Coup de coeur et bar de la poésie

Je dois écrire quelque chose
je dois écrire quelque chose de vrai à cent pour cent
Je dois écrire quelque chose
sans y penser avant
"De ma cigrette la fumée
sans foi est ma bien-aimée"
Je dois écrire quelque chose
non pas ce que je vois sur la table
non pas mes doigts
Je dois écrire quelque chose
saisissant des choses en moi
lachant un seau
dans le puits de moi
je dois puiser de l' eau

Nazim Hikmet. - Il neige dans la nuit

DISSONE

Je dissone. Vous ignorez qu’outre mesure un chant
bat.
Je me délivre de l’étreinte nauséeuse du logos.
Le rouge est ma couleur, celle du règne animal, celle
de la vie par dévoration et par abomination. Je
tranche ma gorge sans revendiquer l’oiseau car
empoisonnée je le fus dès ma naissance par naître.
Que la langue des poètes protège encore un temps le
rouge-gorge. Je suis le clou dans l’être. Je suis
immunisée contre les sirènes, l’intelligence et autres
poisons. Rendez-moi la lune.
Je suis crapaud.
Caroline Sagot Duvauroux.( L’Herbe écrit )

C' était ma vie, o mon Dieu, ne l' oublie pas !
Je n' en aurai plus jamais d' autre -
tu peux retarder l' instant où ils m' enseveliront
et celui où sur cette peine, mon coeur se brisera :
mais depuis je suis et demeure un cadavre.
Ne dis pas que tant de gens déjà, d' une façon magnifque,
ont surmonté avec ton aide épreuve pareille
et sont devenus des dévots et des saints.
Ma dépouille est en rage et veut encore se supprimer,
et de surcroit détruire ceux qui t' ont inventé en guise de consolation
là où jamais tu n' as vraiment fait rien de bon.
Un loup ronge mes nerfs et les dévore -
est-ce toi aussi ? Et est-ce ta main
qui fouille si grossièrement dans le petit tas
de mon intelligence qui brasille et me tient aux aguets
quand tout le monde dort ? Dieu, ne le répète pas,
ne reprends pas les tièdes paroles de tes dévots !
Je ne veux vraiment pas aller dans leur ciel !
Mais une fois encore - avant qu' ils ne m' ensevelissent-
laisse moi voir en reve une petite étincelle d' amour.

Christine LAVANT In l' écuelle du mendiant. - Trad. par François Mathieu
Un art comme le mien n' est qu' une vie mutilée.

Christine Lavant, 1915-1973 est autrichienne comme Ingeborg Bachman ou Thomas Bernhard.
Elle a obtenu deux fois le Prix Trakl. Je ne la connaissais pas...

En ce temps-là j' étais en mon, adolescence
J' agvais à peine seize ans, et je ne me souviens déjà plus de mon enfance
J' étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance
J' étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n' avais passez de sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était alors si ardente et si folle
Que mon coeur tour à tour, brulait dans le temple d' Ephèse
ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j' étais déjà si mauvais poète
que je ne savais pas aller jusqu' au bout.

Blaise Cendrars - Prose du Transibérien et de la petite Jeanne de France

C' est le début du chef d' oeuvre poétique de Cendrars.

Vous parliez de Sylvia Plath ( et Ted Hughes) à propos du livre des "Femmes du braconnier "de Claude Pujade-Renaud.
J´en profite pour vous laisser ce poème de Sylvia, son monde enclos, qui provoquerait presque le malaise chez le lecteur, si ce n´etait pas si beau, si féroce.
Je n´ai pas trouvé de traduction française pour l´instant. ( Espagnole, si).

