Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Jean Rouaud

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MessageSujet: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptySam 14 Avr 2007 - 17:19

Jean Rouaud Jean_r10
"Biographie de Jean Rouaud

Sa maîtrise de lettres en poche, Jean Rouaud exerce divers petits métiers comme pompiste, vendeur d'encyclopédies médicales... En 1978, il entre à 'Presse Océan' et rédige bientôt des papiers pour la 'une' du journal. Il monte ensuite à Paris ; il travaille tantôt dans une librairie, tantôt comme vendeur de journaux dans un kiosque. En 1990, il fait paraître son premier roman, 'Les champs d'honneur', un coup de maître puisqu'il obtient aussitôt le prix Goncourt. Marqué par la mort de son père au lendemain de Noël alors qu'il avait onze ans, puis par celle de sa mère en 1997, avant même qu'elle ait pu lire les lignes qu'il lui avait consacrées dans ses derniers romans, Jean Rouaud ressuscite au fil de ses oeuvres cette famille décimée, à l'aide de mots simples et de clins d'oeil emplis de malice et de tendresse." in EVENE

Les champs d'honneur

Premier volet d'une « saga » familiale, « Les champs d'honneur » oscillent entre récit proustien et mémoires dignes d'un François René de Châteaubriand.
Trois décès, trois histoires, une vie de famille au fil du temps, au fil de l'Histoire.
Le père, disparu trop vite, laissant une jeune veuve et trois enfants, une vie bancale et triste...absence de la mère perdue dans sa douleur.
La tante, ancienne institutrice, dans une institution religieuse, personnage discret et savoureux, porteuse d'une souffrance et d'un secret. Elle virevolte dans la vie au gré des images pieuses, des bulletins paroissiaux, des saints sauveurs, solitaire et fragile.
Le grand-père maternel, ancien tailleur, au volant de sa 2CV cachochyme, sa cigarette au coin de la bouche, ses bonbons dissimulés, son caractère particulier, ses paroles rares. Personnage étrange qui rencontre, pour philosopher, le portier d'une abbaye, deux fois par semaine...
Le narrateur en dresse des portraits truculents, grandioses et superbes. Le lecteur est au coeur de cette famille bretonne, de Loire-Inférieure (actuelle Loire Atlantique).
Il sait, aussi, décrire cette atmosphère si particulière apportée par le fameux crachin breton. Il écrit d'admirables passages sur les grisailles pluvieuses: « La pluie est une compagne en Loire-Inférieure, la moitié fidèle d'une vie. La région y gagne d'avoir un style particulier(...)Les nuages chargés des vapeurs de l'Océan s'engouffrent à hauteur de Saint-Nazaire dans l'estuaire de la Loire, remontent le fleuve et, dans une noria incessante, déversent sur le pays nantais leur trop-plein d'humidité. Dans l'ensemble, des quantités qui n'ont rien de considérable si l'on se réfère à la mousson, mais savamment distillées sur toute l'année, si bien que pour les gens de passage qui ne profitent pas toujours d'une éclaircie la réputation du pays est vite établie: nuages et pluies. » p 15 puis plus loin « Les premières gouttes sont imperceptibles. On regarde là-haut, on doute qu'on ait reçu quoi que ce soit de ce ciel gris perle, lumineux, où jouent à distance les miroitements de l'Océan. Les pluies fines se contentent souvent d'accompagner la marée montante, les petites marées au coefficient de 50, 60, dans leur train-train bi-quotidien (...) Le ciel et la mer indifférenciés s'arrangent d'un camaïeu cendré, de longues veines anthracite soulignent les vagues et les nuages, l'horizon n'est plus cette ligne de partage entre les éléments, mais une sorte de fondu enchaîné. Le pays tout entier est à la pluie: elle peut sourdre des arbres et de l'herbe, du bitume gris à l'unisson du ciel ou de la tristesse des gens. » p 17 et 18
Par bribes d'indices (un dentier en or traînant dans un compotier, des photos, une image pieuse...), le narrateur atteint l'horizon de la grande Histoire: les fantômes erratiques de la Grande Guerre, mystères familiaux et clefs des arcanes du souvenir. Les portraits, sous la joliesse du style de l'auteur, mènent à la vie qui s'arrête bien avant la mort pour certains membres de la famille. Une narration délicate, écrite à la perfection...une dégustation stylistique et sémantique. Une peinture écrite, un voyage intérieur qui ne donnent qu'une seule envie: lire les opus suivants afin de faire plus ample connaissance avec les différents membres de cette famille de l'entre deux guerres.
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptySam 3 Mai 2008 - 19:29

