John Le Carré

Le chant de la mission

John Le Carré dénonce l'oppression silencieuse de l'Occident sur l'Afrique, à travers une intrigue efficace mettant en lumière ces compromissions discrètes : l'anonymat, le silence et l'oubli révèlent une lâcheté insupportable que l'écriture évoque par de virevoltants traits d'humour, à la résonance d'autant plus cruelle et amère. Le roman est en effet entièrement construit sur le regard de son protagoniste, interprète faussement naïf avant d'assumer une désillusion sacrificielle.
Le style est incisif et virevoltant, mais Le Carré se laisse parfois emporter par ses démonstrations, étirant son récit jusqu'à frôler la complaisance et des répétitions. Les relations amoureuses, bien que logiquement en retrait, ne trouvent guère leur place dans l'expression des souvenirs. Le chant de la mission suit alors un équilibre instable mais demeure très pertinent dans ses conclusions.

La taupe, Comme un collégien, Les gens de Smiley

La trilogie de Smiley est fascinante. Elle nous plonge au coeur
de la guerre froide et des maîtres espions, tèrs librement inspirée de la trahison de Philby.
Jamais un sens de la psychologie aussi aigue n'avait été employé dans le milieu de l'espionnage car c'est en fait véritablement dans les grisailles de l'âme humaine que Le Carré nous plonge.
Tout aussi passionnante est la découverte de la Grande Maison qu'est le MI 6, ses luttes de pouvoir, ses manipulations et ses trahisons et, bien entendu, ses "chasseurs de scalp".
Une galerie de personnages inoubliables. Du très grand ouvrage.

La petite fille au tambour
Editions du Seuil

Même si je n'ai plus le livre, je vais tenter quelques mots sur ce roman que j'ai beaucoup aimé.
À la fin de l'été 1982, à l'aube d'une journée qui s'annonçait paisible dans le quartier diplomatique de Bad Godesberg, près de Bonn, en Allemagne, saute la voiture piégée de l'attaché d’ambassade israélien venu négocier des contrats d’armement. Deux autres explosions lui font écho ...
D'emblée, on est dans l'action , un des conflits les plus passionnés de notre époque qui ne trouvera sans doute jamais de solution.
Action, réaction des   services de renseignements israéliens dont le responsable dans ce roman se nomme Kurtz, Le Carré et Conrad, c'est une longue histoire.
Et voici Charlie.. Charlie est une jeune femme un peu perdue, révoltée contre à peu près tout pour des raisons multiples qu'elle peine à expliquer. Comme elle peine à expliquer pourquoi elle se laisse maltraiter par une brute. Mais, avant tout, c'est une actrice. Qui attend le rôle de sa vie. Elle va l'avoir .
Ce qui fait la richesse de ce roman, c'est comme toujours chez Le Carré,la complexité des situations , et ses propres sentiments ambivalents , ambivalence qu'il nous fait partager à travers ce beau personnage féminin.

Si tu ne l' as pas lu, Marie, je te conseille La Constance du jardinier, dont on a tiré un film.

J'ai lu La constance du jardinier, Bix!Mais je préfère l'écrivain Le Carré quand il ne se positionne pas vraiment, quand il n'est pas dénonciateur comme dans ses plus récents romans.

L' histoire m' a bien embarqué et c' est aussi un joli portrait de femme, mais, c' est sur, on peut préferer les livres qu' il a écrits sur la guerre froide, La Taupe et la suite...

Un traître à notre goût
traduit de l'anglais par Isabelle Perrin

Ma conclusion d'expert, assène-t-il, est que, en tant que grande nation, nous souffrons de pourriture managériale du sommet à la base.
De quelle grande nation nous parle cet Hector, des services secrets britanniques? Et bien, de la sienne, bien sûr..

La rencontre d'un couple de jeunes anglais avec un mafieux russe en très mauvaise posture.


C'est vrai qu'il y a un côté peut-être un peu caricatural dans certains portraits , notamment de celui de ce jeune couple britannique.
Mais j'ai retrouvé Le John Le Carré tel qu'il est depuis un certain temps. En colère. Et si les écrivains ne se mettent pas en colère, qui va s'y mettre. Enfin, pour commencer..
Mais une colère à l'anglaise, pleine d'ironie et d'humour, assez noir , mais quand même, toute en allusions.
L'empathie, c'est pour ce mafieux russe qu'il l'exprime, pour ce qui l'a amené là, pour l'enchainement inéluctable de certains parcours de vie . De ceux qui amènent à se retrouver à la Kolyma à 14 ans, ou emprisonné dans une grotte à Bogota. Ou à aller voir son fils deux fois par semaine en prison.
Avec un récit encore une fois très construit .
Avec, et il est très fort pour cela, encore une fois une fine analyse des rapports de force entre les personnages.
Ce qui fait une oeuvre, finalement.

