Abdelatif Kechiche

Ce qui me gêne le plus dans cette polémique est de constater qu’une actrice ne peut pas se plaindre des conditions difficiles d’un tournage sans se faire ensuite traiter d’enfant gâtée alors que nous ne savons rien justement de ces conditions ni des conséquences émotionnelles qu’elles ont pu engendrer. On n’a pas traité les techniciens de chochottes lorsqu'ils se sont exprimés sur les conditions éprouvantes du tournage il me semble. Léa Seydoux, de par son âge et son expérience, est évidemment plus à même d’en parler qu’une jeune Adèle Exarchopoulos qui a certainement tout donné d’emblée sans se préserver dans sa toute première expérience cinématographique. Léa Seydoux a tourné avant et depuis lors, Adèle Exarchopoulos est en attente de propositions et n’a jamais tourné que ce seul film, cela change beaucoup la donne. Mais quand je lis dans une interview que la jeune Adèle Exarchopoulos a du prendre du lexomil tous les jours pendant le tournage, cela me pose question. Alors je veux bien moi qu’on parle d’art mais il y a quand même des limites et je peux comprendre qu’une actrice exprime le fait qu’elle ne veuille plus revivre ce genre d’expériences douloureuses.

En lisant la réponse du réalisateur, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il aurait gagné à se taire tant ses propos sont rudes et entachés de mépris et de morgue.

On ne peut qu'extrapoler sans savoir. On peut aussi se demander si elle ne se venge pas du fait que Kechiche lui a fait prendre conscience qu'elle n'etait pas très bonne actrice sur le tournage. Kechiche dit qu'elle lui a demandé de la pousser pour devenir meilleure alors qu'ils envisageaient d'arrêter (en payant son contrat quand même). Elle était bien la pour monter sur la scène à Cannes à la remise des prix ou elle était pleine de reconnaissance. Ça n'empêche pas que Kechiche doit être un tyran et que son équipe lui en fait payer le prix. Ça le fera peut être évoluer. Ça me fait penser à certains enseignants qui nous font progresser, certains par la générosité d'autres en nous malmenant. Je détestais les seconds mais certains aimaient cette façon de faire, disaient en avoir besoin. En tout cas on aura du mal à voir le film de la même façon.

Marko a écrit:

En tout cas on aura du mal à voir le film de la même façon.

C'est évident, maintenant le regard posé sur ce film sera tout sauf neutre.
J'ai vu Léa seydoux dans Grand Central et je trouve que c'est vraiment une bonne actrice.

Je suis assez d'accord avec Sentinelle, c'est facile de dire que Léa Seydoux réagit en enfant gâtée... (j'ai même envie de dire que c'est un peu sexiste... je ne sais pas si on dirait la même chose d'un acteur dans les mêmes circonstances ?...  ).
Après, sur la polémique en elle-même, je n'ai qu'une vision extérieure... mais s'il est clair qu'il y a des cinéastes plus "durs" que d'autres mais il n'en demeure pas moins qu'il y a des limites dans la recherche de perfection qui sont le respect de l'autre, dans son intégrité physique et psychique. Il y a des chefs d'oeuvre qui ont été tournés sans violence ni humiliation, et je ne vois pas en quoi l'art serait une excuse ?...


Sinon, je ne sais pas trop si j'irai voir le film en fait... j'étais un peu passée à côté de La Graine et le Mulet en fait. A vrai dire, la seule scène où j'ai vraiment éprouvé une émotion, c'est une des dernières scènes où l'héroïne danse devant les invités. Là oui, c'était bien filmé.
Après, c'est une manière de tourner trop "naturelle" ou manquant d'effets... Je me rappelle une autre scène où pendant 10 minutes, on assiste à un repas de famille, comme s'il avait posé la caméra dans le salon et laissé parler les gens. Peut-être qu'il y a eu plusieurs prises et que cette scène était travaillée, je ne sais pas ? Mais j'ai vraiment eu l'impression de me retrouver dans un repas de famille et sérieusement... aller au cinéma pour voir la même chose qu'à la maison, je vois pas bien l’intérêt...   (de toute façon, trop de réalisme tue l’intérêt d'une oeuvre quelle qu'elle soit, pour moi...)
Mais peut-être que La Vie d'Adèle sera différent du coup ?... Enfin, je verrais bien ce qui sortira à ce moment-là, mais je ne suis pas sûre que ça sera ma priorité cinématographique du moment...

