de le faire. En revanche, nous pouvons établir un lien entre la vie créative et le fait de vivre, tenter de comprendre pourquoi cette vie créative peut être perdue et pourquoi le sentiment qu'éprouve un individu, celui que la vie est réelle et riche de signification, peut disparaitre. »
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyJeu 24 Sep 2015 - 23:21

La Psychanalyse excentrée (2008) de Sabine Prokhoris


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A l’ouverture, le programme ne semblait pas trop dégueulasse. Pour être honnête, je le trouvais même très pertinent : « L’entrelacement des vies aux mots précaires et impérieux qui nous relient les uns aux autres, c’est cela que rencontre, que déplie, que remue la psychanalyse. »


Mais le programme n’a pas tenu ses promesses. Psychanalyse excentrée substitue peu à peu les « autres » à certains champs limités de la créativité : danse, théâtre et autres fariboles, ce qui exclut déjà un certain nombre d’êtres humains (car tous n’ont pas les moyens ou la force de se lancer là-dedans). De plus, le programme n’a rien de révolutionnaire en soi si l’on se souvient que Freud faisait déjà causer la psychanalyse avec la littérature ou la sculpture. Nous assistons donc plutôt à une réactualisation de cette démarche, voire à une parodie. La psychanalyse ne sortira jamais vraiment de ses propres limites, sauf pour loucher vers la philosophie dont Sabine Prokhoris aime répéter qu’elle est issue. La psychanalyse n’est venue se rajouter à ses bagages qu’à la suite, comme un fardeau plutôt lourd à porter qu’autre chose. C’est ce qu’on imagine en tout cas puisque le résultat de ce mélange n’est pas fameux. On se retrouve avec un traité indigeste qui ne se laissera pas boulotter tranquillement par tous les estomacs. La mauvaise littérature rend le sens fuyant et Sabine Prokhoris donne l’impression qu’elle a écrit pour son kif personnel et pour se faire mousser auprès de ses copains, éminents lecteurs de Lacan et Foucault. Tant pis pour les « autres », dont on parlait pourtant dans l’introduction, et qui ne seront sans doute pas nombreux à comprendre où l’auteure souhaitait en venir. Il aurait peut-être été préférable qu’elle laisse tomber les boursouflures pour réaliser honnêtement le programme de transmission qu’elle faisait miroiter dans son titre.


« Du coup, dès lors qu’une réponse nostalgique du pouvoir tyrannique et impuissant de l’hypnotiseur est fournie, sous une forme ou sous une autre, la parole gèlera derechef, dans l’oubli obturant de sa fluidité vivante. »


Et hop, un autre petit morceau de poésie de comptoir :


« Se déprendre, mais pour cela, se laisser prendre : s’éprendre, et se méprendre. »


Et nous n’avons pas encore atteint le pire : il faudra attendre pour cela que Sabine Prokhoris gonfle son jabot à l’annonce du lynchage de ce qu’elle imagine encore être le plus gros tabou de notre époque : la question sexuelle dans l’emprise du genre. L’entreprise serait louable si on suivait la démarche soutenue par les propos de Mary Douglas : « En qualifiant un phénomène de dangereux, on le dérobe à la discussion. On atteint par là même un plus haut degré de conformisme » ; mais à voir le danger partout, on en affadit les limites, et on finit par ne plus rien voir.


Sabine Prokhoris a bien réalisé son boulot de psychanalyse excentrée pour elle-même et pour ses copains, fans de Lacan et de philosophie élitiste. Pour ma part, j’en serais presque venue à répudier la psychanalyse et la philosophie si je ne connaissais pas heureusement des auteurs moins pompeux et suffisamment humbles pour établir la communication.
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyJeu 8 Oct 2015 - 22:39

L’expérience religieuse – essai de psychologie descriptive (1906) de William James


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Pourrait-on être religieux et ne pas croire en Dieu ? La question ne semble pas impertinente après la lecture de cet « essai de psychologie descriptive » publié par William James en 1906 sous le titre de L’expérience religieuse. Je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré la moindre référence à Dieu dans ces développements, ou peut-être de manière si naturelle qu’on ne se sent pas obligé de lire le manuel du parfait petit athée pour comprendre que se référer à la religion ne signifie pas forcément appartenir dogmatiquement à une confession.  Il peut s’agir simplement d’un convenance à laquelle on se réfère pour désigner une expérience dont la caractéristique, peut-être, est d’être aussi riche en variations qu’il existe d’âmes pour la connaître. Le mot de religion est usé seulement pour ceux qui ne veulent pas admettre cette diversité.


