Hubert Haddad

La vitesse de la lumière

Le hasard des choses est une affaire bien capricieuse.
Le non choix de ce livre d'abord, le seul de l'auteur présent sur le présentoir. Le moment de lecture ensuite coloré par le livre qui le précède (un joli conte faussement initiatique).
Et les différents univers résonnent dans la tête.

Bref, voici un récit qui raconte une fleur qui ne connaitra jamais son éclosion et dont l'auteur qui se trouve être son jardinier voit le néant s'installer autour de lui.

Citation :

Puisque la vie échappe, puisque je n'ai pas su garder la plus fragile entre toutes, je ne vaut guère mieux qu'un massacreur. L'indifférence forgée au bon sens des heureux est un échafaud en place de Grève. Et les bourreaux sont des courants d'air, des siestes prolongées, d'impalpables atermoiements. A l'heure où tout n'est plus qu'attente désemparée, le vide s'accumule sous l'azur. Seul le néant console des rendez-vous manqués.

Un récit qui remet à sa place alchimiste et bonimenteurs.
Je ne suis pas qualifié pour en faire la remarque mais il me semble que c'est très bien écrit. Les esthètes du forum pourront certainement le confirmer.
Ce livre ne me donne pas l'envie d'en relire certains mais de continuer à découvrir l'auteur.

Ah...J'attendais ton commentaire Igor...Ce choix n'était pas des plus évidents...
C'est vrai ce que tu dis que nos lectures sont "colorées" par celles qui les ont précédées.
Je n'entre pas dans le débat sur Coelho, mais à mon avis il n'y a pas photo!

Je le mets sur ma LAL.

coline a écrit:

Je n'entre pas dans le débat sur Coelho, mais à mon avis il n'y a pas photo!

Bien sûr!
Mais peut être que si sa lecture n'avait pas précédée "La vitesse de la lumière" je n'aurais pas été au bout. Contrastes!

coline a écrit:

Je n'entre pas dans le débat sur Coelho, mais à mon avis il n'y a pas photo!

j'entre dans le débat Coelho en sachant qu'il n'y a pas photo.

topocl a écrit:

coline a écrit:

Je n'entre pas dans le débat sur Coelho, mais à mon avis il n'y a pas photo!

j'entre dans le débat Coelho en sachant qu'il n'y a pas photo.

Oui, je te trouve bien courageuse!...

La vitesse de la lumière

Igor a écrit:

Bref, voici un récit qui raconte une fleur qui ne connaitra jamais son éclosion et dont l'auteur qui se trouve être son jardinier voit le néant s'installer autour de lui.

Qu'est-ce que ça aurait pu être beau quand on le raconte comme ça !

Ou quand on lit cela :

Citation :

Enfant, je recueillais tous les oisillons tombés du nid ; dans de la ouate, je les réchauffais longtemps et les nourrissais à la becquée, mais j'avais le tort de m'endormir après minuit. Le matin jugeait ma peine. Nul ne me consolera, cette fois, de m’être endormi.

Mais…

J’ai déjà du mal avec les visions totalement sombres de l’univers où la vie n’est que drame, misère et douleurs, entre deuils et exil, où ne pointe pas le moindre humour salvateur, la moindre légèreté. Haddad cache en outre son affectivité d'écorché sous un intellectualisme qui m’a complètement laissée sur le côté. Par moment de belles envolées limpides, mais pour cela combien de mots savants, de personnages célèbres connus de lui seul (en tout cas pas de moi), de phrases à relire pour tâcher de les comprendre et souvent n’y pas parvenir. Son texte ressemble par moments à un empilement d’aphorismes, souvent judicieux, mais souvent aussi plutôt obscurs. Il a tué en moi toute l’émotion que j’aurais dû ressentir pour cette jeune femme qui souhaitait remplacer les nourritures terrestres par des nourritures intellectuelles et que cela a menée à l’anéantissement, et pour cet homme, écrivain insatisfait, noyé de drames personnels, qui n’a pas su juger l’ampleur de sa détresse.

Je ne suis pas du tout surprise, je savais à vous avoir lus qu’ Haddad n’était pas pour moi (mais je suis , parfois, obéissante), mais à ce point je ne pensais pas.

Tiens, la présentation a changé !!!!
Je suis dans la lecture d'Opium Poppy.

topocl a écrit:

La vitesse de la lumière

Citation :

 je savais à vous avoir lus qu’ Haddad n’était pas pour moi (mais je suis , parfois, obéissante), mais à ce point je ne pensais pas.

A ceux qui voudraient n'en tenter qu'un, lisez plutôt "Le peintre d'éventail" beaucoup plus abordable.

coline a écrit:

topocl a écrit:

La vitesse de la lumière

Citation :

 je savais à vous avoir lus qu’ Haddad n’était pas pour moi (mais je suis , parfois, obéissante), mais à ce point je ne pensais pas.

A ceux qui voudraient n'en tenter qu'un, lisez plutôt "Le peintre d'éventail" beaucoup plus abordable.

