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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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D’ascendance protestante, André Chamson grandit dans ses Cévennes natales. Après des études secondaire au lycée d’Alès, puis à Montpellier, il se fit un temps gardien d’alpage, par amour de la montagne, avant de réussir le concours de l’école des Chartes en 1920 et d’être nommé archiviste-paléographe. Au cours de ses années d’étude à la Sorbonne, il fonda le groupe des « Vorticistes », dominé par l’esprit de liberté et de curiosité.
Dans l’entre-deux-guerres, André Chamson allait prendre une figure notable parmi les intellectuels engagés. Il milita dans les années 30 aux côtés des partisans du Front populaire, fondant en 1935, avec Jean Guéhenno et André Viollis, l’hebdomadaire Vendredi.
Après son baptême du feu auprès des Républicains pendant la guerre d’Espagne, André Chamson devait être mobilisé, lorsqu’éclata la Seconde Guerre mondiale, comme capitaine dans les Chasseurs alpins.
Rappelé pour diriger l’évacuation des chefs-d’œuvre du musée du Louvre, avant l’arrivée des troupes allemandes à Paris, il fut résistant pendant l’Occupation, en liaison avec les maquis du Lot, puis prit part, au sein de la brigade Alsace-Lorraine, avec André Malraux, aux combats menés pour la libération du territoire.
Nommé après la victoire des Alliés conservateur du Petit-Palais, élu à la présidence du Pen Club en 1956, André Chamson se vit proposer en 1959, par André Malraux, la direction des Archives de France. Il siégea également au conseil d’administration de l’ORTF.
Ce chartiste émérite fut aussi un remarquable romancier à qui l’on doit une œuvre empreinte de son amour pour les Cévennes et inspirée, pour une grande partie, par son attachement aux souvenirs et aux malheurs de ses ancêtres huguenots. André Chamson fut élu à l’Académie française le 17 mai 1956, par 18 voix — celles entre autres de Jules Romains, André Maurois et Georges Duhamel — au fauteuil du baron Seillière.
Dans ses mémoires posthumes, Il faut vivre vieux, André Chamson raconte que l’idée de sa candidature avait été soulevée dès 1936 par Paul Valéry. Elle devait mettre vingt années à se concrétiser, après que le romancier cévenol eut d’abord subi un échec, en 1953, au fauteuil de Grousset, contre Pierre Gaxotte.
André Chamson fut reçu sous la Coupole le 23 mai 1957.
Il décède à Paris le 9 novembre 1983.
Chamson ? C'est une figure très XXème de l'intellectuel engagé "Grand Français", du type Malraux, etc... Décoré d'à peu près tout - il doit manquer la Médaille du Sauvetage et le Mérite Agricole -: Grand-croix de la Légion d’honneur Grand officier de l’ordre national du Mérite Médaille de la Résistance Croix de guerre 1939-1945.
Très présent au Front Populaire, engagé volontaire en Espagne, grand Résistant... J'ai dû commencer sa lecture par son plus gros succès de librairie, "Le chiffre de nos jours", il y a très longtemps. Son ouvrage "Le crime des Justes", celui qui m'avait le plus marqué, est revenu me hanter ces derniers jours, par une curieuse résurgence comme la mémoire de nos lectures en produit quelquefois.
Chamson c'est une écriture âpre, au couteau, parfois un rien rébarbative à force de ne pas vouloir faire la moindre concession au délayage, à force de traquer le mot de trop, à force de ne jamais risquer la mise à nu de l'auteur, à force de corseter dans du strict.
Le pendant est une très grande lisibilité, des charpentes de romans solides, et un déroulé des histoires, certes pas primesautier ou sautillant, mais toujours huilé. L'art de Chamson évoque toujours (du moins à ma connaissance !) ses Cévennes natales, souvent les Huguenots. .
On peut encore trouver quelques vidéos, comme celle-ci, où il est reçu par Jacques Chancel.