La mode des éprouvettes, du positivisme et du matérialisme bat son plein. William James en est un peu imprégné, sans tomber toutefois dans la servilité. S’il aborde le phénomène religieux du point de vue de l’expérience individuelle, rattachant l’expérience religieuse à des expériences de la matière, il valorise surtout les découvertes récentes de la psychologie. Et dans ce domaine, on ne peut jamais vraiment être sûr de quoi que ce soit…


William James a amassé pléthore de données mortes et vivantes qu’il extrait de témoignages littéraires ou religieux ou de cas psychologiques contemporains et qu’il répertorie ensuite dans les catégories d’expériences religieuses mises à jour par ses soins. L’expérience religieuse est ainsi abordée dans ses rapports à la névrose pour remarquer, plus généralement, ce qui la rattache à la vie psychologique de tout individu. William James ne délaisse cependant pas l’importance des faits et l’originalité de sa pensée se trouve dans le caractère performatif qu’il attribue au monde de l’invisible.


« Ma vie subconsciente toute entière, mes impulsions, croyances, aspirations, ont lentement préparé l’intuition qui affleure aujourd’hui au niveau de ma conscience et qui est plus vraie –quelque chose en moi me l’assure- que les plus beaux raisonnements élevés contre elle. »


Parmi les différents types de caractères religieux, il remarque l’optimiste religieux (Saint François d’Assise, Rousseau, Diderot ou Bernardin de Saint-Pierre sont admis dans cette heureuse catégorie), les âmes douloureuses (Goethe, Tolstoï, John Bunyan, Henry Alline) et la volonté partagée (incohérente) qui retrouve parfois son unité (Saint Augustin). La conversion est un fait qui transforme parfois une âme en une autre ou qui l’autorise à accomplir un cheminement qui durera tout au long de sa carrière d’existence.  A l’époque où l’invention du concept de vie subliminale est récente, William James s’en empare hardiment pour expliquer le phénomène de conversion religieuse qui aurait pour condition, selon lui, une vie subliminale intense. De toutes ces considérations, William James chemine doucement mais sûrement vers la reconnaissance de la psychothérapie (qu’il appelle alors mind-cure) en tant que forme de religion nouvelle. Il considère en effet que la psychothérapie creuse l’âme sans limiter son forage par la menace du jugement moral. Le mal ne serait plus qu’un phénomène empirique qu’un autre niveau de conscience pourrait parfaitement justifier.


« Pour qu’une idée pénètre en nous par suggestion, il faut qu’elle se présente sous la forme d’une révélation. La mind-cure, en prêchant son évangile nouveau, c’est-à-dire l’optimisme à tout prix, la parfaite santé de l’âme, et partant celle du corps, a touché des cœurs que le christianisme traditionnel n’avait pas su toucher. »


Ce n’est pas une idée réductrice ! William James estime que la mind-cure peut s’inspirer des phénomènes de la vie religieuse mais qu’elle ne peut toutefois pas s’y substituer entièrement. L’expérience religieuse en soi a une valeur que les temps modernes dénigrent. Il s’agit donc de se soumettre aux exigences les plus basses de l’époque pour souligner la légitimité intemporelle du phénomène. Et puisqu’on a déjà assez causé des valeurs supposées de ses origines sans jamais rien résoudre, William James renverse la situation et décide de prouver la légitimité du phénomène religieux en examinant ses fruits : la sainteté (accompagnée de sa critique), le mysticisme, la spéculation théologique et la religion pratique. La religion engendre parfois des phénomènes extrêmes qui mettent en danger la vie de l’individu voire de masses entières, mais peut-on reprocher à la religion d’être un leurre si on lui reproche en même temps des effets réels ? En rattachant les manifestations religieuses à des origines biologiques (psychologiques), William James prend la science à son propre piège : elle espérait dépasser les phénomènes irrationnels en expliquant tout par une conjonction de molécules mais avec William James, les configurations organiques se retrouvent enfin être la cause des phénomènes irrationnels de toute nature. Un homme ne devient donc pas fou ou dangereux à cause de la religion : il l’était déjà fondamentalement et se serait servi de n’importe quoi d’autre, trouvé à portée de main, pour exacerber ses penchants latents. En revanche, la religion peut pousser l’individu à se dépasser et à amplifier la joie de son âme et il serait difficile de parvenir à des résultats parfois aussi impressionnants si nous ne nous étions pas mis d’accord sur certaines valeurs communes qui caractérisent la plupart des manifestations religieuses. Que serait une religion qui offre la joie à l’individu lorsque celle-ci ne se rattache qu’à des croyances ou des cultes strictement personnels ? La transcendance a bien plus de chance de se réaliser lorsque l’individu rattache ses croyances personnelles au fond d’un culte et d’une histoire partagés.


