Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Vercors (Jean Bruller)

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MessageSujet: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 29 Aoû 2009 - 18:54

Vercors (Jean Bruller) Vercor10

Citation :
Jean Bruller dit "Vercors" est né le 26 février 1902 à Paris, de l'union d'une mère française (Ernestine Bourbon) et d'un père anglais (Louis Bruller) qui est venu de Hongrie à Paris. L'histoire de son père arrivé à Paris et auquel des amis de ses parents vont trouver un emploi a inspiré la nouvelle La marche à l'Étoile publiée pendant l'Occupation. Après des études d'ingénieur électricien, dont il obtint le diplôme à l'Ecole Bréguet, il devient dessinateur humoristique et illustrateur dans la lignée de Gus Bofa. On lui doit en particulier l'album pour enfants Patapoufs et Filifers, d'André Maurois, et 21 recettes pratiques de mort violente.

Pacifiste jusqu'en 1938, il est mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale à Mours St-Eusèbe près de Romans au pied du massif du Vercors. Il entre ensuite dans la Résistance, sous l'encouragement de Pierre de Lescure, et prend le pseudonyme de Vercors qui est le nom d'un massif montagneux et d'un maquis célèbre. En 1941, il cofonde, avec Pierre de Lescure, les Éditions de Minuit, maison d'édition clandestine et y publie sa nouvelle Le Silence de la mer en 1942. Il est le concepteur du logo à l'étoile des Éditions de Minuit. Il participe également au Comité national des écrivains (CNE) et au Mouvement de la paix. Il a écrit ses souvenirs dans La Bataille du silence.

Dans Le Silence de la mer, Vercors ne dédie pas son livre à un grand résistant ou à une figure de la liberté mais à Saint-Pol-Roux, Poète assassiné. Saint-Pol-Roux est un vieil homme qui meurt de chagrin en 1940 quand son manoir contenant tous ses textes inédits est incendié, peu après que ces mêmes Allemands ont violé sa fille et tué sa servante. Tout comme Le Silence de la mer veut évoquer une résistance muette au bord des cris, cet homme qui meurt brisé, presque futilement est le symbole même de la lutte silencieuse de Vercors.

Il est aussi connu pour un roman philosophique, Les Animaux dénaturés, dont fut tirée la pièce Zoo ou l'assassin philanthrope. Il meurt à Paris le 10 juin 1991.
source : www.wikipedia.org : http://fr.wikipedia.org/wiki/Vercors_(écrivain)

et une très sympathique petite biographie de l'auteur par lui même sur le site des Editions de Minuit : clic
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 29 Aoû 2009 - 19:28

Des Animaux dénaturés

en guise d'introduction ces quelques lignes reprises de la petite autobiographie citée ci-dessus :

Citation :
Le monstre est mort, avec sa bande de criminels et leurs abominables aberrations ; mais « le ventre est toujours fécond » et leur doctrine appuyée sur Darwin séduit encore nombre d'esprits (toute la sociobiologie). Pour en venir à bout une bonne fois il ne suffit pas d'axiomes indignés mais subjectifs et sentimentaux. Il y faut une réfutation objective, irréductiblement fondée sur ce fait : l'espèce humaine. Sur ce qui la distingue spécifiquement de toute la Création. Personne ne semblant s'en soucier, il va se dévouer à chercher lui-même puis, intrépide, proposera une distinction radicale : seul l'homme refuse de subir la domination aveugle de la Nature, à quoi toute bête obéit sans broncher. (Cf. La Sédition humaine in Plus ou moins homme puis – l'humour reprenant ses droits et pour ne pas trop se prendre au sérieux – Les Animaux dénaturés.)

et le quatrième de couverture :

En Nouvelle-Guinée, une équipe de savants auxquels s'est joint le journaliste Douglas Templemore cherche le fameux "chaînon manquant" dans l'évolution du singe à l'homme.
En fait de fossile, ils trouvent une colonie, bien vivante, de quadrumanes, donc de singes. Mais a-t-on jamais vu des singes troglodytes et enterrant leurs morts ? Tandis que les hommes de science s'interrogent sur la nature de leurs "tropis", un homme d'affaires voit en eux une potentielle main-d'oeuvre à bon marché.
La seule parade aux noirs desseins du sieur Vancruysen est de prouver l'humanité des tropis. Pour obtenir la preuve nécessaire, Doug risquera sa tête pour notre plus vif divertissement et notre édification.
Sous le rire de cette satire allègre se pose la grave question de ce que nous sommes, nous les "personnes humaines", animaux dénaturés.