Entièrement d'accord avec toi, "le peintre d'éventail" est un bijou de poésie

zazy a écrit:

coline a écrit:

topocl a écrit:

La vitesse de la lumière

Citation :

 je savais à vous avoir lus qu’ Haddad n’était pas pour moi (mais je suis , parfois, obéissante), mais à ce point je ne pensais pas.

A ceux qui voudraient n'en tenter qu'un, lisez plutôt "Le peintre d'éventail" beaucoup plus abordable.

Entièrement d'accord avec toi, "le peintre d'éventail" est un bijou de poésie

Je pense que les avis sur "Le peintre d'éventail" ont été assez unanimes. Les autres ouvrages sont plus particuliers et plus sujets à des réticences...ou à l'enthousiasme!

coline a écrit:

A ceux qui voudraient n'en tenter qu'un, lisez plutôt "Le peintre d'éventail" beaucoup plus abordable.

Du coup, j'hésite à lire un autre livre de lui, j'ai peur du désenchantement, d'autant plus que mon émerveillement a été tel que je crains vraiment la déception.

shéhérazade a écrit:

coline a écrit:

A ceux qui voudraient n'en tenter qu'un, lisez plutôt "Le peintre d'éventail" beaucoup plus abordable.

Du coup, j'hésite à lire un autre livre de lui, j'ai peur du désenchantement, d'autant plus que mon émerveillement a été tel que je crains vraiment la déception.

Reste peut-être pour l'instant sur cette bonne impression...

topocl a écrit:

La vitesse de la lumière

Igor a écrit:

Bref, voici un récit qui raconte une fleur qui ne connaitra jamais son éclosion et dont l'auteur qui se trouve être son jardinier voit le néant s'installer autour de lui.

Je ne suis pas du tout surprise, je savais à vous avoir lus qu’ Haddad n’était pas pour moi (mais je suis , parfois, obéissante), mais à ce point je ne pensais pas.

Merci, merci, merci Igor, toi qui me l'as cédé.
Après tes réserves sur ce roman (pas si fortes au fond!), et celles plus marquées de Topocl (qui me l'a envoyé, merci aussi!), je me dis qu'il existe des affinités incompréhensibles, ou des rejets, face aux écrivains, affinités ou rejets  qui nous dépassent.
Je tombe à point  sur cette phrase si juste et sage, page 34 ce matin . Elle parle de "tête à tête authentique" parfois entre écrivain et lecteur.
"Pourquoi les livres seraient-ils écrits pour tous?"

Je ressens cela profondément en lisant Hubert Haddad...alors je poursuis avec bonheur mon tête-à-tête...

coline a écrit:

Je tombe à point  sur cette phrase si juste et sage, page 34 . Elle parle de "tête à tête authentique" parfois entre écrivain et lecteur.
"Pourquoi les livres seraient-ils écrits pour tous?"

Je ressens cela profondément en lisant Hubert Haddad...alors je poursuis avec bonheur mon tête-à-tête...

La vitesse de la lumière

C’est à la fois dans le bonheur et dans la douleur que s’est poursuivi mon « tête-à-tête » avec Hubert Haddad à travers cet ouvrage.
Le bonheur tient au goût que j’ai pour la poésie pure, la saveur inouïe  de la langue,  du style de cet écrivain.
Il se peut aussi que j’aie une vague proximité avec les intérieurs tourmentés et que les mots de cet auteur me percutent, me sidérant par leur beauté et leur justesse.
Je crois que j’ai  compris un peu  chez « la demoiselle de verre », ce qui pouvait l’attacher à l’œuvre et à l’écrivain auquel, si fragile et solitaire, si jeune auteur en devenir, elle s’identifiait et s’accrochait avec une obstination, « une candeur têtue ».

J’ai ressenti une empathie profonde pour cette jeune fille. Supérieurement intelligente et sensible, «  si menue, l’air d’une enfant », elle  impose peu à peu à l’écrivain ses lettres, des dizaines de lettres, puis des réponses à ses lettres, puis des rencontres.
« Myriam s’était emparée de mes livres, elle buvait mes phrases à la plaie. Cette fréquentation impersonnelle à laquelle je ne pouvais rien la rapprocha subtilement de moi»
« A travers ces lettres, s’élaborait le roman vrai d’une jeune fille dont j’étais un personnage. Il s’écrivait pour moi seul. »
« La vitesse d’assimilation- transformer ce qu’on s’incorpore-, à quoi se mesure l’intelligence, tenait chez elle du prodige. »
«  A dix-huit ans, l’intelligence trop aiguë, poussée aux bords extrêmes de l’intuition, condamne à la pire des solitudes. »
«  Ne me tuez pas de votre indifférence. Créez-moi en me répondant. Ne tranchez pas le cou à la résonnance.
Ma chandelle est morte je n’ai plus de feu
Ouvre-moi ta porte pour l’amour de Dieu »

