Coup de coeur et bar de la poésie

PLEIN CIEL

J' avais un cheval

Dans un champ du ciel

Et je m' enfonçais

Dans le jour ardent.

Rien ne m' arretait

J' allais sans savoir,

C' était un navire,

Plutot qu' un cheval

C' était un désir

Plutot qu' un navire,

C' était un cheval

Comme on n' en voit pas,

Tete de coursier,

Robe de délire,

En se répandant.

Je montais toujours

En faisant des signes :

"Suivez mon chemin.

Vous pouvez venir,

Mes meilleurs amis,

La route est sereine,

Le ciel est ouvert."

Mais qui parle ainsi ?

Je me perds de vue,

Dans cette altitude,

Me distinguez-vous,

Je suis celui qui

Parlait tout à l' heure,

Suis-je encore celui

Qui parle à présent,

Vous-memes amis,

Etes-vous les memes ?

L' un efface l' autre

Et change en montant.

Jules Supervielle

ET DIEU CHASSA ADAM...

Et Dieu chassa Adam

à coups de cane à sucre.

Et de fut le premier rhum sur la terre

Et Adam et Eve trébuchèrent

dans les vignes du Seigneur

la sainte Trinité les traquait

mais ils s' obstiaient à chanter

d' une enfantine voix d' alphabet

Dieu et Dieu quatre

Dieu et Dieu quatre

Et la sinte Trinité pleurait

Sur le triangle isocèle et sacré

un biangle isopoivré brillait

et l' éclipsait

Jacques Prévert : Histoires

N'Y A-T-IL PAS D' ISSUE ?

Dans mon demi-sommeil j' écoute courir entre des masses somnolentes et hostiles un fleuve incessant.
C' est la cataracte noire et blanche, ce sont les voix, les rires, les gémissments, c' est le monde confus et sa chute.
Et ma pensée dans son galop n' avance pas, et tombe et se redresse,
et tombe encore dans les eaux stagnantes du langage.
Il y a une seconde, c' autrait été facile de prendre un mot et de le répéter une fois, une fois encore,
l' une de ces phrases que nous disons seuls dans une chambre sans miroit
pour nous prouver que ce n' est pas vrai,
que nous sommes encore vivants -
mais maintenant avec des mains sans poids la nuit calme la marée furieuse
et une à une désertent les images, un à un les mots se couvrent le visage.
Il est passé le temps d' attendre la venue du temps, le temps d' hier, d' aujourd' hui, de demain,
hier est aujourd' hui, demain est aujourd' hui, aujourd' hui
tout est aujourd' hui, il est sorti soudain de lui-meme et me regarde,
il ne vient pas du passé, il ne va nulle part, il est ici, ce n' est pas la mort
- personne ne meurt de la mort, nous mourons tous de la vie - ce n' est pas la vie
- fruit instantané, ivresse vertigineuse et lucide, la saveur vide de la mort donne plus de vie à la vie -,
aujourd' hui n' est ni la mort ni la vie,
il n' a corps, nom, visage, aujourd' hui est ici jeté à mes pieds et me regarde.

Octavio Paz Début du poèmes. In Liberté sur parole, Poésie/Gallimard

Zen littéraire Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010

Coup de coeur et bar de la poésie - Page 39 Paint-10

Il fait beau aujourd'hui

Bien sûr que la vie est remplie de misères,
Je n'ai jamais dit le contraire.
Je sais que j'en ai eu ma part à éteindre
Et que j'ai mille raisons de me plaindre.
Contre moi vents et orages se sont unis;
Et combien de fois le ciel a été gris !
Les épines et les ronces m'ont piqué,
À gauche, à droite, et ailleurs aussi.
Mais, pour dire toute la vérité,
Fait-il assez beau aujourd'hui !

À quoi sert de toujours brailler
Et de rabâcher les soucis d'hier ?
À quoi sert de ressasser le passé
Et, au printemps, de parler de l'hiver ?
Un chacun doit avoir ses tribulations
Et mettre de l'eau dans son vin.
La vie n'est certes constante célébration.
Des soucis ? Bien sûr, j'ai eu les miens.
Mais il faut bien le voir aussi:
Il fait diablement beau aujourd'hui !

C'est aujourd'hui que je vis,
Et non pas il y a un mois.
T'en as, t'en as pas, tu donnes et tu prends
Selon qu'en décide le moment.
Hier, un nuage de chagrin
A bien assombri mon chemin.
Demain, il pleuvra peut-être
À casser les carreaux de fenêtres,
Mais faut le dire, puisque c'est ainsi:
Fait-il assez beau aujourd'hui !

