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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Notre besoin de consolation est impossible à rassassier.
Il s'agit donc de l'unique texte que j'ai lu de Stig Dagerman. A vrai dire, je ne sais trop comment en parler. C'est très profond, on pourrait s'y noyer, mais on est comme trop accroché à la corde qui flotte quelque part. Faut-il se pendre ou dériver ainsi ? C'est rempli de phrases-couteaux et des phrases belles. Je crois que le plus simple est encore que vous le lisiez. C'est magnifique.
Je me joins à ces lignes et cette recommandation d'Alaska! Il faut être conscient qu'il s'agit d'un texte très court, d'une vingtaine de pages, mais d'une telle densité que je l'ai lu trois, quatre fois. Et je suis près de le reprendre encore une fois. C'est à couper le souffle.
Je remets le lien qui permet de lire ce texte de Stig Dagerman . Notre besoin de consolation est impossible à rassassier. Je l'ai lu hier et il est magnifique. Il est édité chez Actes Sud à 4 euros...Cela vaut , à mon avis, le coup de l'avoir sur papier, le garder, le relire... Je rejoins totalement les avis déjà exprimés.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
JMG Le Clézio (extrait de son discours de réception du Prix Nobel de Littérature):
"Dans les instants qui ont précédé l'annonce, pour moi très étonnante, de la distinction que m'octroyait l'Académie de Suède, j'étais en train de relire un petit livre de Stig Dagerman que j'aime particulièrement : la collection de textes politiques intitulée Essäer och texter (La Dictature du Chagrin). Ce n'était par hasard que je me replongeais dans la lecture de ce livre caustique et amer. Je devais me rendre en Suède pour y recevoir le prix que l'association des amis de Dagerman m'avait donné l'été passé, afin de rendre visite aux lieux de l'enfance de cet écrivain. J'ai toujours été sensible à l'écriture de Dagerman, à ce mélange de tendresse juvénile, de naïveté et de sarcasme. À son idéalisme. À la clairvoyance avec laquelle il juge son époque troublée de l'après-guerre, pour lui le temps de la maturité, pour moi celui de mon enfance. Une phrase en particulier m'a arrêté, et m'a semblée s'adresser à moi dans cet instant précis – alors que je venais de publier un roman intitulé Ritournelle de la Faim. Cette phrase, ou plutôt ce passage, le voici : « Comment est-il possible par exemple de se comporter, d'un côté comme si rien au monde n'avait plus d'importance que la littérature, alors que de l'autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c'est ce qu'ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l'écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s'apercevoir de son existence. » (L'écrivain et la conscience) Cette « forêt de paradoxes », comme l'a nommé Stig Dagerman, c'est justement le domaine de l'écriture, le lieu dont l'artiste ne doit pas chercher à s'échapper, mais bien au contraire dans lequel il doit « camper » pour en reconnaître chaque détail, pour explorer chaque sentier, pour donner son nom à chaque arbre. Ce n'est pas toujours un séjour agréable."
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
j'avoue ne pas m'être "posé" pour le lire très calmement du début à la fin mais si il faut bien reconnaitre de très belles phrases "sensées" j'ai du mal à entrer dedans. Un va et viens entre un sens large, humain et un jeu amer par l'auteur sur son propre talent ?
Le "livre" exprès me semble un peu exagérer du coup, pourquoi pas en ajout à d'autres textes ? (tout simplement). ça donne un petit côté fascination morbide littéraire étrange. (un peu différent d'une obsession littéraire de la mort du texte, bien que littéraire soir alors réducteur).
Moins pertinant et marquant qu'Automne allemand à mes petits yeux fatigués.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
j'avoue ne pas m'être "posé" pour le lire très calmement du début à la fin mais si il faut bien reconnaitre de très belles phrases "sensées" j'ai du mal à entrer dedans.
Alors pose-toi Animal...et relis-le... Je préfère avoir ce texte dans un livre que sur un écran, même s'il ne fait quelques pages: elles sont d'une telle densité! Rien à voir avec une fascination morbide...Juste la source d'une réflexion nourrie par une pensée profonde et un regard lucide...
Extrait:
" Je peux rester assis devant un feu dans la pièce la moins exposée de toutes au danger et sentir soudain la mort me cerner. Elle se trouve dans le feu, dans tous les objets pointus qui m’entourent, dans le poids du toit et dans la masse des murs, elle se trouve dans l’eau, dans la neige, dans la chaleur et dans mon sang. Que devient alors le sentiment humain de sécurité si ce n’est une consolation pour le fait que la mort est ce qu’il y a de plus proche de la vie – et quelle misérable consolation, qui ne fait que nous rappeler ce qu’elle veut nous faire oublier !
Je peux remplir toutes mes pages blanches avec les plus belles combinaisons de mots que puisse imaginer mon cerveau. Etant donné que je cherche à m’assurer que ma vie n’est pas absurde et que je ne suis pas seul sur la terre, je rassemble tous ces mots en un livre et je l’offre au monde. En retour, celui-ci me donne la richesse, la gloire et le silence. Mais que puis-je bien faire de cet argent et quel plaisir puis-je prendre à contribuer au progrès de la littérature – je ne désire que ce que je n’aurai pas : confirmation de ce que mes mots ont touché le cœur du monde. Que devient alors mon talent si ce n’est une consolation pour le fait que je suis seul – mais quelle épouvantable consolation, qui me fait simplement ressentir ma solitude cinq fois plus fort !