Au début l’écrivain tient à distance la jeune fille. Il lui envoie sans empressement de « brèves et sentencieuses réponses conçues pour la décourager. » S’il lui répond, c’est que reconnaissant son talent, il croit pouvoir lui prodiguer des conseils.  C’est aussi peut-être parce que jusque-là, avoue-t-il,  « Nul ne (lui) avait montré une foi si entière. »

Engrenage...
« L’alouette en plein vol reconnaît son fatal miroir. »

«  La feuille de papier était pour toi un abîme, une surface de réparation, des bois de supplice en même temps qu’un lieu d’espérance. »
Des mots qui pourraient s’appliquer à l’écrivain lui-même à ce moment-là.
Il est « L’homme des gares » toujours en partance, allant d’une ville à l’autre pour animer des ateliers d’écriture (auprès des enfants, des prisonniers, des gens hospitalisés…). Dans les gares il  voit « des moquées de plein vent, des cathédrales de la séparation. »
Un écrivain dont l’univers musical est  "Leçons de ténèbres" de Couperin et le "Stabat Mater" de Charpentier.
Un écrivain fragilisé par les morts successives de très proches, et notamment par le suicide de son frère Michel.
« Michel, quinze ans plus tôt. Je ne peux m’empêcher de penser que son suicide aura mis en branle […]une machine infernale. Un véritable artiste tue le monde avec lui. »
«  Je sais que mon frère eût pu être un maître d’émotion, un grand peintre flanqué du savoir périlleux des funambules de l’être. Mal acquitté d’un Goliath, David a retourné la fronde contre lui. »
«  Le suicide d’un frère avec lequel on partage la plus étrange gémellité d‘esprit creuse une tombe dans l’azur. »
«   J’ai survécu dans la bénignité tragique du funambule qui singe par courtoisie le pas du promeneur. »
« Voilà si longtemps que je tombe en mimant l’envol. »
« J'aurais voulu que tout soit simple mais la tragédie me talonne depuis l'enfance. On s'est tué trop souvent devant moi. Le deuil est mon ombre. Miriam dut me reconnaître entre tous. »

L’écrivain, inéluctablement, s’attache à la « demoiselle de verre » et l’aime  comme «  l’ami définitif, le père impossible et l’amant vierge » sans que rien jamais de trivial ne s’installe entre eux.

«  Venu d’un monde en miettes, je l’encourageai à l’absolu. »
Trompé par les projets, les études d’Histoire de l’Art,  et la gaieté de la jeune fille, par sa voix comme « un murmure de rivière», la beauté de ses lettres, il ne voit pas d’emblée sa désespérance.
« Je méconnaissais la blessure qui te portait vers moi. Il y avait tant de joie dans ta gravité. »
La demoiselle est de plus en plus frêle et faible, «  elle ne se nourrissait que de fruits sans matière, oranges, lichees, ananas, raisins. »
Il finit par se sentir responsable de sa survie et ne pense même pas à alerter sa famille, il lui apporte des provisions, l’emmène au restaurant où elle s’éclipse pour vomir. Il pense pouvoir la sauver. Il ne le pourra pas et ce livre est marqué par le manque et par la culpabilité.
Comme pour son frère, il n’a pas su…
Mais qui saurait ?
«  La terre s’ouvre à chaque seconde et je revois Miriam et mon frère si proches qui me tendent les bras. »
« J’ai laissé se briser la demoiselle de verre.[…] Dès lors que j’acceptais la confiance de Miriam, que je la légitimais par mes réponses, j’aurais dû oublier pour elle ma défaite et n’être que lumière. »
«  Il ne faut surtout pas écrire de lettres à un jeune poète. »

«  J’ai connu la plus intelligente des jeunes femmes. Elle m’a choisi pour miroir. Elle s’y est fracassée, me laissant en miettes. »
La métaphore de l'alouette et du miroir est filée tout au long du récit, tellement évocatrice!

« Miriam était ma plus chère rencontre, une âme sœur au vent du chemin. »
«  La demoiselle de verre s’est brisée sur le trottoir entre une miroiterie et un marchand de menthe. »
« L’éternité n’aura plus de lendemains. »



Je comprends tout à fait que l’on puisse tenir ce récit à distance. Il est tellement tragique !
Je mettrais même en garde contre sa noirceur, sublime noirceur.
J’ai vraiment conscience d’avoir joint à mon commentaire de très nombreuses citations.
Trop dévoilé ?...Peut-être…Mais les choses sont données dès le début du livre et je pense que beaucoup n’iront pas jusqu’à lire cet ouvrage autobiographique douloureux et poignant. Il faut être solide !
Je voulais, en procédant ainsi, espérant que quelques uns liraient peut-être ce commentaire, essayer de  rendre hommage à cette  langue  d’Hubert Haddad, éminemment poétique et sensible, qui m’atteint profondément.

Grand merci à Igor!

Coline, bravo pour cet exercice de bravoure : le sujet évoqué est tout en nuance ... et tu sais garder la main légère ...