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| Paul Nizan | |
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+5Bellonzo Cachemire Fantaisie héroïque coline animal 9 participants | |
Auteur | Message |
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animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Paul Nizan Jeu 10 Jan 2008 - 21:58 | |
| Paul Nizan - Evene a écrit:
- Fils d'un ingénieur ferroviaire, Paul Nizan entre en 1917 au lycée Henri IV à Paris. Il se lie d'amitié avec le jeune Jean-Paul Sartre avec qui il fera ses études en khâgne au lycée Louis-le-Grand, avant d'intégrer l'Ecole normale supérieure. Il fait ensuite un séjour d'un an à Aden en tant que précepteur. Communiste convaincu, il publie en 1930 'Aden Arabie', qui lui vaut un succès critique important. Professeur de philosophie à Bourg-en-Bresse, il est le candidat communiste de l'Ain aux élections législatives de 1932. Ses ouvrages suivants, 'Les chiens de garde', 'Antoine Bloyé' et 'Le cheval de Troie' critiquent avec virulence la philosophie idéaliste et les nantis de toutes sortes. Il passe un an en URSS et accueille les sympathisants comme Aragon ou Malraux, lequel deviendra un ami proche. Il écrit régulièrement dans plusieurs journaux : 'L' Humanité', 'La Commune', 'Le Monde', 'Russie d'aujourd' hui'. Mobilisé en 1939, il démissionne du Parti lorsqu' il apprend la signature du pacte germano-soviétique. Il trouve la mort dans l'offensive allemande contre Dunkerque.
liens :lien evene une bio sur wikipedia avec d'autres infos biblio complète sur le site du "Groupe Interdisciplinaire d'Etudes Nizaniennes" Bibliographie (romans) :Antoine Bloyé : Paris, Grasset, "Cahiers Rouges", réédition en 2005, avec une préface d'Anne Mathieu (1ère édition : Paris, Grasset, 1933) Le Cheval de Troie : Paris, Gallimard, "L'imaginaire", réédition en 2005, avec une préface de Pascal Ory (1ère édition : Paris, Gallimard, 1935) La Conspiration :Paris, Gallimard, "Folio", réédition en 2005 (1ère édition : Paris, Gallimard, 1938) | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Jeu 10 Jan 2008 - 22:26 | |
| Antoine Bloyé - L'Editeur a écrit:
- Elève consciencieux et intelligent, Antoine Bloyé ira loin. Aussi loin que peut aller, à force de soumission et d'acharnement, le fils d'un ouvrier et d'une femme de ménage. Ce n'est que parvenu au faîte de sa dérisoire ascension sociale qu'Antoine Bloyé constatera à quelles chimères il a sacrifié sa vie. Dans un style dont la sobriété fait toute la puissance, Antoine Bloyé constitue un portrait féroce des mœurs et des conventions de la petite bourgeoisie de la IIIe République.
Ce fut donc ma découverte de cet auteur... Le début du livre adopte le point de vue du fils d'Antoine Bloyé à la mort de son père, avant de nous raconter Antoine Bloyé en commençant par nous introduire ses parents... c'est à partir de maintenant que j'oublie les trois quarts des choses ultra importantes que j'ai pu compté vous dire a propos de cette lecture... ce suivi des générations c'est important, c'est le début de l'ancrage du roman dans la vie, une vie quotidienne, la vie quotidienne d'un homme qui suit un chemin "simple", le chemin tracé, le chemin d'une vie réussie et d'un accomplissement personnel. C'est au quotidien que ça se passe, le travail, la famille, le travail... les changements, les pensées intimes, les succès et le mal être. L'histoire d'un homme qui pendant longtemps "fait tout bien". L'histoire est donc importante, fondamentale. Pour sa démarche de montrer sans concessions des compromis avec soi-même qui ne mènent pas au bonheur, la façon de se sauver avec les idées/manières admises et les habitudes. C'est peut être encore plus fondamental, l'impact est peut être encore plus fort (qu'en sais-je ?) pour un jeune homme comme moi, qui vit cette âge où on fait des choix sans les faire, où on se demande si la vie ne risque pas de basculer ou de s'enfoncer là où ensuite tout risque d'être perdu... là où il n'y aura plus qu'une image à afficher, un sourire et un contentement à feindre si vous préférez. C'est aussi les révoltes humaines oubliées, l'injustice admise. Cet ouvrage est très démonstratif