Sylvie Germain

Un article qui vient de paraître dans le journal Le Soir :

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Les livres de la rentrée Dans « Hors champ », son nouveau roman en forme de conte, une seule semaine suffit pour qu'Aurélien, le personnage principal, perde sa voix, son odeur, son ombre. Comme les naufragés de nos villes.

Sept jours. C'est le temps qu'il a fallu à Dieu pour créer le monde. Sept jours, mais du dimanche au samedi, c'est le temps que s'octroie Sylvie Germain pour effacer Aurélien, un homme ordinaire, le héros de son nouveau et très beau roman, judicieusement titré Hors champ. Pas que le personnage disparaisse vraiment. Il est toujours là, mais les autres ne le voient pas, ne l'entendent plus. Du moins au début. Plus tard, Aurélien se rendra compte qu'il a aussi perdu son ombre.

Riche de presque trente titres publiés, l'œuvre de Sylvie Germain frappe par sa force et sa cohérence. Des thèmes qui fouillent nos peurs. Des propos souvent érudits qui s'écrivent dans une langue simple, précise, superbement soignée. Une manière d'inviter naturellement l'imaginaire dans le réel. Une attention extrême à l'humain qui n'exclut ni le mysticisme ni la poésie. Un lyrisme qui emporte le lecteur, repousse son horizon et l'enrichit. Tout cela, on le retrouve dans cet ouvrage nouvellement paru. Un conte dont les sept étapes sont autant de ravissements littéraires. Car Sylvie Germain ne se contente pas de raconter l'effacement d'Aurélien, elle dit aussi son histoire. Elle explique son ancrage dans notre société qui remplace une bibliothèque par un « e.book » – trouver ce mot sous sa plume fait sourire, même si elle reconnaît facilement s'être mise à l'ordinateur pour écrire ses livres. Elle reprend sans hésiter des haïkus d'Issa.

La veille du dimanche où le processus s'enclenche, Aurélien a subi la soirée bruyante de ses voisins et a réparé une ancienne visionneuse d'images. Le matin, les choses lui paraissent « de mauvais poil » : l'ampoule de l'applique s'éteint, la tringle de la penderie lâche, une clenche de porte lui reste en main, une cloque affleure dans un plafond. Il s'est réveillé tard, mais a pris son petit-déjeuner, un comportement héréditaire.

Sacré Aurélien, né de l'étreinte d'un père inconnu, adopté par le mari tardif de sa mère et doté alors d'un frère de quinze ans son aîné, Joël, qu'une agression fera toujours rester un enfant et dont il vient de retrouver le journal, tenu avant qu'il ne soit à demi mort.

Un dimanche vexant, surtout quand son ordinateur le lâche. Dès le lundi, Aurélien s'étonne de ce qui lui arrive. Un quidam le bouscule en rue et s'excuse : il ne l'avait pas vu. Et puis un couple, pour la même raison. Et aussi un ado. Le bus ne marque pas l'arrêt demandé. Ses copains de bureau, informaticiens comme lui, paraissent l'oublier. Thibault lui explique qu'il paraît flou. Au restaurant, on omet de prendre sa commande.

Au fil de la semaine, Aurélien va progressivement disparaître du champ visuel des autres, et puis de leur conscience. Sa petite amie le nie. Sa mère aussi. Il perd la voix, l'odorat. Quelqu'un le remplace à son travail. Son appartement paraît abandonné… On plonge à fond dans cet anéantissement vertigineux, magistralement orchestré par l'auteur. Mais sans jamais perdre pied, tant le livre nous tient en équilibre, notamment en relatant l'existence habituelle des proches du héros. Ces facettes qu'on découvre construisent le puzzle de la personnalité d'Aurélien en même temps que son destin le gomme. C'est du tout grand art, qui mérite de faire simplement confiance à la romancière et de se guider là où son écriture l'a menée.