Livre pris dans un demi hasard liés aux souvenirs lointains du Silence de la mer et un peu plus proches de son adaptation cinématographique réalisée par Jean-Pierre Melville.

une image de gravité...

Et donc ce livre aux animaux dénaturés est annoncé divertissant ? surprenant. Et risqué le divertissant ! il arrive en effet que ça tombe à plat, surtout quand on va chercher à y mêler une sérieuse réflexion...

petits chapitres résumés par leurs en-têtes. Ton léger, amusé, rapide mais précis, les idées se suivent, l'articulation se fait d'elle même... bien, bien même, quelques observations pertinentes dans une douce atmosphère d'Angleterre et de coeurs embrumés... des observations avouns le aussi fines que pertinentes, une poignée de parti pris poussés jusqu'au bout, un regard qui joue de sa largeur de vue dans les relations humaines... votre petit sourire de lecteur ne vous quittera pas. Vous serez piqués au coeur de votre curiosité et régalés d'une tranquille vivacité d'esprit souvent moqueuse et rarement méchante.

On tourne les pages et le soufflé ne retombe pas (les parfumés dressent l'oreille ?). Assez rapidement pourtant beaucoup d'idées sont exposées : un peu d'évolution , d'anthropologie, de religion, de moeurs. Vraiment exposées par l'intermédiaire des personnages mais sans lourdeur et avec intelligence, jamais l'impression de lire une grosse bêtise, des idées digérées remises à leur place, confrontées à un bon sens désarmant...

Tout se complique, un meurtre (qui ouvre aussi le livre) de notre "héros" faible, courageux et amoureux... un procès dont la clé se révèle vite être l'humanité des tropis. Re-exposés et discussions de savant (discussions sur les caractères pysiques et les autres) mais aussi réflexions personnelles comme celles du juge... ou de sa femme. Bonheur, intelligence et sagacité à chaque étape. c'est intelligent.

Si ça se limitait à de plates (mais intéressantes) théories sur l'homme ça serait déjà beaucoup, mais non il va magnifiquement plus loin. Il va s'amuser (et nous avec) avec la construction de l'idée, de la pensée, des idées reçues et leurs implications... il n'oulbie pas d'égratigner à plaisir une poignée de logiques ou d'habitudes désastreuses ou dégueulasses. Il ne tranchera pas doctement comme un type qui a tout compris.

C'est intelligent (il faut le répéter) et ouvert, assez grave aussi au fond mais pas désespéré... tellement ouvert et sur tellement de point qu'on pourrait dire que c'est le livre et l'auteur sont fondamentalement rock'n'roll. Dans le rapport à l'autre, la déconstruction de ce rapport et les influences des couples (l'influence de la femme notamment).

Pas même l'affront de ne pas répondre à la question de l'humanité. Peut être parce que des théories maintenant oubliées ou en sourdine (on pourrait exclure scientifiquement certaines populations de l'humanité) sont rappelées ?

Il va jusqu'au bout avec esprit et conviction et maîtrise. Ce livre est une petite merveille. Un indéniable coup de coeur.

avant de tenter de dénicher un extrait, le "en exergue" du bouquin :

Tous nos malheurs proviennent de ce que
les hommes ne savent pas ce qu'ils sont,
et ne s'accordent pas sur ce qu'ils veulent être.
D. M. Templemore
(Plus ou moins bêtes)


Concis sans être simpliste, une vague comparaison serait possible avec Pourquoi j'ai mangé mon père de Roy Lewis qui est nettement plus laborieux et n'a pas le recul de Vercors sur la manipulation et le risque des idées (et est bien moins amusant).

En revenant sur le souvenir du Silence de la mer, on complète l'image qu'on peut se faire d'un auteur... intelligence, conviction et esprit... et vrai talent pour l'écriture pour faire tenir tout ça dans un si petit livre (200 page environ).
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 29 Aoû 2009 - 20:51

Oh Vercors! Ca fait tellement que je n'avais plus entendu ce nom!

