J'avais déjà lu beaucoup de bien de
Martin Eden, mais voilà qu'on en rajoute une couche ici. C'est quand même très chouette ces sujets qui remontent à la surface (le forum est tellement riche qu'on en rate pas mal...).
Cependant, mon prochain Jack London sera
Le Vagabond des étoiles car il s'impatiente dans ma bibliothèque (j'achète plus vite que je ne lis...).
Et pour étoffer la palette de couleur le concernant, je me permets de transférer ici ce que j'ai écrit après ma lecture de
Croc-Blanc en avril 2011. Un souvenir ému encore aujourd'hui.
Croc-Blanc
- Chefs-d’œuvre universels/Gallimard Jeunesse, 1998, 237 pages -
« Et voilà le résultat, reprit Castor-Gris. Il est évident que c’est le fils de Kiche, mais son père était un loup. Il y a donc en lui peu de chien et beaucoup de loup. Puisque ses crocs sont blancs, il s’appellera Croc-Blanc. J’ai parlé. »
Nommé, c’est ainsi que le louveteau gris se voit introduit parmi les hommes, une société régie par de multiples lois plus complexes les unes que les autres, qui iront souvent à l’encontre de son instinct de créature issue du Wild. Comme il le fait pour l’enfance de son héros, sa découverte du monde, Jack London décrit scrupuleusement le conflit interne qui agite Croc-Blanc lorsqu’il se trouve confronté à la volonté humaine.
« Les choses auraient pu se passer différemment, et il aurait alors été tout différent. »
Tout, dans cette éprouvante histoire, tend à démontrer que l’on devient ce que l’on est à travers nos expériences et nos rencontres. Concernant Croc-Blanc, l’auteur évoque une pâte d’argile à laquelle les différents maîtres auront donné une forme particulière. L’animal, profondément intelligent, s’adapte à toutes les situations, même les plus terribles, et lutte pour sa survie. C’est l’effroyable Beauty Smith qui est le plus près de briser Croc-Blanc. La maltraitance et la négligence d’un être poussées à leur paroxysme ne laissent parfois comme alternative qu’un refuge dans la folie.
« Pour lui, c’était une question de principe et de conscience. Il estimait que le mal fait à Croc-Blanc était une dette contractée par l’humanité et que cette dette devait être remboursée. »
Un être est-il condamné à rester tel qu’il est à un certain moment de sa vie ? Pas pour Jack London semble-t-il. Mais il faudra à son héros à fourrure la patience et la bonté d’un nouveau maître pour qu’il puisse se montrer sous un autre jour. En effet, pour l’auteur, seule « la sonde de l’affection et de la tendresse » permettrait d’ « explorer les profondeurs de la nature de Croc-Blanc » et de faire « remonter à la surface toutes sortes de qualités de cœur. » Dès lors, nous assistons à un nouveau conflit intérieur, d’autant plus poignant que s’y affrontent l’amour et l’effroi. Les étapes détaillées de cette nouvelle révolution chez Croc-Blanc donnent un aperçu des efforts incommensurables qu’il s’agit de fournir pour dépasser des blessures infligés à même le corps, des peurs gravés à même le cœur.
Outre la valeur de reportage très appréciable de ce récit dans lequel Jack London nous fait partager son amour de la nature et sa découverte du Klondike du temps où la folie de l’or attire tous les aventuriers, on s’attache à la richesse de la pensée qui sous-tend cette histoire. Une certaine conception de la vie et de sa dynamique. Une confiance en la capacité des êtres à se reconstruire lorsque les conditions s'améliorent. London nous parle des animaux pour mieux nous parler des hommes. Lorsqu'il relate les aventures de son loup et nous expose ce qui se déroule dans sa tête, ne parle-t-il pas aussi de tous ces humains qui souffrent de l’oppression de leurs semblables ? Et lorsqu’il écrit que les conditions exécrables dans lesquels grandit le louveteau auprès des hommes le rendent beaucoup plus vieux que son âge, n’évoque-t-il pas sa propre expérience ?
Croc-Blanc est définitivement un livre précieux : le mouvement incessant de la vie, palpable dans ce texte, interdit la résignation. La confiance en la vie qui émane de cette saisissante aventure en fait aussi certainement un trésor d'humanisme.