Le monde à peu près

Voilà de Jean Rouaud le livre que j'ai préféré. J'ai lu également Les champs d'honneur et Pour vos cadeaux, tous de très beaux romans. L'imitation du bonheur est dans ma PAL depuis un moment (mais j'hésite : 600 pages...peut-être pendant les vacances d'été ! )

L'écriture d'abord de Jean Rouaud est belle : précise, claire, soignée et ...très littéraire. Le plus souvent, je suis sous le charme de ses trouvailles stylistiques. Et puis, le monde qu'il décrit est un monde passé au filtre de sa très grande sensibilité: La douceur et la délicatesse de cet écrivain se retrouvent dans toutes ses phrases et c'est un délice, comme une « parenthèse » de tendresse dans un monde brutal. Pourtant, ce que raconte le héros dans « le monde à peu près » sur son enfance en pension, sur les manifs de Mai 1968, sur les deuils qui se sont succédés dans sa famille ou même sur son éducation sentimentale avec la jolie Théo n'a rien d'idyllique. Nous sentons la distance que le narrateur garde avec tout évènement, restant un peu en marge, ne pouvant observer le monde qu'à travers le halo de son imagination, comme le myope qu'il est, refusant de porter des lunettes, ce qui le condamne à ne voir ou sentir vraiment que ce qui est tout proche de lui.

J'ai trouvé fascinant que cet homme puisse ne pas vouloir porter de lunettes et rester à appréhender le monde « à peu près »...comme si voir poétiquement à l'intérieur de soi avait finalement plus d'importance.
colibri

Critiques :
Ce livre nous inonde de bonheur (André Clavel)

Décidément, cet homme a la grâce (Patrick Grainville)

Sa myopie sculpte ses phrases de très près. C'est une menuiserie taillée sur ses manques. Il habille ainsi de reliquaires exquis les mânes de ses fantômes. Voilà le secret. » (Bernard Rapp)

Citation :
Extrait :
On nous avait laissé sur cette prophétie : vous récolterez ce qu’il a semé. Pour l’heure, le nez dans l’herbe, fauché au beau milieu d’un dribble glorieux, ce n’est pas vraiment ça. Ça quoi ? Le monde, disons. Depuis ce lendemain de Noël, sa définition a perdu en netteté. La preuve en est, lunette ou pas, on n’y voit plus clair. Et quand Gyf qui fait son cinéma ajoute à la confusion en mettant dans le même sac un boulon et une cantate de Bach, du coup on nage en plein à peu près. Heureusement, il y a la belle Théo. Encore que Théo. »
(Jean Rouaud)

J'ai une grande admiration pour Jean Rouaud, pour moi l'un des meilleurs écrivains français contemporains ! Et en tout cas c'est le seul auteur avec lequel je rêve de passer une soirée à discuter!
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptySam 3 Mai 2008 - 19:34

Cachemire a écrit:
L'écriture d'abord de Jean Rouaud est belle : précise, claire, soignée et ...très littéraire. Le plus souvent, je suis sous le charme de ses trouvailles stylistiques. Et puis, le monde qu'il décrit est un monde passé au filtre de sa très grande sensibilité:
Merci pour tous tes mots Cachemire.. tellement longtemps que je me suis promis de venir à l'aide à Chatperlipopette et de faire découvrir cet auteur aux autres Parfumés.. Wink
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptySam 3 Mai 2008 - 21:10

