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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Sujet: Re: Herman Melville Mar 26 Fév 2013 - 17:55
Kannskia, les éditeurs se débrouillent souvent pour faire du charcutage à leur avantage, quand il s' agit de nouvelles en Poche : 2 nouvelles par çi, 3 nouvelles par là... Le Livre de Poche, par exemple, vend des éditions à 2 Euros. C' est pas mal si tu veux connaitre un auteur, mais frustrant si tu ignores que ces nouvelles sont extraites de recueils plus copieux....et pas vraiment plus chers...
Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
Sujet: Re: Herman Melville Lun 29 Avr 2013 - 15:31
Citation :
Wikipédia : Les baleiniers transformaient en plein océan leur proie en produit fini, prêt à la vente. La baleine morte était pelée comme une orange à l'aide d'un crochet planté dans l'animal et relié au mât principal, celui-ci permettant de la faire rouler sur elle-même et de dérouler l'épaisse couche de graisse de 15 cm d'épaisseur qui l'enveloppait. Les couvertures de graisse étaient ensuite brûlées dans les fours du navire pour en extraire l'huile. Le feu était alimenté par la chair grillée de la baleine, ainsi le cétacé brûlait sur un bûcher alimenté par son propre corps.
Brrrrr...
Trouvé par hasard en audio, je me suis dit "pourquoi pas". Il s'agissait d'une version jouée par des acteurs, avec bruitage pour une immersion totale dans le récit. Par conséquent, il y a des coupes dans le récit, notamment les pages de documentation qui sont rébarbatives pour pas mal d'entre vous. Mais après coup, je regrette presque de ne pas avoir eu droit à ces longues descriptions sur les baleines et les baleiniers. Je ressens comme une soif de tout savoir sur les baleines, sur cette baleine... J'ai vraisemblablement été contaminée par l'obsession d'Achab.
Je relirai Moby Dick en version papier.
On trouve de belles illustrations sur Google :
Et allez, juste pour la blague et parce que ça me fait doucement rigolé, attachez vos ceintures :
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Herman Melville Lun 29 Avr 2013 - 15:48
Aïe ! aïe ! aïe ! je viens de visionner la vidéo, et j'en reste coite devant tant de médiocrité. A l'occasion, regarde plutôt le film réalisé par John Huston, adapté de Moby-Dick par Ray bradbury, Kannskia.
Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
Sujet: Re: Herman Melville Lun 29 Avr 2013 - 16:04
Constance a écrit:
Aïe ! aïe ! aïe ! je viens de visionner la vidéo, et j'en reste coite devant tant de médiocrité. A l'occasion, regarde plutôt le film réalisé par John Huston, adapté de Moby-Dick par Ray bradbury, Kannskia.
Ah non mais j'avais pas l'intention de visionner cette horreur
jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
Sujet: Re: Herman Melville Dim 29 Sep 2013 - 11:05
Je viens de conclure Bartleby le scribe. C'était le bon moment pour le lire, il faut croire. La nouvelle fait presque 60 pages dans mon exemplaire (p. 37-96), Gallimard - L'imaginaire. J'ai eu l'occasion de lire Moby Dick dans un cours portant sur la littérature états-unienne il y a déjà plusieurs sessions. Je préfère Bartleby puisque nous touchons ici à quelque chose d'essentiel dans la brièveté. Ceci dit, je ne cherche pas à vous dissuader de lire Moby Dick : c'est un peu le «Graal» de toute quête littéraire.
Dans Bartleby, que plusieurs ont déjà commenté ici, je retiens ici la dimension du refus de ce même scribe. Ne dédaignant pas l'ouvrage en temps normal et de sa propre initiative, il décline lorsqu'on veut l'y obliger. Il ne fait pas de cérémonies pour décliner son «Je préférais pas». Il suscite une telle commotion autour de lui qu'il perturbe le fonctionnement du cabinet. Son supérieur, au départ bien disposé envers lui, est bientôt contraint à prendre les grands moyens. Rien n'y fit : Bartleby persiste et s'entête à rester dans l'immeuble.
