Michèle Lesbre

Voici ce que j'écrivais sur "La petite trotteuse", curieux et joli roman français:


"Je ne connaissais pas du tout Michèle Lesbre, auteur de 9 romans en 15 ans pourtant. Et c’est une découverte étonnante que cet auteur, qui nous ballade dans un décor assez limité : le petit hôtel, une plage et une villa à visiter.
Et c’est sur ces lieux, avec quelques autres personnages, que Anne, la narratrice, retrouve des bribes de son enfance, marquée par l’absence omniprésente du père, un père qu’elle redécouvre moins idéal qu’on voudrait que soient les papas…
C’est un roman magnifique, qui sonde au cœur de l’intime, mais d’une façon tendre, propre, sans pathos, sans voyeurisme, sans déballage, à l’aide de phrases fines qui sont autant de petites touches dans le portrait de cette femme fatiguée, que les éléments et les autres inspirent délicatement.

C’est un beau et grand roman, qu’il faut lire. Mieux : relire

Je ferai dès que possible un commentaire du charmant Boléro que m'a offert Aériale, dédicacé par Michèle Lesbre...
J'aime bien la petite musique nostalgique de Michelle Lesbre...Je me sens proche d'elle, de son univers...

coline a écrit:

Je ferai dès que possible un commentaire du charmant Boléro que m'a offert Aériale, dédicacé par Michèle Lesbre...
J'aime bien la petite musique nostalgique de Michelle Lesbre...Je me sens proche d'elle, de son univers...

Chose promise...

BOLERO
Boléro fut publié en 2003.

Emma est plutôt solitaire et sans cesse en recherche d’emploi. Lorsque commence le récit, elle s’apprête toutefois à se rendre sans enthousiasme à un entretien professionnel.
Ouvrant sa boîte aux lettres au passage, elle y découvre une lettre qui va d’un seul coup faire remonter ses souvenirs d’adolescence. Le courrier lui arrive de la Loire où elle a passé deux étés inoubliables, trente ans auparavant ...

« Le cachet de la poste était à peine lisible et j’ai cru deviner « Loire ». Persuadée d’avoir mal lu, j’ai vérifié sous la lumière du plafonnier, et je ne m’étais pas trompée.
Soudain, j’étais transportée ailleurs, dans un autre temps, et j’avais l’impression que quelqu’un m’appelait. J’entendais parfaitement la voix, toujours un peu rauque. Elle provenait du chemin de terre et je courais derrière la haie. Je ne risquais pas de voir les champs onduler jusqu’au bois de chêne, mais j’étais bel et bien plantée au milieu. J’apercevais la brume au-dessus de l’étang, j’entendais le vol bas des ramiers, une odeur de terre humide, d’herbe chaude et de vase envahissait le hall. »

Années soixante : le récit évoque la fin de la Guerre d’Algérie…

Les parents d’Emma étaient partis en voyage aux Seychelles, la confiant à une de leurs amies, Gisèle. Ancienne ouvreuse de cinéma parisienne, passionnée par le septième Art, , Gisèle emmène Emma au Cinéma à la campagne, au cinéma Trianon. Et Emma découvre, à travers les classiques d’Hollywood, Gary Cooper, Claudette Colbert, Rita Hayworth, Marilyn…

Emma sort alors de l’enfance et son cœur balance entre Fred et Paul (on pense à Jules et Jim).
C’est le temps heureux ...

« Mes deux amours. Et puis Gisèle, Gisèle que notre pas alerte abandonnait et qui parfois demandais grâce. J’étais alors éperdue de bonheur, un bonheur trop grand. »

« Je les voyais côte à côte, lisant près de Gisèle sous le tilleul. A quelques mètres, j’étais vautrée dans la tiédeur embaumée de la valériane, de l’armoise, du millepertuis, de l’estragon, de la civette et de l’oseille que Gisèle semait à tous vents et qui poussaient n’importe où. De loin, ils m’étaient tout à coup merveilleusement étrangers et cependant accessibles. Eux aussi m’observaient et j’aurais tellement voulu savoir comment ils me voyaient, qui j’étais dans leurs regards, moi qui me sentais dans cet âge flou et inconfortable, cette impatience de quelque chose de défini. »

Le temps heureux des premières amours… juste avant le drame…

La musique entêtante du Boléro de Ravel revient sur chaque souvenir de ces deux étés. Le Boléro, comme "une petite douleur familière, insidieuse et têtue".