"Les champs d'Honneur"

Avec « Les Champs d'Honneur », Prix Goncourt 1990, Jean Rouaud entamait une suite romanesque en cinq volumes évoquant tour à tour les membres d'une famille de la région nantaise issue de la bourgeoisie locale mais dont les riches heures appartiennent déjà au passé.
Ce travail d'archéologie familiale débute à l'occasion de trois décès survenus en un laps de temps restreint, quelques semaines d'intervalle, avec d'abord le père, puis la vieille tante de celui-ci et ensuite le grand-père maternel.

Ces disparitions sont l'occasion que saisit le narrateur pour établir de ces trois figures familiales un portrait plein de malice et de tendresse. A travers ceux-ci, c'est toute l'histoire d'une famille qui se dessine sous nos yeux, une sorte d'arbre généalogique où s'esquissent des caractères et des personnalités, des anecdotes drôles et touchantes,des évenements de la petite et de la grande histoire qui s'assemblent peu à peu à la manière d'un puzzle fait de petits riens qui s'assemblent ensuite en un tableau précis et détaillé.

Jean Rouaud nous fait ainsi pénétrer petit à petit dans l'intimité de ce clan, sous le ciel délavé de la Loire-Atlantique, à la recherche d'un passé révolu, dégageant les strates du souvenir dans le but de faire remonter au grand jour les faits et les gestes oubliés, les mille petits détails qui font de tel ou tel membre de la famille une personnalité à part entière, une entité unique détentrice de singularités spécifiques qui en font, pour ses proches, un être irremplaçable dont la disparition laissera ceux-ci inconsolables.

La narration est ici sublimée par la prose simple et profondément envoûtante de Jean Rouaud qui, tel un moderne Proust, nous enchante et nous émerveille en nous contant mille petites choses ordinaires. Ainsi, par la grâce de l'écriture, la pluie, phénomène habituel et banal dans cette région nantaise, donne à Jean Rouaud l'occasion de nous offrir un morceau d'anthologie littéraire ( voir l'extrait cité par Chatperlipopette ) où chaque phrase sonne juste et ne peut laisser indifférent quiconque a essuyé ces averses soudaines et ces ondées interminables que génère l'Océan Atlantique.
On s'amusera des déambulations automobiles à bord de la 2 CV Citroën du grand-père, véhicule prenant eau de toutes parts, livré à la conduite erratique de son pilote. On sourira également lors de l'évocation de la tante Marie, ancienne institutrice retraitée de l'enseignement catholique, vieille fille confite en dévotions et entourée d'images pieuses.

Peu à peu se dessine, comme en négatif, autour de ces personnages, l'image d'un autre, un grand oncle, Joseph, mort au cours de la Grande Guerre. Car c'est vers cette hécatombe de 1914-1918 que nous entraîne imperceptiblement Jean Rouaud, creusant le passé couche après couche, dégageant sous les sédiments les vestiges d'existences brutalement interrompues par cette « Grande Histoire » qui s'est imposée dans la Petite, tranchant les vies par milliers à l'occasion d'une des plus grandes boucheries qu'ait connu le XXè siècle.

C'est à partir de ce moment que le récit de Jean Rouaud, commencé sous le signe d'une certaine légèreté, bascule peu à peu vers son dénouement dramatique, vers la description dantesque des « Champs d'Honneur » dont sa plume talentueuse nous évoque l'horreur :