Biographie: 1923 Attitudes (La Laborieuse)
1925 Roux le Bandit (Grasset)
1927 Les Hommes de la route (Grasset)
1927 L’Homme contre l’Histoire (Grasset)
1928 Le Crime des Justes (Grasset)
1928 Tabusse. La fête et le char (Les Cahiers Libres)
1929 Clio, ou l’Histoire sans les Historiens (Hazan)
1930 L’Aigoual (Émile Paul)
1930 Tyrol (Grasset)
1930 Histoire de Magali (Hartmann)
1930 Histoires de Tabusse (Mercure de France)
1930 La Révolution de dix-neuf, suivi de : Esquisse d’une théorie de l’immunité (Hartmann)
1930 Li Nivo éron si compagno. Compagnons de la Nuée, poème provençal (Hartmann)
1931 Affirmations sur Mistral (Émile Paul)
1932 Héritages (Grasset)
1933 L’Auberge de l’abîme (Grasset)
1934 L’Année des vaincus (Grasset)
1935 Les quatre éléments (Grasset)
1937 Retour d’Espagne (Grasset)
1939 La Galère (Nouvelle Revue française)
1940 Quatre mois, carnet d’un officier de liaison (Flammarion)
1944 Écrit en 1940 (Nouvelle Revue française)
1944 sous son pseudonyme de Résistant, "Lauter": Le Puits des miracles, fragments - Editions de Minuit.
1945 Le Puits des miracles (Nouvelle Revue française)
1946 Fragments d’un liber veritatis 1941-1942 (Gallimard)
1946 Le dernier village (Mercure de France)
1947 Écrit en 40. Écrit en 44
1948 L’Homme qui marchait devant moi (Gallimard)
1948 Si la parole a quelque pouvoir, discours et articles de revues 1945-1947 (Mont-Blanc)
1948 La peinture française au Musée du Louvre (Braun)
1951 La Neige et la Fleur (Gallimard)
1951 Le Garçon, la Fille et la Bête (Éditions de la Paix)
1952 On ne voit pas les cœurs, quatre actes (Gallimard)
1953 La fin de “Greenville”
1954 Le chiffre de nos jours (Gallimard)
1954 L’École de tout le monde (Fayard)
1955 Courbet (Flammarion)
1955 Le drame de Vincennes (Grasset)
1956 Adeline Venician (Grasset)
1958 Nos ancêtres, les Gaulois (Gallimard)
1961 Devenir ce qu’on est (Gallimard)
1961 Le rendez-vous des espérances (Gallimard)
1964 Comme une pierre qui tombe (Gallimard)
1965 La petite Odyssée (Gallimard)
1967 La Superbe (Plon)
1968 Suite cévenole (Plon)
1969 Suite pathétique (Plon)
1970 La Tour de Constance (Plon)
1974 Les Taillons ou la Terreur blanche (Plon)
1975 La Reconquête (Plon)
1977 Sans peur (Plon)
1979 Castanet, le camisard de l’Aigoual (Plon)
1982 Catinat, gardian de Camargue.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: André Chamson Dim 17 Aoû 2014 - 20:48
Les hommes de la route (1927)
Roman, 235 pages environ, quatre parties.
C'est une histoire qui s'inscrit dans la veine du roman réaliste. Au reste, nombre des emprunts à la toponymie sont exacts, pour les autres les lieux se retrouvent plutôt aisément.
Le thème est la vie de deux couples, les Combes et les Audibert, dont les hommes se sont connus comme compagnons, travaillant ensemble, à côté l'un de l'autre, à l'édification d'une route qui relie le village de Saint-André (dans le roman, Le Vigan en fait) au Col du Minier.
Le Vigan
La première partie est constituée par ce travail, la vie des hommes, la similitude entre les vies d'Audibert et de Combes: tous deux ont lâché leur bergerie d'altitude, dans l'espoir d'un avenir meilleur, pour devenir manoeuvres sur ce chantier. La différence est qu'Audibert est célibataire et Combes jeune marié (avec Anna).
Puis, la route terminée, ils s'embauchent avec succès comme journaliers tout en s'installant à Condamine, en bas du village de Saint-André. Ils deviennent jardiniers à la filature, puis veilleur dans le cas d'Audibert, qui se marie.
Les Combes ont un premier enfant mort en bas-âge, puis dans chaque couple naîtra un garçon. La trajectoire de ces familles est le prétexte à illustrer l'abandon du pastoralisme libre et ancestral pour le salariat, et le mythe de l'ascension sociale, poursuivi par la réussite des enfants -qui y parviendront en devenant fonctionnaires.
On pourrait se contenter de ce témoignage, mais Chamson ajoute quelque profondeur à son texte, afin qu'il sorte de l'ordre du témoignage strict. Les caractères de femmes, peu amènes et ce n'est rien de le dire, sont contre-balancés par ceux des hommes, plus placides. Les hommes ont le travail en vertu, les femmes la rancoeur sociale et la crainte du matériel, s'obsèdent de la sécurisation que procure le fait d'entasser.
