Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]

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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyJeu 29 Jan 2009 - 18:52

Merci aériale, j'aime bien m'occuper de ce sujet
sinon c'est tellement particulier sont style que je sais que ça restera toujours pour un nombre restreint d'amateur.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptySam 31 Jan 2009 - 11:44

Aimé Pache, peintre vaudois. 1911
c'est le livre-clé pour comprendre son auteur. Peintre vaudois, Aimé Pache séjourne à Paris. Mais de retour chez lui, il redécouvre ses racines et trouve ses couleurs. Expérience transposée en fiction, la peinture se substituant à l'écriture
Ramuz pour ce livre à pris pour modèle, sont propre parcours de l'artiste qui quitte sa campagne pour aller à Paris et devenir un écrivain.Pour cette histoire son personnage est un peintre pour ne pas tomber dans l'auto-biographie extrème.
C'est un livre intéressant, certes ce n'est pas mon préféré mais par moment il y a de belles choses écrites.
Ramuz disait sur son livres
Ce n'est guère un "roman", et il n'y prétend point. C'est l'histoire d'un fragment de vie d'homme, au jour le jour, et sans évènements. J'ai donc été obligé de recourir à l'analyse, mais j'aurais voulu que cette analyse ait l'intérêt, la vie et la poésie d'un récit. J'ai fait choix d'un "caractère" très général: j'aurais aimé à y montrer à la fois l'homme, l'artiste et le vaudois - de manière qu'à côté du très particulier d'un milieu soigneusement indiqué, il y eut tout l'univers, si je puis dire, de sentiments très simples et purement humains. D'où le ton."
extraits du livre.
Tout à coup, il voyait le monde, et comment il est fait, non pas pour nous, mais contre nous ; non pas pour le plaisir des yeux et de la jouissance du cœur ; non pas pour le meilleur de l’homme, mais pour ses besoins d’argent ; et qu’il est arrangé ainsi depuis toujours, de telle sorte qu’il faut qu’on y prenne sa place, non à son choix, mais de nécessité, et cette place, il faut la prendre ou disparaître… Et il se répétait : Séparation, séparation… Séparé des hommes, séparé de tout.
----------------------------------------
« Le soir, il se sentait brisé comme s’il avait fauché tout le jour ; brisé de corps, avec une fatigue aux jambes, un battement aux tempes, un front lourd et gonflé ; et devant ses yeux, par moment, un voile gris tombait, qui était le signal pour lui de s’arrêter. Mais à cette fatigue du corps répondait au dedans une vivacité nouvelle : comme une augmentation en lui de tous les principes de vie, et il apercevait son être augmenté soudain en tous sens. Etroit, à l’ordinaire, creusé en profondeur, il s’élargissait brusquement, avec des facultés inconnues de joie, avec des puissances de lutte, avec des faims de mouvement, avec des besoins de plaisir (...). Mais le regret et cette nostalgie d’espaces seulement entrevus, et non pas explorés continuait à durer en lui. Jusqu’où nous pourrions aller, presque toujours, nous l’ignorons, nous tournons en rond au bout d’une chaîne et nous n’osons pas la briser. »
-----------------------------------
Il se disait une fois de plus : « Il y a eu en moi trois espèces d'amour, et ils se sont détruits l'un l'autre. J'ai aimé la beauté du ciel, j'ai aimé la beauté des choses, et c'est une espèce d'amour. J'ai aimé celle qui m'a porté en elle et par qui j'ai connu le jour, et c'est encore une espèce d'amour. J'ai aimé enfin une troisième fois : j'ai aimé un petit corps souple; et pour cet amour-là, j'ai trahi les deux autres. Alors ils m'ont quitté tous les trois à la fois ». Et c'était de nouveau en lui comme un grand besoin de pardon. (...). Mais une voix lui répondit : « Il n'y a qu'une espèce d'amour. » Et la suite de la voix fut : « Et qu'une espèce de pardon. »
---------------------------------------
"un point l'inquiétait cependant, c'était pourquoi il était peintre (et il se sentait de plus en plus peintre, non par mode, et imitation, mais par besoin vrai et profond).

Concernant l'influence de Paris sur Ramuz, il disait.
Je suis venu à Paris tout jeune; c'est à Paris que je me suis connu et à cause de Paris.
J'ai passé pendant douze ans, chaque année, plusieurs mois au moins à Paris; et les voyages de Paris chez moi et de chez moi à Paris ont été tous mes voyages!
C'est Paris lui-même qui m'a libéré de Paris. Il m'a appris dans sa propre langue à me servir (à essayer du moins de me servir) de ma propre langue. Car il faut distinguer entre ses leçons immédiates et celles qui agissent en profondeur: dont la plus profonde est sans doute qu'étant étonnamment lui-même, il vous enseigne à être soi-même. Il a obéi à certaines lois: il vous enseigne à obéir aux vôtres.


J'ouvre une parenthèse sur la peinture car Ramuz est un grand admirateur
des peintres, surtout Cézanne. Et Ramuz voulait écrire comme les peintres peignent. il disait.

