Abdelatif Kechiche

Le parti pris de Kechiche a l'air plus dur que celui de la BD (il n'y avait pas, il me semble, ce truc marqué de différence entre deux milieux qui ne se rejoindront jamais, ni cette supériorité tellement affecté chez Emma).

Je pense que ton regard sur ce qu''a voulu transmettre Kechiche est juste :

Citation :

On sent l'affection de Kechiche pour les plus modestes et l'acidité de son regard lorsqu'il montre ceux qui se considèrent comme des élites.[...]
Je trouve cette vision dichotomique trop facile et finalement pas si juste. Je crois aux passerelles sociales et aux couples différents... Alors que le film condamne pratiquement cette différence. Mais c'est mon regard et je me trompe peut-être.

Car il dit dans un article :

Citation :

Il y a au cœur du film une idée assez désenchantée...
[...]
L'impossibilité de s'aimer lorsqu'on ne vient pas des mêmes milieux sociaux, cette idée qu'ils ne peuvent pas se rejoindre, que l'un méprise l'autre même. C'est inscrit partout dans le film, même dans l'idée de prendre deux actrices qui viennent de deux milieux sociaux opposés. [...]
Il y a des notables bourgeois qui aiment qu'on leur rappelle ce qu'ils sont. Mais je ne porte pas un regard agressif sur ces gens-là. Je titille le bourgeois mais je reste très affectueux avec tous mes personnages.

Il a une certaine amertume, tout de même, envers ces "bourgeois". Une histoire de vengeance quelque part ?

Citation :

La critique me soutient[...]. Le public, lui, plus ou moins. Les gens du métier me démontrent effectivement leur affection. Mais ceux qui sont tout au-dessus, ceux qui ont un fort pouvoir décisionnaire... ceux auxquels les gens de la profession prêtent allégeance... eh bien ceux-là, je les... je les... je les...

[...]

Je les embrasse (rires).

Pourtant dans mon entourage personnel les passerelles entre les milieux sociaux (jolie expression en passant) sont très présents dans les couples qui se sont formés...
Décidémment moi et Kechiche je vais quand même me forcer à aller le voir si ma femme a envie...

Queenie a écrit:

Je pense que ton regard sur ce qu''a voulu transmettre Kechiche est juste :

Citation :

On sent l'affection de Kechiche pour les plus modestes et l'acidité de son regard lorsqu'il montre ceux qui se considèrent comme des élites.[...]
Je trouve cette vision dichotomique trop facile et finalement pas si juste. Je crois aux passerelles sociales et aux couples différents... Alors que le film condamne pratiquement cette différence. Mais c'est mon regard et je me trompe peut-être.

Car il dit dans un article :

Citation :

Il y a au cœur du film une idée assez désenchantée...
[...]
L'impossibilité de s'aimer lorsqu'on ne vient pas des mêmes milieux sociaux, cette idée qu'ils ne peuvent pas se rejoindre, que l'un méprise l'autre même. C'est inscrit partout dans le film, même dans l'idée de prendre deux actrices qui viennent de deux milieux sociaux opposés. [...]
Il y a des notables bourgeois qui aiment qu'on leur rappelle ce qu'ils sont. Mais je ne porte pas un regard agressif sur ces gens-là. Je titille le bourgeois mais je reste très affectueux avec tous mes personnages.

Il a une certaine amertume, tout de même, envers ces "bourgeois". Une histoire de vengeance quelque part ?

Citation :

La critique me soutient[...]. Le public, lui, plus ou moins. Les gens du métier me démontrent effectivement leur affection. Mais ceux qui sont tout au-dessus, ceux qui ont un fort pouvoir décisionnaire... ceux auxquels les gens de la profession prêtent allégeance... eh bien ceux-là, je les... je les... je les...Je les embrasse (rires).

Je ne partage pas complètement sa vision même s'il montre des vérités. Chaque microcosme a son langage, ses clichés, sa difficulté à intégrer ce qui est différent tout en se revendiquant ouvert et progressiste. Les limites apparaissent rapidement. Kechiche le montre sous plein d'aspects variés dans le film. Les bonnes copines qui deviennent haineuses quand Adèle passe d'un garçon à une fille, les bobos qui écrasent ceux qui n'ont pas le même bagage culturel de leur supériorité condescendante, les parents d'Emma qui jugent sous couvert d'être généreux et accueillants... Mais il y a dans tous milieux de nombreuses exceptions et on peut s'aimer, avoir des amis dans des univers sociaux différents en intégrant ces décalages comme un enrichissement même si la tentation est grande de se regrouper spontanément dans le même cercle socio-culturel qui a lui-même ses sous-groupes.

