J'ai pigé quelques extraits de poèmes dans
Cantouques & Cie qui révèlent assez bien l'état d'esprit et le niveau de langage québécois truculent utilisé par
Gérald Godin. Ce dernier était avant tout un poète-politicien ou politicien-poète, c'est selon.
- Citation :
- «Cantouque des hypothéqués»
Les crottés les Ti-Cul
les tarlas les Ti-Casse
ceux qui prennent une patate
avec un coke
les ciboulettes les Ti-Pit
les cassés les timides
les livreurs en bicycle
des épiciers licenciés
les Ti-Noir les cassos
les feluettes les gros-gras
ceux qui se cognent sur les doigts
avec les marteaux du boss
les Jos Connaissant
les farme-ta-gueule
ceux qui laissent leurs poumons
dans les moulins de coton
toutes les vies du jour le jour
tous les coincés
des paiements à rencontrer
les hypothéqués
à perpétuité
la gang de christs
qui se plaint jamais
les derniers payés
les premiers congédiés
ils n'ont pas de couteau
entre les dents
mais un billet d'autobus
mes frères mes frères
sur l'erre d'aller
l'erre de tomber
l'erre de périr
dans les matins clairs du lundi
ils continuent mais sur l'élan
les pelleteux les neuf à cinq
les pères de famille sans enfants
WANTED RECHERCHÉ
pour cause d'agonie
pour drôle de pays
Ils sont de l'époque où la patrie
c'était un journal
Gérald Godin, Cantouques & Cie, 2011 (2001), TYPO, coll. «Poésie», p. 85-86.
Le poème qui suit fut inspiré du sentiment d'injustice ressenti par
Gérald Godin suite à la vague d'arrestations sans motif dans les rangs indépendantistes lors de la crise d'Octobre 1970 (plus de 450 arrêtés; les trois colombes désignent les trois québécois francophones de service qui étaient aux commandes du gouvernement fédéral, Pierre Elliott Trudeau, Gérard Pelletier et Jean Marchand).
- Citation :
- «UN JOUR»
Un vendredi seize
un vendredi de petit matin
un vendredi du tabarnaque
un de ces vendredis
qu'on aimerait mieux être mort
que d'en vivre le quart du bout
dla fin dla queue de la centième partie
un de ces vendredis des quatre injustices
des neuf interrogatoires
des quatre cent cinquante arrestations
un vendredi policier
huit par banc
par chars de quarante
un vendredi de porte défoncée
un vendredi tranché épais
un de ces hosties
de vendredis
le coeur étranglé
trépané empalé
les dents soudées pour toujours
un de ces jours comme si le métro
nous passait dessus
à la station Berri-Demontigny
un jour sans rien un jour sans coeur
un jour gouvernemental
un jour de la machine d'État
un jour d'année
un jour crotté
un jour de longue mémoire
et de courte justice
un jour des trois colombes
un jour que j'ai
de travers dans le cul
un jour de bulldozer politique
ils arrivèrent chez moi
pour me faire parler
Ibid., p. 106-107.
Dans ce dernier poème, nous pouvons lire ce qui fait la singularité du destin québécois vis-à-vis du Canada anglais :
- Citation :
- «Mal au pays»
Par les coquerelles de parlement
les crosseurs d'élection
les patineurs de fantaisie
les tarzans du salut public
j'ai mal à mon pays
par les écrapoutis d'assemblée nationale
les visages de peau de fesse
les toutounes de la finance
les faux surpris de mcgill
j'ai mal à mon pays
par les plorines du sénat
les savates de sociétés du bon parler
la puanterie des antichambres de ministres
les va-la-gueule de l'égalité ou l'indépendance
j'ai mal à mon pays
par les poubelles du Canada mon pays mon profit
par les regrattiers du peuple
dans les pawn-shops de la patrie
j'ai mal à mon pays
par les écartillés de l'honnêteté
par les déviargés de la dignité
par les déplottés de la vérité
j'ai mal à mon pays
par les pas clair-de-noeuds
par ceux qui ont des meubles en cadeau
par les baveux du million mal acquis
j'ai mal à mon pays
par les éjarrés de la vente au plus offrant
par ceux qui nous trahissent pour du cash
et nous chantent la pomme à crédit
j'ai mal à mon pays
par les peddlers du fédéralisme enculatif
et la ratatouille du pot-de-vin
par les gras-durs de radio-cadenas
par les passeux de sapins
les tireux de ficelles
les zigonneux de fonds publics
par tous ceux qui ont des taches de graisse
sur la conscience
j'ai mal à mon pays
par ces maudits tabarnaques
de conciboires de cincrèmes
de jériboires d'hosties toastées
de sacraments d'étoles
de crucifix de calvaires
de trous-de-cul
j'ai mal à mon pays
jusqu'à la fin des temps
Ibid., p. 126-127.
L'ultime revanche de
Gérald Godin fut de battre le premier ministre
Robert Bourassa lors de l'élection générale en 1976. Aux prises avec des allégations de corruption et usure du pouvoir aidant, le premier ministre fut battu dans sa propre circonscription. Aujourd'hui, nous savons que ce fut
Robert Bourassa qui avait orchestré la stratégie de sortie de crise d'Octobre 1970. Pendant longtemps, nous avons pensé que ce fut
Trudeau. L'armée canadienne était dans les rues du Québec à ce moment-là et le cirque se révélait dans sa plus grande laideur.