Colum McCann

DANSEUR

Je me suis régalée à lire cette fiction de Colum Mc Cann sur Noureïev, entre roman et biographie plus ou moins imaginaire.

Pour l’écrire, Colum Mc Cann donne la parole aux proches de Noureïev :
- à l’est, sa mère, sa sœur , son père qui le battait , sa première professeur de danse, le mari de cette dernière, leur fille…
- à l'ouest Margot Fonteyn, ses amis (parmi lesquels un Victor Parecci inoubliable), ses amants, sa gouvernante...
Tous retracent peu à peu, en quatre parties dans le livre, le parcours exceptionnel de ce danseur génial et flamboyant.

D’abord l’enfance et la naissance d’une passion pour la danse. On est en Russie. Le roman débute par le chapitre terrible du retour des soldats en 1944.
Dans un hôpital, Rudik, six ans, danse pour les soldats blessés:

« Un petit garçon blond est sorti du rang. Il devait avoir cinq ou six ans. Il avança une jambe devant lui et cala ses mains sur ses hanches, les pouces bien dans le dos. Puis il tendit légèrement le cou, leva les coudes et commença. Les soldats se redressèrent sur leurs lits. Ceux assis près des fenêtres posèrent une main sur leurs sourcils. Le garçon s'accroupit et entama ce que l'on apelle une danse russe. Debout, nous le regardâmes sans un mot. Lui s'amusait, riait. »

Il a froid, il a faim mais Rudik s’entraîne... sur un fleuve gelé ! On se moque lui, on l’humilie mais il sait qu'il ne reculera devant rien pour danser. Le père rentre de la guerre et malgré son interdiction et sa violence, Rudolph prend en cachette des cours de danse que lui donne gratuitement une ancienne danseuse.
Cela le conduit à Leningrad où il est danseur vedette au Kirov.
Lors d'une tournée en France, il passe à l'Ouest. Il devient un traître pour sa patrie.

Sa vie est un roman qui conjugue la misère et le luxe qui accompagne la gloire…Cette dernière s’obtient par un travail acharné et le choix de l’exil. C’est une vie de fêtes et de souffrances . Noureev se livre à une sexualité débridée plutôt qu’à l’amour.

Il est lui aussi un vrai personnage de roman. Ses excès et ses passions le rendent admirable et détestable. Il est la grâce et il est vulgaire. Il est attendrissant et odieux. Violent et doux. Généreux et égoïste. Il séduit les hommes et les femmes…Il séduit même ceux qui auraient de bonnes raisons de le détester.
Du coup, le lecteur tombe aussi sous le charme du Danseur outrancier …Comment y résister ? D’autant que le roman de Colum Mc Cann est riche et palpitant. C’est le portrait du Danseur, et le rappel d’une époque, à l’Est comme à l’Ouest.

J’avais un peu oublié Noureev (mort du Sida en 1993 à l’âge de 54 ans) et voilà qu’à travers ce roman, et à travers l’exposition qui lui est consacrée au Centre National du Costume de Scène à Moulins, il reprend place dans ma mémoire et à nouveau m'éblouit .

exposition

Noureev dans Le corsaire

Le lac des cygnes

Très contente que tu as trouvé ton bonheur dans ce livre qui reste pour moi un de Colum McCann..

kenavo a écrit:

Très contente que tu as trouvé ton bonheur dans ce livre qui reste pour moi un de Colum McCann..

Oui, vraiment...

Je suis contente qu'il t"ait plu Coline
Je trouve que Colum Mc Cann a réussi un véritable tour de force : nous faire aimer Noureev malgré ses excès et ses côtés les moins reluisants.

sentinelle a écrit:

Je suis contente qu'il t"ait plu Coline
Je trouve que Colum Mc Cann a réussi un véritable tour de force : nous faire aimé Noureev malgré ses excès et ses côtés les moins reluisants.

Oui...Comme cela s'est produit j'imagine pour tous ceux qui l'ont connu...avec ses faces d'ange et de démon...

Je n'ai pas lu Danseur, mais j'ai beaucoup aimé la première partie de Zoli. L'écriture tout en volutes de Colum McCann ramasse mille détails dans ses tourbillons, si bien qu'on est tout de suite dans le coeur de l'action, surtout avec ce thème très difficile des Tziganes. Je crois qu'il a passé de nombreux mois à vivre parmi eux. Je crois aussi qu'il va bientôt sortir un nouveau roman, mais je ne connais pas le thème.
Il y a une interview de lui sur un blog. Si vous voulez, je trouve le lien.

isachap a écrit:

Il y a une interview de lui sur un blog. Si vous voulez, je trouve le lien.

Vas y!

Coline tu me donnes envie de relire Danseur. J'ai adoré ce portrait sans concession et la construction même de ce roman qui alterne évocation mélancolique de l'enfance et montée en puissance à la fois de son génie de danseur et de sa frénésie sexuelle presque autodestructrice. Le chapitre qui décrit ses aventures sexuelles dans le New York (dans mon souvenir...) underground est d'une énergie incroyable. Il était parfaitement odieux et terriblement attachant comme un enfant gâté insolent et égocentrique mais qui en a aussi beaucoup bavé. Une biographie romancée très inspirée.

Marko a écrit:

isachap a écrit:

Il y a une interview de lui sur un blog. Si vous voulez, je trouve le lien.

Vas y!