« Le Boléro dure seulement quelques minutes mais pour Emma ce sera toute la vie » c’est ce qu’a écrit Michèle Lesbre dans la dédicace personnelle de ce roman que tu m’as offert Aériale …
Tu ne pouvais pas savoir, lorsque tu as choisi ce livre pour moi mais…lis la suite…c’est assez incroyable…) ...
Je crois vraiment qu’il n’y a pas de hasard…
Ces vacances d’Emma dans la Loire, elles ont lieu près de Feurs, elle le dit dans le récit… Feurs ! C’est ma ville natale ! Celle où j’ai passé heureuse mon enfance et mon adolescence !… (Non, Aériale, tu ne pouvais pas savoir…)

Par ailleurs, vous savez que je suis très sensible aussi à ce qu’écrit Jeanne Benameur. Or je suis justement tombée sur un article où Jeanne Benameur écrivait ces mots à propos de Michèle Lesbre : « Michèle Lesbre, douceur aiguisée, jamais à l'abri de la douleur ni de la colère soudain lancée et tenue jusqu'à la garde ».

Comme je l'ai déjà dit, j’aime beaucoup l’écriture subtile et poétique de Michèle Lesbre. Son univers baigné de mélancolie qui m’est proche…

Déjà avec Le canapé rouge…
Et maintenant, je n’ai qu’une envie : lire très vite La petite trotteuse…

coline a écrit:

Chose promise...

BOLERO

Merci pour tes mots Coline - depuis la Rentrée il n'y avait pas moyen d'éviter le nom de Michèle Lesbre (positive cette fois, je trouve - souvent les noms médiatisés ne valent pas trop le coup ) et de tous ses livres je m'avais mis BOLERO comme priorité.. cela ne va donc pas tarder

kenavo a écrit:

coline a écrit:

Chose promise...

BOLERO

Merci pour tes mots Coline - depuis la Rentrée il n'y avait pas moyen d'éviter le nom de Michèle Lesbre (positive cette fois, je trouve - souvent les noms médiatisés ne valent pas trop le coup ) et de tous ses livres je m'avais mis BOLERO comme priorité.. cela ne va donc pas tarder

Michèle Lesbre...c'est...une atmosphère...où je me sens bien...
J'espère que tu t'y plairas aussi Kenavo...Il me semble que oui...d'après ce que j'ai pu percevoir de toi...

Boléro

Ce livre se révèle du début: le titre et une citation d’entrée : De mon enfance, il ne me restait rien d’autre que l’été. Cesare Pavese
Avec ces deux indices on a le contenu et le tempo de ‘Boléro’ de Michèle Lesbre.
Elle nous parle d’une jeunesse, de l'amitié d’une jeune femme et deux hommes, et on n’a pas besoin de se poser des questions – elle nous parle tout de suite de Jules et Jim, il y a d’autres séances cinéma, Gary Cooper et Marilyn Monroe, surtout du noir et blanc, des étés qui « savent gaspiller le temps »….
Environs à la page 30 j’ai eu le mot staccato dans ma tête.. son écriture me rappelait un rythme et quand j’ai recherché la description, je trouvait que cela convenait comme un gant :
Le staccato ou « piqué » — c'est-à-dire, le phrasé en notes détachées — désigne un type de phrasé dans lequel les notes des motifs et des phrases musicales doivent être exécutées avec des suspensions entre elles. C'est une technique instrumentale s'opposant au legato (source Wikipedia)

On a donc ce rythme qui se tient tout à fait au thème de son titre – le Boléro qui nous livre un à un les différents instruments d’un orchestre – Michèle Lesbre nous révèle les réalités de sa protagoniste d’un été à l’autre – bien qu’on sait du début qu’après le grand final c’est la maturité, la réalité, la vie d’une adulte qui attent…

Concernant son écriture j’ai dû penser à des plumes.. si fine, si légère.. et puisqu’elle fait à deux fois une allusion : « Il faut toujours marcher d’un pas léger sur la terre, l’effleurer à peine », j’avais l’idée qu’en soufflant, les lettres sur les pages du livre allaient s’envoler. Mais cette légèreté s’impose néanmoins avec une intensité dans la tête/le cœur du lecteur – on ne peut faire autre chose que de tomber amoureux avec ce livre…

kenavo a écrit:

Boléro

Concernant son écriture j’ai dû penser à des plumes.. si fine, si légère.. et puisqu’elle fait à deux fois une allusion : « Il faut toujours marcher d’un pas léger sur la terre, l’effleurer à peine », j’avais l’idée qu’en soufflant, les lettres sur les pages du livre allaient s’envoler. Mais cette légèreté s’impose néanmoins avec une intensité dans la tête/le cœur du lecteur –

Je ne recommencerai pas un commentaire de Boléro (j'ai tout dit )...Je souligne ces lignes qui me semblent si justes...
La petite trotteuse m'attend dans ma PAL...