Jusqu'à la fin, Bartleby reste placide et sans fard : nous aurons beau l'interner et l'enfermer en prison, il reste dans un état de contemplation permanente. Il se réfugie dans le refus de rédiger de la copie, défiant toute logique. Quelques métaphores plus tard, nous constatons sa mort déjà annoncée. Le mystère demeure pourtant. C'est dans cette mesure qu'Herman Melville réalise l'une de ses plus grandes nouvelles.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Herman Melville Lun 14 Avr 2014 - 16:16
Moby Dick est sûrement dans mon top cinq des romans les plus prodigieux qu'il m'a jamais été donné de lire. Et depuis belle lurette, indéboulonnable, en somme.
Queenie a écrit:
En plein dans Moby Dick. Des passages extra avec des marins aux caractères trempés, des descriptions de mer et de luttes contre la baleine vraiment palpitants.
Mais alors... les longues explications sur les différentes baleines, les méthodes de chasses, les digressions sur d'autres histoires autour de Moby Dick... J'avoue, ça me lasse, ça m'ennuie.
Je veux juste Achab, Ismaël et Queequeg moi !
Oui, mais...
Sans doute un lecteur (toi, moi, tous les autres) doi(ven)t en passer par là quand on lit du Melville. Je vais m'expliquer plus avant sur ce point dans les deux bouquins à prétexte desquels je m'apprête à malencontreusement barbouiller ce fil ce jour ou ces jours-ci .
Snark a écrit:
Moby Dick
Spoiler:
Achab : Comment le prisonnier pourrait-il s’évader… sans percer la muraille? Pour moi, cette Baleine Blanche est cette muraille, tout près de moi. Parfois je crois qu’au-delà il n’y a rien.
Résumé ce chef-d’oeuvre de la littérature américaine est tâche impossible. Il est écrit et construit d’une manière très sophistiquée. D’innombrables genres constituent sa texture : le scientifique et le pseudo-scientifique, l’érudition et la parodie de l’érudition, la description, l’abstrait analytique, le poétique ou le poético-lyrique, le style documentaire, le comique, etc. Il arrive qu’on passe d’un interminable plaidoyer pour l’honneur de la chasse à la baleine à une suite d’aventures vives et entrainantes...
Ahab, vieillard farouche, méditatif, mutilé, forcené, déterminé et digne ayant la crucifixion écrite sur sa face, dirige en seigneur, dictateur suprême et maître, l’équipage du Péquod, afin d’exécuter un « immuable décret »: poursuivre Moby Dick, la cause de sa souffrance, à travers les océans inexplorés de l’esprit. Ainsi lancé, frété de sauvages, chargé de feu et brûlant un cadavre en plongeant dans les noires ténèbres, le Péquod semblait le double de l’âme de son capitaine fou.
On voit bien l’enjeu métaphysique de sa quête. Moby Dick représente un au-delà. L’origine de la souffrance, du mal, de la vie : Éprouver une telle fureur, se venger d’une bête brute qui n’a frappé que par instinct aveugle, me semble blasphématoire (, dit Starbuck)… (Mais Achab: ) Toutes les choses visibles, homme, ne sont que masques de carton. Mais dans chaque évènement, dans l’acte vivant, l’action incontestée, quelque chose d’inconnue, mais pourtant qui raisonne pousse le moule de ses traits derrière le masque sans raison. Si l’homme veut frapper, qu’il frappe à travers le masque. Comment le prisonnier atteindrait-il l’extérieur à moins de passer à travers le mur? Pour moi, la Baleine Blanche est ce mur, poussé contre moi… Cette impénétrabilité, voilà ce que je hais!