J'ai lu Les animaux dénaturés que j'avais beaucoup aimé parce qu'il amène beaucoup de réflexions philosophiques (j'avais lu ça à une époque où je dénigrais encore la littérature si bien que seule la question posée à travers ce livre m'intéressait), maintenant, je n'ai pas spécialement retenu ce livre pour le style... (mais étant donné ma vision de la littérature à l'époque, il n'est pas impossible que j'ai tout simplement zappé cet aspect).

Sinon, j'ai lu Le silence de la mer (c'était d'ailleurs le premier recueil de nouvelles que je lisais!), je ne me souviens plus bien des histoires à part la première que j'avais adoré! Cet officier allemand qui parlait avec passion de la France et de sa culture, devant lui, le paysan français, comme une personnification de la France toute entière qui ne veut pas de lui, même s'il lui montre un amour sincère. Et pour aller plus loin, le silence du paysan est peut-être celui de la mer... on la cherche, on y part en vacance, certains y vivent (les marins), mais au final, elle reste pareille à elle-même, et, imperturbable, elle continue son mouvement de flux et de reflux...

Bref, j'avais vraiment aimé la poésie qui se dégageait de cette histoire! aime
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 29 Aoû 2009 - 21:04

Je prérére ne pas penser au nombre d'années depuis lesqulles je suis sensée le lire. Ce fil va peut être me pousser à l'action... honte
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptyDim 30 Aoû 2009 - 18:27

l'auteur ou un titre en particulier ?

pour le style, si dans l'immédiat d'un passage ça ne saute pas aux yeux, sur l'ensemble, sans avoir l'air d'y toucher, pour que ça marche comme ça marche, c'est que c'est bien fait, c'est complexe finalement mais il n'y a pas de rupture de l'atmoàsphère !

extrait (qui ne casse pas trop la découverte) :

Citation :
- Je ne comprends pas comment, dit Sybil.
- En minimisant le procès. Ce que la plupart des gens attendent, j'en suis sûre, et vous aussi, Sybil, même si vous ne l'avouez pas, c'est un vague statu quo. Certainement ils voudraient qu'on laisse les tropis tranquilles et aussi qu'on acquitte Douglas. Mais le reste ils n'y tiennent pas trop.
- Quel reste ? Qu'on décide si les tropis sont des hommes ou non ?
- Oui. Au fond, ça inquiète les gens, voyez-vous. Et vous aussi, ne dites pas le contraire.
- Ca ne m'inquiète pas du tout : je continue simplement de penser que ce n'est pas scientifique.
- Le résultat est le même : si Doug sent que le jury pense comme eux ou comme vous, et tente de s'en tirer sans aller jusqu'au fond des choses, Doug plaidera coupable tellement à fond, il jouera sa tête de si près, que les juges devront la jouer avec lui jusqu'à ce que tombe enfin la dernière carte - même si sa tête doit tomber aussi.
- Ce serait un jeu stupide !
- Mais il le jouera, Sybil. Et je ne peux pas lui donner tort si parfois, d'y penser, le coeur me monte à la gorge. Je n'ai pas plus que lui de goût pour ces joueurs indécis qui misent courageusement une fortune sur un coup, puis s'efforcent bien vite de reprendre leur mise à la sauvette... Croyez-vous qu'il supporterait d'avoir tué ce petit être - et maintenant que ce soit pour rien ? de s'en aller maintenant les mains dans les poches, en remerciant la cour de son indulgence ? Ce serait un échec trop cuisant.
- Un certain Don Quichotte non plus ne voulait pas reprendre sa mise. Les tropis sont gentils comme tout, je veux bien, mais ils ne valent pas, je vous assure, la vie d'un seul homme tel que Doug.
Frances haussa les épaules et dit doucement :
- C'est tellement dépassé déjà !
- Quoi donc ?
- Le sort des tropis, Sybil. C'est drpole que vous ne compreniez pas.
- Mais qu'attend-il alors de ce procès ?
- Rien qu'on puisse déjà préciser, c'est vrai. Il n'en sortira peut-être pas grand-chose en effet. On ne peut pas savoir, avant.
- Alors c'est une folie !
- Peut-être au contraire s'ensuivra-t-il d'imprévisibles enchaînements. Et comment le savoir si l'on ne tente rien ? Vous vous rappelez le capitaine du Typhon ?
- Oui... Non... Pourquoi ?
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 19 Sep 2009 - 11:28