MIRROR.
I am silver and exact. I have no preconceptions.
What ever you see I swallow immediately
Just as it is, unmisted by love or dislike.
I am not cruel, only truthful---
The eye of a little god, four-cornered.
Most of the time I meditate on the opposite wall.
It is pink, with speckles. I have looked at it so long
I think it is a part of my heart. But it flickers.
Faces and darkness separate us over and over.
Now I am a lake. A woman bends over me,
Searching my reaches for what she really is.
Then she turns to those liars, the candles or the moon.
I see her back, and reflect it faithfully.
She rewards me with tears and an agitation of hands.
I am important to her. She comes and goes.
Each morning it is her face that replaces the darkness.
In me she has drowned a young girl, and in me an old woman
Rises toward her day after day, like a terrible fish.

PALABRAS PARA JULIA

Tu no puedes volver atras
Porque la vida ya te empuja
Con un aullido interminable,
Interminable...

Te sentiras acorrolada
Te sentiras perdida o sola
Tal vez querrias no haber nacido,
No haber nacido...

Pero tu siempre acuerdate
De lo que un dia yo escribi
Pensando en ti, pensando en ti
Como ahaora pienso...

La vida es bella ya veras
Como a pesar de los pesares,
Tendras amigos, tendras amor,
Tendras amigos...

Un hombre solo, una mujer
Asi tornados de uno en uno,
Son como polvo, no son nada,
No son nada...

Entonces siempre acuerdate
De lo que un dia yo escribi
Pensando en ti, pensando en ti
Como ahora pienso...

Nunca te entregues ni te apartas
Junto al camino nunca digas
No puedo nada mas
Y aqui me quedo

Entonces siempre acuerdate
De lo que un dia yo escribi
Pensando en ti, pensando en ti
Como ahora pienso...


Tu ne peux revenir en arrière
Parce que la vie te pousse vers l' avant
Dans un hurlement interminable,
Interminable...

Tu te sentiras parfois coincée
Tu te sentiras perdue ou seule
Peut etre souhaiteras-tu ne jamais etre née,
Ne jamais etre née...

Mais souviens-toi toujours
De ce qu' un jour j' écrivis
en pensant à toi,
Comme je pense à toi maintenant...

La vie est belle tu verras
En dépit des souçis
Tu auras des amis, tu trouvera l' amour
Tu auras des amis...

Un homme seul, une femme
Considérés un à un
Sont comme la poussière
Ne sont rien...

Alors souviens toi toujours
de ce qu' un jour j' écrivis
En pensant à toi
Comme je pense à toi maintenant...

N' abandonne jamais, ne t' isole jamais
Sur le chemin ne dis jamais
Que tu n' en peux plus et que tu restes là
Que tu restes là...

La vie est belle, tu verras,
En dépit des souçis
Tu auras des amis, tu trouveras l' amour
Tu auras des amis...

Alors souviens toi toujours
De ce qu' un jour j' écrivis
En pensant à toi
Comme je pense à toi en ce moment

José Agustin GOYTISOLO. Ecrit pour sa fille alors agée de quatre ans

swallow a écrit:

Vous parliez de Sylvia Plath ( et Ted Hughes) à propos du livre des "Femmes du braconnier "de Claude Pujade-Renaud.
J´en profite pour vous laisser ce poème de Sylvia, son monde enclos, qui provoquerait presque le malaise chez le lecteur, si ce n´etait pas si beau, si féroce.

ah oui, merci pour elle..
je n'en avais pas pensé pour la mettre sur le fil Printemps des poètes 2010: couleur femme

peut-être déjà posté sur ce fil ou sur le fil de l'auteur ?


CHALEUR

L'ombre du tilleul tourne dans la cour. 
La fontaine fait un bruit de tambour.

Un oiseau s'envole du poirier ; le mur
brûle ; sur le toit brun et rouge,
La fumée d'un feu de bois bouge
contre le ciel tellement bleu qu'il est obscur.

On n'entend pas un bruit dans les champs
personne n'est en vue sur la route ;
seules dans les poulaillers, les poules
gloussent encore, de temps en temps.

Puis plus rien qu'un arbre qui penche,
dans l'opacité de ses branches,
avec son ombre de côté,
comme sous un poids qui l'accable ;
et cet autre se laisse aller
en avant, comme un dormeur
qui a les coudes sur la table.


