Joachim Lafosse

Aeriale a écrit:

je n'ai eu que cette sensation de pesanteur, de malaise, et comme Darkanny je suis sortie de là achevée.

Je crois que c'est ce que j'ai apprécié : on a ainsi un (tout petit) aperçu du processus lent, répétitif et imparable de l'emprise et de ses dégâts. Mais c'est effectivement un film très éprouvant. Et donc réussi ? (je réponds oui mais c'est un avis tout personnel)

L'économie du couple

Joachim Lafosse observe un couple sur le point de se séparer, entraîné dans une cohabitation conflictuelle qui accentue chaque jour une usure affective. Marie est propriétaire de la maison dont Boris a pris en charge la rénovation, et chacun cherche à défendre sa légitimité et sa place dans un récit collectif. Ils mesurent l'absurdité d'une situation bloquée et épuisante sans parvenir à y mettre fin, alors que leurs deux filles sont marquées par ces conflits incessants qui bouleversent l'équilibre d'un quotidien.

Comme lors de ses précédents films, Joachim Lafosse réussit à installer une ambiance étouffante, où la violence des paroles et des gestes est le reflet d'un enfermement sans issue. Boris et Marie n'acceptent pas de tirer un trait sur un passé et cette crispation face à des intérêts matériels est aussi le symbole d'un aveuglement partagé. Leur relation n'est désormais que colère et rejet, mais ils ne peuvent assumer le poids et les conséquences de cette déchirure.

L'économie du couple contient des scènes marquantes, mais je trouve que la mise en scène de Lafosse ne parvient pas à se renouveler et à émouvoir. Il observe ces personnages à distance, en insistant trop lourdement sur une opposition de classes sociales (l'héritage familial de Marie, les difficultés financières de Boris). La fragilité d'une intimité est alors malheureusement reléguée au second plan.

C'est vrai que l'argent, et l'origine sociale de ce fait, est un des ressorts du film, mais c'est un ressort de tout divorce , non? Même si c’est exaspérant.
Et que oui, cet aspect des disputes m'a mise mal à l'aise, jamais très agréable de voir des gens qui se disputent et on n'y peut rien: raison tous les deux, tort tous les deux. Simplement incapables de le gérer. C'est exactement le ressenti des amis invités à dîner et confrontés à cette invincible hostilité. On est face à deux têtes à claques qui répondent à la tempête par la haine, chacun ses qualités et ses torts, et c'est très puissant de ne jamais prendre parti, de ne pas présenter d'histoire plus du coté d'elle, la psychorigide mais-pas-que, ou lui, le type qu'il faut toujours trainer mais-pas-que.

La force du film, c'est justement de coller si bien à la réalité, jusque dans les moindres détails. C'est peut-être aussi sa faiblesse : il y manque sans doute ce brin de folie qu'on pouvait voir dans A perdre la raison.

C'est plus dans les scènes positives que j'ai trouvé un réel plaisir, peut-être même plus que du plaisir, réellement de l'émotion, en particulier dans la "scène de la chorégraphie", assez magique, où la colère laisse la place au désarroi : comment avons-nous pu en arriver là ?.
J'ai aussi aimé les pauses, les plans fixes et "inutiles", les regards, les temps de réflexion, les silences…

Pas le film du siècle, donc, mais beaucoup de finesse.