Interprétation de l’œuvre : Achab, à l’image de Melville, est un « lunatique du Non »* . Il refuse les vérités admises, il refuse l’ordre prôné par la société de son époque, il refuse le concept de personne, il refuse le christianisme. En deux mots : il dit non à toutes les formes de la transcendance. Mais au surplus, il refuse la part de désordre ou de hasard qui est venu le frapper (perte d’une jambe, souffrance). Figure du Diable poussée par son orgueil, il défie l’ordre de la Nature en essayant d’aller au-delà. Il méprise même le libre arbitre des membres de son équipage : « Vous n’êtes pas d’autres hommes mais seulement mes bras et mes jambes ». Ceux-ci ne sont que ses instruments. De cette manière, il envahit les hommes ordinaires de son énergie satanique. D’où son impiété humaine. Et à l’égal du Diable, la nature n’est plus une source de joie : « Cette tendre lumière, elle ne m’éclaire pas. Tout ce qui enchante n’est qu’angoisse, puisque la joie m’est interdite ». Le refus de Dieu, de la nature et des hommes « est pour lui à la fois un châtiment inéluctable, et un destin farouchement embrassé » .
Pourquoi cherche-t-il à tuer Moby Dick? Le Non total étant assumé, il reste une force positive: l’intention fixe et diabolique de tuer la Baleine Blanche. C’est une force visant un but au-delà de toute volonté humaine. C’est d’ailleurs cette fixité qui se manifeste lorsque Achab refuse d’aider le Rachel à rechercher ses enfants perdus en mer. Car cette dure intention est plus forte que toute volonté humaine. Achab espère voir de quoi la nature est faites. Il recherche une révélation. Et Moby Dick est cet absolu qui, suppose-t-il, révèlera l’univers d’un au-delà. *Cette courte étude repose sur l’article : Un lunatique du Non, Enrique Vila-Matas, publiée dans le Magazine littéraire de septembre 2006.
Je vous recommande vivement ce roman à proportion biblique. Le lire, c'est s'engager tout entier dans un voyage homérique et enivrant.
swallow a écrit:
Ce qui est curieux, c´est que souvent, lorsque l´on interroge les grands auteurs contemporains sur les lectures auxquelles ils reviennent toujours, il y a souvent MELVILLE.
Veterini a écrit:
je suis assez impressionné :cyclops:par l'analyse et l'intérêt de Snark pour le caractère du capitaine Achab, ne l'ayant personnellement considérée que guère mieux que comme un fou dangereux égoïste et mystique. Mais son acharnement dépasse tout ça.
Achab fait référence sans ambigüité au Roi Achab de la Bible (Livre des Rois), roi impie et mauvais, celui qui parvient à dévoyer le Peuple Elu, celui qui adorera Baal et non YHVH. (NB: D'ailleurs j'incite jusqu'au plus ultime des athées parmi les Parfumés à lire avec lenteur les pages, abondantes pour un roi si néfaste -comme quoi...- ayant trait à Achab, si vraiment vous n'avez pas ça à domicile et ne trouvez pas en quelques clics de moteur de recherche, faites signe en mp).
De là à penser (c'est une dimension possible) que Moby Dick est Dieu, ou, à tout le moins, l'Esprit, sous apparence de cachalot (ce qui est moins familier comme représentation du plus ardu à expliquer tiers de la Trinité que la traditionnelle colombe ou la non moins traditionnelle langue de feu de nos vitraux) eh bien...pourquoi pas ?
Pour rester dans le registre biblique, a noter le prêche du Pasteur en chaire, au début, sur Jonas (Livre de Jonas, lecture à tout le moins aussi recommandée "allez-y !" que celle du Livre des Rois sur Achab, encore une fois, si vous n'avez pas et que le moteur de recherche ne vous aide pas, etc, etc...). Il faut le rapprocher de l'Evangile (Matthieu XII, 38-41):
Matthieu XII, 38-41 a écrit:
38 Alors quelques-uns des scribes et des pharisiens lui dirent: Maître, nous voudrions te voir faire quelque miracle. 39 Mais Jésus, répondant, leur dit: Une génération mauvaise demande un miracle; mais il ne lui en sera accordé aucun autre que celui du prophète Jonas. 40 Car comme Jonas fut dans le ventre d'un grand poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. 41 Les Ninivites s'élèveront au jour du jugement contre cette nation, et la condamneront, parce qu'ils se repentirent à la prédication de Jonas; et il y a ici plus que Jonas.
