L'Île (2006) :
Chose promise, chose due.
L'Île est le premier recueil de
Stéphane D'Amour. Il est parti d'un projet recouvert sous le signe de plusieurs flâneries réalisées à Montréal pour confectionner son premier recueil. Dans l'ensemble, son projet est assez sobre. Il démarre pourtant en force.
Nous pouvons lire au deuxième poème :
- Stéphane D'Amour, L'Île, 2006, Montréal : Les Herbes rouges, p. 10. a écrit:
- «Villeray»
C'est au fond un quartier au coeur
de l'île
entre nord et
sud entre est
et ouest où
la ville soulève
un symbole de largeur
de continent à hauteur d'étage
pour le passage de la fureur
mondiale de la liberté de la roue
au nord
entre les arbres
au bout suspendu
des rues.
Métropolitain qui fixe
la rose des vents détraquée de Montréal
porte l'horizon
qu'il découd.
Quelques élans avant une série poétique dédiée à Griffintown et à l'hommage qu'il rend à un photographe sourd, nous pouvons lire «Porte cochère» qui est un motif esquissé dans «Griffintown», p. 24-28.
- Ibid., p. 22. a écrit:
- «Porte cochère»
J'entre dans la porte sans porte
à l'envers de la rue sous mes souliers
l'herbe éparse au sortir du passage boisé
de la grande mortaise solitaire
salué par une femme sur un balcon de
chaleur au-dessus de ma tête
mon corps au terme du regard
au fond de nous
comme tenon par le lien de l'espace.
Plus tard, nous pouvons lire «Éléments de la beauté à Westmount Square» qu'il dédie :
- Ibid., p. 40. a écrit:
- «Éléments de la beauté à Westmount Square»
pour Eric B. Litwack
C'est le soir
il fait noir
autour des habitations
montées sur l'assise
de lumière travertine
des tours. La brise de la montagne
n'a plus le sens du partage
des feuilles et gonfle
quelques rideaux par les carrés
de vitre inclinés.
Des grands barrages du Nord
une trame de solitude
s'éclaire belle imparfaite
sur les façades de verre
vie éparse du soir écrite
dans le second souffle
parmi tables chaises
lampes canapés.
Une silhouette se tient
dans le monde
avance dans son intérieur
jusqu'à la feuille transparente
du regard qu'accueille
l'esplanade.
Stéphane D'Amour est dédié à faire une oeuvre de mémoire. Il s'inspire du squat de la rue Overdale dans l'ancienne résidence de
Louis-Hippolyte Lafontaine qui est délabrée (p.36-37). Il revient aussi sur le verglas qui avait tombé sur la région de Montréal en 1998. Je reviens sur ce dernier poème :
- Ibid., p. 57. a écrit:
- «Verglas»
L'hiver
quand la ville
ne tenait plus qu'à un
fil dans sa gangue de glace
les fenêtres noires
du silence
de la baie James
les hauts trottoirs de neige
et leur serpent glacé
de piétinements
la proximité soudaine des arbres
chargés de terribles
beautés
l'hiver
quand le radeau
de branches cassées
a coulé tranquillement
dans le sommeil de l'eau
au fond de la ruelle.
De façon assez concrète, il décrit le parc Molson dans Rosemont devant lequel je passe assez souvent tant à pied qu'en autobus...
- Ibid., p. 62. a écrit:
- «Parc Molson»
La neige
avec nous
au fond du
sas du loup
l'heure mauve
sous les érables
face aux façades
la lente musique
des fenêtres du soir
les échelles courbes
montant aux nacelles
de la disparition intime
le coup de lame
sur la glace de l'allée
jusqu'au repos
de l'octogone en son cercle
ne sont pas rêveries
mais somme urbaine
sous les étages du songe.
Étrangement, je ne sais pas trop comment ce poème m'a marqué. Et ce n'est pas en raison de mon statut de père... :)
- Ibid., p. 73. a écrit:
- «Enfant»
Ton visage est
beau c'est le plus beau
ton visage
débonde en étoiles
le fleuve jeune
de ton passé
qui ouvre dans mes terres lointaines
des rives de salicaires
alors qu'encore plus loin déjà
comme au-delà du soc
j'entends la trompette
souriante de tes pommettes
prendre juste au-dessus
la couleur fluviale de son
chant.
Ici, je suspecte
Marie-Hélène Sarrasin d'avoir puisé de l'intertexte pour donner des résonances à son oeuvre.
- Ibid., p. 84. a écrit:
- «Marie-Hélène»
La main
à l'éclipse de la nuque
au long de la corde à linge
au dernier étage de la crique
passant sur les voiles de reflets
elle passe dans le filet rouge
au seuil de chemins
d'un royaume de confinement
elle-même partage de l'espace
dans la remontée du corridor
dans les ondes craquantes
comme une eau debout dans le jour
au-delà des tuyaux
la sonnette des altitudes
reprend l'appel de la rue
du mouvement dans l'approbation des voisins
vers le dehors
s'allonge à l'intérieur
elle ouvre la porte sur les hautes cimes
comme un rituel au-dessus
de l'air où disparaît
dans le tournant de l'escalier
le facteur.
Comme
Stéphane D'Amour a écrit sur le quartier d'Hochelaga, il ne faut se surprendre qu'un tel poème y trouve sa place pour annoncer les prémices d'un recueil qui s'achève :
- Ibid., p. 90. a écrit:
- «Le retour»
Remarque déplacée
d'une putain
enceinte dans la cour
aux clous rouillés
de la clôture les enfants
ont empalé des télétobies
boueux c'est plutôt
brun de ton
dans la cour
exception de la carcasse
lente de la Nova près du hangar
de l'usure du temps
que les ménagères
affichent sans merci sur
les cordes à linge entre
deux soap operas.
Plus je relis le recueil, plus j'y remarque des perles. Je vous ai cité quelques poèmes. Ils prennent part à une esthétique que je veux bien vous dévoiler, mais il y a de nombreux autres extraits qui témoignent de la maturité de la plume de
Stéphane D'Amour. Cette plume est résolument littéraire et elle appartient à l'écurie des Herbes rouges. Je m'imagine mal voir ce dernier publier ailleurs.