William T. Vollmann

La famille royale.

J'aurais peut être du prendre des notes tout au long de ma lecture...
C'est qu'il fait 1310 pages en format poche, le gredin.

Un ti résumé :
Henry Tyler, détective privé a une vie plutôt merdique, mais assumée : peu voir pas de fric, obligé de tout le temps annoncer aux gens des vérités qu'au fond ils ne veulent pas entendre (oui, votre mari vous trompe - oui vous me devez 500€ pour vous avoir ramené des clichés de votre femme en pleine partouze), plein de problèmes familiaux : son frère John, avocat brillant qui réussi, en passe de devenir associé, sa mère qui est une mère, demande qu'on prenne soin d'elle, ne se rend pas compte qu'elle blesse lorsqu'elle donne ses "conseils".
Et en plus Henry est fou amoureux d'Irène la femme de son frère, il a une liaison avec elle. Complètement foireuse d'ailleurs. Irène reste inaccessible (et le sera encore plus après quelques chapitres).

Henry est embauché par Brady pour trouver la Reine des Putes. Brady veut monter un show à Las Vegas, un genre de bordel virtuel, et il a besoin d'une icône pour ça. Il a entendu parler de la Reine des Putes du Tenderloin (quartier de San Francisco), il la veut.

La Reine des Putes serait la protectrice des prostituées, celle qui leur permet de s'entraider, de survivre, d'avoir un endroit où être à l'abris, avec partage des richesses, affection, et espoir de ne pas être seul.


Et voilà une plongée de plus en plus profonde dans le monde du Tenderloin, le quartier des prostituées, de la drogue, de la violence, les sdf... etc...

C'est plein de personnages, plein de choses à dire et dites. Vollmann se permet des moments pour nous raconter en quelques pages l'histoire de quelques personnages croisés, surtout des prostituées, et un personnage de pédophile ahurissant!
Il a une écriture qui est hyper fluide à lire, et qui est très précise, à utiliser des métaphores qui font sens immédiatement.

La première fois que j'ai l'impression d'être réellement plongée dans l'univers de la prostitution et de la rue sans sombrer dans le voyeurisme ou le toomuch. C'est très équilibré, très réaliste, avec des éclatements de colère surgissant d'on ne sait où, ses bouleversants cris de tendresse, où des mains s'accrochent, pour chercher de la chair, ou de la drogue.

C'est très noir. Henry qui s'effondre peu à peu, inexorablement.

J'ai retrouvé du Céline, du Koltès (les dialogues où tout est monnaie d'échange sont ... wa!), du Shakespeare aussi... et plein plein de trucs. Du Vollmann certainement.

La rue vit, et s'écroule, mais se maintient tant bien que mal, en ruines avec les mots de Vollmann.

ça grouille de crasse, de chair, de désespoir, de survie coûte que coûte, de lutte, de colère. C'est palpable et ça embarque au point d'avoir parfois envie de leur prendre la main à tous ces gens. (Ou de passer son chemin lorsqu'ils semblent prêt à tuer la moindre chose mouvante).

Ce roman parle de tant de choses, c'est impossible de réellement en parler : c'est de l'humain sous toutes ses formes. De la fragilité humaine.
Avec une sorte de constat (limite apologie) du masochisme, voir de l'auto-destruction.


Bouts de textes qui parleront mieux que moi:

Citation :

Le jour du jugement dernier, nous remettons tous notre chair pourrie et gélatineuse sur notre squelette comme une putain qui enfile sa culotte en s'asseyant au bord du lit et se prépare à sortir ; puis le temps volera en éclats comme la porte de l'hôtel sous les coups des flics de Dieu venus mettre en application leur mandat d'arrêt - et hop ! tous au tribunal, pour un jugement sommaire, afin que Satan puisse faire rôtir notre chair à jamais ! Peut-il y avoir jugement sans douleur ? Je ne le pense pas. Jusqu'au verdict, l'âme doit attendre dans la peur, et la peur est une forme de douleur.

Citation :

Cela faisait deux ans qu'il n'avait pas remis les pieds au Karma Hotel. Il était prêt à l'essayer à nouveau après sa quasi-insomnie au Rama. Il fut un temps où le Karma était plein d'odeurs de cuisine indienne, mais il ne sentait plus le curry, et la vieille dame ne remuait plus sa casserole de haricots, et sa fille ne portait plus de sari, pas plus qu'elle n'arborait le point rouge de sa caste sur son front. Le fameux melting-pot américain. La fille paraissait plus âgée, plus sale, plus mécontente.