Il m’est arrivé hélas ! d’écrire des livres, mais ce n’est pas mon vrai métier. Mon éducation a été faite par les peintres. J’entends qu’un goût bizarre m’a poussé de bonne heure à tâcher de reproduire, comme ils m’enseignaient à faire, non des idées, mais des objets, cherchant à douer l’image que je tirais d’eux d’une certaine ressemblance où ils seraient à la fois et où je serais moi-même.
Sur Cézanne il disait.
D'autres ont des bustes, des statues : sa grandeur à lui est dans le silence qui n'a cessé de l'entourer ; sa grandeur à lui est de n'avoir ni buste, ni statue, ayant taillé le pays tout entier à sa ressemblance, dressé qu'il était contre ses collines, comme on voit le sculpteur, son maillet d'une main et son ciseau de l'autre, faire tomber le marbre à larges pans.
------------------------------------------------
Il se vide de tout ce qu’il pouvait savoir, de toutes les recettes apprises, de tous les moyens employés avant lui : plus que l’affrontement, le face-à-face, d’un pauvre homme dépourvu de tout prestige d’emprunt, et de l’objet extérieur "... mais véritablement l’objet... non pas vu à travers un modèle ; l'objet tout neuf, vu comme pour la première fois ". Comme chacun le voit et oublie qu’il le voit, par hâte d’agir ou par indifférence. Car qu’est-ce que regarder, ordinairement ? C’est reconnaître aussi vite que possible ce qu’on voit, reconnaître qu’on voit ce qu’on a déjà vu, on peut même dire reconnaître sans voir, sinon un détail attestant de la présence d’un tout. C’est de cette routine que le peintre, par ses moyens propres, nous sort, nous délivre

Ecrit sur la peinture
Notes du Louvres 1902-1903.
Textes inédits. Agé de 24 ans, Ramuz se rend pour la seconde fois à Paris en novembre 1902. Du 23 décembre 1902 au 26 février 1903, ses journées débutent toutes par une visite au Louvre, durant laquelle il rédige ces camets. A la recherche de son style, Ramuz livre spontanément ses impressions devant les tableaux des Primitifs italiens, des Anglais, des Français et des écoles du Nord.

Paul Cézanne
Charles-Ferdinand Ramuz
Ce livre présente les deux plus beaux textes jamais écrits sur Cézanne. Ramuz s'attache non seulement à replacer l'artiste dans l'histoire de la peinture, mais aussi à célébrer son hymne à la nature et à retracer sa vie.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMar 3 Fév 2009 - 12:02

Le Règne de l’esprit malin inaugure dans l’œuvre romanesque de Ramuz une série de romans, appelés généralement « mystiques », qui mettent en scène des événements » surnaturels, miraculeux ou fantastiques : en plus du Règne de l’écrit malin (1917), la Guérison de maladies (,1917), Les Signes parmi nous (1919), Terre du ciel (1921) et Présence de la mort (1922)

Le règne de l'esprit malin a pour sujet l'irruption d'un principe maléfique dans une communauté paysanne. Comme dans une vieille légende, ce principe perturbateur n'est personne d'autre que le Diable, qui revêt pour l'occasion la personnalité du cordonnier Branchu. Aveuglés par son pouvoir suborneur, les villageois ne reconnaissent pas le Malin. Il débauche ceux qui le suivent par les biens dont il les comble, tandis que les rares personnes qui lui résistent vivent dans une misère indicible. Les catastrophes, les crimes et les blasphèmes culminent par une horrible fête qui commence à l'auberge pour se continuer à l'église.
extrait.

Les signes, à vrai dire, ne commencèrent à se montrer que beaucoup plus tard ; il y avait bien trois ou quatre mois que Branchu était installé au village.

C’est quand octobre fut venu ; un matin que Baptiste le chasseur tirait un lièvre, son fusil lui éclata dans les mains.

On l’assit sur un tas de fagots devant chez lui ; les femmes allèrent chercher un baquet, en un rien de temps, l’eau fut rouge. Et, lui, quoique solide, voyant son sang couler, une fadeur lui venait à la bouche. « Mon Dieu, disaient les femmes, le voilà qui prend mal ! » Cependant, de dedans le corps, la machine à pression du coeur continuait à pousser à l’air un jet mince, et on ne put l’arrêter que quand on se fut procuré une bonne épaisseur de toiles d’araignées, dont on fit une application.

Trois jours après, un nommé Mudry, qui était le cousin de Baptiste, tombait d’en haut une paroi d’une centaine de mètres et se fendait la tête en deux.

La petite Louise, la fille du sonneur, prit le croup. Deux bêtes crevèrent, la même nuit dans la même étable. Un fenil tout neuf brûla.

Mais tout cela n’était encore que des évènements extérieurs à vous ; il peut y avoir ce qu’on appelle des coïncidences, même un proverbe dit qu’un malheur ne vient jamais seul. Le plus inquiétant fut donc ce qui se passait au dedans des gens, parce que leur nature changeait rapidement, et pas tout à fait dans le sens qu’il aurait fallu pour leur bien.