à ce sujet (très mécanique en un sens) la compagnie des chemins de fer usant ses employés jusqu'à la corde... comme tout se monde en croissance offrant des opportunités modérées à certains, comme Antoine Bloyé. Les tourments, les doutes de cet homme... jusqu'à sa mort, sont extrêmement vivants, ils ne sont pas coupés de la vie, de la perte du contact, du corps, la perte du contact avec soi, avec la terre, la nature... avec les autres, la recherche d'une vérité (piétinée) avec ses semblables. Et tout ça, plus important que cette construction qu'on pourrait trouver trop démonstrative ou mécanique parfois, servi par une écriture... saisissante ? j'ai découvert quelque chose de neuf dans mon ressenti par cette lecture, peut être la traduction dans la forme de l'urgence de se sauver soi même. L'écriture est belle, sombre mais ne s'écarte pas de son sujet, les émotions sont resserrées dans ces pages qui vont trop vite, n'en font pas assez mais ne peuvent pas en faire plus. L'angoisse, le poids rendent les mots essentiels. Pour prendre une image un peu bête et pour laquelle il va falloir me pardonner mon champ d'expérience réduit. Pour l'intensité, la présence de la mort comme "juge" ça m'a rappelé Malraux (pas surprenant qu'ils se soient compris ceux là) en plus... concis, quotidien, moins grandiloquent. Urgence, amertume, manque, manque... ce n'est pas ce qui est choisi dans le livre mais un mot qui m'est venu à l'esprit par rapport à ces manques de "vrai", le vrai de qui nous construit... et mot confirmé,employé, par une amie pour ses sentiments : pauvreté. C'était une lecture très forte, capitale, avec une écriture... belle, précise et mesurée. D'une dimension particulière. Il se fait tard (et fatigué) pour des extraits mais... bientôt. J'aimerai me souvenir de cette lecture (aussi) comme d'un rappel à l'ordre. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Paul Nizan Ven 11 Jan 2008 - 0:17 | |
| C'est un des auteurs dont je regrette de n'avoir encore jamais rien lu... J'y viendrai c'est sûr... | |
| | | Fantaisie héroïque Sage de la littérature
Messages : 2182 Inscription le : 05/06/2007 Age : 37 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Paul Nizan Ven 11 Jan 2008 - 8:31 | |
| J'ai acheté la conspiration dans une bouquinerie, il y a peu :) Et mon père m'avait offert Aden Arabie pour mon anniversaire, entre autres à cause de ces deux phrases du début : J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Voilà, tout ça pour dire que j'ai hâte de les lire ! | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Ven 11 Jan 2008 - 23:11 | |
| voici un extrait, parmi les quelques pages marquées en cours de lecture (laissant de nombreux regrets dans les non marquées). En espérant ne pas avoir fait trop de fautes dans la saisie : - Citation :
- Antoine suivait la course, parce qu'il était l'un des hommes qui avaient vécu cette crise de croissance, sans quitter l'univers recouvert de poussier des gares et des dépôts, aussi continu, parmi tous les autres mondes divers composés de morceaux, aussi unique que l'univers des ports, des bassins et des docks que n'abandonnent jamais les marins. Il était l'un des exécutants de cette métamorphose industrielle, l'un des hommes qui avaient sans répit dans la tête le souci des machines, de leurs conducteurs, du Mouvement et du Trafic. A suivre les pas si rapides de cette danse, ces gens-là ne songeaient guère à se ménager des loisirs pour se demander ce qu'ils faisaient sur la terre, à quoi ils étaient bons, dans quelle direction ils allaient, qu'est-ce que toute l'histoire de la vie voulait dire. Ils se divertissaient peu, et mal, et rarement, ils ne jetaient pas le loch dans le sillage trop écumeux qu'ils laissaient derrière eux. Antoine ne se retournait pas, il ne se posait pas, il ne se détendait pas, il faisait simplement son "service". Mille grandes machineries dévorantes entraînent ainsi les hommes dans leur rotation : les banques, les mines, les grands magasins, les navires, les réseaux, presque personne ne respire, il faut trop d'attention pour travailler aussi promptement que leurs engrenages, pour éviter les courroies, les moteurs.