Cet Evangile est souvent offert à méditation à tous ceux qui disent que si Dieu existe, il n'a qu'à faire un signe, miracle, etc..., alors que la réponse est: c'est déjà fait, 'spèce de génération mauvaise , vous n'aurez pas d'autre signe que celui de Jonas.
Et, ici, le seul témoin, le passeur du signe, est le narrateur, le naufragé qui transite hors de la prédation du "poisson", dans cet ouvrage écrit au "je"...
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Herman Melville Lun 14 Avr 2014 - 17:11
Omoo
(titre qui se trouve parfois traduit Omou en français) Alors vous le trouverez ici en langue originale. Date de première publication: 1847. Il fait suite à Typee, traduction du titre qu'on peut rencontrer en français: Taïpi. Melville met à l'aise le lecteur imprévoyant -comme moi- en affirmant d'emblée qu'on peut se passer de la lecture de Typee pour se plonger dans Omoo: mais vous n'êtes pas obligés d'être aussi maladroits que je ne le suis !
Il y a la mer, le Pacifique Sud, et un bateau typé à équipage improbable (important et melvillien, ça). On entre doucettement par la découverte de ceux-ci via le regard du dernier marin embauché, dans des circonstances inénarrables, si, comme moi, vous n'avez pas encore lu Typee. Puis, sur quatre cents cinquante pages, les pérégrinations du marin-narrateur, Melville, et son acolyte drôle de double, ex-docteur sans trop de titre mais à rébellion affichée à bord.
L'ouvrage vaut par les scènes d'équipage, puis par la prison à Tahiti, puis par...la suite (on ne dévoile pas). On est dans du Melville narratif, qui a vocation à apporter de l'inédit, à renforcer les connaissances d'alors et des lieux; je ne suis pas trop dépaysé par ce mélange limite contre-nature de la littérature "ex abrupto", du roman, quoi, avec quelque chose qui se voudrait scientifico-testimonial. Certes, on ne ferait plus ça aujourd'hui, il faut vraiment resituer le truc au mitan du XIXème, j'en ai tôt eu l'habitude, l'usage, par une voie détournée qui est celle des alpinistes contemporains à Melville emberlificotant un prétexte scientifique dans leurs récits de bambées montagnardes: disons que ça ne me choque pas, je sais lire "entre", j'ai le mode d'emploi et la posologie, etc... et puis ça "fait époque".
Moby Dick n'y échappe pas avec les épaisses pages sur les baleines, cachalots et cétacés, qui peuvent rebuter aujourd'hui (voir post de Queenie cité au message précédent).
Mais on est fort éloigné de la puissance métaphysique, du signifiant comme du signifié si ardents dans Moby Dick. Le tréfonds de l'âme humaine n'est pas remué. Melville ne reste pas près de l'os, à la différence de Moby Dick, si je puis me permettre d'insérer une image empruntée à Cioran.
Peut-être non loin du farniente, de la lecture de parasol. Un Melville plus léger, et, voit-on assez les gros sabots approcher, plus bas de gamme ? Ce serait trop lapidaire pour être dit; et j'avoue être assez curieux de lire les Parfumés du Pacifique Sud à propos des pages "à destination instructives" (sur Tahiti et la politique s'y rapportant au XIXème) s'ils ont jamais ouvert ces pages.
Le reste ? Assez d'action, de rythme, on ne s'ennuie guère. Peu de passages de très haute volée, de portée majeure, ce sera ma seule critique, qui se veut positive.