Parmi les livres de poche de mon père j'ai retrouvé Le silence de la mer..La couverture est une belle photo noir et blanc tirée du film.Curieusement je ne crois pas l'avoir lu avant.Marqué par le film de Melville je l'ai donc découvert vraiment dans ce recueil de nouvelles toutes sur la guerre.Je dois reconnaître que j'ai eu un peu de mal à croire à ce personnage d'officier allemand très lettré et très francophile.Parmi les autres textes,un peu de grandiloquence m'a-t-il semblé.
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 19 Sep 2009 - 12:17

Bellonzo a écrit:
Parmi les livres de poche de mon père j'ai retrouvé Le silence de la mer..La couverture est une belle photo noir et blanc tirée du film.Curieusement je ne crois pas l'avoir lu avant.Marqué par le film de Melville je l'ai donc découvert vraiment dans ce recueil de nouvelles toutes sur la guerre.Je dois reconnaître que j'ai eu un peu de mal à croire à ce personnage d'officier allemand très lettré et très francophile.Parmi les autres textes,un peu de grandiloquence m'a-t-il semblé.
Le film - qui est d'une facture très littéraire - serait-il meilleur que le texte original, alors ? La performance de l'acteur peut aider à faire croire à ce personnage ?
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 19 Sep 2009 - 12:27

eXPie
Citation :
Le film - qui est d'une facture très littéraire - serait-il meilleur que le texte original, alors ? La performance de l'acteur peut aider à faire croire à ce personnage ?

Je le croirais mais il faudrait que je le revoie.C'est vrai que la silhouette d'Howard Vernon et les silences de Jean-Marie Robain et Nicole Stéphane étaient très éloquents.Mais les souvenirs de cinéma sont parfois traîtres et ont tendance à mythifier et même à fossiliser.
Pour revenir à Vercors j'avais apprécié aussi au théâtre Zoo d'après Les animaux dénaturés.
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 19 Sep 2009 - 15:11

Bellonzo a écrit:
Parmi les livres de poche de mon père j'ai retrouvé Le silence de la mer..

Le silence de la mer...J'ai lu ce livre il y a très longtemps...Il faisait partie des classiques...
Il ne m'a pas laissé un souvenir impérissable...Lu trop tôt peut-être...Ou bien j'ai été "obligée" de le lire à l'époque...
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptyDim 29 Nov 2009 - 17:44

Le Commandant du Prométhée

Une dernière nouvelle, à laquelle il travaillait encore le dernier jour de son existence, terminée par sa femme... et qui nous revient par l'Italie dans une édition agrémentée en plus d'une histoire du texte (et de l'œuvre) de quelques dessins de Jean Bruller (lui-même donc).

Une courte nouvelle que l'on pourrait qualifier sans hésiter de Buzzatienne, pour motiver les curieux à qui je recommande chaudement l'ouvrage, mais aussi parce que c'est vrai. L'impossible et la fin traités avec un subtil mélange de gravité et d'humour. Une autre démonstration du bon sens de l'absurde.

Le Gouadec, capitaine sans instructions d'un surprenant navire, "ne pouvait se défendre du sentiment toujours présent de la vanité, de la gratuité de sa navigation, et surtout de son étrangeté".

Avec peu de choses tout est dit. L'armateur, peut-être, aura la clé du mystère.

Autre bonne nouvelle (allant de paire avec la première qui la bonne lecture attisant encore l'envie de découvrir plus complètement l'auteur) c'est la promesse par l'éditeur Portaparole d'une prochaine reparution de 21 recette pratiques de mort violente.
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptyDim 21 Fév 2010 - 10:54

Sylva

En 1924, Albert Richwick, un jeune gentleman farmer anglais, assiste à un prodige : une renarde poursuivie par des chiens sort d'une haie transformée en jeune femme. Il recueille celle qui n'est encore qu'un animal sauvage dans un corps désirable, et va suivre au fil des jours ses progrès vers l'humanité : apprentissage de la pensée, de la parole, maîtrise de l'objet, épreuve du miroir, découverte de la mort, de l'amour, du sens - tragique - de la vie... ce récit est aussi, on s'en doute, celui d'une extraordinaire histoire d'amour entre un Pygmalion et son élève. Histoire rendue plus émouvante encore par le calvaire de Dorothy, avec qui Richwick devait se marier et qui s'avilit dans la drogue à mesure que Sylva se libère.

