Les Bateaux négriers
Je me suis un peu demandé au début de quoi voulait nous parler Hansen tant je trouvais déconstruit, voire folâtre les premières pages de ce document… et puis j'ai compris qu'en réalité Les bateaux négriers étaient le second tome d'une trilogie commencée avec La côte des esclaves(qui explique sans doute comment les négriers se procuraient leurs nègres) ; le second donc Les bateaux négriers (ou comment les transporter jusqu'aux Antilles) pour finir par Les îles des esclaves (décrivant l'arrivée aux Antilles).
Le début de ce document reprend donc quelques éléments et quelques personnages déjà croisés dans le tome précédent, d'où un certain flottement apparent. Mais dès que Hansen embarque lui-même sur un navire qui fait la traversée de Copenhague à Saint-Thomas (appartenant aux îles Vierges et où des Danois possédèrent des colonies), le récit commence à trouver son rythme et le lecteur ses marques (au fer rouge pour les esclaves, sur le devant de la cuisse ou ailleurs quand il s'agit d'esclaves transportés à titre privé par le médecin de bord, le pasteur ou bien le capitaine désireux de gagner quelques rixdales supplémentaires).
Le début de ce récit (qu'il faut considérer comme un document) raconte les allers et retours des bateaux négriers le long de la côte africaine pour charger un maximum d'esclaves (car il y a des époques de pénuries et les bateaux doivent caboter parfois six mois durant le long de la côte avant d'avoir un chargement substantiel).
Puis de chapitre en chapitre nous allons suivre quelques figures qui participèrent au commerce triangulaire : un mousse qui devint capitaine, un capitaine qui fit fortune grâce au commerce triangulaire mais qui perdit la vie lors de sa cinquième traversée, des histoires de révolte d'esclaves au moment de quitter les côtes africaines, le journal de bord d'un médecin qui vécu l'une des pires traversées en cumulant un nombre impressionnant de maladies, épidémies et crises de folies, le tout s'achevant par l'arrivée aux Antilles et la vente aux enchères des esclaves.
Finalement, une fois refermé ce livre, le lecteur n'aura pas forcément l'impression d'avoir appris d'importantes choses sur le commerce des esclaves ; mais il aura sous les yeux un document qui lui offre un panorama simple, circonstancié, détaillé de la manière dont les choses se passaient à l'époque. Et ce document, par son unique réalité physique, par les simples preuves qu'il met bout à bout, qu'il enchaîne les unes aux autres pour expliquer ce que fut (globalement) le commerce triangulaire est un cri, est une claque, est une sale affaire, une sorte de plaie dont on aimerait bien ne pas connaitre les souffrances .
Le livre de Hansen est à lire parce qu'il raconte de manière à la fois conventionnelle (documentée) les réalités d'un temps terrible mais aussi parce qu'il n'hésite pas à interroger cet héritage et la cécité qui entoure encore la réalité historique du commerce d'hommes par des hommes sous prétexte que leurs couleurs de peau, leur soi-disant absence de culture ou d'art les excluaient de la caste des hommes 'modernes', donc civilisés.
Je ressors de ce livre en éprouvant bien sûr un profond malaise car ce qui est dit n'est pas facile à lire, à ressentir mais en même temps je pense que ce livre est une très bonne manière d'entrer dans l'univers des esclavagistes. En tout cas, il me donne envie de poursuivre mes lectures dans ce domaine, sombre, puant, sale et encore brutalement obscur.