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| Marcel Proust | |
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Auteur | Message |
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Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Dim 8 Jan 2012 - 22:25 | |
| A l’ombre des jeunes filles en fleursCe second roman de « La Recherche », qui a obtenu le prix Goncourt en 1919, est construit en 2 parties dont la première a été un peu artificiellement détachée de « Du Côté de chez Swann » apparemment pour des raisons liées aux exigences de la maison d’édition. Cette première partie « Autour de Mme Swann » est en effet la suite de la relation amoureuse du narrateur pour Gilberte qui est une sorte de réplique de celle déjà décrite entre Swann et Odette. On retrouve d‘ailleurs au fur et à mesure de la lecture de « La Recherche » et de façon circulaire les mêmes thèmes qui reviennent sous forme de variantes en fonction de l’évolution du narrateur qui grandit et dont la formation mondaine et artistique s’enrichit progressivement en modifiant son regard et ses analyses du monde qui l’entoure. La relation avec Gilberte obéit aux même lois de la fascination puis du désir de possession, avec la jalousie qui l’accompagne, avant que l’objet de ce désir enfin obtenu ne provoque un changement du regard et un détachement progressif. L’opposition entre l’imaginaire et la réalité plus triviale se faisant toujours au détriment de cette dernière. L’amour chez Proust n’est jamais heureux et presque décrit comme une maladie ou un processus morbide. Lucidité extrême ou perception névrotique du monde ? A moins que la névrose ne soit justement cette souffrance née d’une trop grande lucidité. « Ce qu’on a obtenu n’est jamais qu’un nouveau point de départ pour désirer davantage ».Parallèlement à cette éducation sentimentale, le narrateur y poursuit son apprentissage artistique à travers sa rencontre avec l’écrivain Bergotte (inspiré par Anatole France notamment) et avant celle avec le peintre Elstir dans la seconde partie à Balbec. « La Recherche » étant également le récit d’une vocation, celle d’écrivain, et les jalons qui en bornent le chemin. Vocation sans cesse différée et contrariée (notamment par le désir amoureux) mais permettant l’accumulation d’expériences de vie et d’observations qui seront la matière même de l’œuvre à venir. L’art y apparaissant comme la seule façon de retrouver le temps perdu par l’ analyse minutieuse de tout ce qui a été. De sublimer aussi à travers l’art ce qui n’apparaît en définitive au départ que vanités sociales et illusions affectives. De la même façon que le sentiment amoureux est éphémère et illusoire, que la figure aimée semble ne jamais pouvoir rester stable d’un moment à un autre, que l’image idéalisée de cette figure ne correspond jamais à la réalité elle-même changeante, le narrateur est sans cesse confronté à ses déceptions successives face à la découverte des lieux et des personnes qu’il a d’abord imaginés par la pensée avant que la réalité ne vienne apporter un contraste douloureux. C’est le cas de sa première découverte de la grande comédienne La Berma (inspirée par Sarah Bernard) qui interprète Phèdre et le déçoit alors qu’il en attendait tellement. Il la reverra plus tard et son regard s’affinera davantage. La seconde partie « Nom de pays : Le pays » qui se déroule à Balbec permet à Proust de faire preuve d’un talent de peintre des paysages et des sentiments de façon éblouissante. Toute cette phase du récit est extraordinaire à lire. Et la fameuse rencontre avec ces « Jeunes filles en fleurs » (dont la future Albertine), d’abord inaccessibles et arrogantes puis devenues plus familières, est un moment extraordinairement réussi. J’ai en particulier adoré la façon dont il décrit les changements de lumière sur le paysage à travers la fenêtre de sa chambre d’hôtel à la manière revendiquée de la peinture de Whistler: Parfois l'océan emplissait presque toute ma fenêtre, surélevée qu'elle était par une bande de ciel bordée en haut seulement d'une ligne qui était du même bleu que celui de la mer, mais qu'à cause de cela je croyais être la mer encore et ne devant sa couleur différente qu'à un effet d'éclairage. Un autre jour, la mer n'était peinte que dans la partie basse de la fenêtre dont tout le reste était rempli de tant de nuages poussés les uns contre les autres par bandes horizontales, que