Antoine était pris comme un insecte dans cette toile vibrante des voies ferrées, que surveillaient à distance des araignées calculatrices et abstraites ; il était lié à ces milliers de kilomètres de rails qui s'élançaient au cœur de l'Europe par les issues faciles des gares frontières ; il y avait partout cette fuite des voies uniques, doubles, quadruples, partout ces convois en marche de jour et de nuit, aimantés par les chiffres des horaires, avec leurs machinistes tendus vers l'apparition des signaux, leurs chauffeurs noirs illuminés par la bouche éclatante du foyer, et les conducteurs à leur tour de guet glaciale des vigies, - partout ces nœuds brillants de communications, ces gares régulatrices illuminées par les constellations des lampes à arc, ces plaques tournantes, ces charriots, ces cabestans de manœuvre polis comme des armes par le frottement des câbles d'acier, ces dos d'âne d'où les wagons descendent mollement vers l'éventail des voies, ces postes d'aiguillage plus sensibles que des passerelles de navires, ces rotondes fumeuses, partout ces hommes soigneux dans leurs bureaux tristes qu'ébranlent le passage des rapides, que décorent des coupes rouges, vertes et bleues de westinghouse, de cylindres, ces milliers d'hommes vivant, peinant, mourant pour le service des Lignes, anonymes. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Sam 12 Jan 2008 - 17:14 | |
| - Citation :
- Au sein de la paresse solitaire de la nuit paraît sous un voile tout ce que le jour interdit, les désirs condamnés par les tribunaux bons citoyens du jour, par leurs ordres, par leurs vertus. La pudeur, la discipline, les désirs manqués, l'abscence de loisirs écrasent la partie la plus obscure de lêtre où se cachent peut-être ses plus authentiques besoins. Aussi longtemps que les hommes ne seront pas complets et libres, assurés sur leurs jambes et la terre qui les porte, ils rêveront la nuit. Ils assouviront leurs faims, leurs faims réelles - car il y a tous les hommes qui ne mangent pas à leur faim dans le monde, qui ne boivent pas à leur soif, il y a les hommes de la misère - leurs faims de vengeance, ils remporteront des victoires sur leurs opresseurs du jour, ils conquerront des femmes consentantes. L'homme de la nuit fera des confidences à son ombre diurne qui ne les écoute pas. Un petit nombre d'hommes possède la clef de ses rêves : ils ne les prennent pas pour des secrets prophétiques, pour des images de leur avenir, ils ne sollicitent pas une fausse magie, le mystère de ces aventures où ce ne sont pas des dieux, des démons, des fantômes qui paraissent, mais l'enfant humilié, l'homme écrasé sous les devoirs, les fardeaux, les défenses, l'homme privé de tout. Dans cette période de désespoir où la menace de la mort atteignait Antoine sans qu'il pût se défendre contre elle par les preuves, les témoignages d'une vie, d'un passé, sans qu'il pût l'accepter comme les hommes dont les puissances se sont réalisées, dont les désirs ont été comblés, où il ne découvrait dans son passé réel que le vide et les nuées de la vie bourgeoise, il rêvait. C'était comme une défense souterraine. Il s'accoutumait peu à peu à accepter ses rêves aux heures de veille, à leur accorder quelque créance, simplement parce que toutes les apparences véritables s'écroulaient, s'envolaient autour de lui comme une toile de tente sous le vent, et l'abandonnaient au seuil d'un grand désert pareil à la plaine qui commençait à la pointe de son usine. C'étaient des rêves qui n'étaient pas tous écartés de lui, qui ne se formaient pas tous dans des recoins inacessibles, il y en avait dont il pouvait enregistrer les témoignages, les conseils. Il en rougit d'abord mais la mauvaise humeur, la colère mortelle au sein desquelles il vivait lui firent enfin oublier le scandale de quelques unes de ces explorations de la nuit. A peine continua-t-il à les craindre parce qu'elles énonçaient des exigences qu'il n'aurait sans doute jamais le courage de satisfaire. Certains rêves étaient trop compliqués pour qu'il sût les traduire, ils lui faisaient se dire le matin : "J'ai encore fait la nuit dernière un rêve absurde... Où va-t-on chercher ses choses qu'on rêve et qu'on a jamais vues ?"