Une petite histoire de 280 pages, un peu folle, qui se dévore. Tout au plus pourra-t-on reprocher à l'écriture d'être un poil carrée, mais bon... c'est quand même une sorte de cercle carré qu'il a écrit Vercors. Rondement mené et fourmillant d'idées organisées ce cercle ! Une fois de plus on peut se permettre d'être stupéfait par son mélange de lucidité et d'humour, jamais trop grinçant. Situer l'action outre Manche lui permet quelques pieds de nez divertissants, on peut aussi s'amuser de sa distance avec les bonnes mœurs et les apparences d'une bonne société. Mais si on s'arrêtait là, on n'aurait qu'une petite histoire plaisante.

Il creuse tout ça, et le cœur de l'homme en premier, ce Albert Richwick dit Bonny qui raconte à la première personne. Dans les coins du cercle on trouve une analyse assez juste du ou des sentiments amoureux (et des tiraillements contradictoires avec raisons, devoirs, jalousie, aspirations, ...) qui se bat avec une analyse plus compliquée mais vaguement siamoise de la "condition humaine". La renarde devenue humaine apprend la vie et l'humanité à travers quelques étapes clés avec les mots, la mort, le rire, ...

ça pourrait être plat et con, même, osons le mot si Vercors n'était pas réellement intelligent et motivé : le jeu qui se livre entre la morale, de l'individu ou de la société et quelques instincts plus profonds n'est pas gagné d'avance. Les développements ne sont pas évidents et de nombreuses réponses peuvent surprendre. La fable est amère. L'équilibre entre la femme humaine et la femme renarde se trouble quand les rapports de proportions s'inversent entre Dorothy et Sylva. Le simple idéal d'une femme parfaite à l'équilibre entre deux extrêmes si il ne disparait pas totalement cesse d'être figé et découvre une des grandes forces de l'auteur : la volonté.

La volonté du choix et du changement, un choix loin d'un positivisme benêt, un choix du cœur dans un univers loin d'être idéalisé, une sorte de vrai choix motivé et puissant, en connaissance de cause, très vivant, intense. Dans ce livre ce choix est sous le charme constant et pénétrant de cette étrange femme renarde à la grâce envoutante. Et peut être bien qu'elle n'enlève au fond rien aux autres.

Un excellent livre, très accessible et très fin (ce n'est pas contradictoire), très vrai aussi dans ses synthèses et observations. Il réalise un miracle propre aux livres (ou aux excès d'imagination) c'est de vraiment mélanger la femme et la renarde. Ce territoire étant, je crois, interdit aux images. Il en subsiste comme un étourdissement.

Les thèmes sont proches de ceux des animaux dénaturés, différemment j'ai retrouvé la même attention aux individus, la présence de la drogue dans Sylva m'a d'ailleurs semblée bien loin d'être un prétexte. C'est très fort.

Peut-être aussi est-ce une lecture pour Mr Renard ?
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptyMar 23 Fév 2010 - 22:08

extrait :