Citation :

Elle n'avait pas dit aux autres qu'elle s'était fait avorter. Ça ne regardait qu'elle. Plus tard, elle avait eu de la peine pour le bébé mort. Au point qu'elle ne pouvait plus s'arrêter d'y penser. Le bébé mort arrivait en nageant la nuit par les fenêtres de son cœur, faisait siffler le chat de son cœur, écartait ses bras-nageoires atrophiés comme les ailerons d'une torpille pour exploser en elle en une triste charpie ; elle se mordait la lèvre et les tendons saillaient à son cou comme les racines d'un arbre ; le bébé mort tétait le sang de son cœur puis dégringolait dans le vide qui était au fond d'elle, là où il était mort.

Citation :

J'ai frôlé la mort plus d'une fois. Et tu sais quoi ? De trop près, on ne voit rien. Rien du tout. Parce qu'il n'y a rien.

Et l'amour ne sauve pas, bien au contraire.

Citation :

Ce qui était terrible, c'est qu'il n'y avait pas eu fuite. L'amour ne signifiait rien, ne résolvait rien, simple lambeau d'hypocrisie ou de désespoir jeté sur la solitude à l'état nu.

Merci pour ton commentaire qui me donne encore plus envie de le lire.. déjà qu'il se trouve depuis des années dans ma LAL.. mais le nombre de pages me retient pour l'instant..

Queenie a écrit:

et un personnage de pédophile ahurissant!

C'est sans aucun doute le personnage que j'ai préféré dans le livre.

Ce qui est très troublant, c'est qu'il mélange toute la description de ce quartier, avec beaucoup de réalisme (il y vit),
avec certains aspects un brin futuriste (cette histoire de show virtuel).

J'avais adoré cette façon de montrer qu'on peut toujours tomber plus bas,
tout en rappelant que l'humanité qui ressurgit parfois là où on ne l'attendait plus.

J'avais écrit un truc dessus, mais je ne le retrouve pas.

Merci Queenie! Je lorgnais sur ce livre depuis un moment, un peu impressionné par le volume et la réputation d'auteur difficile qu'a Vollmann.

Tu me confortes dans l'idée que je dois prendre le temps de le lire! Comme Central Europe d'ailleurs qui m'attend toujours!

Les fusils

Un livre improbable, bizarre, glacé. Pas vraiment écrit. Avec au départ une sorte d'imbroglio étonnant qui déconcerte fortement. Le lecteur découvre la ville de Resulte sise pas très loin du Pôle Nord et trois personnages qui sont en réalité tous le même (j'ai la fâcheuse impression que l'univers de Terra Nostra de Fuentes me poursuit jusque dans l'antarctique…). Bon.

Qui sont ces personnages : le premier est l'auteur lui-même : William T. Vollmann qui enquête sur la manière dont les populations Inuits ont été déportées à Resolute dans les années 50, il va également tenter l'étrange expérience de partir, seul, sur une île glacée (-40° en moyenne) pour voir comment il s'en sort (on peut s'inquiéter).

Le second personnage s'appelle Subzéro, il est une sorte de double fantasmé de Vollmann, un être en quête. Il arrive à Resolute avec son copain Seth à la recherche de quelque chose, une unité perdue, un jumeau ou même une trinité. Il rencontre Reepah une Inuit dont il va tomber fou amoureux. Elle ne l'aime pas. L'histoire est chaotique. Reepah est à la fois la déesse des terres blanches, celle qui apporte aux hommes la nourriture dont ils ont besoin (phoques, caribous, baleines…) mais elle est aussi une inuit de son époque (le XXème siècle) droguée, chômeuse, mère d'enfants qu'elle délaisse au profit de la bière et du sniffe de vernis à ongles. Le constat est terriblement pessimiste.

Le dernier personnage mais pas le moins intéressant semble être le générateur de toute l'histoire, il s'agit de Sir John Franklin infatigable explorateur des mers groenlandaises. Après trois expéditions pleines de dangers, il repart en 1845 à la recherche du fameux passage du nord-ouest. Il a 59 ans, il ne découvrira jamais la passe et mourra ainsi que toute son équipe (129 hommes) de la faim, du froid et d'une intoxication alimentaire au plomb (les boites de conserve emportées pour trois ans d'exploration s'avèrent avariées et contaminées par le plomb qui les a scellées).