D'autres étaient oubliés avec les premières lueurs du jour qui passaient par les lames obliques des volets, et il essayait de les retrouver, il sentait qu'il y avait quelque part un souvenir bizarre ou séduisant ou terrible, mais il lui échappait comme un petit animal des buissons, qu'on entend traverser les herbes sans savoir s'il est rongeur ou lézard ou oiseau, il ne demeurait de ce rêve qu'une vague présence insaisissable. Certains d'entre eux ne s'effaçaient pas, ils l'accompagnaient toute la journée, à peine moins brillants qu'un souvenir malfaisant ou aimable ; c'est vers le soir seulement qu'ils s'affaiblissaient et fondaient... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Sam 3 Mai 2008 - 18:03 | |
| La conspiration - quatrième de couverture du folio a écrit:
- Comme c'est puissant et inflexible, une famille ! C'est tranquille comme un corps, comme un organe qui bouge à peine, qui respire rêveusement jusqu'au moment des périls, mais c'est plein de secrets, de ripostes latentes, d'une fureur et d'une rapidité biologiques, comme une anémone de mer au fond d'un pli de granit...
"Nizan voulait supprimer tous les murs : il unifierait sa vie par la proclamation de ses désirs et par leur assouvissement" (Jean-Paul Sartre). mais encore... - le résumé Evene.fr a écrit:
- 'La conspiration' raconte les aventures de quatre jeunes gens (Rosenthal, Laforgue, Bloyé et Pluvinage) qui lancent une revue d'avant-garde, 'La guerre civile'. Paru en 1938, inspiré de la vie de Paul Nizan, ce roman constitue un formidable document sur la jeunesse d'avant-guerre et vaudra à son auteur le prix Interallié et la célébrité.
oui aussi... donc entre la conscience politique ou social et la découverte, ou construction de soi à travers la jeunesse engagée et un peu désorientée, intéressée, de ces quatre jeunes hommes. chacun sa famille, son histoire, ses espoirs, doutes, révoltes, rapport aux autres, besoin de reconnaissance de trouver un semblant d'accord avec soi-même, d'acceptation. ça m'est apparu beaucoup comme une histoire de "condition humaine". lecture différente, surtout sur le début, de celle d' Antoine Bloyé... toujours ces phrases ou paragraphes sur lesquels il faut revenir pour comprendre leur articulation, et toujours la précision, précision redoutable. En fait j'en avalé une bonne moitié cette après-midi de ce petit livre (300 pages environ). ça parle de beaucoup de choses, ça déborde très largement du cadre de la démonstration sociale ou familiale. en fait pour prendre une image : Nizan, il appuie là où ça fait mal et il fout les doigts dans la (ou les) plaie(s), pas pour faire le malin ou le désabusé, le type revenu de tout, comme pour dire ça c'est une plaie, les nôtres. je ne vais pas faire beaucoup plus long là tout de suite pour une raison très simple c'est que ça me fait un drôle d'effet tout ça d'un coup. l'impression d'être malade. c'est pas moche, ça a l'air froid mais c'est beaucoup plus épais que ça en a l'air, des points de vues, des récits différents dans le livre, ça a un sens. j'ai trouvé ça extrêmement efficace. là tout de suite faut que je me remette. (sur le moment le Mort à crédit dans le rétroviseur se rapproche du rayon garçonnets... ) | |
| | | Cachemire Sage de la littérature
Messages : 1998 Inscription le : 11/02/2008 Localisation : Francfort
| Sujet: Re: Paul Nizan Sam 3 Mai 2008 - 19:05 | |
| Tu m'as convaincue, je rajoute "La conspiration" dans ma LAL. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Dim 4 Mai 2008 - 13:44 | |
| il faudra bien que j'aille repêcher une ou deux autres choses dans le livre, en attendant je vous remets les différences passages recopiés pour d'autres fils : - Citation :
- C'était un soir de juillet, à cette heure après chien et loup où la sueur s'évapore sur la peau et où toute la poussière du jour achève de retomber comme les cendres d'un incendie perdu; un assez vaste ciel s'étendait au-dessus du jardin, qui n'était qu'un petit enclos d'arbres grillés et d'herbe malade, mais qui faisait tout de même éprouver au coeur des collines de pierre de Paris le même genre de plaisir qu'une prairie.
