Frissons (Shivers of The Parasite Murders)Après vous avoir parlé
de Crimes of the future, je poursuis mon exploration des premiers longs métrages
de David Cronenberg avec Frissons [Shivers], réalisé en 1975.
Le film débute par une annonce publicitaire vantant
les mérites d’un complexe immobilier insulaire situé à la périphérie
de la ville
de Montréal. Ces appartements construits sur une île totalement autonome offrent tous
les services modernes possibles et imaginables : panorama fantastique, facilité
de parking, équipements électriques dernier cris, piscine olympique, golf, tennis, restaurants, clinique dentaire et clinique privée pilotée par
les plus grands spécialistes mondiaux actuels (enfin, c’est ce qui est annoncé mais tout le monde sait que
les bandes annonces, c’est du bidon). On se rend compte en même temps que très peu
de choses ont vraiment évoluées depuis
les années 70 et qu’ils nous présenteraient sans doute la même panoplie à
l’heure actuelle. Déjà, ça fout le bourdon cette vision du paradis.
Mais très vite, nous quittons cet aspect policé et bien propret pour pénétrer dans la chambre d’une jeune lycéenne en train
de se faire trucider par un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Non content
de la tuer, il lui inflige une énorme plaie abdominale dans laquelle il se met à lui verser une sorte d’acide avant
de lui coller une bande adhésive sur la bouche. Une fois son forfait accompli, le meurtrier se donne lui-même la mort en s’ouvrant la gorge à
l'aide d'un bistouri.
C’est le Docteur Roger St. Luc, médecin
de la clinique privée
de l’île, qui découvrira le corps
de la jeune fille et
de son meurtrier avant d’appeler
les forces
de l’ordre.
Il ne faut jamais contaminer une scène
de crime avant la venue des forces
de l'ordre mais le Dr St Luc, très insulaire dans ses réactions, a la mauvaise idée d’aller voir d’un peu trop près la victime en lui ôtant notamment la bande adhésive qui lui bâillonnait la bouche. « Viens que je te trifouille le gosier et je te dirai qui tu es », tel est sans doute la devise
de ce bon docteur qui connait bien ses classiques sauf qu’ici il ne s’agit probablement pas d’une vulgaire amygdalite. Le policier grimace à cette nouvelle tout comme le spectateur qui se dit que c’est vraisemblablement le début
de la fin et que la curiosité est décidément un bien vilain défaut.
Mais comme cela se fait-il que ce soit justement le Docteur St. Luc qui découvre ces corps mutilés ? Et bien, le Dr St. Luc avait rendez-vous avec le Dr Emil Hobbes, imminent médecin et professeur d’université, pervers et pédophile notoire, auteur d’une théorie un peu bizarre selon laquelle
l’être humain serait un animal englué dans ses pensées trop rationnelles au détriment du corps et des instincts primaires. Dr Hobbes
l’avait en effet contacté par té
léphone dernièrement pour lui faire part
de ses dernières trouvailles. Or le Dr Hobbes n’est autre que
l’homme qui vient
de se suicider après avoir donné la mort à sa maîtresse entretenue dans
l’appartement qu’il louait à ses frais. Difficile
de partager son savoir dans ces conditions mais qu’importe, le Dr Hobbes finira bien par propager « ses découvertes » avec le reste
de l’humanité, qui n’en demandait pas tant.
Après avoir contacté un collègue du Dr Hobbes, le Dr St. Luc apprend que ce dernier se livrait à des expérimentations singulières ayant pour objectif
de rendre
l’homme plus viscéral que cérébral. Il aurait développé à cette fin une sorte
de parasite (combiné d’un aphrodisiaque et d’une maladie vénérienne) et se serait servi
de la jeune fille comme cobaye. Le Dr Hobbes ne s'imaginait pas à quel point ce parasite nourri du sang
de son hôte se développerait aussi rapidement en remplissant si bien son office : la nymphomanie avérée
de sa jeune protégée, transformée en Marie-couche-toi-
là, échappe vite à son contrôle et transforme rapidement son appartement en journée portes ouvertes aux habitants
de l’immeuble. Parasite qui se transmet d’autant plus facilement qu’il a la bougeotte et profite
de quelques escapades en solitaire pour s’introduire dans tous
les orifices possibles du corps
de ses prochaines victimes (la forme subtilement phalique
de la bête n'échappera à personne). Ah la fameuse scène du bain...
Vous
l’aurez compris,
l’épidémie guette
l’île, qui risque
de se transformer en un magnifique lupanar cinq étoiles en un temps record.
Frissons est le premier « vrai » film
de David Cronenberg. Bien moins expérimental que Crimes of the future, il se laisse donc voir plus facilement.
Nous y retrouvons déjà tout ce qui fera la renommée du réalisateur : huis clos étouffant et malsain d’un complexe immobilier insulaire, découverte scientifique qui échappe à son créateur, déformation des corps via le développement
de protubérances mobiles pathogènes sous forme
de grosses larves (représentation assez sexuée
de la chose), épidémie ravageuse qui prend possession du corps et
de l’esprit
de l’espèce humaine et dans laquelle la sexualité joue le premier rôle (référence à la liberté sexuelle
de l'époque et crainte des M.S.T., précurseur du sida ?), sexualité dépravée, exacerbée et incontrôlable (mais tout est suggéré, nous ne sommes pas dans un film porno hein), violences et viols, accouchement insolite et confusion des rô
les (un homme en proie à la douleur (à la jouisssance ?)
de l’enfantement du parasite), notons également que le thème dérangeant
de la pédophilie est à nouveau traité dans ce film, tout comme il
l’était déjà dans Crimes of the Future. La scène finale dans la piscine fait également penser aux films
de zombies
de l’époque, lorsque tous
les habitants
de l’île se jettent
les uns sur
les autres pour se contaminer au petit bonheur la chance.
Concernant
les acteurs, c’est un grand plaisir
de retrouver au début du film
l’acteur Ronald Mlodzik (le fameux Adrian Tripod
de Crimes of the future) dans le rôle
de Merrick, dans un registre totalement différent. Un acteur intriguant qui semble avoir complètement disparu
de la scène cinématographique depuis la fin des années 70, à mon grand regret.
Frissons (Shivers), qui avait été financé partiellement par le contribuable via Telefilm Canada, connu ses détracteurs, dont le journaliste Robert Fulford qui avait publié un article dans lequel il clamait haut et fort : « You should snow how bad this movie is, you paid for it » (traduction : « Vous devez savoir comme ce film est mauvais, vous avez payé pour cela »). Cronenberg connaîtra par la suite des difficultés pour financer ses films ultérieurs et sera même expulsé
de son appartement à Toronto en raison
de l'inclusion
de son propriétaire d'une "clause
de moralité » dans le bail. Sa lutte contre la censure et
les restrictions budgétaires ne feront que commencer.
Sans crier au chef-d’œuvre (faut pas déconner non plus), Frissons reste un film d’horreur
de série B qui se laisse regarder sans difficulté pour
les fans du genre et
les cinéphiles qui veulent découvrir
les prémisses d’une œuvre cinématographique. Un film
de genre anti-conservateur qui s’amuse à transgresser tous
les tabous sexuels
de l’époque (vieux/jeune, enfant/adulte, femme/femme, homme/homme) sous couvert d’une contamination liée à une mutation génétique expérimentale ou représentation
de la liberté sexuelle d'une certaine génération doublée
de l'angoisse concernant une éventuelle épidémie sexuelle extrêmement virulente et contagieuse ? Un peu
de tout cela sans doute...