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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Passion (Dusapin/Sasha Waltz) Dim 5 Fév 2012 - 19:13
Passion de Pascal Dusapin (chorégraphie de Sasha Waltz)
Orphée et Eurydice au XXIe siècle
Elle Dormais-je encore ou suis-je éveillée? Quelles contrées s'offrent à mes yeux? Quel est cet air que je respire? Et ce sol que je foule? Dormais-je encore ou suis-je éveillée (...) J'ai tant rêvé... J'attendais et puis, tout à coup, cette ombre,... si claire. Qu'était-ce qui fuyait au-dessus de ma tête? Les nuages et les étoiles fuyaient, ils fuyaient. Qu'était-ce donc? (Serait-ce la lune?)
Passion est un opéra créé par Pascal Dusapin (le compositeur français contemporain le plus joué dans le monde) en 2008 à Aix-en-Provence. C'est déjà la 3e mise en scène proposée, ce qui n'est pas fréquent pour une composition aussi récente. Il a retrouvé pour l'occasion la grande chorégraphe allemande Sasha Waltz avec laquelle il avait travaillé il y a quelques années sur un autre opéra "Medea".
Cet opéra s'inspire de L'Orpheo de Monteverdi tant sur les thèmes que sur certains motifs musicaux mais avec un traitement très contemporain. Il est composé pour une soprano, un baryton, un choeur mixte et 15 instruments dont des dispositifs électroniques amplifiés, un clavecin baroque, une harpe et même un oud (sorte de luth arabe) ...
Citation :
Ce qui est beau dans Passion, c'est que Dusapin ne souscrit pas au pastiche et à la citation copiée-collée mais parvient à inscrire la mémoire de cette musique dans les nervures de sa propre écriture, aussi intriquée qu'aérée. Comme l'italien Salvatore Sciarrino (né en 1947) qui, lui aussi, compose dans un style madrigalesque réinventé, mais aussi comme tant d'autres compositeurs au cours de l'histoire de la musique, Dusapin joue avec les codes archaïsants et sait s'en jouer. Son harmonie, fréquemment consonante, ne semble pas non plus constituer le moindre "retour à" mais fait plutôt la preuve d'une oreille libre. (Le Monde)
Ce spectacle est d'une grande beauté plastique et musicale. L'opéra propose 10 tableaux séparés par des interludes aux sonorités, aux climats et aux associations d'instruments les plus variés mais avec une superbe unité qui génère un sentiment de sensualité et de transe. Passion dans le sens du désir mais aussi de la souffrance et de la mort. L'opéra en traduit toute la dualité et le mystère dans une montée progressive complètement hypnotique qui peut néanmoins parfois donner un sentiment de monotonie passagère. Ce n'est qu'un impression parce que les textures sonores sont vraiment mouvantes, complexes et d'une grande richesse. Contrairement à ce que Mantovani avait fait pour Akhmatova (presque plus intéressant dramatiquement que musicalement) où tensions et relâchements se succédaient de façon trop répétitive. Ici on est vraiment dans l'envoûtement permanent.
Citation :
Passion développe avec raffinement ces variations sur le vertige des sens, le désir, l'extase, la plainte et le déchirement. Pascal Dusapin, habité par l'Orfeo de Monteverdi, ose une matière sonore d'inspiration baroque singulière, déstabilisante, sophistiquée. Elle est parcourue de spasmes, de bruits diffus, d'envolées fantomatiques et d'interludes fragiles.
Le texte chanté en italien est proposé en français dans le livret mais il n'y a pas de surtitrage à la demande de Sasha Waltz et de Dusapin pour mieux se concentrer sur le langage des corps en phase avec la musique. Le texte tient davantage d'une épure abstraite autour du thème d'Orphée et Eurydice. Une Eurydice qui choisirait de ne pas remonter des enfers en suivant Orphée. C'est plutôt elle qui l'appelle vers la mort dans un mouvement perpétuel entre étreinte érotique et éloignement. Les dialogues donnent un sentiment de rêve éveillé.
Sasha Waltz propose une chorégraphie splendide malgré quelques rares moments plus convenus ou bizarrement trop "agités" quand le climat suggère davantage de calme. Elle a créé quelques tableaux fabuleux comme cette étreinte entre les corps de 2 danseurs sur fond de projections lumineuses qui évoquent des tableaux de Rothko phosphorescents. A ce moment là la musique est remplacée par des sonorités électroniques assez magiques qui envahissent tout l'espace de l'opéra par un dispositif d'amplification et de réverbération (idem dans une scène qui suggère la présence de serpents). Il y a aussi cette scène impressionnante où une danseuse asiatique arrive en portant une forêt de ballons noirs comme la nuit ou le mercure (suivant l'éclairage) et dont les mouvements créent des ondulations de cette masse menaçante et étrange. Elle reviendra au final en laissant s'échapper tous les ballons et en se retrouvant complètement nue sur scène. Visions sublimes et marquantes. Autant de symboles inhérents à l'histoire qui trouvent ici une illustration plastique très originale et surtout très belle.
Epoustouflante soprano, Barbara Hannigan que j'avais déjà trouvée admirable dans "House of sleeping Beauties" d'après Kawabata. A la fois très belle, sensuelle, à la voix d'une pureté totale capable de monter dans des aigus inouïs, et en plus danseuse ensorcelante sous la direction de Sasha Waltz. Réussir tout ça en même temps, chapeau! Elle sera la "Lulu" de Berg à Bruxelles en 2012 avec une mise en scène de Warlikowski.
Projection vidéo au cours de la dernière séquence.
Je suis sorti transporté par ce spectacle en apesanteur.
Citation :
"Passion est une pièce particulière dans le corpus de Pascal Dusapin, une œuvre envoûtante, qui fait le deuil de quelque chose. Il y a désormais, à mon sens, un avant et un après, dans la production du compositeur."
Il semblerait en effet que ceux qui aimaient les précédents opéras du compositeur français (il en a écrit cinq autres depuis 1989) n'aiment guère celui-ci ; ceux (comme nous) qui ne faisaient pas grand cas de la plupart des dits ouvrages tiennent Passion pour un chef-d'œuvre. (Le Monde)
Extrait:
Avec un commentaire de Dusapin et la danseuse aux ballons se dénudant à la fin: