Etrange premier roman que celui-ci, mais si vous connaissez un peu la ligne éditoriale de
Verticales, vous ne serez pas surpris.
En 1918, Oskar Kokoschka qui a rompu depuis 4 ans avec Alma Mahler, demande à Hermine Moos, une marionnettiste de théâtre de lui fabriquer une poupée, de taille réelle, qui serait la reproduction parfaite de son ancienne amante.
De juin 1918 au printemps 1919, Hermine va tenter de transformer la demande monstrueuse de celui qu'elle appelle son maître (à défaut d'être son client) en réalité.
Hélène Frédérick s'empare de cette histoire pour raconter les affres d'une jeune femme, d'une créatrice, d'une affamée et d'une rebelle qui peu à peu voit son univers mangé par la femme-silencieuse qu'elle bâtit de ses mains.
Il est vraiment question de création dans ce roman construit uniquement sur les pages d'un journal (un peu fou, détraqué, illogique) que tient Hermine Moos et sur de très courts textes qui de simples descriptions de dessins donnent la parole aux modèles. Ces dessins sont ceux que Kokoschka envoie à Hermine pour qu'elle pénètre l'univers du peintre, qu'elle s'immisce en lui, qu'elle s'assimile à sa création. De simple exécutante, Hermine devient peu à peu un double en souffrance de l'homme-peintre et de la femme-poupée.
Hermine Moos et la poupée de Kokoschka
En parallèle à cette histoire de dévoration mutuelle et outre le caractère étrange de cette poupée, Hermine vit la vie d'une jeune femme sans le sous, vivant les pénuries de cette année de guerre à Munich, obsédée par la solitude et l'idée fixe de gagner suffisamment d'argent pour permettre à sa petite sœur Martha de poursuivre des études de photographe. Le lien entre les deux jeunes femmes, ouvre le texte sur d'autres relations féminines, teintées de séduction et de méfiance et sur celles avec les hommes, conçus comme des prédateurs, des clients qui pour un moment de plaisir donnent un peu d'argent ou apporte un sac de farine. Tout cela sur fond de révolte spartakiste !
Il s'agit donc bien au-delà de cette histoire de marionnette, de plonger dans les tourments d'une femme un peu folle, intransigeante, habitée d'une force de création inouïe, d'un acharnement à se sortir seule des difficultés inhérentes à la vie de bohême dans des années terribles. Le rapport entre Hermine et Kokoschka, son ambiguïté, la force attractive et répulsive du peintre sont savamment orchestrés par une jeune écrivain qui possède le don d'une langue baroque, animale, obsédée et introspective.
Les courts chapitres, à peine quelques lignes, décrivant non pas les dessins mais les âmes des modèles, sont troublants et d'une souffrance criarde.
La réussite de ce premier roman pourrait être totale, mais est-ce le climat hivernal ou quelque chose comme ça, il m'a manqué un tout petit je-ne-sais-quoi pour être totalement séduite. Peut-être un manque de maturité, une position un peu répétitive dans le traitement des états d'âme d'Hermine ? Je ne sais pas.
Il n'en reste pas moins que ce roman, marquant, tout autant par le sujet choisi que par sa forme, me donne terriblement envie de lire le suivant, pour voir un peu, ce qu'a fait Frédérick de son beau talent et de son audace...
et la fameuse poupée :