Abdelatif Kechiche

sentinelle a écrit:

Je n'ai finalement aucune envie de voir ce film tant je ne veux pas être prise en otage par toutes ces émotions imposées à coup de gros plans et ce malgré tout le bien que vous en dites
J'ai besoin d'espace, de respiration dans un film et je pense que le réalisateur ne me laissera pas cette possibilité là. C'est difficile à expliquer mais je me comprends  

Je te trouve très claire, et très juste dans ton a priori. C'est clair que Kechiche ne laisse pas de respirations ou de libertés à son spectateur.


Te voilà donc avec 3h de vie en plus pour regarder un film qui te plairait et nous en parler !

Je comprends aussi largement ton point de vue même si je trouve que l'espace est présent car il revient au spectateur d'interpréter le parcours de vie d'Adèle et Emma, de lui donner un sens. Kechiche n'impose pas à mon goût, il montre jusqu'à l'excès, surligne, accentue violemment chaque état d'âme.
En tout cas, mon impression s'est encore enrichie depuis le visionnage et l'oeuvre restera longtemps en moi. Je retiens avant tout une perception de la solitude, de l'intimité et de l'appropriation de soi.

Il faut que j'y retourne...

Sérieusement ? 3h ? De nouveau ?

Avadoro a écrit:

même si je trouve que l'espace est présent car il revient au spectateur d'interpréter le parcours de vie d'Adèle et Emma, de lui donner un sens. Kechiche n'impose pas à mon goût, il montre jusqu'à l'excès, surligne, accentue violemment chaque état d'âme.

Je trouve, au contraire, qu'il ne laisse aucun espace de liberté à l'interprétation. Les ellipses qu'il laisse sont de toute façon tellement emplie de préjugés et a priori, de caractères marqués à gros traits, que je n'ai absolument pas réussie à projeter quoique ce soit.

Par contre, oui, ces vies décortiquées font sens, mais je trouve que c'est celui que donne le réalisateur, pas celui qu'il propose. (c'est pas mauvais comme système, juste que moi je n'y trouve pas de liberté et d'espace à l'intérieur)

Queenie a écrit:

Par contre, oui, ces vies décortiquées font sens, mais je trouve que c'est celui que donne le réalisateur, pas celui qu'il propose. (c'est pas mauvais comme système, juste que moi je n'y trouve pas de liberté et d'espace à l'intérieur)

Cela rejoint assez bien mes craintes. Puis je n'apprécie guère l'excès de plans serrés, je trouve que c'est un procédé "facile" pour susciter une émotion chez le spectateur. Quoi de plus immédiat que d'éprouver de la tristesse en contemplant un visage triste, de l'anxiété face à un visage anxieux ? C'est en cela aussi que je parle de ne pas être vouloir être prise en otage par ces émotions trop immédiates. Je préfère les non-dits et une certaine prise de distance dans laquelle mon émotion pourra s'engouffrer tout à son aise. J'ai l'impression d'y trouver ma place et non celle imposée par le réalisateur.

Marko a écrit:

Il faut que j'y retourne...

Sacré Marko  
Bon, j'en parlerai bientôt mais vous avez dit l'essentiel

Elle n'est pas morte, Adèle

Bon, tout a été dit, ou presque. je comprends tout à fait les réticences de sentinelle, le film étant en effet un piège tentaculaire qui se referme sur ses spectateurs au point d'être parfois irrespirable. Il restera pour moi parmi les 4 ou 5 plus importants de l'année.