« Paysage de lamentation, terre nue ensemencée de ces corps laboureurs, souches noires hérissées en souvenir d'un bosquet frais, peuple de boue, argile informe de l'oeuvre rendue à la matière avec ses vanités, fange nauséeuse mêlée de l'odeur âcre de poudre brûlée et de charnier qui rend sa propre macération ( des semaines sans se dévêtir ) presque supportable, avec le vent quand le vacarme s'éteint qui transmet en silence les râles des agonisants, les grave comme des messages prophétiques dans la chair des vivants prostrés muets à l'écoute de ces vies amputées, les dissout dans un souffle ultime, avec la nuit qui n'est pas cette halte au coeur, cette paix d 'indicible volupté, mais le lieu de l'attente, de la mort en suspens et des faces noircies, des sentinelles retrouvées au petit matin égorgées et du sommeil coupable, avec le jour qui s'annonce à l'artillerie lourde, prélude à l'assaut, dont on redoute qu'il se couche avant l'heure, avec la pluie interminable qui lave et relave la tache originelle, transforme la terre en cloaque, inonde les trous d'obus où le soldat lourdement harnaché se noie, la pluie qui ruisselle dans les tranchées, effondre les barrières de sable, s'infiltre par le col et les souliers, alourdit le drap du costume, liquéfie les os, pénètre jusqu'au centre de la terre, comme si le monde n'était plus qu'une éponge, un marécage infernal pour les âmes en souffrance... »

Premier d'une série de cinq romans, « Les Champs d'Honneur » est une oeuvre poignante où sous une apparente légèreté se dessinent en filigranes les tragédies qui ont marqué le XXè siècle. Servi par l'écriture puissamment évocatrice de Jean Rouaud, ce superbe roman empreint de grâce, d'humour, de tendresse et d'émotions, incite à une lecture appliquée, voire à de multiples relectures, afin d' apprécier à leur juste valeur la captivante narration et la beauté formelle d'un texte superbement ciselé et charpenté.

Les cinq volumes :

-"LES CHAMPS D'HONNEUR"
-"DES HOMMES ILLUSTRES"
-"LE MONDE A PEU PRES"
-"POUR VOS CADEAUX"
-"SUR LA SCENE COMME AU CIEL"
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptySam 3 Mai 2008 - 21:33

Oh là là ! Voilà un livre que j'ai lu il y a un moment maintenant et je suis totalement incapable de me souvenir de l'histoire... C'est bizarre car pourtant j'en garde un bon souvenir ! Je me rappelle que le style de Jean Rouaud était vraiment très agréable. J'avais passé un bon moment avec ce livre, que j'avais dévoré très rapidement. Je ne savais pas qu'il était le premier tome d'une série de cinq volumes !

Tout vos commentaires me donnent envie de le relire et même de découvrir la suite de l'oeuvre de Jean Rouaud.
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptySam 3 Mai 2008 - 21:34

Le Bibliomane a écrit:
"Les champs d'Honneur"

Servi par l'écriture puissamment évocatrice de Jean Rouaud, ce superbe roman empreint de grâce, d'humour, de tendresse et d'émotions, incite à une lecture appliquée, voire à de multiples relectures, afin d' apprécier à leur juste valeur la captivante narration et la beauté formelle d'un texte superbement ciselé et charpenté.

bravo

Superbe commentaire, bravo ! bonjour
Je suis absolument d'accord avec toi.

As-tu lu les 5 livres de la série ?
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyDim 4 Mai 2008 - 11:47

Cachemire a écrit:
As-tu lu les 5 livres de la série ?

Malheureusement non, ma bibliothèque ne possède pas le deuxième opus de la série : "Des hommes illustres" ni "Sur la scène comme au ciel". J'attends donc qu'ils se soient procurés ces exemplaires manquants pour lire la pentalogie.
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 18:58

Pendant le Festival Etonnants Voyageurs j'ai assisté par hasard à une des manifestations dans le Café Littéraire - et Jean Rouaud était un des invités de cette rencontre:
Jean Rouaud Ab_45710 Jean Rouaud Ab_45810

On parlait de son nouveau livre La Fiancée Juive

Après des expériences positives avec quelques-uns de ses livres, je me suis laissée tenter d'acheter celui-ci.
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 18:58

Citation :
N'étant pas confinée dans un genre littéraire particulier, la prestigieuse collection Blanche de Gallimard publie, si l'on peut dire, des livres de toutes les couleurs. Jamais cependant un écrivain n'y avait joint à son texte une chanson, écrite, composée et interprétée par lui. Jean Rouaud inaugure le genre avec La Fiancée juive.