Citation :
- Je veux dire, reprit-elle avec un peu d'agacement, que vous ne pourrez la présenter que comme un phénomène. Mais pas comme une parente, ni même comme une amie.
- Et pourquoi non ? (J'étais fort étonné.)
- Ce serait une atteinte aux convenances.
- Enfin, expliquez-vous ! m'impatientai-je.
- Elle a une jolie peau; mais c'est de l'ambre. De très beaux yeux, mais c'est du jais. Ses paupières, ce sont des amandes, sur deux pommettes comme des abricots...
- Vous faites un poème ou une nature morte ?
- En un mot, c'est une asiate mon cher. Je suppose que les renards, à l'origine, devaient venir d'Asie. Elle a l'air d'être née aux Indes ou en Cochinchine.
- Avec des cheveux roux ?
Elle eut une moue un peu narquoise et dit :
- Oh, quelque mésalliance...
J'étais un peu désarçonné. Je trouvais bien moi-même à Sylva un type vaguement exotique, mais à ce point... Si c'était rai, je me préparais en effet quelques humiliations, le jour où je prétendrais introduire une native dans la gentry... Je voulus en avoir tout de suite le coeur net. Je dis : "Allons la voir."
Nous remontâmes. Nous trouvâmes Sylva endormie, blottie dans un fauteuil, encore barbouillée d'oeuf. Nous pûmes ainsi l'examiner un bon moment, puis nous nous retirâmes comme nous étions venus et je refermai la porte.
- Avouez, dis-je aussitôt, que vous exagérez.
- Vous n'êtes pas de mon avis ?
- Qu'il y ait un petit quelque chose, je ne dis pas. Mais de là...
- Peu ou prou, n'est-ce pas déjà trop ?
- Je ne vous savais pas si pointilleuse, m'étonnai-je.
- Moi ? J'adore les Hindous. Ghandi, Krishnamurti, Rabindarath Tagore... Mais à chacun sa place n'est-ce pas ?
- Je trouve, insistai-je, qu'elle ressemble plutôt à la duchesse de Bath.
- Personne n'ignore que la mère de la duchesse était au mieux avec je ne sais plus quel maharadjah.
- Eh bien, c'est vous qui l'avez dit : quelque mésalliance - comme la duchesse de Bath. N'en parlons plus.
- A votre aise mon cher. Mais je vous ai prévenu.
Le ton, de part et d'autre était poli, mais un peu sec. Je n'avais pas aimé ces réflexions. Certes, chacun à sa place, sinon la société va à vau-l'eau, mais je ne suis pas, quand même, un partisan des théories de ce petit Français qui s'appelle, je crois, Gobineau ou Gobinot. Il ne faut pas exagérer1.
Je proposai une promenade pour faire diversion. Dès qu'il ne fut plus question de Sylva, nous retrouvâmes cette bonne entente, cette chaude affection, cette vieille tendresse qui m'allaient droit au coeur. Nous passâmes une heure très exquise à déambuler dans les bois. Au retour, un peu lasse, elle s'appuyait légèrement sur mon bras. Après tout, étais-je tellement sûr que je n'étais plus amoureux d'elle ?

1. Ces remarques me paraissent bien tièdes, aujourd'hui ! Mais en ce temps, on ne connaissait pas le mot même de racisme, Hitler était un inconnudans les prisons de la république de Weimar, chacun, sur ces sujets, pensait plus ou moins comme Kipling. Que de changements depuis !
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptyLun 19 Avr 2010 - 14:34

animal a écrit:
Des Animaux dénaturés
C'est intelligent (il faut le répéter) et ouvert, assez grave aussi au fond mais pas désespéré... tellement ouvert et sur tellement de point qu'on pourrait dire que c'est le livre et l'auteur sont fondamentalement rock'n'roll. Dans le rapport à l'autre, la déconstruction de ce rapport et les influences des couples (l'influence de la femme notamment).

Yeah !
Bah juste un mot pour remercier Animal. Effectivement, seulement 200 pages, et pourtant si complet.
Roman glamour aussi, parce que l'histoire d'amour développée en parrallèle est suffisamment complexe pour m'avoir touchée.
Le roman d'amour se transforme en roman d'aventure (excursion en nouvelle guinée), puis en enquête.
Je l'ai dévoré comme on dévore un polar, oui, le suspens est présent, il ne nous lâche pas. On se demande comment le personnage principal va s'en tirer.
Sa vie repose uniquement sur une définition, qui amène des moultes débats qu'ils soient théologiques, philosophiques, économiques, et biologiques.
C'est sur ce dernier point que je m'arrêterai plus particulièrement : à partir d'une fiction, Vercors transmet de nombreuses notions difficiles à enseigner (sic!);
et qui se lisent sans peine, et surtout, il sait susciter notre curiosité, l'air de rien.
Et aussi... cet espèce d'humour qui ne quitte pas les pages, et qui laisse au roman une certaine légereté fort appréciable.

Un petit bijou qu'il faudrait faire lire en terminale !
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptyLun 19 Avr 2010 - 21:53

ah, voilà qui fait plaisir singe !

plus ça va plus cet auteur me motive avec une personnalité des qualités de réflexions qui n'empêchent pas du tout le principe de bon livre et de plaisir. beaucoup d'intelligence et de sens de l'humour.

va falloir que je revienne sur le petit mais enrichissant 21 recettes pratiques de mort violente (à l'usage des personnes découragées ou dégoûtées de la vie pour des raisons qui, en somme, ne nous regardent pas)...
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MessageSujet: Re: Vercors (Jean Bruller)   Vercors (Jean Bruller) EmptySam 27 Nov 2010 - 22:49

(et finalement je ne suis pas revenu ?)