les carreaux avaient l'air, par une préméditation ou une spécialité de l'artiste, de présenter une "étude de nuages", cependant que les différentes vitrines de la bibliothèque montrant des nuages semblables mais dans une autre partie de l'horizon et diversement colorés par la lumière, paraissaient offrir comme la répétition, chère à certains maîtres contemporains, d'un seul et même effet, pris toujours à des heures différentes mais qui maintenant avec l'immobilité de l'art pouvaient être tous vus ensemble dans une même pièce, exécutées au pastel et mis sous verre. Et parfois sur le ciel et la mer uniformément gris, un peu de rose s'ajoutait avec un raffinement exquis, cependant qu'un petit papillon qui s'était endormi au bas de la fenêtre semblait apposer avec ses ailes, au bas de cette "harmonie gris et rose" dans le goût de celles de Whistler, la signature favorite du maître de Chelsea. Le rose même disparaissait, il n'y avait plus rien à regarderA l’ombre des jeunes filles en fleurs est enfin une étape vers son introduction dans la famille aristocratique des Guermantes à travers sa rencontre avec le baron de Charlus et son futur grand ami Robert de Saint-Loup.
Dernière édition par Marko le Lun 9 Jan 2012 - 17:34, édité 1 fois | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Dim 8 Jan 2012 - 23:43 | |
| Le côté de GuermantesJ'ai déjà évoqué un peu plus haut des éléments de la première partie de ce 3e volume de "La Recherche". Le thème central, sur fond d'affaire Dreyfus qui alimente de nombreuses conversations durant le récit, est la découverte extrêmement détaillée des rituels sociaux de la haute aristocratie que représente la famille des Guermantes avec sa "cour" de visiteurs mondains dont il dépeint avec beaucoup d'ironie la vanité, les artifices, et souvent le ridicule ou la vacuité derrière l'illusion du vernis culturel bien que personne ne soit jamais vraiment totalement condamné (c'est le cirque social qui est en cause plus que les individus pris isolément, chacun étant forcément plus ou moins enfermé dans un rôle). Il souligne également le fait que l'oeuvre d'art traduit le moi profond d'un artiste alors que son image sociale est souvent décevante ou en apparente contradiction. Signe que la réalité apparente de l'individu est toujours trompeuse et la vérité infiniment plus complexe (et changeante). En contre-point à cette foire aux vanités on assiste avec une authenticité douloureuse extrêmement touchante à la découverte par le narrateur de la maladie de sa grand-mère adorée puis à sa mort. Une grand-mère étrangère à tous ces faux-semblants, une femme qui lui avait transmis des valeurs plus sincères et surtout le goût pour l'art et le raffinement. Les passages de l'entretien au téléphone, de la vision "photographique" de sa vieillesse presque oubliée par le souvenir et l'affection, puis de son détachement progressif de la vie sont bouleversants. Et cette douleur profonde rend d'autant plus effrayante la ronde des médecins et faux amis qui viennent exprimer leur soutien avant même qu'elle ne soit morte. Cette indifférence sous le masque de la compassion la plus affectée se retrouve d'ailleurs dans un final très cruel lorsque Swann bientôt lui-même mourant annonce incidemment aux Guermantes qu'il ne vivra encore que quelques mois à peine. Ils sont manifestement plus préoccupés par la soirée costumée à laquelle ils doivent se rendre que par sa révélation. Bien qu'enfermés une fois encore dans des rôles où les convenances sociales doivent primer sur le ressenti propre. Il y est d'ailleurs aussi question de la mort prochaine de Bergotte. La peinture de ce milieu aristocratique est d'une très grande richesse même si elle peut finir par lasser (il y a de très nombreuses pages sur ce sujet que j'avoue avoir parfois laissées glisser en diagonale). On sent que le modèle est Saint-Simon que Proust admirait et qui avait déjà décrit auparavant avec minutie les moeurs et coutumes de la cour de Louis XIV. J'en retiens surtout de savoureuses conversations sur l'art avec une vision souvent conservatrice de ce milieu aristocratique qui affecte cependant de s'intéresser à la nouveauté tout en la jugeant avec un certain mépris. Il faut surtout avoir l'air éclairé bien davantage que de chercher à s'intéresser réellement et en profondeur à ces artistes. Le narrateur en tire néanmoins quelques bénéfices en étant par exemple