Cauchemar ou parabole que ce Hors champ ? L'écrivain s'en tient scrupuleusement à l'histoire d'Aurélien mais on ne peut s'empêcher, en la lisant, de penser à tous ceux que nos yeux ne repèrent plus dans les villes et à toutes les fois où les autres ne nous ont pas vus alors que nous étions là. Ni morale ni apitoiement toutefois dans ce livre lumineux qui préfère considérer l'effacement comme une autre façon de vivre.

sentinelle a écrit:
Un article qui vient de paraître dans le journal Le Soir :

Sept jours. C'est le temps qu'il a fallu à Dieu pour créer le monde. Sept jours, mais du dimanche au samedi, c'est le temps que s'octroie Sylvie Germain pour effacer Aurélien, un homme ordinaire, le héros de son nouveau et très beau roman, judicieusement titré Hors champ. Pas que le personnage disparaisse vraiment. Il est toujours là, mais les autres ne le voient pas, ne l'entendent plus. Du moins au début. Plus tard, Aurélien se rendra compte qu'il a aussi perdu son ombre.

Sylvie Germain ne se contente pas de raconter l'effacement d'Aurélien, elle dit aussi son histoire. Elle explique son ancrage dans notre société qui remplace une bibliothèque par un « e.book » – trouver ce mot sous sa plume fait sourire, même si elle reconnaît facilement s'être mise à l'ordinateur pour écrire ses livres. Elle reprend sans hésiter des haïkus d'Issa.

Au fil de la semaine, Aurélien va progressivement disparaître du champ visuel des autres, et puis de leur conscience. Sa petite amie le nie. Sa mère aussi. Il perd la voix, l'odorat. Quelqu'un le remplace à son travail. Son appartement paraît abandonné… On plonge à fond dans cet anéantissement vertigineux, magistralement orchestré par l'auteur. Mais sans jamais perdre pied, tant le livre nous tient en équilibre, notamment en relatant l'existence habituelle des proches du héros. Ces facettes qu'on découvre construisent le puzzle de la personnalité d'Aurélien en même temps que son destin le gomme. C'est du tout grand art, qui mérite de faire simplement confiance à la romancière et de se guider là où son écriture l'a menée.

Cauchemar ou parabole que ce Hors champ ? L'écrivain s'en tient scrupuleusement à l'histoire d'Aurélien mais on ne peut s'empêcher, en la lisant, de penser à tous ceux que nos yeux ne repèrent plus dans les villes et à toutes les fois où les autres ne nous ont pas vus alors que nous étions là. Ni morale ni apitoiement toutefois dans ce livre lumineux qui préfère considérer l'effacement comme une autre façon de vivre.

Après la lecture de ce texte,
je crois que je vais aimer Hors champ
Merci Sentinelle.

J'avance tout doucement dans Hors Champ...Je réserve mon avis pour la toute fin de ma lecture...
J'essaie de comprendre pourquoi (il y a bien une raison!) ce livre est si différent des premiers romans de Sylvie Germain que j'aime tant...
Ce que je puis dire cependant, déjà, c'est qu'il se peut que ceux qui étaient réticents à Sylvie Germain pour les raisons qui me faisaient, moi, adorer ce qu'elle écrit, seront peut-être moins dérangés par roman-là...

Avec plaisir Bulle !

C'est curieux ce que tu dis là Coline, car je suis justement dans ce cas : ce roman-ci particulièrement me tente plus que les autres
Mais ce que je dis là est totalement subjectif, n'ayant jamais lu à ce jour cet auteur.

sentinelle a écrit:

Avec plaisir Bulle !

C'est curieux ce que tu dis là Coline, car je suis justement dans ce cas : ce roman là particulièrement me tente plus que les autres

Voilà...C'est ce que je disais...

Au fond, c'est un peu ce qui s'est passé avec le dernier Jonathan Coe : toucher un autre lectorat plus large au risque de décevoir ses fidèles lecteurs habitués à un autre style...

sentinelle a écrit:

Au fond, c'est un peu ce qui s'est passé avec le dernier Jonathan Coe : toucher un autre lectorat plus large au risque de décevoir ses fidèles lecteurs habitués à un autre style...

C'est un risque à courir...
Je ne sais pas si Jonathan Coe comme Sylvie Germain essaient volontairement de"toucher un autre lectorat"...Je crois plutôt qu'il y a évolution dans leur oeuvre (je connais mieux S. Germain et c'est incontestable chez elle) ...
Et si cela dérange les "fans" de la première heure, c'est tout de même bien de constater aussi qu'ils ont une capacité à évoluer, et comme le disait Marko, il y a déjà pas mal de livres d'eux pour nous plaire!...

sentinelle a écrit:

Au fond, c'est un peu ce qui s'est passé avec le dernier Jonathan Coe : toucher un autre lectorat plus large au risque de décevoir ses fidèles lecteurs habitués à un autre style...