La Petite Trotteuse

Le roman La petite trotteuse est né d’une expérience personnelle de l’auteur : la découverte de la montre de son père disparu.
« J’ai toujours dit que paradoxalement la fiction était la façon la plus forte d’être au plus près de moi. C’est aussi quelque chose qui me permet de trouver mon lien avec le monde, avec les autres. Et puis raconter ma vie, ça ne m’intéresse pas trop, j’aurais vraiment l’impression de la paraphraser… A l’inverse, la fiction me permet d’exprimer les choses que je ne pourrais sans doute pas exprimer si je me contentais de raconter ma vie sur un mode autobiographique. D’où ce curieux sentiment d’être au plus près de soi dans les romans, et tout particulièrement dans celui-ci. » (Michèle Lesbre)

Dans le roman, Anne, l’héroïne, lors du déménagement de sa mère, a trouvé une boîte contenant quelques objets personnels de son père décédé. Parmi eux la montre :
"D’un geste machinal, j’avais mis la montre en marche. Le tic-tac avait surgi avec une violence inattendue. J’avais cru ne pas survivre à ce bruit presque imperceptible, cette course inexorable de la petite trotteuse qui me donnait le vertige. Trente ans après sa mort, mon père me quittait de nouveau. La douleur était entrée en moi d’un seul coup."

Après cette découverte, c’est comme si elle- se mettait elle-même en mouvement perpétuel, dans une quête dont elle ne sait pas d’emblée où elle va la mener. Ce qui guide sa marche, c’est la visite de maisons, trente maisons…Toutes à vendre, toutes désertées par leurs occupants…Trente maisons dont elle sait presque d’avance qu’elle ne les achètera pas…Alors pourquoi ?

"L'esprit des murs ressemble parfois à un miroir imaginaire où vacille le reflet éteint du passé".

« Toutes les maisons visitées, dans lesquelles je parvenais à maîtriser ce long travail d'exploration que je refusais de faire dans le cabinet d'un psychiatre, m'aidaient d'une étrange façon. Je trouvais un réconfort à errer dans leurs murs encore habités malgré leur apparent abandon..."

Lorsque le récit débute, elle arrive pour visiter la trentième. Une maison en bord de plage. Elle s’installe pour quelques jours dans une auberge presque vide, tenue par une mère et sa fille. Seulement occupée par un autre client, Pasquier, l’homme qui bâtit des projets de théâtre éphémère et laisse toujours la porte de sa chambre ouverte…Avec lui, elle ira visiter la trentième maison, la dernière…
Elle obtient de l’agent immobilier l’autorisation exceptionnelle de passer seule plusieurs heures dans la maison.

Et alors qu’elle arrive au bout de son improbable quête, les souvenirs se précipitent et l’assaillent les images de son enfance. Celles de la guerre…Celles des vacances familiales en bord de mer, ratées…Celles de la mère, froide et distante avec son mari et sa fille…Et surtout celles du père aimé par-dessus tout, le «vagabond de ses cauchemars », l’homme «au pas lourd de chagrin». Les larmes et le sang du père, sa tristesse, et ce mot maladroit « youpin » qu’il prononce un jour :
« Il ne savait pas qu’il mourrait trop tôt pour avoir le temps de s’en repentir, qu’il me laisserait seule avec ces mots assassins. »

A la fois simple et poétique parfois, toujours ponctuée de références culturelles diverses (et que je ne perçois pas du tout comme ostentatoires), le style de Michèle Lesbre, nous avons déjà pu le dire, est d’une grande finesse.
Avec La petite trotteuse, elle offre de façon romancée et sensible une réflexion sur l’identité et sur la mémoire.
Une fois de plus je suis charmée par la beauté mélancolique de ce roman où elle emprunte à ses souvenirs mais s’éloigne, malgré l’emploi du JE, très loin de l’autofiction.

Il m’apparaît bien étrange ce sentiment de proximité que je ressens avec cette auteure…
Dans Le canapé rouge, elle fait référence à plusieurs auteurs que j’aime infiniment…
Dans Boléro, elle va jusqu’à évoquer les lieux de mon enfance…
Dans La petite trotteuse, l’héroïne (inspirée d’elle-même) a eu comme moi un père qui dessinait des maisons… Elle visite sans cesse des maisons…comme je l’ai toujours fait …L’auteure nous ramène soudain à Paul Gadenne, un autre auteur de mon panthéon littéraire…Et pour finir, ce roman est sans cesse ponctué de références au théâtre.
Tout ce qu’écrit Michèle Lesbre me parle profondément…

Merci Coline, tu me donnes envie de découvrir encore d'autres livres de Michèle Lesbre.. d'ailleurs je reviens de ma librairie avec Un certain Felloni.. je reparlerai après lecture

kenavo a écrit:

Merci Coline, tu me donnes envie de découvrir encore d'autres livres de Michèle Lesbre.. d'ailleurs je reviens de ma librairie avec Un certain Felloni.. je reparlerai après lecture

Je crois que je vais faire comme pour Duras et Mauvignier...je vais tous les lire...