incité à relire certains poèmes de Victor Hugo que Mme de Guermantes récite avec maladresse. Il attribue par ailleurs à des personnages comme Charlus et Saint-Loup beaucoup de culture et d'intelligence. Proust affirme une fois de plus son intérêt pour l'avant-garde artistique comme nécessité vitale pour renouveler et régénérer notre regard sur le monde en opposition avec une vision plus conservatrice souvent alimentée par l'ignorance ou le manque de curiosité véritable. Il adopte ainsi une position de supériorité intellectuelle qui peut agacer et l'a fait souvent assimiler à un mondain snob et dilettante. Ce serait oublier l'infinie richesse de son regard et surtout son immense sensibilité. Car tout ce qu'il observe et transcende traduit une puissance de pensée stupéfiante. On voit le narrateur retourner une seconde fois admirer la Berma au théâtre et son analyse très fine du travail théâtral montre la maturité qu'il a acquise depuis l'épisode précédent. "Le côté de Guermantes" contient un nombre de citations et de références littéraires ou artistiques assez considérable (et où Wagner apparaît très régulièrement). Les gens de goût nous disent aujourd'hui que Renoir est un grand peintre du XVIIIe siècle. Mais en disant cela ils oublient le Temps et qu'il en a fallu beaucoup, même en plein XIXe siècle, pour que Renoir fût salué grand artiste. Pour réussir à être ainsi reconnus, le peintre original, l'artiste original procèdent à la façon des occultistes. Le traitement par leur peinture, par leur prose, n'est pas toujours agréable. Quand il est terminé, le praticien nous dit: "Maintenant regardez." Et voici que le monde (qui n'a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l'ancien, mais parfaitement clair. Des femmes passent dans la rue, différentes de celles d'autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous refusions jadis de voir des femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l'eau, et le ciel. Tel est l'univers nouveau et périssable qui vient d'être créé. Il durera jusqu'à la prochaine catastrophe géologique que déchaîneront un nouveau peintre ou un nouvel écrivain originaux.
J'ai été souvent frappé à travers les descriptions de Charlus, sorte d'histrion extravagant mais extrêmement complexe et riche, du parallèle qu'on peut établir avec le personnage de Vautrin chez Balzac. Outre son homosexualité plus ou moins masquée socialement, il apparaît également comme un initiateur, un miroir pour une fois critique tendu au narrateur et qui le pousse à réagir. Il le met aussi en garde contre les illusions de la vanité et de ce milieu qui attire par ses scintillements trompeurs. Reste à savoir s'il sera plus réceptif et moins arriviste que Rastignac... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 9 Jan 2012 - 13:05 | |
| Un autre exemple chez Proust de la façon dont la réalité décevante par rapport à ce que l'imaginaire a espéré peut redevenir source d'intérêt à partir du moment où on peut l'associer à une oeuvre d'art qui lui apporte une aura nouvelle. De la même façon qu'Odette fascinait enfin Swann lorsqu'il pouvait l'identifier à un tableau de Botticelli: Mais comme Elstir, quand la baie de Balbec, ayant perdu son mystère, était devenue pour moi une partie quelconque, interchangeable avec toute autre, des quantités d'eau salée qu'il y a sur le globe, lui avait tout d'un coup rendu une individualité en me disant que c'était le golfe d'opale de Whistler dans ses harmonies bleu argent, ainsi le nom des Guermantes avait vu mourir sous les coups de Françoise la dernière demeure issue de lui, quand un vieil ami de mon père nous dit un jour en parlant de la duchesse: "Elle a la plus grande situation dans le faubourg Saint-Germain, elle a la première maison du faubourg Saint-Germain".On a le sentiment que la vie ne devient supportable pour Proust qu'à partir du moment où elle est observée au travers du prisme des références artistiques qui la transfigurent. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 9 Jan 2012 - 13:22 | |
| Marko... merci!... Quelle générosité chaque fois dans le partage de ce que tu aimes! | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 9 Jan 2012 - 13:34 | |
| A la lecture de ton commentaire "engagé, impregné " (difficile d'expliquer ce que je ressens, mais je pense que tu comprendras) je mesure combien j'ai manqué de bonnes, voire d'excellentes écritures.