Coline tu me donnes envie de relire Danseur. J'ai adoré ce portrait sans concession et la construction même de ce roman qui alterne évocation mélancolique de l'enfance et montée en puissance à la fois de son génie de danseur et de sa frénésie sexuelle presque autodestructrice. Le chapitre qui décrit ses aventures sexuelles dans le New York (dans mon souvenir...) underground est d'une énergie incroyable. Il était parfaitement odieux et terriblement attachant comme un enfant gâté insolent et égocentrique mais qui en a aussi beaucoup bavé. Une biographie romancée très inspirée.

Oui Marko tu devrais le relire...dans la foulée de l'expo...Il se lit très vite...

coline a écrit:

Oui Marko tu devrais le relire...dans la foulée de l'expo...Il se lit très vite...

C'est vrai que l'expo est à la fois très réussie sur le plan de la scénographie et passionnante pour faire revivre ce danseur hallucinant. Et dire que je ne l'ai jamais vu danser! Mais je préfère de loin la danse contemporaine.

voici le lien pour l'interview

isachap a écrit:

voici le lien pour l'interview

Merci Isachap!

Pour les parfumés qui ne lisent pas en anglais, notez bien le 13 août.. le livre de l’année vous attend


Let the great world spin / Et que le vaste monde poursuive sa course folle

Citation :

Editeur
7 août 1974. Sur une corde tendue entre les Twin Towers s'élance un funambule. Un événement extraordinaire dans la vie de personnes ordinaires.

Corrigan, un prêtre irlandais, cherche Dieu au milieu des prostituées, des vieux, des miséreux du Bronx ; dans un luxueux appartement de Park Avenue, des mères de soldats disparus au Vietnam se réunissent pour partager leur douleur et découvrent qu'il y a entre elles des barrières que la mort même ne peut surmonter ; dans une prison new-yorkaise, Tillie, une prostituée épuisée, crie son désespoir de n'avoir su protéger sa fille et ses petits-enfants...

Une ronde de personnages dont les voix s'entremêlent pour restituer toute l'effervescence d'une époque. Porté par la grâce de l'écriture de Colum McCann, un roman vibrant, poignant, l'histoire d'un monde qui n'en finit pas de se relever.

One of those out-of-the-ordinary days that made sense of the slew of ordinary days. New York had a way of doing that. Every now and then the city shook its soul out. It assailed you with an image, or day, or a crime, or a terror, or a beauty so difficult to wrap your mind around that you had to shake your head in disbelief.
He had a theory about it. It happened, and re-happened, because it was a city uninterested in history. Strange things occurred precisely because there was no necessary regard for the past. The city lived in a sort of everyday present.

Un de ces jour hors de l’ordinaire qui donnait du sens au tas de jours ordinaires. New York avait une façon de faire cela. De temps en temps la cité déployait son âme. Elle vous assaillait avec une image, ou un jour, ou un crime, ou une terreur, ou une beauté autour desquels il était si difficile d'enrouler votre esprit que vous secouiez votre tête avec incrédulité.
Il avait une théorie sur cela. Cela arrivait, et arrivait encore, parce que c'était une ville indifférente à l'histoire. Des choses étranges arrivaient précisément parce qu'il n'y avait pas forcément de considération pour le passé. La ville vivait dans un genre de présent de tous les jours.

Je considère cet extrait en quelque sorte comme « l’essence » de ce roman : à partir d’un événement qui s’est réellement déroulé à New York le 7 août 1974, Colum McCann invente des personnages qui deviennent au cours des pages aussi réelles que ce funambule sur sa corde entre les Twin Towers.

Et quel joie pour moi de retrouver son talent en pleine vigueur (oui, je sais, on a crié au chef-d’œuvre pour Zoli, moi je me suis bien ennuyée).
Lui-même devient artiste qui sait jongler avec les mots comme on ne le voit pas tous les jours. Il tisse un tissu avec différentes personnes vivant à New York qui se croisent où pas, mais ils sont tous connectés à cette histoire qui tient merveilleusement la route.

Je le dis volontiers que je suis une lectrice indulgente qui s’enthousiasme pour un rien – mais ici il y a vraiment un auteur avec du talent qui fait plus qu’écrire avec des mots – il y met son cœur et on peut l’entendre si on se penche dans cette histoire.

Attention à la chute, on est au 110e étage des Twin Towers !




page de présentation de ce livre chez son éditeur : ici

merci Kena pour ton commentaire qui ne peut que m'inciter à lire -en français - ce nouveau livre de cet auteur dont j'ai aimé Danseur et les Saisons de la nuit.

Bédoulène a écrit:

dont j'ai aimé Danseur et les Saisons de la nuit.

ce livre m'a fait beaucoup penser à Saisons de la nuit - mais c'est encore mieux

kenavo a écrit:

ce livre m'a fait beaucoup penser à Saisons de la nuit - mais c'est encore mieux

Alors je vais attendre fébrilement le 13 aout pour aller le compulser

Comme toi Kena, j'avais moyennement accroché à Zoli au contraire de l'ensemble des Parfumés (hormis Coline je crois bien aussi)
Et pourtant je voulais retenter car il y a quelque chose dans le style de Mc Cann (une certaine poésie?) qui m'attire.

J'ai repéré Les Saisons de la nuit à la bibli mais ton commentaire enthousiaste va me faire pencher plutôt pour celui-ci, merci