Au fil de nos lectures

Citation :

Tous les soirs, dans leur chambre, ils attendaient. La lumière éteinte, ils ouvraient grandes les fenêtres. Dehors, le vent sifflait. Ils avaient beau entendre craquer les feuilles mortes - c'était le mois d'octobre - et les rameaux secs qui tombaient sur le toit, ils les ignoraient, ils avaient leur brui à eux, le bruit silencieux d'un bourg de montagne, qu'ils traquaient comme des chiens de chasse, à travers l'impénétrable forêt sauvage de leur enfance, flairant chaque son et guettant l'odeur de leurs souvenirs, et quand ils avaient attrapé ces souvenirs, ils les rongeaient comme des os, à moitié, puis les dissimulaient dans leurs buissons pour pouvoir y revenir en cachette aux heures creuse de la nuit et finir de les déguster en toute tranquillité. Jamais ils n'en laissaient le moindre relief.

Le toit de tôle rouge. Nirmal Verma

je n'ai tourné que 3 pages et ce livre m'a déjà happée, de plus c'est un "Acte Sud", ces livres sont si agréables à lire au niveau typologique, ça en augmente le plaisir !

shéhérazade a écrit:

je n'ai tourné que 3 pages et ce livre m'a déjà happée, de plus c'est un "Acte Sud", ces livres sont si agréables à lire au niveau typologique, ça en augmente le plaisir !

Typographie, peut-être ?
Tu as vraiment été happée !

Ah mince oui typographie pardon
ce livre est très agréable à lire, quel dommage que la fatigue se fasse déjà sentir, je pense que c'est le genre de livre que j'aurais pu lire de bout en bout sans arrêt

100% d'accord avec toi, Actes Sud utilise la typographie la plus agréable qui soit... aussi bien en grand format qu'en poche

Citation :

Pour serrer, d'abord lâcher.
pour affaiblir, laisser la force agir.
Pour détruire, d'abord achever.
Pour prendre, d'abord donner.
ce sont là les subtilités de bon présage.
Souplesse et faiblesse triomphent du fort et du rigide.
De même qu'un poisson ne peut quitter le fond,
les rênes de l'Etat ne doivent quitter celui qui les tient.

Dao De Jing
Lao Zi, Trad Zhou Jing Hong

Citation :

Enfin, c'étaient des hommes, ni pires ni meilleurs que les autres. L'innocence, le plus souvent, est un bonheur et non pas une vertu : quiconque eût accepté de se mettre à leur place eût agi comme eux et accompli d'une âme médiocre ces tâches épouvantables.

Anatole France, Les dieux on soif

Dommage de sortir celle-ci comme première citation mais le temps a manqué et les possibilités nombreuses.

« Vous aimez la musique ? S’intéressa Colin.
Ceux qui peuvent s’en passer, à mon avis, ne sont pas dignes de notre espèce. Je prétends que les oreilles humaines sont faites pour écouter de la musique, que c’est là leur vraie destination. On les gâche si on les emploie à écouter les bruits du monde… »

(Olivier Bleys, Concerto pour la main morte)

"Je m'arrête sur le pont tout tremblant de trafic sous qui grondent les grands trains. Les rails aigus au reflet cruel ont creusé la fosse à même la chair noire de la ville.
J'ai laissé là-bas la misère étalée, la voici dressé et enfermée.
Ils passent, enfermés dans leurs véhicules, enfermés dans leurs pas et dans leurs buts, enfermés derrière les façades salies de suie et de pluie, hautes de tant d'étages entassés, grises de tant de visages enfouis, enfermés avec leurs richesses et leurs projets, avec leurs objets et leurs idoles. Et sous leurs murs avares, ils se nourrissent et se reposent, se reproduisent, se déplacent avec une lenteur de larve entre leurs meubles, entre la table et le lit, entre les nourritures et leurs épouses, entre le boire et le cabinet : la vie les traverse, des colères les traversent. Seule la mort les habite." (p.147 -148)


" Ils sont là pour mettre en mouvement ces tourniquets, ces trappes, ces ascenseurs, ces battants, ces véhicules, comme le torrent choit sur les palettes et fait grincer la roue d'une ruine de moulin.
Ils travaillent; ils travaillent; ils arrivent; ils font leur devoir; ils produisent; ils produisent; ils arrivent, ils empilent des boîtes, des tuyaux, des stocks; ils amassent des étages, ils multiplient les complications; ils produisent des engorgements; ils drainent la substance de cette terre; ils accaparent; ils dispersent; ils écrasent des pays lointains avec des tonnes de marchandises afin de faire leur devoir, de travailler, de travailler, d'arriver." (p.154)


(Extraits de "Les grands mois d'Hiver" (XX et XXXII), in "L'apprentissage de la ville" de Luc Dietrich /ed. Denoël)

A présent que lire est devenue mon occupation principale, mon obsession, mon plus grand plaisir, ma plus fiable ressource, je sais que le métier que j'ai choisi,le métier d'écrire, n'a servi et ne sert qu'à une cause: accéder enfin et encore à la lecture, qui est à la fois le lieu de l'altérité apaisée et celui de la résolution, jamais achevée, de l'énigme que constitue pour chacun sa propre histoire.