William James, bien scientifiquement et tranquillement, nous livre un superbe essai qui explore l’âme dans ses penchants les plus irrationnels. Tout philosophe y trouvera du grain à moudre, tout scientifique y apprendra l’humilité, tout individu touché de près ou de loin par l’expérience difficilement communicable de la religion y trouvera des compagnons. Ce n’est pourtant pas œuvre de dévot car ici, le dévot sortirait de sa lecture triste à en perdre la foi. Pendant ce temps, l’homme véritablement religieux irradierait.


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Guido_10
Guido Reni, L'Aurore



Comme une explication des dérives extrêmes ?

« Mais quand les autres à leur tour viennent critiquer notre enthousiasme, ne voulant y voir que l’expression de nos dispositions organiques, nous sommes froissés, blessés, car nous savons que nos états de conscience possèdent par eux-mêmes une valeur, comme révélation de la réalité ; et nous voudrions faire taire tout ce matérialisme médical. »


Qu'est-ce que la divinité ?

« On peut appeler divin ce qui est premier dans l’ordre de l’être et de la puissance ; quelque chose qui enveloppe et déborde tout le reste, sans que l’on y puisse échapper ; ce qui est le plus compréhensif et le plus profondément vrai ; la religion d’un homme se confondrait alors avec son attitude à l’égard de ce qu’il considère comme la vérité première. »


« Ma vie subconsciente toute entière, mes impulsions, croyances, aspirations, ont lentement préparé l’intuition qui affleure aujourd’hui au niveau de ma conscience et qui est plus vraie –quelque chose en moi me l’assure- que les plus beaux raisonnements élevés contre elle. »


Conclusion définitive :

« Je ne dis pas […] que la primauté doive appartenir, dans le domaine religieux, à l’inconscient et à l’irrationnel. Je remarque seulement qu’en fait, les choses se passent toujours ainsi. »
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyVen 16 Oct 2015 - 16:37

La religion grecque (1996) de Fernand Robert


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 41qfao10

La religion grecque est un test de Rorschach : chacun peut y voir ce qu’il veut. Les grecs de l’Antiquité seraient-ils dotés d’un organisme différent du nôtre ? Des spéculations récentes affirment que leurs hémisphères cérébraux ne communiquaient pas comme les nôtres, si bien qu’un de leur hémisphère cérébral considérait les pensées de l’autre comme des voix venues de l’au-delà.


Loin de toutes ces spéculations (l’édition Que-Sais-je n’est pas particulièrement réputée pour l’excentricité de ses publications), Fernand Robert permet cependant de comprendre les spécificités de la religion grecque afin que nous, lecteurs rescapés du 21e siècle, puissions aborder sans quiproquo la religion grecque antique, et donc ses œuvres culturelles et politiques. Le développement de la présentation se consolide autour d’un axe de lecture majeur : l’imprégnation d’un bouc émissaire des souillures générales, puis son sacrifice. La question de l’œuf et de la poule se pose aussi : les dieux ont-ils justifié la pratique rituelle ? à moins que ce ne soient les actes rituels originaires, perdant peu à peu leur signification, qui aient nécessité l’invention de dieux les justifiant ?