Certains journalistes semblent reprocher à Kechiche de faire dire beaucoup de clichés à ses personnages mais je pense au contraire que le monde qu'il décrit est ainsi. On se dit beaucoup de banalités et d'idées reçues dans bien des conversations. Il est observateur aigu de la nature humaine. Le milieu lesbien est lui-même montré comme un microcosme qui a ses codes, qui exclut et les personnalités restent évidemment influencées par leur appartenance à un milieu social. Hétéros, homos, bi... même combat. Nous avons les mêmes travers et les mêmes limites malgré nos différences. Il n'est finalement  indulgent qu'avec Adèle (et un peu Salim Kechiouche) en tant que candide mais aussi jeune femme à la croisée des chemins (bisexuelle, prolétaire mais éveillée à la culture, n'imposant rien). Elle rayonne parce qu'elle est ouverte aux autres, elle est de ceux qui créent les passerelles, qui transmettent. Et l'enseignement est pour Kechiche une de ces passerelles. Il montre très bien ce qui se passe dans une salle de classe et l'impact de certains professeurs sur les élèves réceptifs. C'est un des aspects les plus intéressants du film avec les scènes d'intimité sexuelle. Le sexe est d'ailleurs le seul espace hors cercles où les différences culturelles s'effacent.

Ce qui est marrant, c'est que justement l'auteure de la Bd à l'origine du film a pas mal critiquer les scènes de sexe (en disant en substance que c'était une vision hétéro du sexe lesbien).
Faudra que je retrouve l'article, je ne sais plus où je l'avais vu, dans Slate ou Rue89 un truc comme ça...


Edit : waalà...

NextLibé


Slate

Chymère a écrit:

Ce qui est marrant, c'est que justement l'auteure de la Bd à l'origine du film a pas mal critiquer les scènes de sexe (en disant en substance que c'était une vision hétéro du sexe lesbien).
Faudra que je retrouve l'article, je ne sais plus où je l'avais vu, dans Slate ou Rue89 un truc comme ça...

C'est une vision du sexe tout court à mon avis. Je ne pense pas qu'il y ait une sexualité  homo ou lesbienne spécifique mais toute une variété de relations comme pour les hétéros. C'est en tout cas la vision de Kechiche sur ce couple bien spécifique. Il y a d'ailleurs dans cette sexualité à la fois l'intensité de leur désir et le rapport de force que j'évoquais (bien que ce soit assez équilibré). Il faudrait aussi expliquer ce que serait une vision hétéro de la sexualité lesbienne (?). Un truc éthéré à la David Hamilton ou des camionneuses SM? En tout cas ce sont des scènes jamais vues, impressionnantes, fascinantes, dérangeantes. Il a fait fort.

J'ai hâte que vous alliez voir le film pour que ça fasse débat!!!  

Un film exceptionnel dans sa perception de l'intimité, remplie de fragilité et de bouleversements, vécue comme un flux, un torrent que Kechiche transcende de bout en bout. Chaque séquence construit un instant, un morceau de vécu où toute pulsation peut compter, mise à nu d'un ressenti déchirant par sa sincérité et l'éclat d'un désir de vivre. Ce parcours d'Adèle à la recherche d'une estime de soi, d'un absolu est suivi à la trace, avec un sens du rythme souvent prodigieux tant la moindre expression de sensibilité est incarnée.

Un état de grâce ne peut cependant masquer la sensation d'une tristesse, d'un manque, d'un regret et je rejoins Marko dans son analyse du message de Kechiche, en accentuant même un constat. Au-delà des barrières socio-culturelles constamment surlignées, la relation entre les deux jeunes filles semble révéler l'impossibilité d'un partage : les discussions, les échanges sont entièrement dominés par l'enjeu d'un savoir qui ne peut que précipiter l'incompréhension, cristalliser une solitude. Adèle est de son côté toujours confrontée à l'exclusion d'un groupe et l'épilogue marque un surplace particulièrement cruel, que je ne peux absolument pas partager et accepter car il symbolise pour moi un gâchis et un échec.
Le discours est de toute façon assumé, sans nuances et la colère qu'il exprime donne aussi au récit sa force incandescente, d'une puissance rare. C'est par la violence d'une rancoeur que Kechiche rend Adèle et Emma inoubliables, prisonnières d'un passé et d'un environnement qu'elles ne parviennent pas à défaire.
Il est difficile de conclure de façon mesurée mais La vie d'Adèle est magnifique malgré les frustrations que j'ai pu évoquer.