Agnès Desarthe   Comment j'ai appris à lire

Dans Chemins nocturnes de Gaïto Gazdanov :

Citation :

Tout cela s'était passé plusieurs années auparavant, mais je me rappelais le reflet terne du lampadaire sur les pavés inégaux de la rue - un de ces paysages éternels d'une ville noyée dans la nuit, que je vis tant de fois par la suite, à Paris. Et dans mes rares moments de soudaine illumination, je m'étonnais de rouler nuitamment dans cette immense ville étrangère qui aurait dû passer et s'évanouir, tel un train, mais que je n'arrivais toujours pas à traverser - comme dans un rêve, lorsqu'on veut se réveiller et qu'on n'y parvient pas. C'était une sensation presque aussi pénible que l'impossibilité de se débarrasser du poids des souvenirs. Contrairement à la plupart de mes relations, je n'oubliais presque rien de ce que je voyais ou ressentais : une foule d'objets et d'êtres, dont certains n'existaient plus depuis fort longtemps, encombrait mon esprit. Ma mémoire gardait l'empreinte du visage d'une passante, de mes pensées et de mes sentiments quasi quotidiens de plusieurs années; je n'oubliais facilement que les formules mathématiques et le contenu de certains livres et manuels lus autrefois. Quant aux personnes, je me les rappelais toutes, bien que la plupart ne jouassent aucun rôle dans ma vie.

Citation :

   Tard dans la nuit, après le travail proprement dit, je me rendais souvent dans les quartiers proches de l'Étoile. Je les préférais aux autres à cause de leur silence, de l'uniformité des hauts immeubles, séparés parfois par des abîmes de pierres que j'observais en passant. La nuit qui suivit ma rencontre avec Fédortchenko, en descendant l'avenue Wagram, j'aperçus de loin, au bord du trottoir, une haute silhouette féminine drapée dans un manteau de fourrure. Je ralentis, elle me fit signe et je m'arrêtai. Elle s'approcha, me scruta, et un étonnement extraordinaire se peignit sur son visage.

Nous avons laissé Vaucaire dans une bétonneuse sur un chantier abandonné d'Aubervilliers.
Quand Patrice a vidé le jerrican d'acide chlorhydrique sur le cadavre, l'odeur m'a ramené à ma jeunesse.
"Rappelle-toi comment tu es arrivé au sommet". " Voilà, je me rappelais. Je me rappelais même très bien. (p.83)

Tours est une ville de merde, avec des bourgeois de merde et une pègre de merde. Mais le Grand Roger venait de la région et elle lui collait aux tripes comme un ténia. Moi, j'avais toujours détesté le jardin de la France et sa capitale. Que des demi-sels et des proxos. Incultes, en plus. Jamais d'opéra, du moins de mon temps. C'était probablement pour ça que Roger affectionnait le coin. "La ville la moins littéraire de France", Balzac dixit. Ca tombait bien, je n'étais pas venu pour faire de la littérature. (p.89)

Il faut toujours se méfier des types qui ont l'air con. C'est généralement eux qui vont peser sur votre destin, d'une manière ou d'une autre. (p.98)


(Extraits de "Le feu au royaume" de Sébastien Doubinsky / ed. le petit écailler)

Une histoire de truands à la Audiard, des réflexions à la Audiard : ce roman, c'est du nannan pour les aficionados des films noirs des années 60.

ah c'est beau cette description !  

animal a écrit:

ah c'est beau cette description !  

Entre le bourgeois inculte et le proxo, il doit exister une très honorable classe intermédiaire, mais André Thiriet, alias Dédé la Classe n'aime pas Tours.

Dans l'avant-propos de L'usage du monde de Nicolas Bouvier, nous pouvons notamment lire :

«Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.»

Tirée de Nancy Huston, Dolce Agonia,

Citation :
C'était quand, se demande Sean, les vraies expériences ? Quand est-ce qu'on a vraiment vécu notre vie, au lieu de la voir comme une source possible d'écriture, une répétition générale, le faible écho ou la pâle photocopie ou les restes rancis de la Chose même ? Où est passée la vie ? Comment nous a-t-elle échappé ?