Pourtant, sur les questions essentielles -ou existentielles- Chamson ne tranche pas, laisse le nuancier intact. Il souligne la vacuité qui préside à l'existence de ces gagnants-de-peu et à l'inquiétude ménagère permanente, inquiétude qui préside aussi à l'effort d'ascension sociale, il faut attendre l'ultime partie, intitulée "Combes" pour avoir le fin mot. Que bien sûr je ne dévoile pas.
Aussi ceci: Chamson nous incite à ne pas écrire au singulier le mot pauvreté, qui peut recouvrir bien des facettes, bien des réalités distinctes et pas seulement matérielles, encore qu'il n'est pas loin de conclure, sans doute, que toutes les pauvretés vont de pair.
Enfin on note pas mal de réminiscences et de choses vécues (se reporter à la biographie de l'auteur en lisant ce livre n'est pas superflu), qui viennent apporter du poids au roman, une espèce d'épaisseur qui n'est pas de l'ordre du nombre de pages ou du nombre de mots...
Quoi d'autre ? Ah, oui: Curieux, un proverbe oublié, et non cité dans ce livre d'ailleurs, m'est revenu à cette lecture: "Je préfère jeûner avec les aigles que picorer avec les poules".
Allez, un bel extrait, peut-être un rien trop pittoresque -je concède, j'aurais pu prendre plus aride-, histoire qu'on soit bien d'accord: avec Chamson nous sommes certes dans le genre réaliste, mais jamais aux dépens d'une haute qualité de plume:
extrait, première partie, \"Les Hommes de la route" a écrit:
Déjà, dans les parties basses de la vallée, la route s'ouvrait au trafic. Petit à petit, les gens d'Aulas et de Salagosse abandonnaient les antiques voies ferrées de gros blocs, les anciens chemins de terre montés en digue au long des cours d'eau.
Le cylindre à cheval, chargé de rocs et de ferrailles, était arrivé jusqu'à la Broue, et, nivellant l'empierrement, s'avançait du Sablas jusqu'à la Baraque Neuve.
Traîné par huit juments lozerottes, un fort mulet d'Auvergne en flèche, environné de l'éclair des coups de fouets, dans un tonnerre de jurons, de cris, de hennissements, il gagnait mètre par mètre avec de brusques élans et des haltes soudaines. Devant lui, la route se soulevait en une lourde vague, mouvante, craquelée, brusquement coupée de lézardes. Dans chaque trou, des hommes, courant sur les bas-côtés de la route, envoyaient à la volée une pelletée de sable humide, ou même, presque sous le rouleau, plaçaient à la main une pierre et se reculaient brusquement. Le cylindre passait, écrasait la vague, et, derrière lui, la route aplanie et lisse semblait devenue immobile pour toujours.
De moment en moment, l'énorme machine s'arrêtait: autour d'elle, la sueur des chevaux se déchirait en nuages dans le tourbillonnement des mouches et des taons. Les charretiers, le fouet passé derrière la nuque, les joues écarlates, le cou gonflé, sans voix, s'accroupissaient sur le talus et prenaient leurs têtes dans leurs mains.
Puis, tout à coup, sous les jurons et les cris, au claquement de la mèche des fouets, on repartait, dans le hennissement des bêtes, l'affolement de l'essaim des mouches et la pétarade du mulet de tête, qui tirait à droite et à gauche, cinglé par les traits, la queue en demi-cercle, les oreilles battantes, comme en folie et furieusement suivi par tout l'attelage.
Dernière édition par Sigismond le Lun 18 Aoû 2014 - 15:45, édité 3 fois
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: André Chamson Lun 18 Aoû 2014 - 15:23
Je reviendrais plus tard te lire (trop de probl internet)
Les Hommes de la route, c' est loin ! Chamson, le Cévenol et l' éminence grise de Gallimard, je vais y repenser.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: André Chamson Lun 18 Aoû 2014 - 16:20
bix229 a écrit:
Les Hommes de la route, c' est loin ! Chamson, le Cévenol et l' éminence grise de Gallimard, je vais y repenser.
"Le crime des Justes" , Bix, si c'est une trop vieille lecture, ou encore mieux si tu ne l'as jamais lu, est un ouvrage vraiment recommandable. Si j'étais doté d'une timidité moindre, je le proposerais en LC.
Les Hommes de la route, c' est loin ! Chamson, le Cévenol et l' éminence grise de Gallimard, je vais y repenser.
"Le crime des Justes" , Bix, si c'est une trop vieille lecture, ou encore mieux si tu ne l'as jamais lu, est un ouvrage vraiment recommandable. Si j'étais doté d'une timidité moindre, je le proposerais en LC.
Propose le ! Déjà en lecture du mois !
Et puis, c' est un peu mes racines, les Cévènnes ! Enfin en trichant un peu... Mais si on aime particulièrment un pays, une région, on garde en soi des racines flottantes !
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: André Chamson Dim 14 Sep 2014 - 16:22
Roux le bandit (1925), nouvelle, 70 pages environ.
Sujet: Au moment de la mobilisation, un jeune paysan déserte et vit, traqué par les autorités et désapprouvé par la communauté, en solitaire en montagne...
Pour cet écrit, Chamson choisit comme narrateur un vieux paysan montagnard, autour d'une table de ferme, l'hiver, avec André Chamson et un échantillon de communauté paysanne essentiellement masculin en guise d'assemblée, d'où quelques brèves prises de parole au "je" qui n'émanent pas du (ra)conteur.
Empli de clins d'oeil à la langue d'oc, avec comme habile prétexte le style parlé, le texte pourrait ambitionner de décrire l'âme des paysans montagnards, telle qu'elle arrivait du fond des siècles et telle qu'elle ne passera pas le XXème siècle. Il s'agit moins de caractéristiques socio-anthropologiques que de caractères, tempéraments, visions de la vie et de l'homme héritées du corps-à-corps avec la nature et de la Bible, de la pensée Réformée des Camisards: Mais, tout cela, Chamson se contente de l'évoquer, restons donc avec lui dans le domaine de la suggestion, fût-elle habile, voire même brillante.
Le texte vaut plaidoyer pacifiste, et presque manifeste à résistance, à refus d'obéissance. Pas de longueurs, même lors des détours et circonvolutions, corollaires du choix stylistique, le récit est aéré en cinq chapitres, et comporte des moments de lecture fort agréables. L'issue est plutôt prévisible sans que cela ne constitue une gêne.
Chapitre 4 a écrit:
- Oui, mais le pasteur était un homme capable et ses chefs l'on écouté à cause de cela. Si je m'étais rendu, j'aurais dû marcher comme les autres: ce n'est pas un paysan qui peut raisonner avec les messieurs de la ville. Dans le même moment où l'on a respecté la volonté du pasteur, on aurait fait violence à la mienne, et personne, ni le colonel, ni le gouvernement, n'aurait seulement voulu m'entendre.
C'est là une raison véritable, monsieur André, et là-dessus je me trouvai tout de suite de l'avis de Roux... On ne peut pas dire le contraire: vis-à-vis du gouvernement, un paysan doit faire tout ce qu'on lui demande, sans discuter, ou bien refuser complètement de le faire.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: André Chamson Mer 17 Sep 2014 - 0:33
Adeline Vénician (1956)
Nouvelle, 80 pages environ.
Spoiler:
Je suis surlecuté que l'on trouve à moins de 4 € l'édition originale, celle de Grasset "Les Cahiers Verts" - 1956 (voir photo), d'occasion sur la Toile, et plus que facilement, encore ! On reconnaît l'édition originale au fait que 1956 est l'année lors de laquelle Chamson fut élu à l'Académie Française, et tous les tirages comprendront dorénavant la mention "de l'Académie Française" en première de couverture, sauf bien sûr ses ouvrages passés (avant éventuel retirage) et les tout premiers "Adeline Vénician".
Sa dernière parution avant l'élection à l'Académie Française, a-t'elle influencé les Immortels dans leur vote ?
Quoi qu'il en soit, l'on sort des Cévennes et des thèmes chers à Chamson, même si l'on n'en sort pas géographiquement, je m'explique: c'est un huis-clos dans une demeure de maître, avec trois personnages féminins et des ombres de personnages masculins. Nouvelle qui a dû plaire à Bosco, s'il l'a lue.
Tout comme pour Roux le bandit, Chamson compose son texte à partir de faits réels. Au reste, il tient même à nous le certifier, dans l'avant-propos, et je vous laisse apprécier le dernier paragraphe de celui-ci (de Mais,...à ...Pourquoi pas ?), il est si rare qu'un auteur ose dire d'un de ses personnages que des appréciations de lecteurs le font regarder ce personnage comme s'il ne l'avait jamais vu, et on ne le sent pas du tout histrionnant, en pleine esbroufe - ce n'est d'ailleurs pas dans le genre de Chamson que de l'être:
Citation :
Cette fille, je l'ai connue. Son véritable nom n'était pas tout à fait celui qu'elle porte dans ce livre, mais, à l'oreille, il avait à peu près la même consonance et, si on avait dit: "Adeline Vénician" à côté d'elle, elle aurait sûrement tourné la tête. (...) J'ai reçu beaucoup de lettres de femmes après la publication de ce livre. "Comment savez-vous cela ?" me demandaient certaines d'entre elles. "Moi aussi, pendant des années, j'ai vécu en esprit avec un homme qui me connaissait à peine et, depuis qu'il est mort, je suis comme veuve et je vis dans la fidélité de son souvenir."