Dans les appartements de la rue Claude-Bernard, que Laforgue et ses amis épiaient parfois pendant des heures comme s'ils avaient abrité des secrets importants, les gens commençaient à se préparer à la nuit; on voyait vaguement passer devant une lampe une épaule ou un bras nu : des femmes se déshabillaient, mais elles étaient trop loin pour qu'on pût distinguer si elles étaient belles; elles ne l'étaient pas. C'était plutôt des dames entre deux âges qui enlevaient des corsets, des ceintures et des gaines comme des pièces d'armures; les plus jeunes habitantes de ces maisons, celles dont les chansons jaillissaient parfois du fond d'une cuisine, couchaient sous les combles : on ne les voyait pas.
Des airs de musique, des discours, des leçons, des réclames sortaient de la gueule des hauts parleurs dans un rabâchage confus; de temps en temps, un autobus grinçait à l'arrêt de la rue des Feuillantines; il y avait pourtant des moments où une espèce de grand silence marin déferlait paresseusement sur les récifs de la ville. que j'aime bien parce qu'on retrouve ce contact avec le monde, l'air, l'atmosphère. j'avais beaucoup aimé dans Antoin Bloyé. ce qui fait aussi que ce sont plus que des livres d'idées, qu'ils vont un peu plus loin... - Citation :
- Le printemps allait arriver. On venait de traverser des mois sévères, mais les glaces fondaient, l'hiver mourait dans les averses; on avait envie de se lever tôt, les jours allongeaient comme ces plantes qu'on voit grandir, se déplier en tremblant sur l'écran des cinémas. Rue de la Paix, les midinettes sortaient en bandes et traversaient la place Vendôme et la rue de Rivoli en se donnant le bras. De temps en temps, il faisait beau, comme si des journées d'été, d'automne ou du dernier printemps qui, étouffées par la pluie, par un orage, n'avaient pas fait leur apparition des mois plus tôt, versaient leur chaleur sur des mains encore engourdies, des lèvres encore gercées. Il y avait encore des gelées blanches sur les pelouses du Luxembourg, mais entre deux giboulées, on retrouvait le ciel.
itou. et presque de circonstances. - Citation :
- Roman. Comment décrire un homme ou un monde qui changent avec des moyens assez efficaces pour donner à la description une chance de durée? N'écrivons plus. Mais on est point sage, on croit aux livres, aux enfants, on vit comme si il ne devait même pas y avoir de fin du monde.
pour la petite phrase mais aussi parce que ce sont les mots d'un personnage plus âgé... (d'autres phrases marquantes dans ce passage...) - Citation :
- Parce qu'il passe presque toutes ses journées rue d'Ulm, ou à la Sorbonne, ou dans les rues, dans les cafés, en compagnie de camarades qu'il pense avoir librement choisis, parce qu'il tente d'organiser une vie qui ait peu de communications avec l'avenue Mozart, Bernard Rosenthal a l'illusion de demeurer entièrement étranger aux soucis et aux plaisirs pour lesquels vivent les siens. Comment un jeune homme échapperait-il à une illusion si agréable, qui le dispense si vite de résoudre les difficiles problèmes de la classe, de la complicité et du sang?
Mais Bernard voit assez souvent sa famille à l'heure du diner, qu'il partage avec elle quatre ou cinq jours par semaine avenue Mozart, il passe avec elle une partie de ses vacances, et la mensualité que lui verse son père lui permet de ne pas toucher à l'argent qu'il a hérité de sa grand-mère paternelle : de toutes les façons, il n'aurait pas à chercher les moyens de gagner ses études et son pain. Il a beau refuser à son père la moindre reconnaissance, trouver que cette pension lui est bien due, et que c'est toujours autant de repris sur la bourgeoisie au compte de la Révolution, ces arrangements d'argent et ces rencontres maintiennent encore à peu près tous les liens qu'il croit avoir intérieurement rompus : comme c'est facile, une rupture intérieure, qu'aucune action n'atteste que la satisfaction du coeur! Il serait seul, personne ne lui donnerait de détails sur le temps où il était un enfant, si grave et tellement plus gentil que maintenant, personne ne lui fournirait l'occasion de s'aimer à travers de touchantes images des commencements de sa vie, perdus et rongés par le temps. ... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Dim 4 Mai 2008 - 19:10 | |
| - Citation :
- Rentré à Paris, un Paris où chacun de ses amis n'était là pour le distraire de lui même, où il dînait avenue Mozart, en tête à tête avec son père, ou seul, au restaurant,Bernard commença à inventer un grand amour.