Dreep Sage de la littérature
Messages : 1435 Inscription le : 14/03/2014 Age : 32
Sujet: Re: Herman Melville Lun 14 Avr 2014 - 17:43
Moby Dick est sur ma table de chevet, en attendant de commencer Pierre ou les ambiguités
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Herman Melville Mar 15 Avr 2014 - 17:46
Les Encantadas, ou Îles Enchantées.
Titre original: "The Encantadas or Enchanted Isles" , date de parution: 1854 (dans Putman's Magazine).
On trouve ce texte de cent quinze pages environ, ni nouvelle ni roman, dans le recueil Contes de la véranda, ou à part dans la collection Folio à 2 € "célébrée" par Bix:
bix229 a écrit:
les éditeurs se débrouillent souvent pour faire du charcutage à leur avantage, quand il s' agit de nouvelles en Poche : 2 nouvelles par ci, 3 nouvelles par là... Le Livre de Poche, par exemple, vend des éditions à 2 Euros. C' est pas mal si tu veux connaitre un auteur, mais frustrant si tu ignores que ces nouvelles sont extraites de recueils plus copieux....et pas vraiment plus chers...
Il se découpe en dix parties, dénommées esquisses par l'auteur. Ces esquisses composent une vaste marine, en effet chaque esquisse est dédiée à une d'entre les îles de l'archipel des Galapagos, archipel entendu au sens géographique très large, puisque Melville y inclut l'archipel Juan Fernández. La première d'entre ces esquisses est générale, puis chacune se rapporte à une île et une histoire en particulier. Chaque esquisse est introduite par quelques vers, rarement complétés d'une citation tierce. Ces vers sont tous du poète anglais Edmund Spenser, la plupart tirés de La Reine des fées (The Faery Queen, 1590).
Melville a toujours ce côté encyclopédiste et naturaliste, très typé de son temps, il écrit aussi pour instruire (voir mes deux derniers messages sur ce fil). Donc ici aussi. Mais ici, pour notre plus grand bonheur il lâche vraiment les chevaux. Très onirique, truffé de folklore à la limite de la légende, ce recueil d'esquisses porte une forte charge poétique.
Pour tout vous dire, je me suis franchement délecté, du Melville de ce tonneau-là, j'en redemande .
Mais quelques petits extraits valent sans doute mieux que la faiblesse d'un commentaire, il me reste à vous souhaiter une excellente dégustation, notez le jeu du lent balancement régulier (semblant, à l'occasion, un roulis marin peu marqué) et combien le rythme souligne (partie commençant par "Le vent" et s'achevant avec "un faible éclat", avec les trois points-virgule, par exemple). L'entre-deux bien rendu par l'emploi de "demi" doublé, par exemple, la désolation avec la répétition de "larmiers", ou "longues traînées de guano d'un blanc spectral" et bien d'autres choses encore.
Et...voyez toute l'étendue, toute la richesse de la palette Melvillienne, si bien traduite par ce vocabulaire, jamais complexe, toujours si suggestif !
Esquisse troisième, le Roc Redondo a écrit:
[...] nous nous trouvâmes juste avant l'aube dans l'ombre lunaire de Redondo. Son aspect était rehaussé et cependant adouci par l'étrange double demi-jour de l'heure. La grande pleine lune brûlait très bas à l'ouest comme un feu de balise à demi consumé, jetant sur la mer une lueur douce et moelleuse pareille à celle que les braises expirantes jettent à minuit dans l'âtre, tandis que l'orient tout entier recevait du soleil invisible les pâles intimations de sa venue. Le vent était léger; les vagues, nonchalantes; les étoiles scintillaient avec un faible éclat; la nature toute entière semblait alanguie par la longue veille nocturne et comme suspendue dans l'attente lassée du soleil. C'était là l'instant critique pour surprendre Redondo sous son meilleur aspect, le crépuscule saillant sans rompre le charme obscur qui l'enveloppait de merveilleux.