Il y eut, par exemple, Trente-et-Quarante, qui avait eu un enfant d’une autre femme que la sienne, et, comme l’enfant lui coûtait cher et que, cette femme, il ne l’aimait plus, un soir donc que le petit dormait, la mère ayant été chercher de l’eau à la fontaine, il le mit dans un sac qu’il noua par le bout, et, se laissant aller droit en bas la pente jusqu’à la plaine, le jeta dans la rivière qui coule là. Il avait attaché une grosse pierre au paquet. Il voyait le paquet descendre, il le regardait descendre ; et il était plein de contentement


La Guérison des maladies donne à Marie Grin un rôle dominant : l’histoire est d’abord la sienne propre, celle d’une jeune fille déshéritée qui renonce à son bonheur possible pour le sacrifier à celui d’autrui. Le suicide de son amoureux, le Parisien, conduit Marie à se transformer en martyre : prenant sur elle la souffrance de ceux qui viennent l’implorer, elle accepte de porter leurs maux. Après sa mort, elle est transfigurée en sainte dont la présence miraculeuse fait revenir la foi et l’espérance.
C'est sans doute un des ouvrages qui montrent le mieux l'orientation spiritualiste de Ramuz. L'auteur y étudie ces forces qui sont latentes dans l'homme et qui dépassent les phénomènes naturels. La guérison des maladies est, avant tout, un fait spirituel. La guérison du coeur précède la guérison du corps.

Terre du ciel - Joie dans le ciel. Ramuz explique
C'est un simple traité de théologie appliquée (je ne suis qu'un théologien), avec l'idée d'en dessous qu'il est impossible à l'homme de sortir de son relativisme, d'où la nécessité de rétablir le mal en présence du bien, même sur le plan absolu - et l'idée de plus dessous (qui est la mienne), que notre "relatif" est parallèle à l'absolu, qu'il en est la fidèle image...".

Présence de la mort.
Présence de la mort, qui, en décrivant la disparition de l'humanité frappée par une brusque modification de l'ordre solaire, reprend pour le traiter en lui-même le thème de la fin du monde des Signes parmi nous où il n'était qu'esquissé - et finalement esquivé -, conduit à un rapprochement identique: ceux qui entrent dans la vie de l'au-delà «ont été bien étonnés... ».

Réaction d'écrivains sur Ramuz.

Romain Rolland écrit à Ramuz : « |e viens de lire La Guérison des maladies. C’est une œuvre admirable, — la plus parfaite, à mon sens, que vous ayez écrite. Elle est profonde et pleine. Une grande chapelle peinte à fresque, aux murs de laquelle se déroule la vie d’une sainte avec toute la foule du temps.

Paul Claudel sur la Guérison des maladies.
« Ce livre m’a tout à fait empoigné et je vous écris tout de suite pour vous dire l’émotion qu’il m’a causée (J’avais déjà beaucoup admiré Le Le Règne de l’esprit malin)

Et plus tard toujours Claudel
on rira bien d’apprendre, dans quelque cinquante ans, en feuilletant les gazettes, à combien de de médiocres on fit des célébrités dans les années mêmes où un Ramuz publiait pour la joie d’un tout petit nombre ]oie dans de le ciel ou la Guérison des maladie.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMar 3 Fév 2009 - 19:58

L'amour du monde.
Paris: Plon, 1926.


Étrange roman, à l'atmosphère lourde, construit comme un scénario, dans lequel alternent fiction et réalité et qui s'achève par un drame

Une petite ville de quatre ou cinq mille habitants, un petit monde en soi où les gens se contentent d’un beau soleil et d’une belle eau, parmi les vignes. Mais lorsque Louis Noël sort de son apathie et parle du monde tel qu’il l’a vu lors de ses voyages ; lorsqu’un homme ressemblant étrangement au Christ se promène sur la plage ; et lorsque l’ouverture d’une salle de cinéma ouvre soudain des perspectives jusqu’alors inconnues aux habitants, un petit vent de folie se met à souffler dans les têtes et les garants de l’ordre établi ont bien de la peine à garder leur sang-froid...
extrait.

Il était couché sur son petit lit de fer dans une chambre ne mesurant pas plus de trois mètres sur quatre, et deux en hauteur. Il a été un moment encore seulement une chose prenant une toute petite place sous la couverture grise à rayures. Sous la couverture en grosse laine rayée, entre ces quatre murs, entre un plancher et le plafond. Il a été là, comme pour faire voir le peu que c’est, un homme, quand il est dans l’allongement, sans vie encore, sans amour.
De temps en temps, un coup de vent faisait comme si on jetait une poignée de sable sur les tuiles ; et lui immobile, et quatre murs et le lit de fer dans un coin ; lui sur ce lit dans l’allongement, comme pour faire voir le peu de place qu’un corps occupe sur la terre. Contenu tout entier par le lit, qui est contenu à son tour par la chambre, — sans amour, entre quatre murs, avec le seul apport de la fenêtre qui est un peu de ciel posé sur un peu de montagne, et c’est tout.