J'ai appris un peu plus ce qu'étaient les vors à la Kolyma.
J'ai appris à quoi pouvaient servir certaines loges à Roland Garros, ça alors!
Je n'ai pas appris qu'en matière de blanchiment d'argent, la ville de Londres n'avait pas à rougir.

Quant à la fin..  Logique, non?
Elle m'a rappelé un évènement similaire survenu il y a quelques années en Polynésie française. Jamais de preuves, bien sûr, mais survenu après certaines disparitions très très suspectes et toujours non élucidées malgré les familles qui, courageusement, ne se résignent pas.Certains avaient avoué, d'ailleurs.. mais sont revenus sur leurs aveux , on se demande pourquoi. D'autres ont eu des accidents tout à fait regrettables, ça arrive, bien sûr, mais quand ces accidents mortels se répètent, c'est que sur ce groupe qui ne sait pas tenir sa langue, la malchance s'acharne.
Des évènements qui surviennent au bon moment pour certains , du ni vu, ni connu , et hop, on passe à autre chose. Les océans profonds sont des tombeaux bien pratiques.
Et d'aucuns voudraient qu'on ne soit pas en colère?

Un homme très recherché

John Le Carré montre la sourde réalité d'un monde multipolaire lorsqu'un drame personnel se trouve peu à peu noyé face à l'étendue des enjeux géopolitiques. Un homme très recherché se construit sur plusieurs niveaux avec le risque de perdre l'attention du lecteur, mais les interrogations renouvelées fascinent et déroutent pour créer sans cesse des fausses pistes. Les développements sont nombreux, inégaux dans leurs échos romanesques tout en contribuant à tisser une vision d'ensemble.

Il reste au bout du périple une forte sensation d'amertume tant l'itinéraire des protagonistes (un jeune Tchétchène clandestin, une avocate et un banquier) est brisé dès son entame. Si les intentions sont louables en quête d'un accomplissement ou d'un rachat, elles se heurtent à la réalité d'un monde qui les piétine. Ce constat pessimiste de l'individu écrasé par l'Histoire est intense et se dévoile avec beaucoup d'habileté.

A noter qu'une adaptation cinématographique d'Anton Corbijn sortira en septembre (avec le dernier rôle de Philip Seymour Hoffman).

UNE VERITE SI DELICATE ... que ce roman (édition française 2013), lecture de vacances 2014, porte bien son nom.

J'avais un vague souvenir de mon premier "Le Carré", présenté comme un des maître du roman d'espionnage de la guerre froide, avec "L'espion qui venait du froid" (1964) que mon père m'avait offert à un noël ; et puis, bien évidemment, La Taupe, Les gens de Smiley, Une petite ville en Allemagne. Et depuis, maître John ne faisait plus parti de mes lectures ... jusqu'à cet été.
Ici, fini la guerre froide ... mais de quelle guerre s'agit-il exactement ? La guerre contre le terrorisme, islamique en l'occurrence, la guerre que mènent des compagnies militaires privées pour forcer les Etats à les utiliser ? Qui fait la guerre ?
A qui profitent les crimes de désinformation, de manipulation ?
Cela commence par une action commando sur LE Rocher ... pas Monaco, Gibraltar ; nous sommes chez des anglais. Une opération « secret défense » pour capturer un des terroristes le plus recherché par les démocraties occidentales. Mais est ce vraiment le but de cette opération ? Je n’irais pas plus loin dans la présentation de l’histoire, ce serait dommage.
John Le Carré n’a pas perdu de sa science du suspens, basée d’abord, sur une haute connaissance de ces milieux obscurs, et soutenu par une plume percutante sans « frou-frou » inutile.
Grand plaisir de lecture, pas philosophique, bien évidemment, mais qui réunit le plaisir de roman d’espionnage aux réflexions de société : Où nous mène l’appétit du pouvoir ?

ça commencerait à faire envie tout ça.