Je tenterai Proust un de ces jours.
merci Marko | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 9 Jan 2012 - 14:00 | |
| ça me fait plaisir d'avoir ces retours car je me dis souvent que nos posts respectifs peuvent difficilement atteindre l'autre parce que cette "imprégnation" dont tu parles n'est pas partagée au moment où nous en parlons. On est dedans alors que l'autre est en dehors et n'a pas forcément envie d'en savoir trop s'il a l'intention de lire l'ouvrage. En plus les réflexions qu'il suscite sont finalement très intimes. Mais malgré tout, outre le fait que ce travail de synthèse est un plaisir personnel, je me dis qu'il peut intéresser à un moment ou à une autre celui ou celle qui aura à son tour découvert l'oeuvre et qu'un dialogue pourra alors s'installer même à distance.
Proust est un écrivain d'une telle force qu'on ne peut que s'immerger complètement ou rester en dehors. Le lire donne le sentiment d'entrer dans son esprit et ce qui s'y passe est extraordinaire. Il est capable de parler en profondeur de n'importe quel sujet, artistique, politique, psychologique, historique... Il y a une subtilité et une profondeur qui masquent à peine une douleur de vivre dans un monde qui semble un mirage. Sa quête artistique est une nécessité vitale pour lui d'autant plus qu'il sait sa vie précaire (une crise d'asthme a failli le tuer dans l'enfance) et les relations amoureuses éphémères et frustrantes. La seule chose de "vraie" et de palpable étant ce sentiment qu'il ressent de la fragilité du lien avec ceux qu'il aime (sa mère, sa grand-mère...). J'ai hâte de savoir comment il boucle son oeuvre dans "Le Temps retrouvé". J'approche!
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| | | odrey Sage de la littérature
Messages : 1958 Inscription le : 27/01/2009 Age : 46
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 9 Jan 2012 - 16:42 | |
| - Marko a écrit:
- ça me fait plaisir d'avoir ces retours car je me dis souvent que nos posts respectifs peuvent difficilement atteindre l'autre parce que cette "imprégnation" dont tu parles n'est pas partagée au moment où nous en parlons. On est dedans alors que l'autre est en dehors et n'a pas forcément envie d'en savoir trop s'il a l'intention de lire l'ouvrage. En plus les réflexions qu'il suscite sont finalement très intimes. Mais malgré tout, outre le fait que ce travail de synthèse est un plaisir personnel, je me dis qu'il peut intéresser à un moment ou à une autre celui ou celle qui aura à son tour découvert l'oeuvre et qu'un dialogue pourra alors s'installer même à distance.
Je lis attentivement tes synthèses que je trouve vraiment intéressantes. Mais n'ayant pas lu les oeuvres dont tu parles, c'est difficile de réagir. Mais tu m'as donné envie de découvrir Proust et Dostoïevski. Des pavés, évidemment. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 9 Jan 2012 - 17:28 | |
| - odrey a écrit:
- Je lis attentivement tes synthèses que je trouve vraiment intéressantes. Mais n'ayant pas lu les oeuvres dont tu parles, c'est difficile de réagir. Mais tu m'as donné envie de découvrir Proust et Dostoïevski. Des pavés, évidemment.