Mais, de tout ce qu'on a pu me dire sur Adeline, ce qui m'a le plus frappé, ce qui m'a fait la regarder comme si je ne l'avais jamais vue, ou, plutôt, comme si je venais de découvrir son véritable secret, c'est le jugement que certains ont porté sur elle, en considérant la façon dont elle coupait le monde en deux...Petite Parfaite Cathare...ont-ils dit. Petite Parfaite Cathare ? Pourquoi pas ?
Le sujet: Une jeune fille naît et grandit dans une vaste demeure tôt quittée par son père, un colosse assez excentrique décédé subitement. Sa mère se cloître dans cette maison, manifeste des phobies, elle vit l'extérieur comme impur, se sustente avec une frugalité extrême, et a quelques manies. Adeline ne fréquente ni l'école, ni aucun autre enfant, ne sort jamais de la demeure, et grandit entre ses rêveries et le jardin, couvée par Maria, l'employée de maison (NB: le terme exact utilisé par Chamson est "servante", je m'étonne de l'usage de cette dénomination au plein du XXème siècle, et pourtant, s'il le valide en parlant de personnel domestique, c'est que le terme devait alors pleinement s'employer encore).
Adeline ne distingue pas tout à fait les dimanches des jours de semaine, ni le présent par rapport au passé, le hier, l'aujourd'hui. Sa propension à la rêverie finit par lui composer tout un monde intérieur, sans qu'on soit, je crois, cliniquement en mesure de parler de mythomanie: ses mensonges sont plutôt une interpénétration du réel et du rêvé, et elle émerge parfois de cet état. Elle ne fait d'autre victime qu'elle même, il n'y a aucune manipulation mensongère nuisible à autrui.
Sa mère, et Maria aussi en dépit des alertes que cette dernière tente de déclencher, laissent faire, au prétexte qu'elle est heureuse ainsi et ne fait pas de mal. On pourrait rétorquer à ce relativisme excessif que du mal elle n'en fait à personne d'autre...qu'elle, mais c'est déjà beaucoup, et que ses instants de plénitude, de bonheur, sont trop corrélés à cet état, et ne constituent pas un bonheur axé sur le réel, plutôt fui, ou rejeté hors d'accès à Adeline à l'extérieur, plus exactement.
Un jour, approchant peu à peu de ses dix-huit ans, elle voit un jeune homme sur la route, en train de travailler à des relevés, un géomètre ou un ingénieur peut-être, et elle éprouve un amour de type coup de foudre. Obtenant tous les renseignements possibles sur cet homme, Pierre Dejean, via Maria qui a ses oreilles au village, elle passe ainsi des mois et des mois baignant dans une félicité reposant sur des situations quotidiennes à deux totalement imaginées, jusqu'à un mariage dont elle imagine la date. Mais Pierre Dejean doit partir à la guerre (de 39-45) le hasard veut qu'il combatte auprès du fils de Maria, Adrien. Adeline obtient de devenir Marraine de Guerre du Lieutenant Dejean, et lui poste de vraies lettres, de vrais colis...
Parlant de ce livre dans le précieux -pour le lecteur !- "Devenir ce que l'on est", 1961, ouvrage dans lequel Chamson rappelle et juge toutes ses publications, on trouve, à propos d'Adeline Vénician:
Citation :
Quand il se met en accord avec le délire du monde, le délire d'un esprit ne peut-il pas devenir raison ? (...) Aucun critique n'a mis l'accent sur ce qui me paraît être essentiel dans cette histoire: le retour d'Adeline au destin commun par la conjugaison de sa folie et de la folie du monde.
Cette nouvelle (me) laisse pas mal de possibilités de prolongations, de méditations (pour quelques temps). Je n'ai assurément pas la prétention d'en avoir fait le tour avec un parcours simple, sans doute je vais revenir à ce texte.
D'ici là, si vous le souhaitez, un petit extrait ou deux (hors intérêt du sujet proprement dit, Chamson a une écriture de fort agréable facture), ça vous dit ?