On ignorait que ce romancier de 55 ans, Prix Goncourt 1990 pour Les Champs d'honneur (Minuit), s'accompagnait à la guitare. Gadget ? "La chanson, pour moi, est une vieille histoire", assure l'intéressé, qui a écrit pour Juliette Gréco, Jean Guidoni, Daniel Lavoie et Johnny Hallyday. Vieille histoire depuis la fac de lettres, lorsqu'il pataugeait encore dans l'expérimentation littéraire, à l'heure du nouveau roman, et trouvait "l'humour, la fantaisie et l'énergie" chez des chanteurs comme Jacques Higelin ou Brigitte Fontaine. Il a fini par aller vers le roman, presque par nécessité, comme Flaubert, après avoir constaté que "le texte pour le texte, ça broie du vide". Mais le roman n'épuise pas son "besoin de poésie". Et s'il a pris le risque, cette fois, de s'attirer des quolibets, c'est aussi, dit-il, par nécessité : "J'ai beaucoup travaillé l'émotion dans mes livres. Par la chanson, je pouvais la rendre brute. La voix vous rend vulnérable et vous met à nu. La Fiancée juive est un exercice de sincérité." Bref, cet homme veut écrire comme ça lui chante. Etant entendu que ce poème chanté de douze minutes, sans refrain, n'est pas destiné à passer à la radio...

Un écrivain débutant se serait fait renvoyer son CD par la poste. Mais un Prix Goncourt peut se permettre des fantaisies. Gallimard ne s'est pas opposé à celle-ci. Après tout, c'est dans l'air du temps. Ne vend-on pas de plus en plus de disques en librairie ? Cependant, pour ses chansons, Jean Rouaud était en contrat avec Universal. Les avocats des deux parties ont dû trouver un accord inédit, ce qui a retardé d'un mois la parution du livre.

Le livre, justement... Composé de neuf chapitres autobiographiques, c'est une sorte de portrait chinois : l'auteur-narrateur ne parle de sa vie qu'indirectement, par un jeu de miroirs. Une émission télévisée sur Mozart lui permet par exemple d'évoquer la mort de son père, tandis que son expérience de vendeur de journaux prolonge l'activité des soeurs Calvaire - ces deux vieilles dames qui tenaient en Bretagne une boutique de presse à l'ancienne, où certaines revues étaient "suspendues par des pinces à linge en bois, à une ficelle de chanvre tenue entre deux clous, à travers le chambranle de la petite fenêtre à quatre carreaux qui tenait lieu de vitrine". De même, c'est le Frère Honorat, professeur d'un étonnant modernisme, qui permet à Jean Rouaud d'évoquer sa scolarité dans un collège catholique de Saint-Nazaire : un établissement qui avait la particularité d'être au bord de l'océan sans avoir vue sur la mer. "Dans ce système quasi monacal où l'on voyait le mal partout et où de l'eau pouvait surgir une Vénus dénudée, tout était étudié pour le grand escamotage de l'océan. Les allèges des fenêtres étaient si hautes qu'assis à nos bureaux, et même en position debout au moment de la mise à la question, il nous était impossible d'apercevoir quoi que ce soit de ce qui se tramait à deux pas."

On retrouve ici la petite musique de Rouaud, ses descriptions minutieuses et savoureuses des choses de la vie. Ecoutez cette confidence du Frère Honorat, "dispensée entre deux problèmes arithmétiques, un après-midi d'hiver, alors qu'il avait entrepris de remettre une pelletée de charbon dans le poêle en fonte, modèle Godin, qui ronflait avec quelques élèves au milieu de l'allée centrale".