Des pavés qui m'intimidaient avant mais dont je me rends compte qu'ils sont totalement abordables à condition de trouver le temps. Dostoïevski me paraissant même plus facile d'abord a priori par son côté simple et direct (en surface) dans le style même s'il aime les digressions parfois complexes. Il va à l'essentiel et on se concentre sur les personnages et leurs agitations. Proust a une musique plus sinueuse qui demande au départ des efforts de concentration et puis ensuite on prends le rythme et ça coule tout seul. Rejoins nous un de ces jours pour en parler! | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Marcel Proust Mar 17 Jan 2012 - 22:07 | |
| Marko, j'ai pensé à toi à Prague : |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| | | | anagramme Agilité postale
Messages : 909 Inscription le : 29/08/2008
| Sujet: Re: Marcel Proust Mar 17 Jan 2012 - 23:45 | |
| Ah, "Contre Sainte-Beuve", saine lecture :) | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 30 Jan 2012 - 16:07 | |
| Sodome et GomorrheNous n'avons, ce soir encore, guère parlé que d'uranisme; il dit se reprocher cette "indécision" qui l'a fait, pour nourrir la partie hétérosexuelle de son livre, transposer dans "à l'ombre des jeunes filles" tout ce que ses souvenirs homosexuels lui proposaient de gracieux, de tendre et de charmant, de sorte qu'il ne lui reste plus pour "Sodome" que du grotesque et de l'abject. Mais il se montre très affecté lorsque je lui dis qu'il semble avoir voulu stigmatiser l'uranisme; il proteste; et je comprends enfin que ce que nous trouvons ignoble, objet de rire ou de dégoût, ne lui paraît pas, à lui, si repoussant. Lorsque je lui demande s'il ne nous présentera jamais cet Eros sous des espèces jeunes et belles, il me répond que, d'abord, ce qui l'attire ce n'est presque jamais la beauté et qu'il estime qu'elle n'a que peu à voir avec le désir - et que, pour ce qui est de la jeunesse, c'était ce qu'il pouvait le plus aisément transposer (ce qui se prêtait le mieux à une transposition). André Gide, Journal, 1889-1939Voici donc le 4e volume de la Recherche qu'on pourrait croire entièrement consacré au thème de l'homosexualité (masculine et féminine) mais qui se révèle être probablement le plus composite des 7 tomes. Toute la Recherche est une sorte de patchwork où certains thèmes reviennent de manière obsessionnelle tandis que de nouvelles digressions alimentent le cours d'un récit plus chronologique. Dans Sodome et Gomorrhe on alterne passé récent et présent, on retourne dans les salons aristocratiques comme à Balbec par un petit train local, on s'interroge sur le deuil, le sommeil et la mémoire, on s'extasie devant des changements de lumière et des pommiers en fleurs, on disserte sur l'étymologie des noms de lieux et de villes, on ressent les affres de la jalousie et on se manipule les uns les autres... La tonalité est souvent drôle et caustique, parfois grotesque, avant de redevenir plus sombre et désenchantée. Les passages directement consacrés aux "hommes-femmes" et aux "femmes-hommes" (selon la terminologie de Proust) occupent essentiellement la première partie (Sodome et Gomorrhe I) avec la description drôle et un peu grotesque de la parade amoureuse entre Charlus et Jupien comparée à la fécondation des fleurs par un bourdon puis la longue mais passionnante dissertation sur "La race des tantes" et l'avant dernière (fin du chapitre 3) avec la relation passionnelle (mais à sens unique) entre Charlus et Morel. Le saphisme d'Albertine et de ses amies (la soeur de Bloch, Mlle Vinteuil, Andrée...) occupant de courts passages dans le chapitre 2 et le final qui conduit au désir de faire d'Albertine sa prisonnière pour l'empêcher de rejoindre une amie à Trieste. A noter que pratiquement tous les personnages féminins dont le narrateur est amoureux à un moment