Douglas Malloch

Illustration "Paint your path" de Glen Tarnowski

Sujet: Re: Coup de coeur et bar de la poésie Lun 2 Jan 2012 - 18:38

UN HOMME FINI

Le soir, il promène, à travers la pluie et le danger nocturne, son ombre informe et tout ce qui l' a fait amer. A la première rencontre, il tremble - où se réfugier contre le désespoir ?

Une foule rode dans le vent qui torture les branches, et le Maitre du ciel le suit d' un oeil terrible. Une enseigne grince - la peur. Une porte bouge et le volet d' en haut claque contre le mur ; il court et les ailes qui emportaient l' ange noir l' abandonnent.

Et puis, dans les couloirs sans fin, dans les champs désolés de la nuit, dans les limirtes sombres où se heurte l' esprit, les voix imprévues, traversent les cloisons, les idées mal baties chancellent, les cloches de la mort équivoque résonnent.

Pierre Reverdy : La Balle au bond. - Anthologie de la poésie française de Pierre Seghers

Zen littéraire Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010

Coup de coeur et bar de la poésie - Page 39 Magrit11

Le dialogue nocturne

Toute la nuit d'étoiles est sur un promontoire.
Viens ! Nous aurons assez d'étoiles pour nous deux.
Serre bien, sur ton cou, ton voile au vent du soir.
Vois comme sous nos pas les ajoncs sont frileux.
Viens, là, ; penche-toi.
Penche ton doux visage.
Il faut qu'il soit toujours innocent et curieux.

Serre bien, sur ton cou, ton voile et sois très sage :
toute la mer, ainsi, je la vois dans tes yeux.
Le vol des goélands, déjà, se fait plus humble.
Suis les étoiles, vite! ! et laisse les oiseaux.
Laisse l'eau de tes yeux réfléchir le ciel simple.
Ton regard est si pur et ton front est si beau

Je ne vois plus la mer, quand tu m'as embrassée.
La mer est dans tes yeux, mes lèvres sont mouillées.
Amie, ô penche-toi, laisse ton doux visage,
innocemment ainsi, me cacher ce nuage.

Paul Fort

Illustration : Le baiser (1928) de René Magritte

Sujet: Re: Coup de coeur et bar de la poésie Dim 15 Jan 2012 - 18:51

VERS L' OUEST

Mieux vaut se coudre les mains

que de rire aux anges

Mieux vaut changer de montre

que de hurler à la lune.

LE LANGAGE DES SAINTS

Il est venu

il a pissé

Comme il étai seul

il est parti

mais il reviendra

l' oeil dans la main

l' oeil dans le ventre

et sentira

l' ail les aulx

Toujours seul

il mangera les asperges bleues des cérémonies officielles

Benjamin Péret

Péret était squrréalistes et aimait les jeux de mots et juxtaposer des mots improbables :

L' homme découvre la poésie circulaire

il s' apperçoit qu' elle roule et tangue

comme les flots de la botanique

et prépare périodiquement son flux et son reflux.

(Le mariage des feuilles)

Certains titres de ses recueils sont amusants :

La Brebis galante... Mort aux vaches et au champ d' honneur... Le gigot, sa vie, son eouvre...
Celui-là est devenu célèbre : Les rouilles ecagées... ! Coup de coeur et bar de la poésie - Page 39 32962

Coup de coeur et bar de la poésie - Page 39 32962

Sur sa tombe : Benjamin Péret (1899-1959) JE NE MANGE PAS DE CE PAIN LA.

Sujet: Re: Coup de coeur et bar de la poésie Mar 17 Jan 2012 - 19:37

L' OMBRE

Quand je t' attendais, dans ce bar,

La nuit, parmi des buveurs ivres

Qui ricanaient pour avoir l' air de rire,

Il me semblait que tu arrivais tard

Et que quelqu' un te suivait dans la rue.

Tu avais peur. Tu refermais la porte.

Et ton ombre restait dehors :

C' était elle qui te suivait.

Ton ombre est toujours dans la rue

Près du bar où je t'a i si souvent attendue,

Mais tu es morte

Et ton ombre, depuis, est toujours à la porte.

Quand je m' en vais, c' est à présent moi qu' elle suit

Craintivement, comme une bete.

Si je m' arrete, elle s' arrete,

Si je lui parle, elle s' enfuit.

Francis Carco. Anthologie de la poésie française, ouvrage citré. (A suivre)

Zen littéraire Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010

Coup de coeur et bar de la poésie - Page 39 Willy_10

Hier matin

Me rappelant brusquement que dehors existe, je suis sorti, pour me creuser un avenir, à grands coups de nez dans le vent et la neige. Un petit gosse m'a rejoint.

