jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Alain Grandbois Mar 19 Fév 2013 - 10:12 | |
| Poète et écrivain voyageur, Alain Grandbois (1900-1975) est considéré comme l'un des artisans de la modernité de la littérature québécoise. Autant nous révérons Hector de Saint-Denys Garneau pour la qualité de sa langue, nous pouvons être mystifiés par la grande solitude d' Alain Grandbois qui s'est surtout fait connaître à travers ses voyages. L'hommage que ce dernier reçut lors de l'obtention du prix Athanase-David en 1969 arrive à bien décrire l'essentiel de sa démarche : - Citation :
- Alain Grandbois a longtemps parcouru le vaste monde et a rapporté de toute cette itinérance intrépide un mode d'écriture vertigineux qui a transformé la littérature québécoise dans son rapport avec le réel. Après avoir publié Né à Québec (1933), Les Voyages de Marco Polo (1941) et des nouvelles qui allaient paraître en 1945 sous le titre énigmatique d'Avant le chaos, Alain Grandbois allait « exercer sur la poésie québécoise une influence décisive et durable », selon les mots de Jacques Brault.
Avec seulement deux recueils d'une splendeur inégalée, Les Iles de la nuit (1944) et Rivages de l'homme (1948), Alain Grandbois allait déployer tout son art poétique. Ce poète discret, qui n'avait l'intention de faire ni carrière ni œuvre, avait déjà épuré les sources premières de l'écriture quand il rendit publics les 28 poèmes qui composent Les Iles de la nuit. Les thèmes qui y prenaient leur envol n'étaient déjà plus ceux qui inaugurent un univers poétique : voilà qu'Alain Grandbois y exprimait une lecture grave et ontologique du monde et des conditions hostiles de l'existence humaine.
Nourri des spectacles de la vie sur tous les continents, dans ses profondeurs et ses échappées clairvoyantes mais aussi dans ses rapports conflictuels avec ses origines, l'univers chaotique et menacé qui deviendra le sien sera une fin du monde plutôt qu'une quête sereine de la paix de l'âme. Désenchantement, désespérance, désillusion, désamour feront naître sous sa plume des images d'abîmes et de gouffres, de cyclones, d'astres et de volcans, de corps fragile, de beauté fugace, d'amour évanescent et de tendresse mortelle. L'Amour est-il encore possible sur Terre lorsque les rivages d'une si cruelle lucidité sont atteints ?
Alain Grandbois, ce voyageur dilettante et pourtant d'une sévère exigence envers sa prose et sa poésie, n'aura porté aucun masque ; il sera allé au bout de l'aventure, sans attendrissement pour lui-même et l'amour de l'autre. « Avec lui, écrira Fernand Ouellette, le vivant, le poème et l'esprit devenaient au Québec ce qu'ils étaient partout ailleurs, des domaines infinis. » Avec lui donc commence la réelle modernité de l'écriture poétique au Québec, qu'allait poursuivre d'une façon tout aussi impitoyable Paul-Émile Borduas, le puissant maître-d'œuvre du Refus global, manifeste qui mit fin au long silence dans lequel sommeillait l'affirmation québécoise de l'art et de la libre pensée. Citoyen du monde, Alain Grandbois a apporté un souffle neuf à l'imaginaire québécois. http://www.prixduquebec.gouv.qc.ca/recherche/desclaureat.php?noLaureat=58 | |
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jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: Alain Grandbois Mar 19 Fév 2013 - 10:36 | |
| Pour reprendre un peu d'élan, je vous fais part d'un extrait de la démarche d'Alain Grandbois lorsqu'il s'adonne à la poésie. Encore une fois, nous pouvons puiser dans le recueil de Laurent Mailhot et Pierre Nepveu. Il s'agit du poème «Fermons l'armoire...» dans Les îles de la nuit : - Citation :
- «Fermons l'armoire...»
