Rôle de l'exergue

Lucretius a écrit:

Et c'est aussi la citation de Beckett au début du roman en exergue, qui m'a causé cette impression fâcheuse. D'habitude même lorsque la citation provient d'un écrivain plus prestigieux et plus génial que celui qui le cite, du moins on peut voir le rapport; je le perçois comme un hommage. Mais là le contraste est si violent que c'en devient gênant. C'est un peu comme si Paco Rabane commençait un livre rempli de ses prophéties, par une citation de Descartes.

Cette réflexion de Lucretius (à propos de Chaos Calme, de Sandro Veronesi) m'a donné envie d'ouvrir un fil où discuter de la fonction de l'exergue, de l'impact qu'il a (ou pas) sur notre perception d'une œuvre littéraire...
Mais également des rapports qu'a souhaités l'auteur entre cette citation et son propre travail.

Le fil consacré aux exergues peut fournir maints exemples.

Lorsque j'ouvre le livre, je commence par l'exergue bien sûr...Mais je ne m'y attache pas plus que ça...
Par contre j'aime y revenir, la lecture terminée, pour réfléchir au choix fait par l'auteur.

Je dois dire que pour Le lien de Laurent Mauvignier, l'exergue a changé, après coup, ma lecture du texte. Mais je l'ai évoqué sur l'autre fil...

coline a écrit:

Il est des exergues qui, si elles ne sont pas lues, privent le lecteur d'une des hypothèses de lecture...

Ainsi celle de Le lien de Laurent Mauvignier...
Je résume:
C’est un soir… au soir de leur vie, Elle et Lui, très longtemps séparés, à nouveau réunis.
Ils s’aiment, n’ont jamais cessé de s’aimer.
LUI : Trente ans auparavant, il est parti… Reporter photographe, il a parcouru et photographié le monde : la misère, les famines, les guerres … Il s'est abîmé dans l'alcool et perdu dans des amours de passage… Il lui envoyait à ELLE ses photos et ses carnets. Elle classait, elle archivait. Elle demeurait dans leur maison au bord de la Garonne…
Atteinte d'une grave maladie, ELLE va mourir, c'est pour cela qu'il est revenu.
Entre eux maintenant, à l’heure des retrouvailles, pas de ressentiment, pas d’amertume. Rien que le calme, la tendresse… et la nostalgie.

En exergue, cette citation de Javier Marias (Demain dans la bataille pense à moi) :

« Peut-être le lien se limiterait-il à cela, une espèce d’enchantement (…) qui, tout bien considéré, n’est autre que la condamnation au souvenir, au fait que les événements et les personnes reviennent et réapparaissent indéfiniment et ne disparaissent, ne passent, ne nous abandonnent jamais tout à fait, et à partir d’un certain moment demeurent ou habitent dans notre tête, dans la veille ou le sommeil, s’y logent faute de lieux plus confortables, se débattant contre la dissolution et voulant s’incarner en la seule possibilité qui leur reste de perpétuer présence et relation, la répétition ou réverbération infinie de ce qu’ils firent un jour ou de ce qui eut lieu… »

Je m'interrogerai toujours à cette lecture que je fais souvent parce que je travaille dessus (nous en faisons une tournée de lectures publiques)...Elle n'en finit jamais de me révéler ses nuances, ses possibilités...
LUI...est-il vraiment revenu?... Où est-ce seulement la force de son désir à elle qu'il revienne qui lui donne une présence?
Ici l'exergue donne un éclairage totalement différent à la lecture.

Merci pour l'ouverture de ce fil Nezumi,

coline a écrit:

Lorsque j'ouvre le livre, je commence par l'exergue bien sûr...Mais je ne m'y attache pas plus que ça...
Par contre j'aime y revenir, la lecture terminée, pour réfléchir au choix fait par l'auteur.

Tout à fait mon approche envers les exergues..

Parfois ils m'ont déjà amené à lire le livre dont ils étaient cités

Pas si certain que l' auteur sache toujours pourquoi il choisit telle
phrase ou tel poème en exergue.

Et encore moins certain que le lecteur percoive les intentions de l'auteur.

Mais c'est intrigant...