« En étudiant les fêtes dites d’Athéna en Attique, on découvre que les fêtes d’une divinité ont d’ordinaire existé par elles-mêmes avant que les divinités ne fussent inventées. »


Fernand Robert se repose sur les théories les plus solides concernant la religion grecque antique pour faire avancer nos considérations. Ses questions pertinentes, ses hypothèses originales et ses définitions précises permettent de ne pas louvoyer sur la multiplicité des chemins qui mènent à l’Olympe. En conclusion :


« N’opposons jamais pensée mythique et pensée rationnelle, puisque le mythe, explicatif par nature, veut déjà satisfaire la raison. Opposons pensée mythique et pensée scientifique, parce que le mythe se satisfait de l’explication, du seul fait qu’elle explique, tandis qu’en raison même de cela, la science s’en défie […]. »


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Vergin10
Tombe de Perséphone


Un autre exemple pour comprendre un peu mieux cette logique qui peut nous échapper :

Citation :
« On finit par considérer ces actes [rituels] comme la commémoration de l’épisode [mythique], alors que l’épisode, inventé d’après les actes, est un moyen involontairement trompeur de les commenter, et qu’ils ont en eux-mêmes, antérieurement à tout commentaire, la valeur, l’efficacité sacrée qui restera toujours, plus ou moins confusément, la vraie raison de les accomplir. »


Une adaptation des divinités à toute épreuve :

Citation :
« Les surnoms de la déesse Athéna peuvent se réartir entre la souveraineté (Athnéa Polias, protectrice de la cité), la guerre (Athéna Niké = Victoire, Promachos = combattante en sentinelle, Enhoplos = en armes) et le travail (Ergané = ouvrière) ou la santé (Hygieia), ces deux dernières notions se trouvant rassemblées dans la très accueillante troisième classe. »


Des explications très (trop ?) pragmatiques :

Citation :
« Ce qui est devenu le sacrifice pour dieux d’en haut n’était autre primitivement que la manière rigoureusement réglée de découper les viandes destinées à la consommation […] et d’évacuer les déchets en les détruisant par le feu. »
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyVen 16 Oct 2015 - 17:27

ce livre ne démystifie-t-il pas les mythes ? intense reflexion
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptySam 17 Oct 2015 - 22:40

Bédoulène a écrit:
ce livre ne démystifie-t-il pas les mythes ? intense reflexion

Non : il explique la partie pragmatique des mythes mais ne résout rien quant à leur nécessité ou quant à leur foyer d'origine. Nous comprenons comment la religion faisait partie de la vie quotidienne des grecs, sans que cela n'ôte rien au mystère...

Chamaco a écrit:

«L’excentricité et le voyage constituaient tous deux une manière d’échapper aux conventions d’une société rigide.»
«Brouillé avec la société, le voyageur excentrique a une approche plus respectueuse des contrées qu’il visite. Son esprit est plus ouvert que celui de ses collègues tirés à quatre épingles. Non seulement ses petites manies, mais aussi son attitude le plus souvent bienveillante à l’égard des populations indigènes  sont attachantes.»

Comme quoi, c'est toujours le même problème...
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyLun 19 Oct 2015 - 11:20

BA-Ba Les extraterrestres Vol 1 et 2 - Jean-Paul Roenecker (un autre genre de voyage, donc... bounce )

Dans ces 2 petits bouquins, Roenecker (qui a beaucoup écrit sur les mystères en tout genre) passe en revue et synthétise les fondements de l'ufologie ainsi que les différents types d'Extra-terrestres répertoriés (oui, parce qu'il n'y a pas que les célèbres Gris et autres Reptiliens...) et l'on retrouve les principaux "cas". L'avantage, c'est qu'il cite ses sources (journaux, thèses ou autres ouvrages)...
C'est intéressant. Amusant parfois ? Ou un peu plus que ça ?... scratch
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyLun 19 Oct 2015 - 18:23

shanidar a écrit:


Tiens, je croyais que Alexandra David-Neel était la première occidentale à avoir pénétré dans Lhassa... Mais peu importe... Tes voyageurs me font rêver, Chamaco !

Bin si cela importe Very Happy , Manning s'est rendu à Lhassa et y a pénétré entre 1810 et 1815, David-Neel y entra en 1924..Ce qu'il y a c'est qu'elle fut la première femme occidentale à y avoir pénétré, et comme elle Manning dut ruser, Manning ne fut pas célèbre car il n'écrivit pas ses relations de voyage, il se fit passer pour médecin, porta une tres longue barbe et se deguisa en asiatique (ce qui n'a pas du être tres réussi cependant... Laughing )..Bouquin intéressant, David-Neel aurait pu y figurer également...
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyDim 22 Nov 2015 - 23:16

