Anthony Mann

La rue de la mort/Side Street

Le mauvais choix d'un jeune papa, fauché (probablement parti pour la guerre avant d'avoir un travail et revenu depuis pas si longtemps) et pris de remords, qui va se perdre dans le monde du crime (et de l'argent) qui coexiste avec celui de la vie dans cette grande ville qu'est New-York.

Très solide intro en survol aérien de la ville, doublée par une voix off qui présente tout en chiffres et nuances la ville, cette voix se trouve être celle d'un policier, celui de cette histoire d'extorsion et de vol. Ce qui est un peu secondaire puisque l'intérêt premier est dans la tension radicale de ce jeune papa, à la croisée des chemins entre la tension sociale et la tension morale. Étonnamment baladé de déconvenue en déconvenue et confronté à beaucoup plus méchant que lui. Un panorama de violence sociale et de violence physique avec toujours une manière très palpable de rendre compte de la menace et du danger. Tout sauf agréable.


Un film assez fort qui emprunte des chemins de traverse et sans grande gloire pour s'en sortir, qui évite soigneusement une trop grande envergure d'apparat pour mieux coller à son objet vital de préservation d'une sphère humaine dans un monde/ville peu accueillant pour les gens gentils. Autre exemple de personnage abimé, la chanteuse qui noie son trouble dans l'alcool.

Chouette fin aussi avec une poursuite en impasse dans les rues profondes et désertes d'un dimanche matin.

Il marchait la nuit/He walked by night

de Alfred L. Werker et Anthony Mann (1948)

Inspiré d'un fait divers : un voleur tue un policier qui le surprend sur le point de commettre un vol et prend la fuite. Le récit d'une longue enquête pour retrouver ce tueur discret dans Los Angeles...

Très orienté vers le documentaire sur les méthodes de police et mêlant enquête et police scientifique le film n'en oublie pas pour autant un suspens en béton, une inquiétante sobriété et quelques scènes choc avec notamment une poursuite dans les égouts de ville (une des séquences par Anthony Mann).

Encore un film noir qui marche très fort. Celui là en jouant très près de ses deux tableaux que sont l'enquête méthodique de la police qui génère un gros suspens car enquête qui patauge tout en révélant des bribes, la plupart d'ailleurs connues du spectateur au moment de leur découverte. On sent l'agitation. Et cette agitation est justifiée par le très discret voleur/tueur auquel le film emprunte l'apparente douce froideur d'action pour s'ouvrir petit à petit à une autre forme d'agitation, celle de celui qui perd le contrôle de la situation. Et le personnage, confiant, est très bien campé par un Richard Basehart très très mesuré.


Le film est une sublime démonstration d'ordinaire qui ne cesse de renforcer le sentiment de menace qui pousse ce genre de film. La part belle revient finalement aux forces de l'ordre mais le film là encore n'en rajoute pas et se contente de sa clinique démonstration qui laisse bien des victimes et ne promet même pas un monde meilleur.


Décors naturels en cadeau bonus pour ce petit film très réussi. Et puis ça a beau être du film de genre donc un peu formaté, à force d'en voir quelques uns ces derniers temps (je vous assure que c'est une bonne idée !) et si les années font un peu d'exotisme c'est difficile de ne pas trouver que ça a plus de relief que des films plus actuels. Peut-être les sujets qui ont dérivé vers plus de crime organisé et de super psychopathes, peut-être autre chose aussi dans la manière de moins standard ?

La Cible vivante / The Great Flamarion (1945)

Le meurtre d'une artiste de cabaret au Mexique et un long retour du meurtrier pour expliquer son geste. Une histoire de femme fatale et d'amour déçu. Le principal déçu étant un austère, froid, maniaque et un tantinet cabotin Erich von Stroheim. Les caractères sont épais et le contraste des attitudes ne prend pas à tous les coups. Celui là on n'en fera pas le film du siècle même si ça simplicité et ces seconds rôles défaits font qu'on a du mal à lui en vouloir.

Un des moins bons Mann, celui-ci, animal !

Devil's Doorway / La porte du diable 1950

Ouïe aïe aïe... Quand un soldat revient de la guerre de sécession pour élever ses bêtes avec son père dans sa verte prairie, tout a l'air tranquille passée une des plus chouettes arrivées western en ville (avec juste le chien qui vient aboyer comme il faut). Surtout que c'est la réussite : l'enfant du pays avec ses galons et sa médaille. Sauf que la ville elle a changé et l'heure n'est pas à l'intégration. Il est indien notre héros aujourd'hui. On ajoute un shérif timoré et coincé, un avocat pourri jusqu'à l'os et une jolie avocate un peu désemparée et tout le monde est là. Sauf les enfants. Beaucoup de symboles qui se confrontent, énormément d'injustice, très "western" mais un peu plus quand on voit le portrait croisés d'éleveurs pauvres et de chances ratées dans ce pays de la chance et de l'opportunité... Racisme, violence qui dégénère. Injustice encore, entêtement... Et puis on voit l'adulte responsable, le gentil de l'affaire, mettre un fusil dans les mains d'un gamin avec le sourire. ça ne prend pas de détours ce cinéma pour appuyer là où ça fait mal. A déconseiller aux amateurs de happy end et happy milieu.

Peut-être des petits temps morts mais compensés par le tout particulier sens de l'espace de ce western noir et pas normal du tout. C'est à dire que le paysage est très présent et très grand, c'est un pays qui est là, mais sans appuyer, sans en rajouter alors que ça joue un rôle énorme !