ou à un autre sont des féminisations de prénoms masculins: Gilbert(e), Albert(ine), André(e)... et qu'en conséquence, comme l'évoque Gide dans la citation ci-dessus, les "jeunes filles en fleurs" peuvent être potentiellement considérées comme des garçons si on transpose la véritable orientation des désirs de Proust. Reste que le narrateur n'est pas seulement Proust et que le récit est d'autant plus complexe, troublant et ambigu que les frontières de l'homosexualité et de l'hétérosexualité sont régulièrement floues. Gide évoquait l'orientation "grotesque et abjecte" de ce portrait de l'homosexualité masculine mais ce qu'on trouve me semble bien plus varié que ça. De la même façon qu'il n'épargne personne dans son oeuvre et qu'il observe les illusions de l'amour sous toutes ses formes avec lucidité et une certaine cruauté douloureuse, il n'allait pas adoucir son regard sur cet autre aspect de la nature humaine. On peut contester en partie certaines descriptions et positions théoriques mais l'ensemble est extrêmement brillant et finement observé. Il y a même une digression illustrative savoureuse sous la forme d'une sorte de nouvelle qui raconte la relation à travers le temps de la passion entre deux hommes. On y retrouve pratiquement les même mécanismes que dans les amours d'Odette et Swann, Saint-Loup et Rachel, le narrateur et Gilberte puis Albertine. A noter le très beau portrait très élaboré du personnage de Morel, militaire et violoniste aimé de Charlus, d'extraction plus modeste et gigolo opportuniste. Le lien entre Charlus et l'univers de Balzac est par ailleurs clairement assumé. On trouve également d'autres morceaux de bravoure comme ce fabuleux passage des Intermittences du coeur que j'ai évoqué plus haut sur le fil et qui raconte l'expérience du deuil d'une façon bouleversante et lumineuse. Une réflexion également formidable sur la mémoire et le sommeil dans le chapitre 1 prolongée dans le chapitre 3 avec une évocation de la théorie de Bergson (influence majeure de cet aspect "temporel" de la recherche). Beaucoup de drôlerie dans les échanges avec le directeur de l'hôtel de Balbec qui utilise souvent un mot à la place d'un autre, avec le liftier, le Docteur Cotard... Le passage sur l'étymologie des noms de ville est amusant mais un peu long malgré tout. Proust semble y attacher beaucoup d'importance. La partie sur la soirée chez la Princesse de Guermantes puis le retour dans les salons des Verdurin à la Raspelière occupent une place très importante dans tout le récit mais toujours avec le même talent descriptif. On ne s'ennuie pas en observant tous ces rituels et en assistant cette fois au délitement de certaines relations dont la vanité est une des causes premières. Le narrateur s'y montrant avec honnêteté un jaloux pathologique comme ses prédécesseurs et reconnaissant en même temps être à son tour devenu un peu snob mais toujours dreyfusard (contrairement à Saint-Loup). Le piège se referme sur Albertine et la voici devenir "La prisonnière" à la fin du roman. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 30 Jan 2012 - 20:09 | |
| - Onuphrius a écrit:
- J'ai lu Sodome et Gomorrhe il y a un mois, et la magie continue son œuvre. Comme vous le dites, c'est un pur délice, notamment grâce à cette atmosphère aérienne que je n'ai trouvée nulle part ailleurs. Analyse des sentiments, du temps, de la mémoire, de la société, du "monde"... tout acquiert une grande finesse sous la plume de Proust. On sent en lisant ce tome IV qu'il constitue une vraie charnière : Charlus a vieilli et le narrateur prend conscience de l'homosexualité de Mémé, le désir de possession d'Albertine devient presque une névrose à la fin... C'est toujours un bonheur d'ouvrir un livre de Proust, au moins pour la langue, dont on sent qu'elle est de plus en plus maîtrisée par Proust.