Le traumatisme de la naissance –Etude psychanalytique (1924) (1924) d'Otto Rank


one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 Tylych10

Otto Rank, fidèle disciple de Sigmund Freud, considéré jusque-là comme sa relève la plus prometteuse, commet sa première œuvre de sape psychanalytique avec son Traumatisme de la naissance. Non pas qu’il se mit Freud sur le dos, comme ce fut le cas de Carl Gustav Jung, mais il suscita des critiques violentes d’autres fidèles disciples qui, prêts à tout pour fayoter, l’entraînèrent à amorcer sa rupture avec le mouvement psychanalytique. Si on retrace la genèse de cette idée du traumatisme de naissance, on apprendra pourtant qu’elle n’est pas étrangère à Freud. En effet, dans une note de la seconde édition de la Science des Rêves publiée en 1909, celui-ci écrivit que « l’acte de la naissance est la première expérience de l’anxiété et aussi la source et le prototype de l’affect d’anxiété ». Mais ce qui n’était pour lui qu’une idée comme une autre, lancée peut-être à la manière d’une hypothèse, devient chez Otto Rank le point de départ de toute réflexion.


La notion de traumatisme a également été évoquée chez Freud en tant qu’ « état où les efforts du principe de plaisir échouent ». Le danger est moins représenté par la blessure en elle-même que par la modification qu’elle est capable de provoquer dans la vie psychique. Pour Otto Rank, le traumatisme de la naissance n’est pas le seul à imprimer sa trace dans la vie psychique du jeune enfant. Lui succèdent également le traumatisme du sevrage et le traumatisme génital de la castration, moins violents et durables mais devant tout de même trouver leur place dans l’action traumatique.  


Le traumatisme se définit donc comme un état de choc, une rupture fondamentale qui éjecte l’individu hors d’un état d’équilibre voire de confort. Dans notre cas, il s’agit de l’état fœtal de la vie intra-utérine. Pas de sensation de faim, de soif ni de froid, une fusion inconditionnelle avec la mère, pas de gravité à subir ni de chocs extérieurs violents : ainsi se déroule la vie intra-utérine, dans la majorité des cas. Une fois posé sur terre, comment ne pas regretter cette éviction? La vie de chaque individu n’aurait pas d’autre objectif que celui de retrouver ce paradis perdu et tout plaisir tendrait à la reproduction du plaisir primitif, en rapport avec la vie intra-utérine. Le rétablissement de cet état primitif est couronné de succès lorsqu’il s’exprime avec les produits socialement reconnus de l’art, de la vie intellectuelle ou de la vie sexuelle, mais il échoue dans la névrose.


« Les névroses, sous toutes leurs formes, et les symptômes névrotiques quels qu’ils soient, expriment la tendance à une régression de la phase de l’adaptation sexuelle vers l’état primitif et prénatal et, conséquemment, vers le traumatisme de la naissance dont le souvenir doit, à cette occasion, être surmonté. »


Les idées suicidaires, la dépression, la catatonie et tous les comportements régressifs exprimeraient ainsi une tendance incomprise à retrouver l’état primitif de plaisir. Ils échouent toutefois car ils n’intègrent pas le principe de réalité. Otto Rank reprend la distinction effectuée par Jung entre l’introversion et l’extraversion et suggère que la névrose introvertie résulte d’un traumatisme de la naissance qui n’a pas été suffisamment puissant. Le choc originel aurait donc une utilité ? Il semblerait que oui et l’impression de l’angoisse primordiale, en éteignant le souvenir de l’état voluptueux antérieur, s’opposerait ainsi au retour, nous permettant de vivre, de prendre des risques, de faire des choix, de nous engager dans de nouvelles situations, d’aller de l’avant même si notre inconscient nous suggère qu’en retournant sur nos pas, nous aurons toutes nos chances de rétablir cette fusion idéale que nous recherchons. Finalement, toute l’histoire de l’humanité peut être contenue dans cette ambivalence primordiale du psychique, dans ce « refoulement à double barrière, le traumatisme de la naissance s’opposant au souvenir de la volupté primitive et le souvenir de cette volupté favorisant l’oubli du douloureux traumatisme de la naissance ».