On le voit le travail de Vollmann sur son rêve du Grand-Nord est à la fois d'ordre historique (l'expédition désastreuse), documentaire (sa propre recherche) et littéraire (avec l'histoire d'amour malheureux). Tout se tient de manière très étrange mais lentement hypnotique. Il m'a fallu un certain temps pour comprendre la démarche de Vollmann, comprendre que les trois personnages sont contaminés les uns par les autres exactement comme le plomb a contaminé Sir John. D'ailleurs le plomb est le lien qui tisse le rapport des uns aux autres, d'un temps à l'autre : avec le motif du fusil et de ses balles en plomb. L'homme blanc apporte le fusil au Groenland et s'en sert pour asservir les populations locales (il donne le fusils mais réclame des peaux contre des balles). Cette arrivée massive d'armes à feu va transformer l'habitat des esquimaux et des inuits en réduisant considérablement les cheptels et en désorganisant la faune et la flore. Et ce bouleversement conduit à la paupérisation, laquelle conduit au suicide (par armes à feu). CQFD. Bizarrement, ce livre ne se lit pas du tout comme un pamphlet ou une diatribe contre les armes, les blancs et ceux qui déportent mais plutôt comme quelque chose d'hybride entre roman et récit, autobiographie (très light) et roman historique ou roman d'aventure ou d'amour ? Non pas comme un traité clinique ou un austère essai sur la vie glaciale des esquimaux mais plutôt comme le récit de trois hommes pas plus mauvais que les autres, qui tentent de survivre dans un milieu hostile, qui tentent de comprendre ceux qu'ils croisent, qui tentent d'ouvrir les yeux sur un monde en transformation, un monde qui se délite, un monde où il ne fait vraiment pas bon vivre.

Au-delà du froid, de la déshérence, au-delà de la blancheur des glaces, je me suis étonnée de la diversité de cette terre que je croyais déserte, infertile, condamnée. Etonnée de voir y pousser des lichens, y passer des fulmars, y vivre des hommes, des femmes, des moustiques et des enfants qui se baignent l'été (?) dans des marigots… Surprise d'être peu à peu happée par un récit auquel je ne comprenais rien, emportée par la belle humanité de Vollmann, sa façon tendre, insolite, bancale de raconter la vie, la sienne, celle des autres, sans jugement, sans attente, avec empathie, interrogation, avec respect.

Un texte que je ne m'attendais pas à aimer autant.

Un texte à la charnière de plusieurs genres, ce que j'aime beaucoup et avec des dessins en plus, des cartes et de rares mais belles phrases pour raconter le ciel, la glace, la mer... Un texte dénué de parti pris, qui ne cherche pas à défendre une cause (celle des Inuits) mais à décrire un mode de vie qui disparaît.

Au final, une bonne surprise.

Le genre de bouquin où il faut accepter d'office de se laisser porter, et de ne pas tout comprendre d'office.
Je l'ai lu il y a ... 7 ans (?). J'en conserve des drôles de sensations, comme à la sortie d'un rêve un peu spécial.
Toujours ce mélange de poésie au milieu de réalités plutôt pessimistes, ces grands espaces naturels contre lesquels nous ne sommes rien.
Un très beau livre

oui trois livres en un, avec trois histoires totalement différentes dans le temps et dans la manière de les narrer (roman d'aventure expéditionnaire, roman d'amour et d'insoumission et puis journal de bord de Vollmann en antarctique) ; ce qui est incroyable c'est qu'il parvienne à faire tenir tout ça sans que cela paraisse bancal (certes un peu compliqué mais pas désagréable), sans aucune désinvolture mais sans rage, et avec beaucoup de pessimisme, oui et une profonde absorption de ce qui l'entoure et de ce qu'il découvre des autres, dans ses recherches comme lors de ses rencontres. Un livre très spécial.

Des putes pour Gloria


Un très bon livre, dans la veine traditionnelle de Vollmann, qui, sous un aspect trash, cache beaucoup de compassion pour la misère humaine, qu'elle soit matérielle ou affective.

L'originalité de ce livre tient à l'idéal du héros. Gloria est à mi-chemin entre la femme rêvée et réelle et est constituée par un mélange fantastique des prostituées qu'il croise. De leurs mèches de cheveux mais aussi et surtout de leurs souvenirs.

Ancien du Vietnam, pensionné traînant son mal être dans les bas-fonds des ruelles interlopes, notre homme fantasme sa dulcinée au gré des rencontres sexuelles tarifées et dialogue avec l'immatérielle Gloria.

Il s'agit d'un idéal en négatif en quelque sorte, car quelle idée d'aller chercher dans la pauvreté et la vulgarité de quoi reconstituer un puzzle féminin aguichant, tendre et aimant.

C'est du Vollmann.

C'est l'occasion de partager la vie des courtisanes qui n'ont jamais eu de chance, des drogués, des maquereaux. Univers violent, fermé et pourtant fascinant. Celui que l'auteur visite régulièrement.

Tout un peuple délaissé, paumé et pourtant fragile.