Avant tout, une histoire d'amour, des prémices à la séparation. Homo ? Certes, et toute la première partie de La vie d'Adèle en parle en conscience, d'un point de vue social et face aux regards extérieurs et peut apparaître comme la moins convaincante parce que signifiante au possible. Mais le propos s'élargit peu à peu et s'universalise. C'est une (grande) histoire d'amour, un point c'est tout. L'union charnelle et incendiaire de ces deux jeunes femmes est montrée, entre autres, par deux scènes de sexe. La deuxième, courte et très explicite, est peut-être de trop. Question de point de vue mais on peut la juger embarrassante en tant que telle. Des longueurs ? Sur 3 heures, c'est inévitable, mais il y en a si peu. Le film est d'une incroyable richesse, incandescent et passionnant, y compris quand il s'aventure dans les mondes de l'art et de l'éducation. Mais jamais autant que quand il traite du rapport amoureux et fusionnel avec in fine une scène de rupture magistrale. A partir de là, La vie d'Adèle est un bloc de douleur et Kechiche se surpasse dans la dernière heure, à l'image de ce qu'il avait réussi dans La graine et le mulet. Si Léa Seydoux est parfaite, une actrice interprétant magnifiquement son rôle, Adèle Exarchopoulos semble, elle, jouer davantage, sa vie et ses tripes. Elle donne tout à son metteur en scène qui s'approprie son âme et son sang, comme un vampire. La multitude de gros plans (beaucoup trop) renforce cette impression de harcèlement continu envers un personnage qui passe par toute la gamme des sentiments. L'Adèle du film en ressort essorée et meurtrie au plus profond. Espérons que l'Adèle réelle, débutante au cinéma, s'en tire sans dommage et sans séquelles émotionnelles. On a en tous cas hâte de la revoir très vite sur les écrans, tellement elle est bouleversante.

Traversay va me faire réussir à bouger de mon siège pour la séance de 13h30
D'habitude je zappe cette séance pour cause de café-klatsch et profonde léthargie qui s'ensuit
Mais là je m'active  

La vie d'Adèle

J'ai aimé ce film...Beau, fort, bouleversant... très éprouvant aussi, car filmé au plus près des corps et des émotions pendant trois heures.
Il tient de la prouesse, et notamment de celle d'Adèle Exarcopoulos extraordinaire de justesse et de sensibilité de jeu dans tous les registres. Peut-on aller plus loin?...Quelle générosité de jeu! Bravo Adèle!

ça commençait à se tasser... Ou pas.


Franchement, je ne vois pas trop bien l’intérêt pour Kéchiche de remettre de l'huile sur le feu, les bonnes critiques du film étant en train d'effacer cette polémique.  

La vie d'Adèle

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur ce film, tous ceux qui l'ont vu, semblent l'avoir apprécié, parfois avec quelques réserves. Indénaiblement Kechiche a infiniment de talent, et son film, malgré sa durée ne paraît pas long. Grâce à la façon de filmer, de donner une matière forte au spectateur, au-delà du récit une image qui agrippe fort, au plus près des personnages. Et qui sans aucun doute marque et pour longtemps.

Mais moi aussi j'ai quelques réserves (évidemment  ). Je pense que le film aurait pu être encore plus fort et intense en étant resserré. Il y a des plans qui reviennent, sur le visage d'Adèle, sur sa façon de refaire son chignon, les scènes de sexes un peu longues, les scènes avec les enfants....Kechiche filme cela fort bien, mais par moments la répétition de ces images m'a un peu donné la sensation de quelqu'un qui savaient qu'il réussit bien ces séquences là, alors il en rajoute un peu pour épater, plus que par nécessité de l'histoire. Mais là je chipote un peu, je reconnais, c'est tout de même un défaut mineur, même si je pense que le film en faisant 20 minutes de moins aurait été plus fort.