La Fiancée juive n'a rien à voir avec le tableau de Rembrandt. Jean Rouaud y chante la rencontre très réelle avec la femme qui a emporté son coeur :

"Je tiens d'abord à remercier le Dieu

Des enfants d'Israël

De m'avoir présenté la plus fine

La plus drôle la plus belle

Quand on sait c'qui s'est passé

C'n'était pas joué d'avance

Dieu merci Dieu soit loué

J'ai vraiment beaucoup de chance."

Etait-il nécessaire de chanter ce beau texte, qui occupe dix-huit petites pages ? Au lecteur de juger. Le prochain livre de Jean Rouaud s'appellera La Femme promise. Ce sera un roman. Sans CD, mais probablement avec la même petite musique.
Source: Le Monde
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 18:59

Impression de lecture

Agréable à lire si on aime le style de Jean Rouaud. Moi j’adore sa manière de s’approcher de ses souvenirs d’enfances.. sa prise en compte de sa jeunesse..
Parfois cela me donne l’idée des photos en sépia que j’aime tant.. et bien que je suis consciente qu’on peut facilement se lasser de ses trop beaux mémoires d’enfances – Jean Rouaud garde la balance à perfection entre mélancolie trop sucrée et récit intéressant.

Mais je ne conseillerais pas ce livre comme première lecture de cet auteur Wink
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 19:00

Encore un auteur que je n'ai pas l'intentiojn de laisser trop longtemps de côté... content
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 19:00

Extrait :

Jersey étant une île entourée d’eau, comme il nous l’avait appris, pourquoi ne prenait-il pas le bateau, plus économique, et sans doute plus accordé à ses moyens, sachant que son maigre salaire devait être reversé en presque totalité à la communauté ? Était-ce une compensation à tous les sacrifices consentis ?
Comme nous avions encore un peu de mal théologiquement à distinguer le ciel du paradis et le cosmos de l’au-delà, on l’imaginait donc là-haut évoluant parmi les anges, mêmes si Gagarine à bord de son Vostok qui venait, après la chienne Laïka, de faire un saut de puce dans la stratosphère jurait en ricanant ne pas en avoir croisé, ce qui n’était nullement la preuve de leur inexistence, les anges ne se seraient tout de même pas compromis à aller saluer un héros bolchevique. Ils s’étaient camouflés, voilà tout.
Mais, du coup, Jersey prenait à nos yeux un statut d’île mythique, sorte de Bora bora céleste, de station orbitale sur les chemins de la connaissance universelle, frère Honorat parachevant son statut d’omniscient par ce point de vue surélevé qui lui donnait forcément une vision plus large sur l’éternité et le monde.
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 19:01

coline a écrit:
Encore un auteur que je n'ai pas l'intentiojn de laisser trop longtemps de côté... content
Contente de l'entendre - je te conseillerai Champs d'Honneur drunken
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyMer 21 Mai 2008 - 19:08

kenavo a écrit:
coline a écrit:
Encore un auteur que je n'ai pas l'intentiojn de laisser trop longtemps de côté... content
Contente de l'entendre - je te conseillerai Champs d'Honneur drunken

Je suivrai donc ton conseil ... Wink
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MessageSujet: Re: Jean Rouaud   Jean Rouaud EmptyLun 2 Juin 2008 - 10:58

Eh bien finalement je n'aurai pas commencé par Les champsd'honneur...
La désincarnation s'est présentée sous mes yeux dans ma librairie...alors je l'ai pris... content

La désincarnation rassemble soixante-quatorze chroniques qui avaient été publiées dans le journal l'Humanité.
Par ces chroniques Jean Rouaud essaie de mettre à jour les mécanismes de la création littéraire au sein de laquelle s’opposent réalisme et lyrisme.