Otto Rank se distingue fortement de C. G. Jung, qu’il critique à plusieurs reprises dans son livre, en évoluant du particulier vers le collectif et en suggérant que l’histoire du développement de l’humanité résulte de la somme des réponses trouvées par chaque individu pour surmonter cette ambivalence consécutive au traumatisme de la naissance. L’art, le symbolisme, la mythologie, la religion et la culture ne descendent pas vers chacun d’entre nous pour insuffler à notre vie psychique de nouvelles énergies, c’est nous qui nous élevons à la hauteur de ces œuvres pour résoudre notre traumatisme initial. Fort d’une très riche culture, Otto Rank dissèque une quantité impressionnante de ces productions pour révéler leur attachement au choc originel. La légende d’Œdipe ? la réponse concrète à la question des origines effectuée par un retour réel dans le corps de la mère. La structure patriarcale de la plupart de nos sociétés ? une conséquence du refoulement primitif et de l’angoisse éprouvée devant la mère. Les sacrifices religieux ? un don offert au sacrifié pour qu’il retourne dans le sein de sa mère. Les mythes relatifs à la création du monde ? une conception gnoséologique de l’opposition entre le moi et le non-moi, qui constitue la première reconnaissance consciente de la séparation d’avec la mère. Les spéculations philosophiques ? des liasses de pages écrites en vain pour résoudre le problème primitif de l’identité qui se rattache, en dernière analyse, aux liens physiologiques entre l’enfant et la mère. L’aspiration à l’héroïsme ? le déploiement de forces prodigieuses amenées à compenser un traumatisme de la naissance particulièrement intense. La prolixité de la vie culturelle grecque ? consécutive à la répétition du traumatisme de naissance vécue à travers la migration dorienne qui leur fut imposée. L’art ? une représentation et négation de la réalité qui se rapproche du jeu enfantin, dont l’objectif est de rabaisser la valeur et la signification du traumatisme primitif en le traitant comme une chose dépourvue de sérieux. L’humour ? la victoire la plus complète que le moi remporte sur la partie refoulée de sa vie psychique.


Que tout puisse être expliqué par l’hypothèse du traumatisme de naissance ne signifie pas qu’Otto Rank ait absolument raison et ses spéculations n’auraient aucun intérêt si elles ne trouvaient pas leur utilité dans la psychothérapie. Mais Otto Rank lui trouve une application apte à renouveler le processus de l’analyse : « Il n’est nullement nécessaire de se livrer […] à la recherche analytique, pénible et ennuyeuse, du « traumatisme pathogène » : il suffit de reconnaître dans la reproduction le traumatisme spécifique de la naissance et de montrer au moi adulte du patient qu’l ne s’agit là que d’une fixation infantile ». C’est à cause de cette observation qu’Otto Rank fut vilipendé par les psychanalystes qui lui reprochèrent de vouloir raccourcir la durée des cures pour s’adapter au rythme accéléré de la vie moderne. Pour Otto Rank, il s’agissait surtout d’abréger la partie de cache-cache qui se joue à chaque fois entre le moi et l’inconscient d’un individu pour se concentrer sur le changement d’attitude qui doit s’opérer entre eux. Ce changement doit entraîner une réorientation de la libido. En la transformant en un besoin d’adaptation, il faut réussir « à éliminer l’obsession qui pousse le malade à répéter (à reproduire) le traumatisme initial, c’est-à-dire la situation primitive ».


Si Otto Rank se fit éjecter des rangs de la psychanalyse, encore balbutiante et conservatrice en 1924, sa postérité ne fut toutefois pas négligeable. Le Traumatisme de la naissance fut en effet la première œuvre qui donna une telle importance aux relations avec la mère et nous lui devons toute une recherche ultérieure dans le développement de la théorie psychanalytique de la relation mère-enfant, aussi décevante ou fructueuse qu’elle put se révéler. Otto Rank orienta également la cure vers ses aspects les plus dynamiques et contribua à lui ouvrir le secteur des psychoses. Pas négligeable.



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Antonio Turok



La reproduction névrotique :

« Certaines analyses laissent l’impression très nette que le « choix » ultérieur de la forme de la névrose est déterminé d’une façon tout à fait décisive par l’acte de la naissance, par les points qui ont subi d’une façon toute particulière les atteintes du traumatisme et par la réaction de l’individu à ces atteintes. »


La compensation héroïque :

« La mort, interprétée à la lumière de la tendance au retour, se révèle comme une réaction passionnément désirée au traumatisme de la naissance. »


L'idéalisation artistique :