Voilà qui fait envie.
Je me souviens plus tellement de la BD qui a été à l'origine de cette adaptation...  Elle n'était pas mauvaise mais elle ne m'a pas laissé beaucoup de souvenirs.

J'en reparlerais : j'ai beaucoup aimé La vie d'Adèle ! Mais j'ai quelques bémols sous le coude.

Allez le voir !

pour ceux qui ont vu le film (cad pas moi)
clic
et qui ont de l'humour.

Maryvonne a écrit:

pour ceux qui ont vu le film (cad pas moi)
clic
et qui ont de l'humour.

C'est très très drôle !

Vu La vie d'Adèle. Du tri à faire pour rendre compte de ce maelström émotionnel. Plus tard ...

Queenie, Traversay vous me faites languir!! Un commentaire ! Un commentaire !

Kechiche, réalisateur cinématographique du documentaire qui n'en est pas un. Ou comment passer 3h à montrer des gros plans de visages, à pousser les comédiens jusqu'au bout d'eux-même, au point que ça se sent que quelque chose de Vrai se passe sous nos yeux.
Spectateur mit frontalement, violemment, sans concession, sans chichiteries, devant l'étalage des émotions à l'état brut.
Forcément, ça touche d'une façon ou d'une autre.

Points positifs : un scénario qui tient du début à la fin. Décorticage d'une histoire d'amour dans une cohérence totale. Des acteurs qui semblent tout donner. Des scènes qui vont loin dans la démonstration émotionnelle (ça peut aussi être un défaut).
La justesse de certains dialogues, de situations terribles (notamment les moments de lycée. Le rejet des autres face à quelque chose qui rend différent. Les scènes de rupture, les scènes de drague dans un cinéma, les baisers volés dans des cages d'escaliers).
Un regard scrutateur qui n'est pas gratuit (scènes de sexe comprises. Kechiche a la cohérence de les filmer d'aussi près et aussi longuement que toutes les autres scènes clés de son film).

Points négatifs : le jeu sur le clichés c'est risqué. Kechiche joue et se plante, souvent. Comme quelqu'un qui veut souligner des aspects et les soulignent tellement que son discours devient trop manichéen (les exemples pourraient pleuvoir, comme vous l'avez dit : le clivage bourgeois-prolo, intellectuel-pragmatique (oui quand t'es instit, tu te contente des petits plaisirs de la vie comme faire la vaisselle et faire l'amour à ta femme. Oui quand t'es artiste, tu fais des petites branlettes intellectuelles avec tes potes et méprise ceux qui ne font rien d'artistique).
Un film qui pourrait être taxer rapidement de sexiste aussi. A cause de cette façon qu'à Kechiche de vouloir dire quelque chose et d'en oublier les nuances (Une fille, ça pleure tout le temps, c'est connu).
Des longueurs et Kechiche qui essaye de donner du corps esthétique à son film, non, ça ne sert à rien et c'est pas beau (filmer trois fois une actrice qui dort, faut savoir le faire. Kechiche non. Mettre des touches bleues dans chaque plan, ça pourrait être intéressant, sauf que c'est tellement ostentatoire que ça devient ridicule).


Un très bon film avec des défauts, mais le très bon reste au-dessus, je pense. Je n'en reste pas très sûre quelques jours après l'avoir vu. Une fois que l'émotion des trois heures à être vraiment dedans est passée, une fois que je réfléchis à tête reposée, il me reste plein de détails qui me dérangent. Je ne suis pas certaine que ce film supporterait un re-visionnage.

Je n'ai finalement aucune envie de voir ce film tant je ne veux pas être prise en otage par toutes ces émotions imposées à coup de gros plans et ce malgré tout le bien que vous en dites
J'ai besoin d'espace, de respiration dans un film et je pense que le réalisateur ne me laissera pas cette possibilité là. C'est difficile à expliquer mais je me comprends