ça me dit, Sigismond ! Que conseillerais-tu en premier ?
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: André Chamson Mer 17 Sep 2014 - 7:21
En effet cela donne envie ! Donner sa chance à Chamson
Spoiler:
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: André Chamson Ven 19 Sep 2014 - 1:41
En ce qui concerne Adeline Vénician, je ne sais pas si ce texte a été adapté pour le théâtre, ça pourrait s'avérer propice, en tous cas.
Donc un petit extrait, histoire de donner la chance à Chamson, @GGG trademark envie, du moins espérons-le !
Je disais plus haut que cette lecture d'Adeline Vénician allait nourrir mes réflexions un petit moment; il y a une piste qui n'était à coup sûr pas prévisible par l'auteur, mais qui produit quelque sens: je me demande s'il n'y a pas d'autres avatars de Mme Vénician et d'Adeline nés de la révolution numérique, cloîtrés chez eux dans une interpénétration virtuel/rêvé/réel, interpénétration dans laquelle la part des choses ne se fait pas toujours ?
Citation :
Mangeant à peine à sa faim, sevrée de tout contact avec le monde extérieur, sans compagnes de jeux et sans amies de son âge, Adeline lisait beaucoup et avait le droit de tout lire, car Mme Vénician ne trouvait jamais rien d'impur dans ce qui n'était qu'imaginaire.
Cette femme chimérique s'éloignait de plus en plus de la vie, mais se laissait entraîner dans des simulacres d'existence en relisant des romans qu'elle avait déjà lus dix fois. Le livre tombait de ses mains dans celles de sa fille et celle-ci, qui ne savait pas encore sa table de huit et ne connaissait pas les sous-préfectures de la Vendée, dévorait Les Malheurs de Sophie ou Fenimore Cooper, mais aussi La Cousine Bette ou Les Misérables, Paul et Virginie ou La Sonate à Kreutzer, Les Filles du Feu ou La Chartreuse de Parme.
Cette enfant connaissait si mal la vie que tout ce qu'elle lisait la jetait dans des vertiges, comme un verre de vin pur envire les gens qui n'ont pas l'habitude de boire. Certains de ses héros favoris étaient plus présents à ses yeux que les habitants de la ville. A treize ans, elle était persuadée que les amies de sa mère rencontraient parfois Mme Marneffe ou la femme du régisseur de M. de Sérizy. Elle confondait Payan avec le cocher de la troïka qui s'égare dans la neige, dans le conte de Tolstoï oùle Maître et le Serviteur affrontent un même destin. Elle avait appelé Sylvie, Angélique et Aurélia, trois jeunes filles qu'elle ne connaissait que de vue et qui passaient parfois, en chantant, aux beaux jours des belles saisons, sous le mur de son jardin. Tout ête vicant lui semblait avoir une double identité qui le mettait en contact avec d'autres êtres imaginaires.
Mme Vénician s'amusait de ces rêveries dont elle ne voulait pas voir les dangers. C'était même, à ses yeux, un des plaisirs de la vie que de s'égarer ainsi dans un monde de chimères. Elle s'y perdait avec Adeline et n'en voulait plus sortir. La mère et la fille étaient complices dans ces dérèglements de l'esprit comme elles l'étaient déjà par la peur de la corruption et par la hantise de la pureté. Elles se laissaient entraîner jusqu'à transformer en personnages réels certains objets qu'elles voyaient tous les jours. C'est ainsi qu'elles avaient fait un être vivant d'une statue de Phoebé qui décorait leur salon. En les entendant parler d'elle, on aurait pu croire que cette déesse d'argile s'échappait parfois de la maison pour aller vagabonder sur les montagnes, les pieds nus, la chlamyde au vent.
bix229 a écrit:
Que conseillerais-tu en premier ?
En premier ? Peut-être "Roux le Bandit", un texte pas très long (voir plus haut), pour découvrir ou redécouvrir Chamson; L'Auberge de l'abîme aussi, court roman (110 ou peut-être 120 pages au maximum).
J'ai presque envie de poster un commentaire sur "Le crime des justes", mais ce serait un peu renoncer à proposer en LC cette brève nouvelle (45 pages à peu près). Bon, je crois que ce n'est pas trop le moment de proposer une LC . Peut-être vais-je attendre un peu, temporiser. Mais enfin, si vous ouvrez ce texte fort qu'est "Le crime des justes", et je vous y encourage, surtout n'hésitez pas à partager vos impressions !