Charles-Ferdinand Ramuz

récidive (on peut se faire un peu plaisir après une journée à la c...) :

LES MAISONS

Les vieilles maisons sont toutes voûtées,
elles sont comme des grands-mères
qui se tiennent assises, les mains sur les genoux,
parce qu'elles ont trop travaillé dans leur vie
mais les neuves sont fraîches et jolies
comme des filles à fichus
qui, ayant dansé, vont se reposer
et qui se sont mis une rose au cou.

Le soleil couchant brille dans les vitres,
les fumées montent dévidées
et leurs écheveaux embrouillés
tissent aux branches des noyers
de grandes toiles d'araignées.

Et, pendant la nuit, sur les toits,
l'heure du clocher dont les ressorts crient –
et le poids descend –
s'en va vers les champs
et réveille subitement
toutes les maisons endormies.


Charles-Ferdinand Ramuz

bix229 a écrit:

PALABRAS PARA JULIA

José Agustin GOYTISOLO. Ecrit pour sa fille alors agée de quatre ans

Voilà un magnifique poème qui me touche beaucoup!

Cachemire a écrit:

bix229 a écrit:

PALABRAS PARA JULIA

José Agustin GOYTISOLO. Ecrit pour sa fille alors agée de quatre ans

Voilà un magnifique poème qui me touche beaucoup!

Moi aussi Cachemire, et je l' ai découvert il y a longtemps grace à Paco Ibanez...
Orfèvre en matière de poésie espagnole...

NOSTALGIE


Cela fait cent ans
que je n' ai pas vu ton visage
que je n' ai pas passé mon bras
autour de ta taille
que je ne vois plus mon visage dans tes yeux
cela fait cent ans que je ne pose plus de question
à la lumière de ton esprit
que je n' ai pas touché à la chaleur de ton ventre...

Cela fait cent ans
Qu' une femme m' attend
dans une ville.
Nous étions perchés sur la meme branche,
nous en sommes tombés, nous nous sommes quittés
entre nous tout un siècle
dans le temps et dans l' espace.
Cela fait cent ans que dans la pénombre
je cours derrière toi.

Nazim Hikmet.

N. Hikmet a passé une grande partie de sa vie en prison pour incompatibilité avec le pouvoir Turc.

Pour Orientale

SOFIA

Je suis entré à Sofia un jour de printemps, ma douce.
La ville où tu es née fleure le parfum du tilleul.
Je parcours le monde sans toi, telle est ma destinée, je n' y puis rien...
A Sofia, l' arbre vient avant la pierre, l' arbre est plus beau que la pierre.
A Sofia, et l' homme sont melés l' un à l' autre.
Le peuplier surtout.
Toujours sur le point de pénetrer dans votre chambre,
de s' asseoir sur le kilim rouge...
Est-ce une grande ville que Sofia ?
Les villes, ma rose sont grandes non par leurs rues,
mais par les poètes dont elles ont dressé la statue.
Sofia est une grande ville...
Ici quand vient le soir tout le monde se répand dans les rues,
femmes, enfants, vieillards et jeunes gens.
Des rires, des bruits, un bourdonnement, un brouhaha,
des allées et venues,
cote à cote, bras dessus bras dessous, la main dans la main...
A Istanbul, à Chehsadebachi, les soirs de ramadan...
C' est fini... C' est fini ces nuits-là.
Si j' étais à Istanbul maintenant
y songerais-je seulement ?
Mais loin d' Istanbul
je me languis de tout,
meme du parloir de la prison d' Uskudar.

Je suis entré à Sofia par un jour de printemps, ma douce.
La ville où tu es née fleure le parfum du tilleul.
Il a été incroyable l' accueil de tes concityens.
La ville où tu es née est pour moi une maison fraternelle aujourd' hui.
Mais on n' oublie pas sa propre maison, meme chez son frère.

C' est un dur métier que l' exil, bien dur.

Nazim HIKMET - Il neige dans la nuit