Il dit que la jalousie est une maladie de l'âme mais "intermittente". Tout est d'ailleurs intermittent dans les émotions humaines et les relations sociales ou affectives telles qu'il les dépeint. Si le rapport de Proust au monde apparaît névrotique c'est dans le sens d'un mécanisme adaptatif particulièrement évolué et complexe face aux exigences du réel. Il est génialement et lucidement névrosé dans un monde qui se délite et se métamorphose en permanence face à lui. Il tente juste d'en suspendre le mouvement à travers l'art. Ce roman gigantesque est sublime. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Marcel Proust Sam 18 Fév 2012 - 0:32 | |
| Le fil est déjà bien nourri des commentaires des uns ou des autres...Il y a quelques temps, j'avais lu Du côté de chez Swann mais je ne pense avoir donné mon sentiment.
Je viens de lire A l'ombre des jeunes filles en fleurs alors je viens apporter mon ressenti.
Proust est un ensorceleur… Il nous saisit au début de chacune de ses phrases, et nous tient en haleine, il nous place dans une aspiration à en parvenir à la fin. Or on sait qu’elles sont très longues. Aussi lit-on trop vite et a-t-on immédiatement envie de revenir au début de la phrase pour la relire, immédiatement, mais lentement, pour en savourer toutes les subtilités linguistiques, et toute l’élégance avec laquelle il évoque les moindres détails, les moindres observations sur le décor ou sur la société, les analyses si justes de la psychologie humaine et des émotions, le nuancier des sentiments aux variations infinies…
C’est un écrivain qui exige beaucoup de son lecteur…Et lorsque ce dernier est « charmé » (ce qui est mon cas maintenant, alors que pendant bien longtemps ses écrits me tombaient des mains), « charmé » dans le sens « séduit, ensorcelé », il accepte, dans un bonheur total, de se soumettre à cette exigence, et de lire non pas une seule fois, mais deux fois, dans le même temps, les 500 pages où pourtant il ne se passe pas grand-chose, en actions je veux dire…Le récit fait la part la plus belle à l’observation, à l’imagination et les émotions du personnage. C'est époustouflant.
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| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 20 Fév 2012 - 14:24 | |
| - coline a écrit:
- C’est un écrivain qui exige beaucoup de son lecteur…Et lorsque ce dernier est « charmé » (ce qui est mon cas maintenant, alors que pendant bien longtemps ses écrits me tombaient des mains), « charmé » dans le sens « séduit, ensorcelé », il accepte, dans un bonheur total, de se soumettre à cette exigence, et de lire non pas une seule fois, mais deux fois, dans le même temps, les 500 pages où pourtant il ne se passe pas grand-chose, en actions je veux dire…Le récit fait la part la plus belle à l’observation, à l’imagination et les émotions du personnage.
C'est époustouflant. Il faut aussi rappeler que Proust ne raconte rien d'hermétique ou de très complexe à comprendre. Tout est accessible et limpide mais il le fait avec une subtilité, une précision et une richesse tout à fait exceptionnelles. Quelque soit le sujet qu'il développe (l'amour, la jalousie, les rituels mondains, l'art, la mémoire, le temps, le deuil...) il prend le temps de l'observer et de l'analyser en profondeur, autant en poète qu'en philosophe ou en psychologue, pour restituer peu à peu l'expérience mentale et sensorielle d'une vie. Chaque volume de la Recherche pouvant effectivement se dérouler sur un laps de temps très bref (notamment La Prisonnière) et raconter seulement quelques péripéties mais c'est tout un monde qui s'ouvre à chaque fois. Virginia Woolf a fait la même chose un peu plus tard en concentrant l'expérience d'une vie à travers une journée dans Mrs Dalloway. Elle lui doit beaucoup. | |
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