Comparaison entre Claudel et un critique littéraire sur ce livre
Paul Claudel écrit à Ramuz.
L’Amour du monde est un récit vraiment tragique et impressionnant. La séduction de Thérèse, la femme qui attend sous les éclairs, l’homme enfermé au milieu des horloges, sont des choses que l’on n’oublie pas. Avouerai-je qu’à force de regarder votre lac et vos montagnes vous me semblez vous-même un peu halluciné ? C’est à la fois la technique de l’orage et du cinéma. Une quantité de scènes entrecoupées que l’on voit comme dans un éclair ou sur l’écran. Une création qui a perdu son attache avec la réalité et qui semble danser et sauter dans une alternative d’apparitions et de disparitions comme les montagnes ou les collines dans le psaume que vous connaissez. C’est un livre qu’on pourra mettre dans la Salle d’attente quand tout sera prêt pour le Jugement dernier-‘. »

Auguste Bailly critique
Et l’on essaiera de me faire admettre que, sans parti pris, sans pose, sans snobisme, on puisse admirer – que dis-je, admirer !... – qu’on puisse seulement lire un romancier qui, volontairement ou non, estropie si savamment notre langue, et donne à ses discours l’aspect de vagissements perpétuels ?... Je ne le crois pas, je me refuse à le
croire. Que M. Ramuz soit le plus noble des idéalistes, j’y souscris. Qu’il soit sincère,qu’il n’ait pas dessein de nous mystifier et ne se fasse pas une originalité de ses ridicules soigneusement élaborés, j’y peux consentir encore. Mais qu’il soit un écrivain français, non, jamais je ne me résignerai à une hypothèse aussi dénuée de vraisemblance !... Écrivain français !... S’il veut l’être, qu’il apprenne notre langue !... Et
s’il ne veut pas l’apprendre, qu’il en emploie une autre !


Et Ramuz encore et toujours s'expliquer
“Et ce ne serait rien encore si seulement j’écrivais mal, mais on m’accuse encore de mal écrire exprès, ce qui aggrave mon cas… Ai-je besoin de vous dire que cette accusation est de beaucoup pour moi la plus grave de toutes, la seule à vrai dire qui me touche? Elle va très exactement en sens inverse de toutes mes tendances, de toutes mes recherches, elle me touche au point central, ayant toujours taché au contraire d’être véridique et ne m’étant mis à mal écrire que précisément par souci d’être plus vrai ou, si on veut, plus authentique,d’être aussi vrai, d’être aussi authentique que possible.”
Et moi, j’aurais voulu faire sentir à ma façon ce balbutiement de
l’homme devant l’être, j’aurais voulu exprimer ce qui ne peut pas s’exprimer (…) non par des mots tout faits et des formules, mais par une allure, par une exclamation, un geste; (…) de pauvres hommes bien peu surs d’eux-mêmes, plein de peur, et des primitifs si on veut.
(…) Cherchant à faire entrer dans une matière verbale, à ma façon et à mon tour, la substance même de leur vie, en quoi j’ai bien été forcé d’aller contre une certaine grammaire et une certaine syntaxe


Pour finir une dernière citation de Ramuz qui va bien à ce livre

Une seule chose est sûre, c’est qu’on est posé les uns à côté des autres, et puis c’est tout.
Une seule chose est sûre, c’est qu’on doit mourir. Une seule chose est sûre, c’est qu’on est tout seul pour vivre, c’est qu’on est tout seule pour mourir.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMer 4 Fév 2009 - 16:35

Ce n'est pas un roman mais des notes personnelles

Paris, notes d'un Vaudois, préf. d'Etienne Barilier, Université François Rabelais, Les Amis de Ramuz, Tours

En 1902, il part pour Paris. Séjour déterminant : il y apprend à être vaudois. Et c’est le retour, auréolé d’une légende de pauvreté, de travail, de solitude qui cède à l’exagération. Juste réaction de sa part comme de celle de ses amis. À Paris, il a couru les salles du Louvre, noirci des cahiers. Il se croyait critique d’art. Par bonheur, ses notes ont été publiées

extrait, Paris vu de la Tour Eiffel

… Je dois confesser que je n’y suis monté que tout à la fin de mon séjour à Paris et je le regrette. Rien n’explique mieux Paris que de le contempler du haut de la tour. On obéit sottement à une convention qui fait qu’elle passe pour être réservée aux provinciaux et aux voyages de noces. On a beau essayer de se libérer des idées toutes faites, on n’arrive jamais à y échapper complètement. Il faudrait pouvoir les examiner une à une, et se déterminer selon soi-même dans chaque cas particulier, mais elles sont bien trop nombreuses ; de sorte qu’il y a dans votre vie toute une part d’actes non contrôlés, où on obéit malgré soi à l’opinion d’autrui.
Je recommande quand même au visiteur cette ascension, car c’en est une. Qu’il se fasse porter ou se porte soi-même, dés les premiers jours de son arrivée, à cette haute plate-forme d’où on domine un immense horizon. Vous voilà à la montagne. Vous voilà comme sur une de ces pointes verticales qui surmontent certaines arêtes, et qu’on appelle des Gendarmes, à part que l’oeil ici, porté à plat, ne rencontre rien, si ce n est l’air lui-même ou, à l’extrême limite de la vue, quelques collines indistinctes, noyées dans la brume du lointain