Fermons l'armoire aux sortilèges Il est trop tard pour tous les jeux Mes mains ne sont plus libres Et ne peuvent plus viser droit au coeur Le monde que j'avais créé Possédait sa propre clarté Mais de ce soleil Mes yeux sont aveuglés Mon univers sera englouti avec moi Je m'enfoncerai dans les cavernes profondes La nuit m'habitera et ses pièges tragiques Les voix d'à côté ne me parviendront plus Je posséderai la surdité du minéral Tout sera glacé Et même mon doute
Je sais qu'il est déjà trop tard Déjà la colline engloutit le jour Déjà je marque l'heure de mon fantôme Mais ces crépuscules dorés je les vois encore se penchant sur des douceurs de lilas Je vois ces adorables voiles nocturnes trouées d'étoiles Je vois ces rivages aux rives inviolées J'ai trop aimé le regard extraordinairement fixe de l'amour pour ne pas regretter l'amour J'ai trop paré mes femmes d'auréoles sans rivales J'ai trop cultivé de trop miraculeux jardins
Mais une fois j'ai vu les trois cyprès parfaits Devant la blancheur du logis J'ai vu et je me tais Et ma détresse est sans égale
Tout cela est trop tard Fermons l'armoire aux poisons Et ces lampes qui brûlent dans le vide comme des fées mortes Rien ne remuera plus dans l'ombre Les nuits n'entraîneront plus les cloches du matin Les mains immaculées ne se lèveront plus au seuil de la maison
Mais toi ô toi je t'ai pourtant vue marcher sur la mer avec ta chevelure pleine d'étincelles Tu marchais toute droite avec ton blanc visage levé Tu marchais avec tout l'horizon comme une coupole autour de toi Tu marchais et tu repoussais lentement la prodigieuse frontière des vagues Avec tes deux mains devant toi comme les deux colombes de l'arche Et tu nous portais au rendez-vous de l'archange Et tu étais pure et triste et belle avec un sourire de coeur désemparé Et les prophètes couchaient leur grand silence sur la jalousie des eaux Et il ne restait plus que le grand calme fraternel des sept mers Comme le plus mortel tombeau | |
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jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: Alain Grandbois Jeu 28 Fév 2013 - 13:25 | |
| - Citation :
- «Avec ta robe...»
Avec ta robe sur le rocher comme une aile blanche Des gouttes au creux de ta main comme une blessure fraîche Et toi riant la tête renversée comme un enfant seul
Avec tes pieds faibles et nus sur la dure force du rocher Et tes bras qui t'entourent d'éclairs nonchalants Et ton genou rond comme l'île de mon enfance
Avec tes jeunes seins qu'un chant muet soulève pour une vaine allégresse Et les courbes de ton corps plongeant toutes vers ton frêle secret Et ce pur mystère que ton sang guette pour des nuits futures
Ô toi pareille à un rêve déjà perdu Ô toi pareille à une fiancée déjà morte Ô toi mortel instant de l'éternel fleuve
Laisse-moi seulement fermer mes yeux Laisse-moi seulement poser les paumes de mes mains sur mes paupières Laisse-moi ne plus te voir
Pour ne pas voir dans l'épaisseur des ombres Lentement s'entr'ouvrir et tourner Les lourdes portes de l'oubli
tiré de Les îles de la nuit | |
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| Sujet: Re: Alain Grandbois Sam 2 Mar 2013 - 22:36 | |
| Ici même, le talent d' Alain Grandbois se fait sentir. Ce poème est emblématique de son oeuvre et pourtant on ne le connaît pas autant que les Miron, Garneau et Nelligan. Grandbois reste un poète majeur. - Citation :
- «L'étoile pourpre»
C'était l'ombre aux pas de velours Les étoiles sous le soleil mort Les hommes et les femmes nus La Faute n'existait plus
Mais sous les pins obscurs déjà Au creux des cathédrales détruites Parmi le chaos des pierres tombales Parmi la ténèbre et les dernières calcinations Soudain le cri de l'oiseau La mort s'agite en haut
La pourpre et l'indigo Le ciel et l'enfer Son beau visage entre mes mains Toutes les caresses insolites Je l'aimais pour la fin D'un long chemin perdu
*
C'étaient les jours bienheureux Les jours de claire verdure Et le fol espoir crépusculaire Des mains nues sous la chair L'Étoile pourpre Éclatait dans la nuit
Celle que j'attendais Celle dont les yeux Sont peuplés de douceur et de myosotis Celle d'hier et de demain
Les détours du cri de vérité La moisson couchée Au peuplier l'oiseau Beauté du monde Tout nous étouffe