Rien n'est plus dangereux que ces occasions de solitudes ou de dépaysement, ces retraites du cœur : Bernard monta des systèmes et interpréta ses sens, son orgueil. Il ne s'apercevait même pas qu'il avait tout oublié du visage de Catherine et qu'elle n'était qu'une absence obstinée comme une douleur : ces oublis n'ont jamais empêché personne de construire autour de quelques signes, de quelques bouffées de mémoire, et de quelques insomnies les grandes fables de l'amour. Il n'écrivit pas une ligne à la Vicomté, Catherine gardait comme lui le silence : c'était une femme qui disait : - Je n'aime pas écrire... Et d'ailleurs je ne sais pas... Bernard ne s'inquiétait pas. Il faut avoir vingt ans pour croire aux vertus de ces parenthèses silencieuses et se persuader que l'amour ne se nourrit pas de politesse et de paroles. il y en a beaucoup des passages qui mériteraient... | |
| | | Cachemire Sage de la littérature
Messages : 1998 Inscription le : 11/02/2008 Localisation : Francfort
| Sujet: Re: Paul Nizan Dim 4 Mai 2008 - 19:44 | |
| Merci Animal pour ces passages, j'aime beaucoup le dernier sur "l'invention d'un grand amour" ! | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Lun 5 Mai 2008 - 22:12 | |
| je me retiens d'en ajouter encore, il en resterai forcément à découvrir ou voir un peu autrement à la lecture mais... c'est un passage qui témoigne de la lucidité de l'auteur, de sa capacité à lire et à décrire des mécanismes essentiels. je ne dirai jamais assez à quel point je suis sensible à l'impression de nécessité de sa précision.
arf, je ferme mon bec de panda. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Jeu 2 Oct 2008 - 19:48 | |
| Aden Arabie - evene a écrit:
- Après un voyage à Aden entrepris pour fuir le confort, l'ennui et le conformisme, Paul Nizan rédige son premier pamphlet, 'Aden Arabie'. Publié pour la première fois en 1932, réédité en 1960 (précédé d'une remarquable préface de Sartre), cet écrit dénonce avec violence la bourgeoisie, ses enseignements, sa philosophie et sa culture, ainsi que l'aliénation de l'homme par l'homme.
lienmmmh. Oui et non. par rapport à ce résumé. Lecture marquante. Préface pas mal, intéressante, une présentation de Nizan par un ami et camarade d'école, avec distance aussi et un brin d'envie. Avis personnel, d'un point de vue écriture la transition est cruelle pour Sartre quand on commence le texte de Nizan... Précision, sentiment d'essentiel. On se perd parfois ensuite dans des parties moins claires, mais qu'on ne sent pas moins essentielles à l'auteur, une recherche aussi de quelques phrases "pour la phrase". N'empêche, le plus souvent il fait mouche. Il dénonce, il s'enrage pour beaucoup de choses, avec une désarmante conviction et une grande lucidité. Le livre est politique et engagé mais le point de départ de tout ça, de mon point de vue est bien moins "léger" (c'est une façon de le dire) qu'une prise de conscience suivie d'une lutte politique. Dans ce voyage qu'il nous raconte à petites doses, dévoilant un monde occidental dépouillé de ses artifices de cultures pour en arriver à ses motivations essentielles, il part aussi à la recherche d'un absolu, d'une définition de l'homme, une définition non négociable, une cohérence personnelle. Il gratte pour trouver entre les faiblesses, les habitudes, les trahisons, tout le poid du monde, le noyau qui permet (à travers un combat aussi personnel) d'affirmer une vraie liberté, une constance dans la vie. Je crois que c'est pour ça que ses écrits sont aussi forts, une intransigeance marquée, amer, dure mais pas moche. Il combine en toute bonne foi, et "réalité" (si on veut) matérialisme (terrien) et individualisme (essentiel, base de l'action) et une largesse stupéfiante, de nombreuses références à l'amour... troublant. Troiublante acceptation, accueil de l'humanité la plus simple dans son principe de rejet et de lutte contre une société qu'il juge hypocrite et qui ne lui convient pas, qui l'étouffe. On retrouve l'essence de ses romans, avec une démesure et des maladresses qu'on peut associer à l'âge : «J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie.»Premières lignes devenues fameuses, qui aiguilleraient faussement sur un mal de vivre de la jeunesse. La construction de l'individu et la prise de conscience de son pouvoir serait plus juste. - Citation :
- Mais l'oubli n'est pas l'autre nom de la liberté. Revenons, la liberté compte seule. Sur les quais européens de Glasgow où - c'était le temps de la grève charbonnière - les hommes ne mangeaient pas tous les jours à leur faim, il était question de miracles, dévénements, de ce qui serait une rupture et la promesse de véritables réincarnations. J'avais l'impression que la vie humaine se découvre par révélation : quelle mystique. Mais les gens de mon âge vivaient dans l'attente de n'importe quoi, des fameux coups de foudre de l'aventure : bonnes histoires de nos gardiens.