Dix siècles d’histoire sont écrits au-dessous de vous, il suffit de se pencher un peu par-dessus le parapet pour les lire. Dix siècles avec leurs intentions et leurs projets qu’ils se sont transmis l’un à l’autre, les réalisant peu à peu, car ils ont voulu une cathédrale et il y a eu Notre-Dame ils ont voulu une demeure pour le roi : ils ont construit un Louvre, puis un autre Louvre. Chaque siècle se présente à vous avec son apport, à quoi le siècle suivant ajoute ; ils se superposent dans le temps, ils se juxtaposent dans l’espace. La Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Etienne du Mont, le Panthéon, la Madeleine : ce qui est consacré à Dieu, et. Dieu, est-ce que c’est le passé ? Les clochers les tours, les dômes dépassent, mais il y a les monuments d’Etat qui sont carrés, il y a les Invalides qui brillent de beaucoup d’or avec leurs vastes ailes et leur importante toiture, il y a la colonnade du Palais-Bourbon ; et on voit partout une civilisation qui se développe et se continue

On distingue qu’en même temps qu’il détruit, l’homme reconstruit ; que dix siècles ne suffisent pas, quelles que soient les apparences qu’elle puisse présenter d’abord, à faire d’une ville vivante une ville morte ; et que le nom de celle-ci n’ est pas cessation, mais continuité.
Justement on a comparé Paris à un navire et il est écrit sur ses armes : Fluctuât nec mergitur. Et d’ici on le voit bien, le navire : cette île dont la proue acérée surgit, tournée vers nous au milieu du fleuve dont elle semble se laisser porter par le courant : fluctuat ; mais elle a débordé ses rives, elle s’est couverte de mâtures : c’était une flottille, c’est maintenant toute une grande flotte chargée d’homme, de richesses, d’inventions. C’est une grande flotte à présent, toute claquante de voilures, lourde de richesses et d’idées, lourde de choses produites et à produire, qui sans cesse appareille, mais pour l’avenir. Nec mergitur


Paris, c’est beaucoup de villages mis ensemble, et en vérité tous les villages et toutes les provinces de France, avec quelque chose de plus qui est le résultat de leur rapprochement, c’étaient aussi toutes les langues, tous les dialectes et les patois de France, oc et oïl, avec
quelque chose aussi que Paris y ajoute ; parce que Paris fait parler les hommes plus vite et plus net, en les douant de son prestige et en les élevant en quelque sorte à l’universel.
Ce que je voyais à présent du haut de la tour, c’est que cette même force de rapprochement et cette même continuité opéraient aussi à travers les siècles
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMer 4 Fév 2009 - 16:38

Voilà de la substance, Rivela, qui enrichit sacrément ce fil sur Ramuz! Peu de réponses mais on te lit!
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMer 4 Fév 2009 - 21:09

Effectivement comme dit Marko,c'est du pointu sur Ramuz ici.Je suis assez admiratif,Rivele,de ta connaissance de cet écrivain.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMer 4 Fév 2009 - 22:51

Bellonzo a écrit:
Effectivement comme dit Marko,c'est du pointu sur Ramuz ici.Je suis assez admiratif,Rivele,de ta connaissance de cet écrivain.

Oui, Rivela, je me suis régalée aussi à te lire...Merci! content
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyJeu 5 Fév 2009 - 12:27

Merci bien, flower
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyJeu 5 Fév 2009 - 13:55

Remarques
Charles-Ferdinand Ramuz , l'Age d'homme , 1987 ,


Comme tous les écrivains, Ramuz s’est posé à lui même une foule de questions autour desquelles ont foisonné des réponses, ou idées, ou remarques. Il lui arriva de les noter, en les mettant en forme, et de publier celles qui lui parurent dignes d’être retenues. Une première fois dans les Six Cahiers (1928-1929), une autre fois dans les œuvres complètes (t. 19, 1941

quelques extraits. j'espère que ça ne sera pas trop ennuyant

Nous ne sommes pas indifférents au monde extérieur ; nous ne pouvons donc pas supporter que le monde extérieur soit indifférent à notre égard. Il semble bien pourtant que ce soit le cas ; là est la grande tragédie. Nous aimons la vie, elle ne nous aime pas

Il ne suffit pas de donner ce qu’on a ; il faut encore donner ce qu’on est. Plus exactement, on ne donne vraiment que ce qu’on est ; on ne donne rien tant qu’on ne se donne pas soi-même. On ne donne vraiment quelque chose en donnant de l’argent que quand on le donne par amour. L’argent, c’est ce qu’on a ; l’amour, c’est ce qu’on est. La société tout entière est basée sur le système des échanges et croit volontiers qu’elle serait parfaite le jour où elle réussirait à assurer leur parfaite équité ; elle oublie que le cœur n’est sensible qu’au don. Dès qu’on met un peu de soi dans son travail, c’est un don de soi qu’on fait, et que l’argent à lui seul ne paie pas. Penser, par exemple, à la fameuse «question des pourboires». C’est de l’argent encore sans doute, mais avec quelque chose autour

Asymétrie du monde. Le moindre effort y est vers la négation. Il est toujours infiniment plus long de construire que de détruire. On dit : « se donner la mort », on ne peut pas dire : « se donner la vie

Le don qui nous a été fait, c’est la vie, non la bonne vie. La bonne vie, à nous de la faire. Même quand il confond, comme il fait le plus souvent, quantité et qualité, tout l’effort de l’homme, conscient ou non, consiste en somme à essayer d’introduire la qualité qui est lui dans la quantité qui lui est donnée Il fait exactement ce que fait l’«artiste». Dès qu’intervient la qualité, commence l’art. L’homme est essentiellement « artiste », quelles que soient par ailleurs ses erreurs (énormes) d’appréciation. Et il ne faut pas fonder l’art sur des bases moins profondes, si on ne veut pas l’isoler de l’homme, en faire une spécialité, un objet de luxe ; — si on ne veut pas, sous prétexte d’art, faire simplement de l’esthétisme.