Ah vagabonds des espaces Ceux des planètes interdites Ah beaux délires délivrés Le jour se lève avant l'aube
*
Que les mots porteurs de sang Continuent de nous fuir Un secret pour chaque nuit suffit Je plongeais alors Jusqu'au fond des âges Jusqu'au gonflement de la première marée Jusqu'au délire De l'Étoile pourpre Je m'évadais au-delà Du son total Le grand silence originel Nourrissait mon épouvante
Mon sang brûlait comme un prodigieux pétrole Mordant comme un acide extravagant Aux racines de mes révoltes Aux lits absurdes de mes fleuves Et soufflent soudain Spirales insensées Les foudroyantes forges du feu Et se creusaient soudain Les cavernes infernales Je niais mon être issu De la complicité des hommes Je plongeais d'un seul bond Dans le gouffre masqué J'en rapportais malgré moi L'algue et le mot de soeur J'étais recouvert De mille petits mollusques vifs Ma nudité lustrée Jouait dans le soleil Je riais comme un enfant Qui veut embrasser dans sa joie Toutes les feuilles de la forêt Mon coeur était frais Comme la perle fabuleuse
Cependant je savais Ton regard inconnaissable Je savais la fuite De ta tempe penchée Et ce froid visiteur Tombe oh tombe Ô nuit d'octobre Rougis les allées Des vieux parcs solitaires Balance ta lune de flammes pâles Au faîte des peupliers frissonnants Ah je t'aimais des larmes si douces Ô Toi belle endormie Au bord bleu du ruisseau
Il y avait aussi L'étonnant espace minéral des villes Les couloirs fragiles et déchirés De son coeur et de mon coeur Son sourire plus fiévreux chaque jour Je noyais mes désespoirs Au sombre élan de son flanc ravagé Je construisais mes vastes portiques J'élevais mes hautes colonnes de cristal J'allais triompher Mes palais soudain s'écroulaient Aux brouillards de mes mains
Nul feuillage d'or Nulle calme paupière Les cyclones rugissaient vertigneusement Les étoiles se rompaient une à une Toutes les prunelles étaient tuées Aspirations géantes Ah Musiques de Minuit Quelles sources d'extase Pour vos soifs indéfinies Chaque instant Dans la vaine précipitation du temps Assassinait les ombres du mur fatidique Requiem sans cesse recommencé
Clameurs clouant le coeur écorché Dérobant le jour strié de lueurs Ah visages à jamais fermés Beau front lisse et glacé de nos mortes
*
D'autres rivages sans doute Mon coeur bat-il trop fort Devant ces mers éteintes C'est alors que l'oiseau noir crie | |
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| Sujet: Re: Alain Grandbois Dim 3 Mar 2013 - 10:41 | |
| Toujours dans L'étoile pourpre, j'ai jeté mon dévolu sur «Je savais...» - Citation :
- «Je savais...»
Je savais que tout était fini Je le savais et je ne voulais pas le savoir Car mon sang cependant coule encore Source vive et pourpre Je défie les dieux endormis Mon astre m'endort d'or Son soleil couvre mon visage
Je sais je sais la flamme m'environne Les hasards d'une contrainte exercée Me brûlent comme le bûcher Et ces hautes montagnes perdues Et ces armées de sable Et ces chemins bleus de la mer Tout brûle Tout flambe extraordinairement
L'Ombre même m'a trahi Ces mots prodigieux de cristal Me noient comme un front d'amour Ma joie déchire les temps morts
Le ciel couleur d'homme nu plus tard Ce monde capital surgi des horizons Nos souvenirs comme un mal égaré Nos pas comme des tours légères Ce rauque cri Aux grands fonds torrentiels des océans
Devant chaque feuille morte devant chaque crépuscule Ce marbre tiède faiblesse de mes doigts Ah je veille aux eaux sourdes des profondeurs Mon désir cerne les couronnes de glace Les grandes belles caravelles d'autrefois
Mes heures faites pour étancher le sang Sombraient comme des paumes ténébreuses Au coeur dérisoire des abîmes Mon jour est dévoré Dans le langage de mes nuits La sécheresse de ma poitrine Halète devant les pistes ignorées Parmi la chevelure des forêts défendues
Penchées sur les mondes Dans l'éblouissement solennel des constellations Mes cavernes de pierre Sont inaccessibles Personne ne m'atteindra jamais Mais ô bel ô clair archange Ma solitude me glace | |
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| Sujet: Re: Alain Grandbois | |
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