Je peux voir la liberté incarnée dans un animal qui traverse rapidement une clairière et entendre une voix qui chuchote : Vis simplement, prends ce que tu désires et n’aie pas peur des lois ! Mais qu’est-ce que ce bon conseil si ce n’est une consolation pour le fait que la liberté n’existe pas – et quelle impitoyable consolation pour celui qui s’avise que l’être humain doit mettre des millions d’années à devenir un lézard !
Pour finir, je peux m’apercevoir que cette terre est une fosse commune dans laquelle le roi Salomon, Ophélie et Himmler reposent côte à côte. Je peux en conclure que le bourreau et la malheureuse jouissent de la même mort que le sage, et que la mort peut nous faire l’effet d’une consolation pour une vie manquée. Mais quelle atroce consolation pour celui qui voudrait voir dans la vie une consolation pour la mort !
Je ne possède pas de philosophie dans laquelle je puisse me mouvoir comme le poisson dans l’eau ou l’oiseau dans le ciel. Tout ce que je possède est un duel, et ce duel se livre à chaque minute de ma vie entre les fausses consolations, qui ne font qu’accroître mon impuissance et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies, qui me mènent vers une libération temporaire. Je devrais peut-être dire : la vraie car, à la vérité, il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites."
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
je parlais de fascination morbide pour la mise en valeur d'un objet de 10 pages... comme si la mort et le suicide était un argument de vente de "super petit livre stylé". (c'est un peu l'impression que ça me fait).
Le texte en lui même est une réflexion sur la vie... et la mort (forcément). C'est lucide mais avec une forme de jeu sur la forme justement, et c'est peut être le plus intéressant là dedans. Une inconsistance/vanité/inutilité potentielle de toute la beauté formelle à l'arrivée/fin.
Je pense que dans l'ensemble le thème étant universel est touchant mais aussi extrêmement présent, dans la littérature notamment et que du coup pourquoi ce testament plus que d'autres ?
Je l'ai trouvé plus affuté dans Automne allemand.
tom léo Sage de la littérature
Messages : 2698 Inscription le : 06/08/2008 Age : 61 Localisation : Bourgogne
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Mer 28 Jan 2009 - 17:32
C'est à cause de vos remarques que j'ai lu cette semaine "Autumne allemand" de Dagerman et j'en suis très content. Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre.
Il me semble que, pour un Allemand de mon âge (né en '63), j'ai lu pas mal de choses sur le nazisme, la guerre, l'après-guerre. Mais peut-être c'était toujours d'une perspective allemande, dans le bon et dans le mauvais sens, dans le ton de l'accusation des autres, ou de soi-mêmes, de la lamentation etc. Dagerman me donne presque un autre approche. Je ne saurai pas dire qu'il est plus objectif..., mais tout en étant clairement antinazi, il VOIT, OBSERVE et essaie de COMPRENDRE, le pourquoi des choses. Dans toutes ces dimensions il est très fin, très juste. Il dit des choses qu'un Allemand ne saurait pas dire ou ne savait pas dire sous le risque d'être mal compris. Il touche dans ses articles des réalités assez diverses de cette période: la situation dans les villes détruites surtout, mais aussi des remarques perspicaces sur la concurrence entre paysans et citadins, certains politiciens de cette période etc. Eventuellement certaines choses sont "partielles" et ont trouvé d'autres développements dans les années qui ont suivi, mais il est très étonnant que Dagerman a si tôt saisi pas mal de points essentiels. Ce sont des articles très importants pour saisir l'histoire allemande, mais dans certaines constats (dans les question de la faim et l'aveu d'une culpabilité p.ex.!) ce livre reste d'actualité dans bien d'autres situations de guerre...
L' impression qui persiste après avoir lu Automne allemand, c'est effectivement la vison lucide - presque trop - d'un jeune homme de 23 ans, marqué par l'angoisse qui aura finalement raison de lui un peu plus tard.
Ni voyeur, ni complaisant, Dagerman traverse un pays en ruines et des gens qu'il ne juge pas. Ils ont tous en commun la souffrance qu'on leur a infligés indistictement.
Et l'interrogation de Dagerman est : était-ce justifié ? Etait-ce nécéssaire ? Et cela suffisait pour jeter de l'huile sur le feu en Suède, qui était en pleine crise de culpabilité et de mauvaise conscience.
Et puis aussi, ce dont parle Tom Leo et que j' avais oublié.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Mer 28 Jan 2009 - 22:43
Intéressant ce que vous dites, Tom Léo et Bix...
Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Jeu 5 Mar 2009 - 2:23
Je ne vois guère quoi rajouter à ce que vous avez déjà écrit sur Automne allemand. Qui est non seulement une vision remarquablement intelligente et dénuée de tout jugement , mais aussi un texte ( ou plutôt des textes, puisqu'il s'agit d'une série d'articles rassemblés) très bien écrits. C'est à la fois froid et intensément douloureux. J'insisterais simplement sur ce qui est une des forces de ces textes, et que souligne la préface de Philippe Bouquet, le goût permanent de la dérision et du paradoxe. Il y a certaines scènes ( par exemple, un craquement de pomme mordue dans un train cauchemardesque, ou ces fameux tribunaux grotesques de dénazification) qui seraient fort drôles,la drôlerie de l'absurde. Si elles n'étaient pas si tristes.
Quant au couple que forment culpabilité et souffrance- ses deux grandes préoccupations-leur mise en relation révèle des rapports qui sont loin d'être univoques et font le délice de l'amateur de paradoxes. Lisez la préface , elle est remarquable aussi.
just Espoir postal
Messages : 36 Inscription le : 21/07/2010 Age : 40 Localisation : france
rien à ajouter tout est déjà dit, quel brillant auteur, quelle lucidité, merci pour les conseils que je viens de glaner...je vais aller querir l'automne allemand que je n'ai jamais lu!
infinitudes Espoir postal
Messages : 29 Inscription le : 09/10/2010
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Mer 24 Nov 2010 - 19:53
J'ai découvert Stig Dagerman lors d'un concert des Têtes Raides aux Francofolies. Une grande claque dans ma tête à moi. Incroyable, le premier choc a été artistique, j'ai trouvé incroyable qu'un groupe de musique plutôt festive ose artistiquement lire sur fond musical un texte d'une part long (prestation de 20 minutes) et si sombre. C'était une lecture musicale et "vécue", jouée, de "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier" : un gros truc casse-gueule en concert.
De fait, une partie du public est partie vers la moitié, au moment où l'auteur arrive à la conclusion que la seule liberté reste le suicide. Cela m'a permis d'être devant à boire littéralement ce texte. Je me retrouvais comme devant un grand Cantat, quand il sublime "Ces gens-là" ou "Des armes", tous les poils au garde-à-vous.
Dès le lendemain, j'ai acheté ce texte, puis d'autres.
J'ai beaucoup aimé "L'enfant brûlé" et, curieusement, quand j'ai lu "Profondeurs" de Mankell juste après, il m'a semblé retrouver le même ressort psychologique, cette personne manipulatrice, qui croit tellement en ses mensonges, qui sont en fait ses rêves, qu'il arrive à donner l'illusion.
J'ai attaqué aujourd'hui "La dictature du chagrin" dans le métro et, arrivée en avance au boulot, j'ai été incapable de le lâcher jusqu'à ma prise de poste (et même une grosse tentation de m'enfermer aux toilettes avec ) : je ressens encore une grande claque.
Cette lucidité est incroyable, ce qu'est la démocratie, comment naissent les dictatures, comment les peuples sont manipulés, le lien entre armes et culture; et même, d'une incroyable actualité pour un texte de 1945, un discours sur la paix avec l'exemple de la Corée. Je vous assure, quand mon collègue a poussé la porte de mon bureau, j'étais toute chose, il m'a demandé si j'allais bien et la seule chose que j'ai pu répondre a été "Putain, je suis anarcho-syndicaliste"
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Mer 24 Nov 2010 - 21:48
infinitudes a écrit:
Je vous assure, quand mon collègue a poussé la porte de mon bureau, j'étais toute chose, il m'a demandé si j'allais bien et la seule chose que j'ai pu répondre a été "Putain, je suis anarcho-syndicaliste"
J'imagine la tête de ton collègue, après... Je n'ai guère lu que Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, très bien (et qui doit bien rapporter à l'éditeur, près de 4 euros les 20 pages, on sent qu'Actes Sud veut faire de l'argent : ils auraient pu "compléter" avec d'autres textes quand même)... Il faudra que j'en lise d'autres...
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Mer 24 Nov 2010 - 21:48
Il a de bons lecteurs Dagerman ! Tant mieux !
J' ai souvent pensé à lui et j' ai conclu que son excès de lucidité était suicidaire... D' autres écrivains sont aussi passés à l' acte : Pavese, les japonais Ozamu Dazai, Mishima, Kawabata, Hemingway... Et d' une certaine façon Fitzgerald...
Orientale Agilité postale
Messages : 903 Inscription le : 13/09/2009 Age : 71 Localisation : Syldavie
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Jeu 25 Nov 2010 - 7:32
Je tombe tout a fait par hasard sur le nom de cet auteur.
Dagerman n'est pas traduit en bulgare, a prt un petit recit dans une edition electronique. Le titre c'est "Tuer un enfant". Et sur youtube il y a un petit film sur ce recit:
willself Espoir postal
Messages : 36 Inscription le : 30/07/2010 Age : 43 Localisation : ailleurs
Sujet: Re: Stig Dagerman [Suède] Jeu 25 Nov 2010 - 14:33
J'ai lu il y a bien longtemps Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, titre-programme qui donne une bonne idée du contenu. Il y a du Cioran chez lui. Il a longtemps été considéré comme un très grand auteur, surtout en France. Le texte intégral est disponible ici Consolation