Sur sa base ruineuse en gradins, lavée par les vagues comme les degrés d'un château d'eau, la tour s'élevait en entablements de strates jusqu'au sommet chauve. Ces couches uniformes qui composent la masse du Roc constituent son trait le plus caractéristique. Car, le long de leurs lignes de démarcation, elles forment des vires horizontales et circulaires qui, du haut en bas, élèvent l'une au dessus de l'autre leurs étages successifs. Et, comme les larmiers d'une vieille grange ou d'une abbaye grouillent d'hirondelles, ainsi d'innombrables oiseaux de mer animaient tous ces rebords rocheux. Larmiers sur larmiers et nids sur nids. Cà et là, de longues traînées de guano d'un blanc spectral tachaient la tour de la mer jusqu'au ciel, expliquant ainsi qu'on la prît au loin pour une voile. Une quiétude ensorcelante se fût étendue sur toutes choses, n'eût été le tintamarre démoniaque des oiseaux. Non seulement ils emplissaient les larmiers de leur bruissement, mais encore leurs vols denses déployaient dans la nue un baldaquin ailé perpétuellement mouvant.
Ou, ici, à propos d'un drame, cet espèce de différé irréel entre ce qui se passe, ce que voit Hunilla "le regard à travers", la scène vue via "un cadre ovale", et la traduction scripturale très fine de l'impuissance, alliée à l'évidence des suggestions "telles qu'en montrent les mirages".
Esquisse huitième, l'île de Norfolk et la chola a écrit:
Sous les yeux de Hunilla ils sombrèrent. Ce malheur réel se déroula à son regard comme une feinte tragédie de la scène. Elle était assise sous une rustique tonnelle, parmi les buissons flétris qui couronnaient une falaise escarpée, un peu en retrait de la plage. Les buissons étaient disposés de telle sorte que, pour contempler le large, elle plongeait d'habitude son regard à travers les branches comme à travers le treillis d'un balcon élevé; mais ce jour-là, afin de mieux suivre l'aventure des deux coeurs aimés, Hunilla avait écarté et retenait de la main les branches qui formaient un cadre ovale où l'immensité bleue roulait comme une mer peinte. C'est là que l'invisible peintre peignit à sa vue le radeau battu par les vagues et démembré, les rondins naguère horizontaux dressés obliquement comme des mâts qui inclinent vers l'arrière et, parmi eux confondus, quatre bras qui se débattaient; puis tout fut englouti dans les eaux crémeuses et lisses qui entraînaient l'épave déchiquetée. Du commencement à la fin, le drame tout entier s'était déroulé sans aucun bruit: silencieux tableau de mort; rêve de l'oeil; formes évanescentes telles qu'en montrent les mirages.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Herman Melville Mer 7 Mai 2014 - 21:56
Trois nouvelles doubles
Titre original: Three Double Tales. Ces nouvelles faisaient partie du recueil Piazza Tales publié en mai 1856 par Dix & Edwards. Elles furent composées entre la fin de l'été 1853 et le printemps 1854.
Une centaine de pages (il faut dire que l'édition commune, en France, est l'éditeur grenoblois...cent pages - une publication de 1996).
Ces trois nouvelles sont en fait six nouvelles puisqu'elles sont...doubles. Elles ont la particularité de se dérouler à Londres puis, supposément, pour la nouvelle "double", aux Etats-Unis. Deux nouvelles commencent à Londres, la dernière s'y termine.
Les titres de ces doublettes de nouvelles: Le paradis des célibataires & Le Tartare des vierges. Les deux temples. Le pudding du pauvre & les miettes des riches.
Melville, dans un registre très différent de celui que je connaissais; proche du fantastique, ou du réalisme magique, et donc assez précurseur, rien que pour cette curiosité-là, d'historicité littéraire disons, ces trois nouvelles doubles mériteraient d'être un peu plus éclairées.
Toutes sont écrites au "je". Melville mêle des souvenirs d'un séjour britannique de 1849, et des expériences diverses, à une narration qui devient, insensiblement mais très vite, de l'ordre du quasi-surnaturel, bien que demeurant dans des limites de plausibilité farfelue et extrême. C'est assez anglais, en matière de procédé, je trouve.