Le silence de la mer
Citation :
En 1941, au début de l'Occupation, un officier allemand, épris de culture française, est « hébergé » (logé de force) chez une famille comprenant un vieil homme et sa nièce. Par des monologues prônant le rapprochement des peuples et la fraternité, il tente, sans succès, de rompre le mutisme de ses hôtes dont le patriotisme ne peut s'exprimer que par ce silence actif.

ce n'est qu'une nouvelle du petit volume "le livre de poche" d'ailleurs pas trop mal fait avec des compléments biographiques et historiques à la fin (et avec des références bibliographiques).

La relecture de cette fameuse nouvelle... d'avoir revu le film il y a peu sans doute, le texte est absolument là, dans toute son évidence. sa part très connue, que l'on connaitrait sans avoir lu la chose... et le reste, qui est une relecture et aussi un approfondissement avec un auteur apprécié après ses Animaux dénaturés, Sylva... Déjà le détail, l'atmosphère... et les choix "solides". Pour ce qu'ils sont dans un absolu peu probable mais celui de notre lecture et la tentative d'imaginer sa rédaction en 41 avant la résistance plus active de sa publication (je me base sur les notes de fin de bouquin).

Le choix qu'on voit en premier c'est le couple de la narration par l'oncle avec les monologues de l'allemand. La relation n'est donc pas figée mais active, observation, le chemin des paroles pour l'un et des pensées pour l'autre, et sa nièce, associée mais plus énigmatique. En second c'est le rapport de force, mais aussi de séduction... séduction dont les erreurs peuvent se sentir comme une menace. mais pourquoi ? le rôle peut-être, un état de fait ou une erreur plus souterraine. et le rapport au masque d'une occupation faussement conciliante ?

Cet enjeu devenu historique si il motive en partie le récit ne prend pas complètement le pas sur l'humain qui se rate inévitablement (ou presque) dans son action se laissant aller à croire ce qui lui évite, peut-être, d'être juste. Et n'oublions pas les planches culturelles nombreuses qui ne sauve pas l'homme perdu bien qu'elles l'inspirent... combien d'hommages chez Vercors ?

C'est troublant, il y a tellement d'impossibles dans cette nouvelle. Et une nouvelle qui franchit peu les limites d'un intérieur qui reste chaleureux, ouvert, poli... plus que le silence d'une France "digne" dans sa nouvelle Vercors a mis ses choix à lui, plus ancré dans un pragmatique humanisme. la porte est ouverte à l'autre et l'ouverture est le pendant de la brutalité guerrière et pire encore.

Les autres nouvelles, toutes teintées par des expériences de l'auteur permettent de voir plus complètement Le silence et de découvrir de façon plus abrupte la démarche, la manière de Vercors de mettre les pieds dans le plat de la culpabilité, inaction... sincèrement ça met mal à l'aise tellement hors de tout contexte ça ne peut qu'être d'actualité. Avec sa lucidité il aborde son actualité et son rapport à la guerre, a la culture... on découvre aussi un texte effrayant (de 43 je crois) à demi surréaliste, à demi seulement, qui appelle instantanément les plus terribles images entrevues des camps.

Il n'a sans doute pas la plus belle écriture de tous les temps, il est un brin dialectique et didactique (mais ces nouvelles n'étaient pas non plus détachées de tout but mobilisateur)... toujours est-il que la clarté de son propos, l'intelligence de ses choix et son cœur exprimé de façon engagée et délibérée à travers certains artifices du récit forme quelque chose de très concret.

Il a l'air de pas grand chose ce petit bouquin éreintée par l'exercice scolaire mais il est très fort, puissant, remuant plus que terrible ou choquant (pourtant !), et ce, je crois, parce que l'auteur qui offre quelque chose de beau.

c'était marquant, ça l'est encore plus après je ne sais trop combien d'années riches en changements (à mon échelle d'individu qui marchotte vers sa trentaine)...
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