En tout cas, Seydoux ne remet pas en cause le talent de Kechiche, juste sa façon de faire. Alors que lui la casse immédiatement en disant qu'elle n'est pas douée, et qu'il a essayé de la révéler (on a bien l'impression en lisant l'article qu'il n'y est pas parvenu, non ?). Déjà ça en dit beaucoup sur leurs regards à tous deux sur l'autre.
Qu'elle n'est rien dit avant et qu'elle a joué le jeu de Cannes est un argument irrecevable (et je sais ce que c'est de réagir tardivement aux choses ! Certes elle a eu tort de ne pas le faire avant, mais ça devait être compliqué de s'émanciper de tout ça quand même. Et d'avoir du recul).

Et... quelle valeur donner au travail d'un réalisateur qui reconnaît plus ou moins s'être laissé embobiner par une actrice qu'il trouve mauvaise, et d'avoir fait tout un film avec elle ? Pourquoi l'a-t-il garder au fond ? Étrange. Je pense qu'il y a des choses qui ne sont pas dites, et qu'on ne saura jamais.

Ce qui est certain, c'est que Kechiche a des méthodes très contraignantes. Comme le dit Marko : certains "aiment" ça. Maintenant que tout le monde le sait, personne ne pourra plus dire qu'il ne sait pas où il met les pieds.

Après, de toute façon, on ne sait pas vraiment (sauf du côté des techniciens qui ont été plus précis) à quel niveau il a été dur avec les actrices, donc difficile de savoir s'il va trop loin ou pas.


Et... je ne sais pas si j'ai envie de voir son film du coup.

J'aimerais être certaine qu'il a juste des méthodes dures et compliquées, et qu'il ne peut pas travailler avec n'importe qui. Mais là, j'ai de plus en plus un doute : ses méthodes sont peut-être vraiment horribles. Des choses que je ne cautionnerais pas.

12:39:50

Chymère a écrit:

Je suis assez d'accord avec Sentinelle, c'est facile de dire que Léa Seydoux réagit en enfant gâtée... (j'ai même envie de dire que c'est un peu sexiste... je ne sais pas si on dirait la même chose d'un acteur dans les mêmes circonstances ?...  )

Il y a plein d'hommes enfants gâtés je te rassure   Et notamment chez les acteurs.

Marko a écrit:

Il y a plein d'hommes enfants gâtés je te rassure   Et notamment chez les acteurs.

ou Abdelatif Kechiche par exemple ?  

Ça me questionne toujours les personnalités tyranniques. Je ne supporte pas ce mode de fonctionnement, ça me donne de l'urticaire. Être obligé de diminuer l'autre pour le faire grandir, ça me dépasse. Mais j'irai voir le film parce que j'essaye toujours de juger les œuvres en dehors de toute considération pour la moralité de l'auteur. Il y a énormément d'artistes très doués qui doivent être décevants humainement parlant (sans que ça fasse autant de bruit) et je considère à tort ou à raison que ça ne doit pas entacher le jugement, surtout que c'est toujours un peu compliqué de juger de l'extérieur. Abdelatif Kechiche en tant qu'homme peut être un parfait tdc à mes yeux, ce n'est pas l'homme que je vais voir en salle, c'est l’œuvre. Mais étant donné que le fait d'aller voir ses films peut l'encourager dans sa tyrannie, je ne sais pas encore exactement où se situe mon point de rupture.

Mais ça marche dans les deux sens cela dit : si j'aime le film, ça ne m'empêchera pas de continuer à penser que c'est un tdc.

Kubrick avait maltraité Shelley Duvall dans Shining pour qu'elle ait l'air vraiment terrifiée...

Jimmy a écrit:

Kubrick avait maltraité Shelley Duvall dans Shining pour qu'elle ait l'air vraiment terrifiée...

Et qu'il la trouvait mauvaise surtout. Lars Von Trier et Björk. Pialat et Sophie Marceau, Catherine Breillat et sa comédienne ... Il y a parfois des rapports de force difficiles humainement (et dommageables surement) qui servent le projet au détriment de la personne. L'intensité qu'on voit à l'écran mérite-t-elle tout ça?  Pas évident de répondre. J'imagine être dirigé ne serait ce que pour une scène banale. Ça me serait déjà pénible et angoissant. J'imagine pour incarner des sentiments violents à un tel niveau! Mais c'est aussi un beau métier que de savoir parvenir à ça quitte à en baver un peu... Kechiche a probablement poussé son équipe trop loin.

Marko a écrit:

Mais c'est aussi un beau métier que de savoir parvenir à ça quitte à en baver un peu... Kechiche a probablement poussé son équipe trop loin.

Est-ce encore un beau métier à ce moment ?

Ce qui me chagrine dans cette histoire c'est que nous sommes loin de Diderot et du paradoxe du comédien. S'agit-il dans ce cas de comédiens tournant un film ou de personnes que le réalisateur malmène pour les amener à s'impliquer de façon excessive ?
Je ne peux m'empêcher de penser que Kechiche s'est montré tel qu'il est.