L'écriture est aussi brutale que le thème. Continue. Imagée. Souvent drôle.


A lire.

Joli commentaire Tina, je le note.

Citation :

Un homme reconstitue auprès de prostituées l’image d’une femme aimée, en un itinéraire sans rédemption possible. Entre rêverie, errance sentimentale et sociologie du sordide, ce roman est une dérive au cœur du désespoir, qu’accompagne une tendresse véritable pour les tapineuses vieillissantes et les pochardes pathétiques. Poème lyrique de la rue, Vollmann se situe ici dans la tradition d’Hubert Selby Jr

Tina a déjà exprimé l'essentiel de ce roman qui parvient à émouvoir et à fasciner malgré une propension au sordide qui en rebutera plus d'un(e). Cet ancien du Vietnam cherche-t-il la mère de son enfant, une prostituée favorite, une femme imaginaire? Est-il un amoureux blessé, un psychopathe en puissance, un homme brisé par la vie qui s'abîme et se suicide à petit feu en s'exposant au danger? Vollmann laisse le lecteur conjecturer en l'immergeant dans un monde de faux-semblants, de violence et de désenchantement. Ces prostituées rencontrées au fil de son errance lui fournissent des éléments physiques ou psychologiques qui l'aident à créer une chimère, une créature idéale qui serait un mélange de toutes les femmes en même temps (mère, soeur, amante, amie...). pour pouvoir échapper à la désespérance et à la solitude. Mais pas beaucoup de lumière à l'arrivée à moins que sa quête n'aboutisse dans la folie et l'anéantissement. Reste l'écriture de Vollmann qui donne à l'ensemble une certaine force par l'alternance de moments triviaux ou (très)crus et des éclairs de poésie ou de respiration à travers l'évocation de souvenirs d'enfance (ceux de Jimmy et de Gloria ou ceux de certaines prostituées qu'ils soient réels ou fantasmés). Le réel se dérobe souvent et les personnages semblent s'évader dans des récits imaginaires tantôt idéalisés tantôt terrifiants. La sexualité de ces "femmes" étant elle-même souvent ambiguë. Les transsexuels cotoyant les vraies femmes. Ce roman finit par donner une certaine poésie à ce monde déliquescent qui exerce un mélange de fascination et de répulsion. Une lecture marquante et dérangeante.

Très bien dit-il toutes ces putes là dehors sont là pour moi mais elles ont également toutes quelque chose à donner à Gloria comme une flaque de lumière sur l'océan avec tout ce qui bouge, se balance et brille sous le soleil alors Seigneur aidez-moi maintenant car Gloria est la vaste mer dans laquelle nagent les poissons-putains; Seigneur aidez-moi à renoncer à la nourriture afin que je puisse investir davantage ma pension dans les putains et trouver ce qu'il me faut trouver. Seigneur laissez Gloria se sentir bien à mes côtés parce que je n'ai vraiment aucune envie de mourir seul.

Merci pour le commentaire, je suis encore plus impatiente de le lire.

J'aimerais bien savoir ce que tina entend en parlant de 'veine traditionnelle' chez Vollmann... cet auteur me semble toujours si inattendu que j'ai du mal à voir chez lui un lien entre chaque livre (en dehors de sa grande prédilection pour l'Histoire ?)...
Et merci pour le commentaire Marko, encore une oeuvre qui donne envie...

Je voulais dire qu'il traite de la violence et ne ménage pas son lecteur.

Cette quête de la femme idéale dont l'identité est fabriquée à partir du souvenir des différentes putains semble la seule forme de lumière envisageable dans ce vide affectif et cette misère absolus (ou la perversité est reine) d'un monde déserté par tout espoir de transcendance. Ce récit est un peu dans la mouvance de  ces romans peuplés de clochards célestes. On n'est pas loin de Burroughs et Selby effectivement. La poésie des cabossés de la vie et de la trivialité la plus totale (les descriptions de sexe sont gratinées!).

Je ne sais pas si j'extrapole en voyant quand même dans tout ça une goutte de lumière.
Mais il me semble que le titre même a tout de biblique.
La prostituée dans la Bible, à défaut d'être sacrée, est au moins respectée et souvent très symbolique.
Je pense notamment à Rahab grâce à qui Josué conquiert Jéricho, étape pour atteindre la Terre promise (à la place de Moïse, mort déjà). Sans compter ce qu'en dit le Christ dans les Evangiles.
Quant à Gloria, une prière canonique pour les chrétiens.

Cela étant, on a tendance à mettre dans les livres ce qu'on est ou ce qu'on sait (un peu).
Je me plante peut-être complètement.

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