L'opposition-contraste-mais-miroir qui bâtit la gémellité de ces nouvelles est assez fortement pensé, l'édifice est charpenté dans sa symétrie recherchée, pas de doute. L'ensemble paraît concis, calibré, la parcimonie mettant encore davantage en valeur le contenu, pour le moins inhabituel, et sans doute encore plus inusité il y a un gros siècle et demi.
J'ai aimé ce sens de la métaphore, et ce renvoi du lecteur à l'autre côté du miroir. Quant au contenu, au "de quoi ça parle ?" souffrez que je vous laisse sur votre faim (ou alors insistez lourdement ), mais: Allez-y sans crainte faire un petit tour, ces allégories très originales valent qu'on s'arrête à une toute autre facette, sans doute méconnue celle-ci, de l'immense talent de Melville.
Les nouvelles de Melville sont à lire et à relire. D' ailleurs j' ai relu 2 fois Bartleby, Billy Budd et
j' aimerais relire les autres.
Mais où trouver le temps ? Où ?
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Herman Melville Dim 11 Mai 2014 - 18:16
Moi et ma cheminée (1856) Titre original: I and my chimney. Première publication dans le Putnam's monthly de mars 1856.
Une nouvelle de 80 pages environ, écrite au "je" sur le ton du récit. Nous entrons dans la phase de reflux, l'auteur essuie quelques insuccès de librairie, et sa production de plume à valeur littéraire commence à décroître. Un préambule semble nécessaire pour bien appréhender cette nouvelle. A la fin de l'été 1856 Melville va jeter le gant, se retirer de la vie d'écrivain avant de reprendre pied dans ce monde-là tout à fait au soir de sa vie. Quelques éléments de Moi et ma cheminée sont frappants - comme annonciateurs de ce grand silence à venir, de sorte qu'on ne saurait trop conseiller de garder en mémoire le contexte biographique quand on entreprend cette lecture.
Donc un vieil homme se trouve fort lié à l'immense cheminée, centrale, de proportions marmoréennes, de son logis. Il est en butte si ce n'est en lutte ouverte avec son épouse et ses trois filles, qui souhaitent la démolir, finissant même (appréciez la dimension allégorique) par se persuader qu'un trésor, où à tout le moins une cavité cachée et mystérieuse, s'y dissimule. Le dernier personnage de ce huis-clos est un voisin, architecte et maître-maçon, complice de ces dames, et dont les Melvilliens de ce forum relèveront qu'il s'appelle Scribe...
La cocasserie n'est jamais loin, et un humour parvient sans peine à affleurer de ces pages. Mais une dimension plus philosophique, et de sapience, peut aussi en être extraite. Selon le mot de Chesterton, la tradition est la démocratie des morts - cela pourrait être mis en exergue à propos de cette nouvelle. Autre constat: le monde consumériste et addict au toujours plus, le sujet-cible publicitaire actuel et heureux de l'être que tend à devenir la quasi-totalité de nos contemporains du monde dit "développé" en prend pour son grade, préventivement, il y a un siècle et demi.
La cheminée est ici un immense symbole phallique, et de la lutte dépend la prise de pouvoir, voilà pour une allégorie évidente. La cheminée est aussi le symbole du foyer, et donc de ces joutes dépendent l'unité, la continuité de la cellule familiale. On peut y voir la fin de l'ère phallocratique et le début de l'égalité; on peut aussi y voir la quête jouisseuse, jeuniste et perpétuellement insatisfaite des tenants du nouveau et du tout raser du leg de ceux qui nous ont précédés, avec lesquels nous ne formerions pas un tout. Voilà pour quelques premières pistes, sans doute plutôt évidentes, rassurez-vous: il y en a une multitude d'autres dans ces 80 pages !