Les événements ne se rencontrent pas aux tournants des routes, les virages ne sont pas des mines d'or, il n'y a pas une route vide comme la plaine champenoise, et monotone, sans villages, et puis soudain quand personne n'y pense, quand rien ne sert de présage, derrière un pan de rocher, ce que l'on attendait et qui n'a pas de nom. M. Barnstaple passa seul un samedi après-midi sur une telle grande-route. Ceux qui font des découvertes, ceux dont on dit en repassant l'hitoire de leur existence qu'ils n'étaient pas nés pour rien, trouvez-les parmi les hommes prudents, sédentaires, qui savent rester éveillés patiemment, qui demeurent longtemps quelque part et chassent avec précaution : le vrai s'abat dans un affût, ce n'est pas une carte qu'on retourne un soir dans un jeu de hasard où tout coup peut être gagnant. Si vous voulez vivre, il faudra retrouver la persévérance. Vous voulez vivre et vous filez comme des morceaux d'astres dans votre nuit. Il faudra une attention de vos jours et de vos nuits. Pendant que vous dormez, tous les êtres peuvent mourir. Pendant que vous courez, vous-même pouvez mourir. Il se regarde là où ça fait mal, comme ça fait mal, pour aller au delà. Il fait partie de ceux qui osent rechercher la totalité. J'aime beaucoup ça, c'est intéressant d'oser ça. De petites imperfections ou qu'on ne se retrouve pas forcément dans toutes les conclusions n'enlèvent rien à cet écrit d'une actualité sociale et humaine indéniable. C'est pas bien long. C'est remarquable, et on y lit des lignes magnifiques à la portée extraordinaire... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Jeu 2 Oct 2008 - 19:58 | |
| autre extrait, et une précision : pas être trop moral à zéro pour ce genre de lecture quand même. - Citation :
- Ce qu'il y avait de terrible, c'était de les voir dormir. Ils dormaient la nuit et ils dormaient après leur repas comme des serpents qui digèrent. Je les voyais sous les galeries de la maison endormis dans leurs fauteuils cannés. Ils reposaient enfin, arrivés dans un port accueillant, dans une rade sûre, dans le seul bonheur de la journée, défaits, dénoués, la joue posée sur le sommet de l'épaule, le cou plissé, les mains à la traîne, avec des gouttes de sueur roulant sur leur front. Traversés par des rêves visibles, leurs faces déballées parcourues par des ondes, dernières volutes des lames de fond envoyées par les régions humaines, qui les soulevaient comme les insectes soulèvent les animaux morts dans les fossés. Ils bourdonnaient, se retournaient. Ils essayaient de reparaître dans le jour avec les trouvailles du sommeil, de ne pas les oublier. Mais ils les laissaient retomber, ils revenaient les mains vides plus tristes que les femmes qui accouchent d'un enfant mort. Le sommeil est pour un vivant le désintéressement le plus semblable à celui de la mort; il était pour eux la pointe même de l'attention, l'extrême de leur effort, tout ce qu'ils pouvaient connaître des réclamations de l'homme.
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| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Paul Nizan Mer 29 Oct 2008 - 20:17 | |
| annonce pour ceci entendue tout à l'heure à la radio : Aden Arabie au théâtre
je trouve l'idée un peu... surprenante ? peut être parce que je ne connais pas le théâtre re-? pas super emballé par l'annonce en tout cas, mais. donc petit message sur ce fil. | |
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| Sujet: Re: Paul Nizan | |
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| | | | Paul Nizan | |
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