L’écrivain est puni par où il a péché. Il a été infidèle à lui-même. Il a oublié que les choses pour lui ne peuvent avoir qu’une existence intérieure : et que là, c’est-à-dire au-dedans de lui-même, il y a un paysage qu’il voit ou qu’il ne voit pas ; et, s il le voit, il n’a qu’à le décrire, le décrire tel qu’il le voit ; s’il ne le voit pas, qu’à ne pas le décrire. Il a oublié que c’est quelquefois en ne décrivant pas qu’on décrit. Il a oublié que l’imagination (la faculté à laquelle il doit précisément la possibilité de créer l’image) n’est qu’une mémoire, mais une mémoire active dont le rôle est de déformer pour transformer, de détruire en quelque manière pour reconstruire, d’être inexacte pour être vraie ; et que c’est justement dans cette transformation et cette reconstruction qu’il s’exprime lui-même, substituant sa propre unité à celle qui est hors de lui, mais qui reste tout à fait insaisissable. De sorte qu’il ne dispose que de la sienne, d’unité. De sorte qu’il est dans la nécessité de tout y ramener, de sorte que son ouvrage sera d’autant meilleur qu’elle s’y imposera davantage. C’est par l’accumulation de ressemblances partielles, mais toutes dirigées dans le même sens et toutes orientées de la même façon, qu’il atteindra à la ressemblance générale : de sorte qu’aucun mot pour finir n’y est indifférent. Qu’il n’y a qu’un mot entre trois ou quatre (qui semblent synonymes) qui soit le bon.

Pour qu’on soit bien assuré que la phrase est vivante, il faut d’abord qu’on en ait senti battre chaque mot, comme l’artère, sous le doigt

Il n’y a plus de solitude, là où est la poésie. C’est ainsi que le poète est à la fois le plus solitaire et le moins solitaire des hommes. Il monte et il descend au-dedans de lui-même, connaissant tour à tour l’union la plus parfaite qui soit possible dans le monde créé et le pire état de séparation. Par un seul être intimement rejoint, il communie un instant avec tous les
Êtres ; — disjoint d’un seul, il les quitte tous. C est, hélas ! que le poète ne rejoint l’être que par l’image. L’image n’est qu’un fil ; le fil casse. Il faudrait toucher à l’Etre, non aux êtres.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyJeu 5 Fév 2009 - 19:33

voici une vidéo de Ramuz avec Gide, y a un ratage au début avec le son
ne soyez pas surpris, j'espère que la vidéo fonctionne.

http://mediaplayer.archives.tsr.ch/ramuz-gide/2.rm
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyJeu 5 Fév 2009 - 21:10

rivela a écrit:
voici une vidéo de Ramuz avec Gide, y a un ratage au début avec le son
ne soyez pas surpris, j'espère que la vidéo fonctionne.

http://mediaplayer.archives.tsr.ch/ramuz-gide/2.rm
Ca marche!...Merci Rivela! content
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMar 10 Fév 2009 - 19:50

# Charles-Ferdinand Ramuz / Nouvelles et morceaux. Tome II : 1908-1911
# Charles-Ferdinand Ramuz / Nouvelles et morceaux. Tome I: 1903-1908
# C.F. Ramuz / Nouvelles et Morceaux. Tomes III : 1912-1914
# C.F. Ramuz / Nouvelles et Morceaux. Tomes IV : 1915-1921
NOUVELLES ET MORCEAUX TOME V (1925-1947)
ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 07102052
"Méditation sur ce que pourrait être la nouvelle. Il ne s'y passerait rien, l'intrigue (s'il y avait encore une intrigue) en serait sans cesse déviée. Tout serait de contact, avec les êtres, avec l'objet. Et l'accent serait mis sur les choses tenues par moi pour sacrées.

Voici les nouvelles presque 200, j'adore ces petites histoires ou sont concentré tous l'humain dans ses sentiments les plus intimes, la mort
la jalousie, l'argent etc..
quelques extraits de nouvelles, elles ne sont pas en entier, un peu du début, un peu du milieu, un peu de la fin, mais j'espère que ça reste cohérent et vous donnent une idée de ces nouvelles
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMar 10 Fév 2009 - 19:54

Séparation.