C'est parfois l'hommage d'un auteur à un autre qu'il aime. Une sorte de miroir du livre qu'on va lire. Mais un miroir biaisé.

Si c'est Borges, ça peut etre uné énigme ou un jeu. Ou rien de tout celà.

Pour moi c'est tout simplement - dans le meilleur des cas - une oeuvre en soi, un poème, une histoire... un reve ...

J'y comprend souvent keud aux trucs en "exergue". Et ça m'énerve quand c'est en latin, anglais, papou... et sans traduction...
Parfois, j'essaye d'y revenir, mais ça ne m'éclaire souvent pas plus.
souvent ça me donne une impression de confiture mal étalée.
Des fois ça m'ouvre une porte, mais c'est beaucoup beaucoup plus rare.

Quand meme, Queenie, si tu les lis de temps en temps, les exergues, il y en a bien de
temps en temps un qui te plait tout simplement...

Sans chercher de signification particulière....

- On ne comprend pas toujours ce qu'on aime et pouquoi on l'aime ! -

Tel qu'il est ...

Oui Bix, je l'ai dit, ça m'arrive.

Queenie Ze Queen a écrit:

Des fois ça m'ouvre une porte, mais c'est beaucoup beaucoup plus rare.

(Je m'auto-cite et j'adore ça!)

Pasque ouvrir une porte et aimer, s'pareil pour toi, dirait à peu près Mordi ?

Je suis en train de lire Tristes tropiques de Levi-Strauss, il me semble déjà que le titre est une allusion à Ovide, mais en exergue, il a mis une citation de Lucrèce:
Nec minus ergo ante haec quam tu cecidere cadentque.

Ici le poète latin parle de la mort qui est nécessaire au renouvellement des générations, de la même manière que nous périssons, les générations futures périront. Ce qui est intéressant ici, c'est que par le changement de contexte, la citation de Lucrèce prend un tout autre sens. On assiste à la mort des sociétés primitives, mais nos sociétés mourront également. C'est ça que j'aime bien dans les citations, quand elles sont détournées.

L'exergue que Ian McEwan a choisi pour son livre jeunesse Le rêveur , dont le héros est un gamin doté d'une imagination débordante, qui se glisse dans ses rêveries dans d'autres corps (celui d'un chat, d'un bébé, d'un adulte...):
"J'ai formé le dessein de conter des êtres en des formes nouvelles". Ovide, Les Métamorphoses.
Une citation bien adaptée mais je doute que les jeunes lecteurs (c'est un livre à partir de 7-8 ans) puissent en saisir le sens par eux mêmes .
A destination de leurs parents alors? Car c'est un exergue habile et érudit que le lecteur adulte peut comprendre et apprécier.
Mais un jeune enfant ? Un drôle de décalage je trouve.

J'aime lire les exergues, comme Bix pour le ressenti des mots.

J'aime quand il y a des exergues par chapitre, c'est comme si l'auteur avait accroché une pancarte sur la porte de son chapitre.

Pour ceux dans une langue étrangère, je me sert d'un traducteur, mais j'obtiens parfois des phrases un peu sibiyllines

Depuis la création de ce fil, je consacre beaucoup plus de temps avec les exergues..
mais parfois je pense qu'il est impossible pour le lecteur de trouver le rapport que l'auteur voulait insinuer avec son exergue

Une chose est quasi certaine, c'est que le propos cité a résonné en l'auteur (du livre) lorsqu'il a eu l'occasion de le lire. Il ya généralement un lien avec le texte, un ressenti, une manière de voir. Parfois il peu aussi n'y avoir aucun rapport.

monilet a écrit:

Parfois il peu aussi n'y avoir aucun rapport.

Ah bon?...Il y en a forcément un pour l'auteur même si le lecteur ne le saisit pas, non?... Sinon pourquoi le citer?....Pour faire joli?...

Parce qu'on a particulièrement aimé cet extrait. Qu'il a (pour soi) une valeur générale. Il peut ne pas y avoir de rapport direct avec le livre, le seul lien étant la façon de voir le monde de l'auteur.( Si mes souvenirs sont bons, je crois que j'ai procédé ainsi pour la réédition, toujours prochaine de "Saisons").