Négligeant la fonction phatique, il me demande:

- T'as l'habitude, toi ?

- Oui : je suis très souvent allé à la montagne, et, crois-moi, j'y ai vu bien plus de neige qu'ici.

- Ah, moi aussi ! J'étais en colonie dans le Jura. Une fois on s'est perdus dans la forêt. Comme on n'avait rien à manger on chassait des sangliers, des lapins, des cerfs ... C'était bien.

- Vous n'avez pas été trop embêtés par les loups, les lynx, les ours ? ...

- On les tuait. On s'était fabriqué des lances, tout ça ...

- Quand j'étais petit, avec mes copains, on faisait des igloos.

Le petit s'agite :

- Ah, nous aussi ! Et comme j'avais trouvé des pierres préhistoriques, je les ai frottées; ça a fait un feu et l'igloo a fondu sur moi...

Puis, m'adressant un petit signe, le petit est entré dans la boulangerie.

Dites : un être éclairé d'une préhistoire si flamboyante, deviendra-t-il escroc ou poète ?

Jean-Michel Robert

Illustration : "Le petit parisien" de Willy Ronis

Sujet: Re: Coup de coeur et bar de la poésie Mer 25 Jan 2012 - 17:53

Au Merle de mon jardin

Le merle de mon jardin est un oiseau commun

mais c' est le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin est un oiseau commun

mais j' ai aussi treize manières de le regarder ;

le merle de mon jardin est un oiseau commun

mais il est à lui seul le voyage tout entier ;

le merle de mon jardin n' est ni le ciel ni la terre

mais il les réunit ;

il n' y a pas d' ailleurs de son monde pour l' etre-là le merle

du merle de mon jardin ;

parfois je suis un peu le merle de mon jardin

car je le suis des yeux ;

ainsi, pour le dire autrement, l' oeil du merle de mon jardin

et mon regard ne font qu' un, mais j' ai moins d' acuité

pour observer que le merle de mon jardin

qu' il n' en a pour me regarder, depuis le pommier ;

les ancetres du merle de mon jardin volaient

avant les ancetres de la chauve souris ;

les ancetres dinosaures du merle de mon jardin ne sont pas éteints,

ils se sont envolés ;

Extrait du poème Le Merle de mon jardinde Fabienne Raphoz dans le recueil Jeux d' oiseaux dans un ciel vide. Augures. - Ed. Héros-Limite

Sujet: Re: Coup de coeur et bar de la poésie Mer 25 Jan 2012 - 22:33

Oh, joli ! Je vais le faire lire à ma grand-mère qui est fascinée par "son" merle qui vient fréquemment visiter son jardin.

bix229 a écrit:: il n' y a pas d' ailleurs de son monde pour l' etre-là merle

du merle de mon jardin ;

Juste un peu de mal à comprendre ça... scratch

Sujet: Re: Coup de coeur et bar de la poésie Mer 25 Jan 2012 - 22:53

colimasson a écrit:

Oh, joli ! Je vais le faire lire à ma grand-mère qui est fascinée par "son" merle qui vient fréquemment visiter son jardin.

bix229 a écrit:: il n' y a pas d' ailleurs de son monde pour l' etre-là merle

du merle de mon jardin ;

Juste un peu de mal à comprendre ça... scratch

Bien vu, Coli ! Mais meme si j' ai oublié le le entre l' etre-là et merle, je ne pige pas très bien non plus. Coquetterie de style ?

Un flot aérien dans les oreilles

Une lune froide au fond de l' ame

Je fusille la folie. Je suis mon propre échec

Et mat. Je suis muet. Je suis plus rien.

Je ne suis plus personne et ne me hate vers personne.

Un flot aérien dans la bouche,

Une lune froide au fond des ténèbres

Une jambe à l' écart, un bras dans le fossé,

Les yeux tombés de leurs orbites,

Un doigt oublié dans quelque hopital

Et une lune vaine au fond des ténèbres.

1942

Guenadi GOR : Blocus. - Ed. Circé

LV

A Londres, je connus Bella,

Princesse moins lointaine

Que son mari le capitaine

Qui n' était jamais là.

Et peut etre aimait-il la mangue ;

Mais Bella, les Français

Tels qu' on le parle : c' est assez

Pour qui ne prend que langue ;

Et la tienne vaut un talbin,

Mais quoi ? Rester rebelle,

Bella, quand te montre si belle

Le désordre du bain ?

Paul-Jean Toulet : Contrerimes

J' adore les poèmes de Toulet !

Je ne connaissais pas ce billet ( de banque), le talbin... Merci Bix pour ces contrerimes qui égayent la matinée...

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