Il n’avait pas été la chercher chez elle, parce qu’ils ne s’étaient pas encore déclarés publiquement ; d’ailleurs des amies devaient l’accompagner jusqu’à la sortie du village ; il avait été l’attendre dans le petit bois.
Le chemin traverse le bois, il ne pouvait pas la manquer ; et ce fut donc ainsi, et il se tenait sous un arbre, pas tout à fait à la lisière, mais tout près. Il se disait : «Je vais lui faire une surprise ; dès qu’elle arrivera, je me cacherai, c’est facile dans ces buissons et il faudra qu’elle me cherche. »

Elle était un peu en retard, il ne s’inquiétait pourtant pas. Il continuait à tenir ses yeux fixés sur l’endroit où la route s’engageait dans le bois ; il y avait là une sorte de porte taillée comme au ciseau dans l’épaisseur du feuillage, une porte arrondie en haut, semblable à celles des églises ; il faisait toujours des projets : «Voilà, se disait-il, il va faire trop sombre pour qu’elle me trouve, si je me cache ; mais je l’appellerai, alors elle saura de quel côté se diriger. »

Il s’aperçut bien, lorsqu’elle parut, qu’elle n’avait pas la même allure que d’ordinaire et qu’elle semblait plus pressée ; il ne s’en cacha pas moins derrière un buisson, comme il s’était dit, et cria : « Coucou ! » Elle ne s’était pas arrêtée. Il ne pouvait pas bien la voir, mais le bruit de ses pas distinctement lui arrivait ; ils continuaient de se faire entendre, nets, rapides, réguliers et un peu secs sur le chemin.
Il fut surpris ; il cria : «Eh ! Lucie, tu n’entends pas ; c’est moi. »
Il y eut un silence ; il prêta l’oreille ; elle poursuivait son chemin, elle l’avait déjà dépassé
En moins de rien, il fut debout, fit quelques pas, s’arrêta brusquement, repartit, risqua de tomber, son pied s’étant pris dans des ronces ; et de nouveau il était immobile, s’efforçant de comprendre et n’y parvenant pas.
N’avait-elle pas entendu ? Il l’appela de nouveau ; elle continuait d’avancer quand même ; et il y avait maintenant trop de trouble en lui pour qu’il pût s’arrêter à aucune espèce d’idée, prendre n’importe quelle décision.

Il était tout essoufflé quand il arriva près d’elle ; il ne lui sembla pas qu’elle s’était même retournée. .
Il voyait cette forme mal indiquée qui continuait d’avancer à quelques pas devant lui ; et lui il marchait derrière :
-Mais qu’est-ce que tu as, Lucie ? tu es folle ! Je t’appelle, tu ne réponds pas.
Elle se mit à rire, sans rien dire ; il fut de nouveau tout à coup heureux. Et il n’eut qu’à forcer le pas pour se trouver à côté d’elle ; alors il passa son bras sous le sien :
- Vilaine ! dit-il, c’était une farce !
Et il l’embrassa tout en marchant.
Elle rit de nouveau, elle se laissait faire ; pourtant il ne put pas ne pas voir qu’elle ne lui avait pas rendu son baiser.
Et un peu inquiet quand même :
- Qu’as-tu ? voyons qu’as-tu ?
Elle riait, elle allait toujours aussi vite.
- Ah ! ça n’est pas malin, les garçons, finit-elle par dire ; est-ce que tu voudrais que je manque mon train ?
Ce fut la seule explication qui vint, il fallut qu’il s’en contentât, il tâchait de s’en contenter. Et elle parlait maintenant : «Oui, c’est Marguerite qui m’a retenue, elle a toujours un tas de choses à vous dire au dernier moment ; alors qu’est-ce que tu veux ? je me dépêche ; je n’ai pas le temps de m’amuser. »
- Bien sûr, dit-il.
Ce fut ainsi ; il se montra raisonnable, il fit en sorte de ne pas la retarder. D’ailleurs, rien ne s’était passé, n’est-ce pas ? On a vu qu’elle s était un peu expliquée. Il pensait : « C’est bien naturel » ; il ne lui posa aucune question.

Ils arrivèrent bientôt à la sortie du bois ; là ils devaient se quitter.
«Eh bien ! au revoir, dit-il, à dimanche prochain. »
Elle dit :
- Peut-être.

Tout se passa comme d’habitude, à part qu’elle était pressée, mais il ne pouvait pas lui en vouloir d’être pressée. Et, comme il tendait la bouche pour l’embrasser, elle, elle tendit la joue.
Tout était bien comme toujours ; maintenant elle s’en allait, il la suivit longtemps des yeux.
Puis il fit demi-tour et rentra dans le bois. Il allait à petits pas, n’ayant plus besoin de se dépêcher. Il avait les mains dans ses poches ; il avait même allumé un cigare, de ceux qu’on garde dans son gousset pour le dimanche ; il était parfaitement calme. Alors pourquoi est-ce que, tout à coup, il ne put plus se tenir debout ?

Il eut une douleur en lui comme si son cœur se retournait et appuya ses deux mains dessus en ouvrant la bouche.
Il quitta le chemin, il fit deux ou trois pas dans le bois, il se laissa tomber au pied d’un gros arbre.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   ramuz - Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 5 EmptyMar 10 Fév 2009 - 19:58

La mort.