Citation :
Mais c'est derrière les portes que la précellence de ma cheminée est surtout évidente. Quand, dans la pièce de derrière (réservée à cette fin) je me lève pour recevoir mes visiteurs (je les soupçonne, soit dit en passant, de venir plus pour ma cheminée que pour moi) je suis, à proprement parler, non pas devant mais derrière ma cheminée. Et c'est elle, en vérité, qui reçoit. Je n'ai rien contre. En présence de mes supérieurs je sais, je crois, tenir mon rang. Cette habituelle prévalence de ma cheminée sur ma personne fait même que certains me jugent foncièrement et sinistrement arriéré; car à me tenir ainsi derrière ma cheminée vieux style, je me recule aussi dans le temps et je reste ainsi à la traîne en toutes choses.
jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
Sujet: Re: Herman Melville Lun 12 Mai 2014 - 10:24
Merci de nous aider avec ce déblayage de l'oeuvre de Melville, sigismond. Soyez sûrs que je vais lire Moi et ma cheminée.
pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
Sujet: Re: Herman Melville Sam 31 Mai 2014 - 14:59
Pierre ou les Ambiguïtés
Pierre est un jeune homme aisé de la grande Bourgeoisie Américaine. Avec quelques illustres héros de la guerre de sécession dans sa lignée. Il vit avec sa mère, une femme très admirée, une relation fusionnelle. Il la choit et elle le choit en retour. Sa vie se passe à se promener dans la campagne environnante, à passer du temps avec Lucy sa fiancée et à écrire des poèmes qui ont un certain succès, malgré le peu de « publicité » qu’il s’abaisse à faire. Un jour il rencontre une jeune fille qui le fascine et qu’il n’arrive pas à oublier. Il apprend que cette jeune fille est la fille illégitime de son père tant admiré et qu’elle a vécu dans le dénuement et l’indigence. Il décide de lui rendre justice. Mais à quel prix. Il perd tout et se voit contraint de subvenir à ses besoins, chose qu’il n’a jamais fait.
C’est un bouquin que l’on déguste sans se presser. Très romantique. Les sentiments, les états d’âmes sont décortiqués exacerbés. Les joies et les peines sont excessives. Il y a des envolées sur la nature, l’amour, le désespoir. Mais il y a aussi beaucoup de réflexions et de systèmes de pensée très avisés et travaillés en profondeur. Comme sur les affres de la création, l’accès à l’indépendance, la maturité. Il y a peut-être quelques longueurs mais c’est à ce moment-là qu’il faut peut-être souffler et prendre son temps. J’aime beaucoup cet auteur.
Aucune influence prodigieuse ne peut s’exercer sur nous de l’extérieur si elle ne correspond à quelque prodige intérieur. Si la voûte étoilée comble le cœur d’un émerveillement extatique, c’est que nous sommes nous-mêmes, de plus grands miracles et de plus superbes trophées que toutes les étoiles de l’espace universel.
Les femmes belles – celles du moins qui le sont par l’âme comme par le corps – semblent pour un long temps, et en dépit de l’implacable loi de fugacité qui gouvernent les choses terrestres, mystérieusement exemptes des incantations du déclin ; car à mesure que le charme extérieur disparait trait par trait, la beauté intérieur remplace cet éclat évanescent par des charmes qui, n’étant point de la terre, possèdent le caractère ineffable des étoiles.
Spoiler:
On parle parfois sur parfum de couvertures qui n’ont rien à voir avec le livre. Leos Carax a fait un film d’après ce bouquin qui s’appelle Pola X. Je ne comprend pas bien ce que cette couverture a à voir avec le livre. Les personnages dans Pierre ou les ambiguïtés sont tout en retenue et ne cèdent pas à leurs penchants...
Sujet: Re: Herman Melville Sam 31 Mai 2014 - 15:57
Melville a écrit des livres très étranges comme Bartleby, mais aussi Mardi, Pierre ou les ambiguités et certaines de ses nouvelles qui valent d' etre lues.