Difficile aussi de ne pas penser automatiquement à Steven Seagal quand on voir Robert Taylor en bronzage artificiel et fringues à l'indienne... Un Steven Seagal en deux trois fois moins épais ?

C'est très impressionnant comme cinéma et ça n'est pas exactement linéaire derrière le scénario qui lui l'est, linéaire. J'imagine toujours très peu de cinéma actuel, américain mais pas que, s'embarquer aussi sérieusement dans ce genre d'histoire pourrie jusqu'à l'os par le racisme, la violence et ce qui peut en tirer parti.

Winchester 73

Fascination pour une arme qui motive le crime entrelacée avec une histoire sombre de vengeance et sur un fond de guerres indiennes. James Stewart n'est pas trop mou et va jusqu'à dégager une violence déraisonnable. Pour fixer tout ça nous avons son excellent compagnon plus modéré et Shelley Winters. On peut leur ajouter Wyatt Earp, shérif de Dodge City où l'on laisse son flingue au vestiaire (quelques belles scènes de réflexes belliqueux). La traque de la vengeance et à la carabine de luxe (l'exemplaire parfait de la fameuse carabine à répétition) s'étoffe ainsi d'un naturel des attitudes lourd de sens et d'à côtés avec le marchand d'arme et les indiens qui persistent à distiller la corruption d'un monde pas très accueillant.

Western intense avec un sens de la distance et de l'économie puissant. ça finit mieux que La passe du diable et c'est moins en décalage... ça apparait donc un peu plus lisse mais pas sans atouts et surtout goupillé serré !

A noter en plus de la qualité des seconds rôles la tendance très faillible des hommes d'action dans leur ensemble, héros inclus, d'une étrange manière.

- -

The Tin Star / Du sang dans le désert (1957)

Une petite bourgade de Far West qui commence à se ranger voit d'un mauvais œil débarquer un chasseur de prime avec un cadavre derrière lui. Le jeune shérif au une certaine foi mais est inexpérimenté. Et dans cette petite ville tout le monde n'a pas tiré un trait sur la violence et tout beau tout propre qu'on soit les étrangers, les indiens et les métis on ne les aime pas beaucoup. Et quand les choses vont mal il y a un flou entre obligations et compromis.

C'est comme ça que ça se passe ce western assez calme mais tendu avec un Henry Fonda revenu de tout et rapide de la gâchette et un Anthony Perkins frémissant. Le premier pourrira-t-il le second tout en lui donnant la chance de survivre, le second ramènera-t-il le premier vers un monde meilleur ? ça aurait pu être ça dans un terrible affrontement du bien et du mal dans une frénésie de violence. En fait non, c'est plus compliqué, il faut ajouter l'obstination d'un vieux docteur, d'une veuve, d'une jeune femme et le sourire d'un gamin. Plus un chien et quelques autres choses pour que la tension du changement sans mauvais regrets puisse persister.

Un bien beau film riche en moments forts mais aussi en nuances, assez sombre socialement tout de même.

Impressionnant de voir avec un film comme celui là ce qui peut se développer avec le "peu de choses" du western.

La Ruée vers l'Ouest / Cimarron (1960)

Un peu déçu par cette grande épopée, à moins qu'elle ne soit seulement un peu longue ? D'autant plus dommage qu'elle ne manque pas de qualités à commencer par son ambition : 30 ans d'histoire des états-unis de la fin de la colonisation du territoire à la première guerre mondiale ça fait beaucoup et c'est encore plus intéressant quand en parallèle de la civilisation avec la construction d'une véritable ville à partir du néant on assiste à une opposition de valeurs au sein d'une petite famille atypique.

Lui, Yancey (Glenn Ford ), genre beau parleur vaguement fripouille et elle, Sabra (Maria Schell), jeune fille rangée, fraîchement mariés partant à la conquête de l'Oklahoma... plutôt que de se retrouver fermiers ou éleveurs ils se retrouvent à tenir un journal et Yancey n'a de cesse que de défendre les opprimés ce qui gêne sa femme qui a du mal à se dégager de la pression sociale et de son éducation. Qui est civilisé et qui ne l'est pas dans ce couple aussi difficile à réconcilier que terriblement amoureux ?

Au fil des images c'est l'émergence d'une vie politique et économique différente qui loin de tirer un trait sur ses mauvais penchants et de faire vivre ses idéaux de liberté entretient soigneusement ses mauvaises habitudes d'abus de pouvoir et de racisme pratique. Étrangement même pour un western on élève pas de bétail ou on ne cultive pas la terre, on court plus loin vers un monde meilleur ou on creuse pour du pétrole.

On pourrait même aller jusqu'à trouver que la plus grande violence est intime dans le poids d'une conformité brutale et destructrice.

Glenn Ford joue pas mal le héros presque malgré lui, timide à sa façon, gêné certainement mais il manque un peu de souffle à l'ensemble.

A voir quand même si vous avez l'occasion pour son contenu, sa violence assumée, et son brassage d'images qui méritent réflexion.

La scène de ruée, au sens propre, à l'ouverture de l'état avec les soldats donnant le départ d'une course au lopin de terre est barge. Historiquement plus de 50 000 personnes ?! Rien que le principe est dingue...

Et puis il faut reconnaître que Mercedes McCambridge (la folle de Johnny Guitar) assure pas mal en ex-pionnière à l'accent indécrottable.