« L’art, à la fois représentation et négation de la réalité, se rapproche du jeu enfantin dont nous savons déjà qu’il vise à rabaisser la valeur et la signification du traumatisme primitif en le traitant dans sa conscience comme une chose dépourvue de sérieux. Cela nous permet également de comprendre l’humour qui constitue la victoire la plus complète que le moi remporte sur la partie refoulée de sa vie psychique, à la faveur d’une attitude particulière qu’il adopte à l’égard de son propre inconscient. »


L'angoisse consécutive à la naissance nous donne la force de vivre en nous ôtant l'envie de retourner à l'état foetal d'inanition :

« L’impression de l’angoisse primordiale, perçue et psychiquement fixée, éteint le souvenir de l’état voluptueux antécédent et s’oppose à cette tendance au retour qui nous ôterait la faculté de vivre, ainsi que le prouve celui qui, ayant eu le « courage » du suicide, a su franchir par régression cette barrière formée par l’angoisse. »


« Toutes les fois que, soit dans le sommeil (rêve), soit à l’état de veille (rêverie inconsciente), on tend à se rapprocher de cette limite [de la séparation avec l’objet primitif], on éprouve de l’angoisse, et c’est ce qui explique à la fois le caractère, inconsciemment voluptueux et consciemment pénible, de tous les symptômes névrotiques. »


Hypothèse dans l'action thérapeutique :

« Le névrosé ne diffère de l’homme civilisé normal que par le fait qu’il s’est attardé un peu en arrière, à la phase du traumatisme de la naissance, et tout ce qu’on peut demander au traitement, c’est de lui faire franchir cette phase, de l’élever au niveau de l’humanité moyenne qui, sous beaucoup de rapports, est encore elle-même dans l’enfance. »
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyLun 23 Nov 2015 - 0:31

Merci de nous ouvrir tous ces sentiers, Colimasson. Tu lis décidément des choses intéressantes dans ton parcours de lectrice. Merci de les partager aussi généreusement avec nous!
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyLun 23 Nov 2015 - 9:24

"Le traumatisme se définit donc comme un état de choc, une rupture fondamentale qui éjecte l’individu hors d’un état d’équilibre voire de confort. Dans notre cas, il s’agit de l’état fœtal de la vie intra-utérine. Pas de sensation de faim, de soif ni de froid, une fusion inconditionnelle avec la mère, pas de gravité à subir ni de chocs extérieurs violents : ainsi se déroule la vie intra-utérine, dans la majorité des cas. "

la précision est importante, car il me semble que l'état de la mère retentit  sur le BB

"Otto Rank reprend la distinction effectuée par Jung entre l’introversion et l’extraversion et suggère que la névrose introvertie résulte d’un traumatisme de la naissance qui n’a pas été suffisamment puissant."

et qu'en est-il des névroses extraverties ?

donc on peut penser que le traumatisme n'a pas été suffisamment puissant dans le cas où il n'y a pas eu le "confort" pour le foetus ?

en ce qui concerne la dissection  des productions, notamment de l'art, as tu vu des croisements avec les idées de Benjamin ?
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MessageSujet: Re: One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE]   one shot - One-shot Essais/Documents [INDEX 1ER MESSAGE] - Page 29 EmptyMer 25 Nov 2015 - 23:20

jack-hubert bukowski a écrit:
Merci de nous ouvrir tous ces sentiers, Colimasson. Tu lis décidément des choses intéressantes dans ton parcours de lectrice. Merci de les partager aussi généreusement avec nous!

Merci, je suis contente de cette appréciation content

Bédoulène a écrit:

"Otto Rank reprend la distinction effectuée par Jung entre l’introversion et l’extraversion et suggère que la névrose introvertie résulte d’un traumatisme de la naissance qui n’a pas été suffisamment puissant."

et qu'en est-il des névroses extraverties ?

Le type de l'extraversion serait consécutif d'une naissance difficile avec un traumatisme violent qui engendre une moindre envie de retourner à l'état foetal (assimilé à la mort) et donc à une exubérance d'énergie vitale.
Je ne suis pas sûre de ce que j'avance mais les formes pathologiques de l'extraversion seraient davantage liées aux psychoses qu'aux névroses.

Citation :


en ce qui concerne la dissection  des productions, notamment de l'art, as tu vu des croisements avec les idées de Benjamin ?

A première vue, non. L'analyse de Benjamin se dirige vers un point de vue politique, économique et social. Ici, c'est un point de vue psychologique, mythique et religieux.
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