Son film se passera de moi. Ce n'est certes guère important en soi mais pour moi oui.

J'avais détesté l'esquive de toute façon et apprécié moyennement la graine et le mulet... En tout cas vos deux posts sont intéressants marko et sekotyn.

Pour ce qui est de voir ou non ce film, j'attends de lire davantage d'avis des spectateurs. Je me méfie toujours des films mettant en scène une relation homosexuelle féminine par un réalisateur masculin. Je trouve qu'ils passent souvent à côté de leur sujet et je finis par ne plus voir que le reflet de leurs fantasmes masculins qui parasitent en final le propos. Ce n'est qu'un ressenti tout à fait personnel, cela va de soi.
Mais quand je lis les déclaration de Julie Maroh, auteur de la BD Le bleu est une couleur chaude, cela me pose question :

Citation :

Quant au cul… Oui, quant au cul… Puisqu’il est beaucoup évoqué dans la bouche de celles et ceux qui parlent du film… Il est d’abord utile de clarifier que sur les trois heures du film, ces scènes n’occupent que quelques minutes. Si on en parle tant c’est en raison du parti pris du réalisateur.

Je considère que Kechiche et moi avons un traitement esthétique opposé, peut-être complémentaire. La façon dont il a choisi de tourner ces scènes est cohérente avec le reste de ce qu’il a créé. Certes ça me semble très éloigné de mon propre procédé de création et de représentation. Mais je me trouverais vraiment stupide de rejeter quelque chose sous prétexte que c’est différent de la vision que je m’en fais.

Ça c’est en tant qu’auteure. Maintenant, en tant que lesbienne…
Il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau: des lesbiennes.
Je ne connais pas les sources d’information du réalisateur et des actrices (qui jusqu’à preuve du contraire sont tous hétéros), et je n’ai pas été consultée en amont. Peut-être y’a t’il eu quelqu’un pour leur mimer grossièrement avec les mains les positions possibles, et/ou pour leur visionner un porn dit lesbien (malheureusement il est rarement à l’attention des lesbiennes). Parce que – excepté quelques passages – c’est ce que ça m’évoque: un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui m’a mise très mal à l’aise. Surtout quand, au milieu d’une salle de cinéma, tout le monde pouffe de rire. Les hérétonormé-e-s parce qu’ils/elles ne comprennent pas et trouvent la scène ridicule. Les homos et autres transidentités parce que ça n’est pas crédible et qu’ils/elles trouvent tout autant la scène ridicule.  Et parmi les seuls qu’on n’entend pas rire il y a les éventuels mecs qui sont trop occupés à se rincer l’œil devant l’incarnation de l’un de leurs fantasmes.

Bref, je suis circonspecte.

C'est vrai que cela pose beaucoup de questions. Notamment l'écart pensée entre les communautés gay et hétéros. Les bi doivent se sentir bien seuls... Ceci dit ce film a interpellé donc il est au moins utile pour cela non ?

sentinelle a écrit:

Léa Seydoux, de par son âge et son expérience, est évidemment plus à même d’en parler qu’une jeune Adèle Exarchopoulos qui a certainement tout donné d’emblée sans se préserver dans sa toute première expérience cinématographique.

Disons que les médias kiffent seydoux, et elle leur rend bien (cf la belle couverture de Lui)... je pense qu'Adèle n'aurait pas été contre un peu plus de présence.... qui arrive cette semaine :


un extrait :

Citation :

"Faut arrêter, Abdel ne nous a ni frappées ni torturées, il nous a juste demandé de tout donner. Alors, il y a des jours où on donne tout, et d'autres où on a moins envie de tout donner parce c'est dur de garder une même intensité pendant des mois. Mais je ne regrette absolument rien et je ne me plains pas. (...) La Vie d'Adèle a été une école magnifique, j'ai appris sur moi et mon métier comme jamais. Abdel m'a tirée vers le haut... tout le reste, c'est des conneries."

Après on peut toujours polémiquer pour savoir qui est la plus légitime...
Personnellement, je me dis que les artistes n'ont pas le même cachet que les techniciens, et qu'on en attend plus côté investissement et je suis plus affectée par le premier débat que le second... Marko citait Trier, je pensais au même... j'ai l'impression que les attaques étaient moins virulentes que pour Kechiche, bien que tout le monde sait qu'il est insupportable.


Mais c'est vrai que c'est marrant de voir à quel point cela passionne...  

Sinon, juste pour détendre un peu l'atmosphère : clic

Maryvonne a écrit:

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Le culte de la personne
ça en dit long quand même