Penthésilée de Pascal Dusapin
On n’y voit rien. Cette putain de machine de guerre, ce frelon en tenue de bataille, je la hais! (Ulysse dans Penthésilée)
Création mondiale à La Monnaie de Bruxelles du dernier opéra de Pascal Dusapin d'après la pièce de Kleist. Accueil public et critique enthousiaste et unanime.
Dusapin a adapté la pièce de Kleist qui décrit l'affrontement passionnel et guerrier entre la reine des amazones, Penthésilée, et Achille devant la ville de Troie. Kleist accordant la victoire finale à Penthésilée qui fait dévorer Achille par ses chiens.
Une histoire sombre et tragique qui illustre l'opposition entre le désir individuel et la loi collective. Penthésilée aime Achille mais se doit de le combattre jusqu'à la mort comme la tradition l'exige. On ne peut s'empêcher d'y voir d'une manière plus générale le paradoxe de tout conflit guerrier qui obéit aux règles établies par le pouvoir en place mais se solde inévitablement par un affrontement fratricide aussi absurde que dévastateur.
Dusapin a resserré l'action de la pièce réputée inadaptable en supprimant certaines digressions et quelques personnages secondaires. Cela donne un bloc extrêmement dense qui permet une ascension de violence particulièrement saisissante.
La musique est formidable. Les tensions des cordes, la puissance rythmique des percussions qui scandent l'action comme un rituel, les sonorités mystérieuses et discrètement orientalisantes de la harpe et du cymbalum associés aux amazones, l'utilisation idéale de l'électronique spatialisée nous emportent dans un flux continu d'environ 1h35 qui envoûte puis tétanise. Une oeuvre, de ce point de vue, époustouflante.
Pierre Audi et sa scénographe ont de leur côté choisi des variations intemporelles, dans des tonalités sombres, sur le thème de la dévastation et du dépeçage. Minimalisme des costumes et des décors qui évoquent des terres autant archaïques qu'industrielles comme un monde post-apocalyptique. Il y a des projections vidéos qui montrent des peaux de bêtes qu'on découpe et qui se retrouvent sur scène dans différentes déclinaisons. C'est finalement bien ce qui reste sur un champ de bataille après le massacre.
L'ensemble est extrêmement intense et noir mais parfois peut-être un peu répétitif. On a le sentiment de voir se répéter la même scène d'amour/affrontement entre Achille et Penthésilée. Ce qui nuit à un sentiment de progression vers une acmé que pourtant la musique autorise. Mais c'est aussi une façon de souligner la désespérante répétition de ces conflits guerriers qui finissent inéluctablement par un désastre.
Un spectacle qui marque les esprits et qui a des chances de rester. Je serais notamment curieux de le revoir dans une autre mise en scène. Un opéra qui peut toucher un public large grâce à une musique complexe mais accessible et prenante. Souvent très belle et puissante. A voir!