Un certain Felloni

Citation :

Présentation de l'éditeur
Un certain Felloni. Ferrare, 1943. Alors qu'il se rend à bicyclette à son poste de travail, Felloni est pris dans une embuscade fasciste. Sans rien comprendre à ce qui lui arrive, le jeune homme se retrouve peu après couché dans la neige, blessé, parmi d'autres agonisants. Dans ce temps suspendu qui s'ouvre entre la vie et la mort, les souvenirs affluent : la tendresse de sa mère, le gâteau aux châtaignes, l'odeur du tabac de son père, la pêche aux anguilles dans le delta, mais aussi ses frayeurs d'enfant face aux exactions fascistes, aux chants de propagande, au désespoir des adultes. Plane aussi le doux visage de Sandra, de son amour qui lui faisait oublier la guerre. Michèle Lesbre, en s'emparant du personnage de Felloni, apparu fugitivement dans une nouvelle de Giorgio Bassani, Une nuit de 1943, écrit un texte intense et poétique sur le chaos de la guerre, sur l'absurdité de cette mort et sur ces vies ordinaires que l'histoire jette dans les ténèbres. Comme en écho à ses visions, les dessins de Gianni Burattoni déclinent les gammes du gris, donnant corps aux brumes angoissantes du delta du Po, à la violence et à la mort, avec un trait d'une subtile beauté.

Dans son postface, Michèle Lesbre dit :

Citation :

Quand l’histoire se regarde à travers la fiction, elle nous interroge jusque dans l’intimité de nos vies.

Et c’est ce qui se produit dans ce livre. Michèle Lesbre a fait lors d’un séjour à Ferrare des recherches et en se plongeant dans les livres de Georges Bassani - elle ressort avec l’histoire de Felloni qui s’inspire d’un fait réel.
La voix de cette personne, qu’elle appelle dans son roman Felloni, nous vient pour la première fois de son corps qui est enfoui dans la neige – comme il ne le réalisait pas – mais il vient d’être abattu par des hommes sympathisant avec le Duce, parmi eux même quelqu’un avec lequel il est allé à l’école.
Sa voix nous montre les moments de sa naissance, ses parents, son enfance près de sa mère qu’il adorait. Des jours sereins et pleins de tendresse..
Un bonheur parfait – si cette voix ne nous rappelait pas de temps en temps que son corps est allongé dans la neige, qu’il veut se relever mais ne parvient pas, qu’il veut appeler à l’aide mais aucun son ne sort de sa bouche.. et il pense à sa bicyclette avec laquelle il était en train de se rendre à son travail.. il ne voulait qu’aller travailler ce matin et se trouvait au mauvais moment au mauvais endroit.
La voix de Felloni est l’écriture de Michèle Lesbre.. sans grands gestes, sans images effrayantes – elle est capable de nous montrer la cruauté d’une guerre à côté des scènes du front.
Il y a beaucoup de 'Felloni' pendant toutes les guerres et Michèle Lesbre a donné une voix à ces victimes ‘aléatoires’

Inutile de le dire mais...j'ouvre mon petit carnet pour noter ce titre dans ma LAL...

Le Canapé Rouge
Beaucoup d'entre vous ont lu ce roman, donc il ne faut plus beaucoup en dire.
Je me retrouve moi même assez positive après cette lecture - mais c'est le 3ème livre que je vient de lire d'elle - je crois qu'il est évident que j'aime bien sa façon d'écrire (et je vais encore continuer..)

Moi j'aime bien si un auteur m'évoque d'autres auteurs/livres - avec le thème de 'Russie' j'avais les romans d'Andreï Makine devant les yeux - et sa façon de me décrire ce pays me plait énormément.
Michèle Lesbre est donc arrivé avec ses images dans un pays 'connu' chez moi.

Concernant les citations et références - je suis aussi un peu distraite quand je n'y peux rien associer - mais surtout dans ce livre je trouve qu'elle aurait pu se donner un peu plus de place pour élaborer certaines idées (ou se concentrer à moins de chemins dans son roman)

En tout cas pour moi ce roman est un autre argument pour continuer la lecture de Michèle Lesbre.

Un certain Felloni est passé de ma LAL à ma PAL...

coline a écrit:

Un certain Felloni est passé de ma LAL à ma PAL...

et tu vas pas le regreter (des 3 que j'ai lu ces derniers temps c'est celui qui me "hante" encore le plus.. )