Personne ne l'a évoqué ici, me semble-t-il, mais je m'interroge sur une thématique que j'ai cru percevoir dans le film. Une sorte de débat ressuscité entre Nature et Culture (l'extrait du cours de français dans lequel les élèves lisent et discutent un poème de Péguy semble y faire allusion). Adèle, comme représentant évidemment la première. La spontanéité, l'envie de réaliser ses désirs, une sorte d'élan, le corps qui parle et qui parle vrai, le refus de disséquer ses sentiments ou les livres qu'elle aime, l'expressivité du visage....Frappantes les scènes où elle est en classe, le corps toujours en mouvement, une activité physique avant tout, une relation avec les enfants qui communique de façon corporelle presque plus que par le langage. A l'opposé Emma, dont le visage exprime si peu finalement, qui exprime avec des mots, donc avec une distance, au risque de déformer la sensation et le sentiment, en intégrant les normes et les règles sociales. Et on ne la voit presque jamais dessiner ou peindre (sauf Adèle et là c'est presque cette dernière qui est la plus importante), juste assister à un vernissage, à une soirée, parler au téléphone de choses matérielles, rien qui ne soit un acte de création comme une nécessité intérieure, comme si son métier de peintre était plus un statut social (lié à son origine familiale) qu'un besoin d'exprimer son être profond. Et elle finit sagement dans une vie de famille, dans un couple socialement acceptable dans son milieu, embourgeoisée si on peut le dire, en tout les cas convenable, et faisant ce qu'on attend d'elle. En y sacrifiant la passion physique. Ce qui pour une artiste, est quand même un comble. Alors qu'Adèle reste d'une certaine façon ce qu'elle a toujours été. C'est même frappant à quel point elle garde le même physique tout le long du film, alors qu'Emma subit une métamorphose assez marquée, perdant le côté juvénile qu'elle pouvait avoir au début.

Et c'est comme si les deux ne pouvaient pas évoluer, se rapprocher l'une de l'autre. Emma refuse qu'Adèle s'épanouisse dans son travail avec les enfants et ne souhaite pas d'autres activités, intellectuelles ou artistiques. Adèle ne semble faire aucun effort pour essayer de connaître le domaine de la peinture, acquérir quelques connaissances. Comme s'il fallait un choix radical, Nature/Culture. Le seul fait d'essayer d'aller vers le deuxième fait perdre le paradis du premier, et le retour est impossible une fois que l'on a franchi le seuil. Et Kechiche valorise clairement la Nature au détriment de la Culture,  d'un côté la sincérité, une forme de vérité primordiale, de l'autre un jeu social pétri de conventions et de faux semblants. Difficile pour moi d'adhérer à une telle vision. Pour citer un philosophe que je n'apprécie que moyennement, pour l'homme, l'état de nature « est un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais. » (Rousseau). Parce que Nature et Culture sont terriblement imbriquées et vouloir les opposer est tout à fait illusoire.

Voilà quelques réflexions que m'a inspiré ce film. Un film qui suscite des réflexions et/ou débats, vaut la peine d'être vu.

Merci Arabella pour ton développement qui rejoint ma perception de l'impossibilité d'un partage. La sincérité absolue d'Adèle produit cependant une constante insatisfaction, la vision d'un gouffre entre elle et le monde extérieur qui nuance le regard de Kechiche et sa perception d'une opposition au détriment d'Emma. Il y a une déchirure chez les deux jeunes femmes au-delà d'un besoin viscéral de l'autre et de ce qu'il peut apporter.

Sur le nouvel article de Kechiche, je pense qu'une colère personnelle empêche une perspective rationnelle. C'est encore un gâchis de plus...

Excellente analyse, Arabella  
De par ses origines et le complexe qu'il nourrit peu ou prou vis à vis de l'intelligentsia, il se situe clairement du côté d'Adèle. Maintenant, eu égard aux éloges quasi unanimes qu'il a reçu de la critique, son ressentiment et sa posture de victime sont plus qu'agaçants.

J'ai réservé Le bleu est une couleur chaude à la médiathèque.

Malgré la polémique autour du film, certaines critiques, je n'ai pas réussi à ne pas aimer ce film. Certes, les scènes de sexe auraient pu être abrégées, mais l'actrice qui joue le rôle d'Adèle est tellement bouleversante, qu'on se laisse séduire par ce film de 3h. J'ai aimé les références littéraires, qui m'ont fait penser à du Christophe Honoré, j'ai aimé la scène de dispute qui rend les deux personnages si fragiles, j'aime les gros plans sur les deux actrices. Enfin pour moi c'est un grand film...
Arabella, ton analyse est très intéressante