Il disait : « Ça n’est rien », et, comme sa femme était venue avec un rouleau de chiffon et de l’eau chaude dans une tasse, et elle lui disait : «Trempes-y ton doigt», il haussa les épaules : «Ah ! c’est bien les femmes, répondit-il, toujours des histoires pour rien ! »
Mais dès le lendemain son doigt était terriblement enflé et le gênait beaucoup dans son travail.
Comme il était dans la remise, il ôta la bande de toile dont son index était enveloppé ; il vit qu’il était rouge, énorme, et c’était comme s’il y avait eu dedans un petit cœur, qu’on sentait battre quand on appuyait dessus.
Histoire de campagne, - il arrive souvent des choses de ce genre, parce qu’on vit dans la saleté ; et il se mit de nouveau à hausser les épaules : «Bah ! pensait-il, on en a vu bien d’autres ! Si on voulait tellement s’écouter !... »
C’est qu’il avait de l’amour-propre, et, comme il était rentré pour manger et que sa femme lui demandait des nouvelles de son doigt, il répondit qu’il ne sentait plus rien, en quoi il mentait, mais il le fit sur un tel ton qu’elle n’osa pas insister, quoiqu’il n’eût guère d’appétit, et il avait beau se forcer, les morceaux ne passaient point.

Il mangea de nouveau très peu ; sa femme lui en fit la remarque, mais il se fâcha tout rouge. « Mêle-toi de ce qui te regarde ! » disait-il.
Le lendemain matin au réveil.
- Mon Dieu ! quelle mine tu as !
- Pas tant d’histoires ! Dépêche-toi d’aller faire le café.
Il ne sut jamais comment il s’était habillé avec ces douleurs qu’il avait, ni comment son bras avait fini par entrer dans la manche. Il profita de ce que sa femme était sortie pour boire trois fois plein la casse d’eau fraiche qui lui fit du bien ; pourtant il devait se tenir au mur. Et, dès qu’elle fut revenue ;
- Donne-moi mon chapeau !
- Où est-ce que tu vas ?
Elle avait presque aussi mauvaise mine que lui, ce qui n’est pas peu dire. Et on voyait qu’elle aurait aimé parler, mais n’osait point, le connaissant.
Il répondit simplement :
-J’ai affaire !
C’est qu’une idée lui était venue, parce que sûrement il n’allait pas pouvoir y tenir plus longtemps. Il y avait un vieux au village voisin qui guérissait toutes les maladies.
Les champs tournaient autour de lui comme les chevaux de bois d’un manège ; on aurait dit que la route était un pont de planches et elles s’enfonçaient l’une après l’autre sous ses pieds ; il lui semblait qu’il rencontrait des gens et qu’on lui parlait, mais était-ce bien des personnes ou bien si c’étaient des buissons ? Il se forçait pourtant d’aller, l’essentiel était que sa femme ne sût rien.
C’était presque trop chauffé chez le vieux, il eut encore mal au cœur.
Le vieux le fit asseoir au jour.
Mais voilà qu’au lieu d’aller chercher un de ses paquets de tisane (il guérissait tout avec ses paquets) il se mit à hocher la tête.
-Vous venez trop tard, disait-il. Quand est-ce que ça vous a pris ?
- Avant-hier matin.
-Eh bien ! vous seriez venu hier encore qu’on vous aurait fait passer ça, mais le mal est déjà trop haut, c’est le couteau que ça regarde. Il vous faut vite rentrer chez vous, vous mettre au lit et faire chercher le médecin…
- C’est que, dit Henri…
-C’est que quoi ?
-Je ne voudrais pas que ma femme sache rien.
On peut voir s’il était têtu, puisque jusqu’au dernier moment il se défendit.
- Votre femme ! moi je vous conseille de vous dépêcher, comprenez vous ? sans quoi…
Il commença d’aller très vite, bien qu’il marchât comme un homme ivre, et la route n’était pas assez large pour lui. Mais à mesure qu’il approchait de sa maison, il ralentissait le pas.
Il vit que la porte était grande ouverte, donc Rosalie était là. Ce qu’il vit, c’est que la porte était ouverte ; ce qu’il vit, c’est que Rosalie devait être là. . Tant pis !... Puis il pensa : « Tant mieux ! »
Tout à coup, il eut une grande envie d’elle ; le cœur lui creva de peur.
Le corridor était peint à la colle ; de s’y être appuyé, cela lui fit une grande marque jaune en haut du dos de son gilet de chasse. Et brusquement :
- Eh ! Rosalie !
La voix lui manquait ; on aurait dit une toute petite voix d’enfant.
- Rosalie ! viens vite, s’il te plaît, viens vite !
Elle sortit de la cuisine, une casserole à la main. La casserole tomba, elle le prit sous la nuque, et il sanglotait maintenant.
- Rosalie ! Rosalie ! dépêche-toi, je vais mourir.
Alors elle se mit à crier et des voisines accoururent, qui envoyèrent chercher le médecin, tandis qu’elles l’aidaient à mettre son mari au lit, qui continuait de pleurer ; et il continuait à avoir cette toute petite voix d’enfant malade, qui les épouvantait, parce qu’on ne la lui connaissait pas, et qu’il disait tout le temps : «Je vais mourir ! »
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