C’est un sujet sérieux mais il est traité avec malice, avec humour.
Dans la forme déjà puisque le livre est construit sur le principe " Y'en a marre, marabout, bout de ficelle... " Chaque paragraphe commence avec les derniers mots du précédent .
Et l’on s’abandonne, le sourire sur les lèvres, aux divagations de Rouaud dont les héros sont d’abord Flaubert mais aussi Balzac, Ulysse, Molière, Chateaubriand , Zola, Stendhal … ainsi que Dieu, le Christ, la Vierge…
Jean Rouaud nous promène dans une balade véeitablement savoureuse, extrêmement intelligente et drôle …

"Sans Flaubert la littérature contemporaine ne serait pas ce qu'elle est. Et peut-être du coup le monde, car l'invention du réalisme objectif, c'est déjà un embryon d'idéologie."
Donc Jean Rouaud part de Flaubert.

On sait que trois jours durant, ce dernier fit une lecture passionnée de sa Tentation de Saint Antoine à ses deux amis, Maxime du Camp et Louis Bouilhet.
« A nous trois maintenant, dites franchement ce que vous pensez » demande le jeune Flaubert inquiet à ses amis à qui il vient de lire de sa voix de géant nordique, quatre jours durant, à raison de huit heures par jour, de midi à quatre heures et et de huit heures à minuit, en arpentant de long en large le salon de Croisset, en roulant des yeux, appuyant ses effets, multipliant les « Oh » les « Ah », sa mystérieuse Tentation de Saint Antoine.[…]
Et Flaubert était tellement sûr de lui, de ses talents, de la justesse de ses conceptions artistiques et littéraires qu’il avait prévenu en agitant les feuillets : « Si vous ne poussez pas des hurlements d’enthousiasme, c’est que rien n’est capable de vous émouvoir. » Alors, quatre jours plus tard, les deux amis ? Verdict ? »


On sait qu’ils lui conseillèrent de la jeter au feu et de se débarrasser de son lyrisme excessif.
« C’est pourtant de ces deux-là, honnêtes servants, que dépend la suite, c’est-à-dire tout, c’est-à-dire le grand œuvre. »

« Maintenant imaginons une susceptibilité ordinaire, du genre qui se bloque dès qu’on touche au texte et se raidit à la moindre remarque désobligeante.[…] Ils les eût traités de faux-frères et renvoyés sur le champ : dehors les traîtres, allez vous déboucher les oreilles et le cerveau ailleurs. Et c’en était fini aussi de l’œuvre. Mais là non. Pas de ces vanités outragées. Flaubert les écouta- en quoi il était déjà Flaubert, c’est-à-dire une fois dégrisé de ses « éperduments de style », lucide sur son travail- et remisa son manuscrit dans un tiroir. »

Maxime du Camp et Louis Bouilhet :
« Pourquoi n’écrirais-tu pas l’histoire de Delaunay ? » Ou plutôt de Mme Delaunay, cette femme d’un officier de santé de la région rouennaise, accablée de dettes, battue par ses amants, et qui finit par s’empoisonner, causant le désespoir du mari qui ne tarde pas à l’imiter. Ce qui revient à proposer à un cheval ailé de s’atteler à une charrue, mais l’idée fait son chemin. Au Caire on en discute encore, où Flaubert s’ennuie[…] A présent qu’ilen a soupé du désert et des promenades en chameau, ce serait peut-être le moment de revoir sa Normandie.

La Normandie.
Autrement dit tout ce que Flaubert déteste, tout ce qui lui sort par les yeux et qu’il a cherché à fuir dans ses mirages orientaux.
[...] Remplacer l’ardent soleil et le ciel outremer par la pluie et les nuages bas, la caravane de dromadaires par les comices agricoles, la Reine de Saba par une fille de province et les hautes aspirations de l’anachorète par les rêves terre-à-terre d’une aspirante à la petite bourgeoisie. Pas commode quand on est «épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d’aigles, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l’idée. »


Pourtant, c’est ainsi, on le sait que la Bovary naissait….
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Jean Rouaud
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