Oui mais au moins "La pluie avant qu'elle tombe" est une superbe histoire très émouvante et bien écrite. Ici franchement je n'ai éprouvé que pas mal d'ennui (un comble pour un livre qui se lit en 3 ou 4 heures).

J'ai lu Hors champ, et n'ai rien lu d'autre de l'auteur. Il m'a semblé que Sylvie Germain se situait dans l'héritage de Kafka, et que, sans être à la hauteur du maître, naturellement, il y avait quand même une atmosphère intéressante, un genre d'univers. Dans les mésaventures et les déconvenues étranges d'Aurélien, à la limite du fantastique, j'ai vu une sorte d'incompatibilité radicale entre la personne et une réalité qui serait définie conventionnellement. Certains passages ont leur poésie. Mais d'un autre côté, comme il n'y a pas de solution ni d'issue, on se condamne à la répétition sans résolution. D'où une fin qui laisse sur sa faim, comme il était prévisible. Enfin, et surtout, on sent parfois trop le procédé.

Tu ne trouves pas que le style est souvent pauvre, anecdotique? Un comble pour un auteur souvent tellement plus inspirée ! On voit bien les intentions mais elle ne donne aucun frisson, aucun vertige existentiel. Je n'ai même pas ressenti son effacement.

sentinelle a écrit:

Avec plaisir Bulle !

C'est curieux ce que tu dis là Coline, car je suis justement dans ce cas : ce roman-ci particulièrement me tente plus que les autres
Mais ce que je dis là est totalement subjectif, n'ayant jamais lu à ce jour cet auteur.

Et voilà! On se donne du mal pour donner envie de lire ses romans les plus beaux et on finit par mener à lire les moins intéressants Tout ça parce qu'on en dit du mal! Au secours!

Marko a écrit:

Je n'ai même pas ressenti son effacement.

c'était peut être là tout l'art?

Marko a écrit:

Et voilà! On se donne du mal pour donner envie de lire ses romans les plus beaux et on finit par mener à lire les moins intéressants Tout ça parce qu'on en dit du mal! Au secours!

oui, en effet.. faudra parler mauvais des bons livres.. cela attire plus l'intérêt

Je n'ai guère avancé dans ma lecture aujourd'hui...Est-ce un signe?...
Pourtant je voudrais tellement donner tort, pour une fois, à Marko!

Marko a écrit:

Tu ne trouves pas que le style est souvent pauvre, anecdotique?

Le style pauvre et anecdotique est le lot courant de la littérature française contemporaine, et comme je n'ai rien lu d'autre de cet auteur, cette pauvreté ne m'a pas frappé, mais je ne vais pas te contredire. J'ai trouvé qu'il y avait par moments de belles pages, que l'univers était intéressant, mais je n'ai pas été transporté, et je n'ai pas frissoné non plus.

Lucretius a écrit:

Marko a écrit:

Tu ne trouves pas que le style est souvent pauvre, anecdotique?

Le style pauvre et anecdotique est le lot courant de la littérature française contemporaine, et comme je n'ai rien lu d'autre de cet auteur, cette pauvreté ne m'a pas frappé.

Justement ce n'était pas du tout le cas de Sylvie Germain!...
A ceux qui ne connaitraient pas encore, lancez-vous dans L'enfant Méduse, ou Jours de colère, ou Tobie des Marais...pour ne citer que ceux-là qui me semblent être les reflets les plus justes et forts de son oeuvre jusque-là...
Une oeuvre en évolution, c'est très net, depuis les débuts...

J'ai terminé Hors champ...Je ne serai pas aussi sévère que Marko mais j'ai compris ce qu'il en dit...Parce que nous avons été enthousiasmés par le lyrisme, la poésie et l'imagination de Sylvie Germain (voir nos posts précédents sur ce fil).
Je ne sais pas si elle veut tendre à plus d'épure...Le risque serait d'arriver à l'appauvrissement...
Question: Faut-il maintenant qu'elle sorte un livre tous les ans?...
J'essaie d'organiser mes ressentis sur Hors Champ et de les mettre en mots pour le forum...On est tout de même loin du "navet"...