Au fil de nos lectures

animal a écrit:

il faudrait que je relève d'autres choses que des passages à la c...

Je suis sûre que tu trouveras!!

Un passage pas si c.. que ça. Il était sensé ce Thoreau!

La plupart des hommes ont appris à lire pour obéir à une misérable commodité, comme ils ont appris à chiffrer en vue de tenir des comptes et ne pas être trompés en affaires ; mais pour ce qui est de la lecture en tant que noble exercice intellectuel ils ne savent guère sinon rien ; cependant cela seul est lecture, au sens élevé du mot, non pas ce qui nous berce comme quelque luxure et souffre que dorment ce faisant les facultés nobles, mais ce qu’il faut se tenir sur la pointe des pieds pour lire en y consacrant nos moments les plus dispos et les plus lucides.

Chaud !

Anne, au moment où retentissait le fracas étincelant de l'ultime midi, confondu avec le silence, pressée par la plus grande paix, n'osant faire un geste ni avoir une pensé, se voyait bruler, mourir, les yeux, les joues en feu, la bouche entrouverte, exhalant comme un dernier souffle, ses formes obscures en plein soleil, morte, parfaitement transparente à coté de ce mort opaque [Thomas] qui auprès d'elle s'épaississait toujours davantage et, plus silencieux que le silence, abimait les heures et égarait le temps.

Maurice Blanchot, Thomas l'obscure - Chapitre 6.

Transformation....? Introspection contemplative....?

Ni bruit ni traces; cependant, si l’on prêtait attention, on percevait dans son sillage un très léger bruissement qui provenait, peut-être, du frou-frou de la robe trop longue, de sa cape flottante, ou d’un chuchotement qu’elle aurait ressassé sous son voile.
Mais presque aussitôt on s’apercevait que ce n’était pas cela, qu’il ne s’agissait pas d’un froissement d’étoffe ni d’un confus marmonnement.
C’était comme un bruit d’eau, mais si ténu, infime. Ainsi susurrent les sources souterraines, les eaux encloses au fond des gouffres, dans la pénombre, le froid. Eaux invisibles qui suintent au creux des roches millénaires et qui déploient d’étranges résonnances dans l’immensité du silence et du vide.
C’était un pleurement très bas, un sanglot retenu d’une infinie douceur.


La pleurante des rues de Prague de Sylvie Germain

Et comment je vais faire mon commentaire moi????

pia a écrit:

Transformation....? Introspection contemplative....?

Je vois bien ça oui. Un genre de métamorphose introspective. Contemplative je sais pas.  Dans ce Thomas L'obscure, c'est étonnant de voir comment l'environnement devient total. Le premier texte où Thomas se glisse dans la mer pour quelques brasses, se dissous dans l'élément liquide et salé, écumant, brumeux, c'est assez fou. Puis qui se fond plus tard avec la nuit, le livre et les mots qui le composent. Y'a de la poésie, mais enfin, je sais pas comment dire, elle semble "intériorisé à l'avance", enfoui, sensation souterraine, souterraine dans un sens direct, "sous terre", et qui donc a rapport au macabre. Je me demande comment la relation avec Anne va tisser cela, je n'ai pas encore fini le livre.

Ce soir ce sera Ovide, métamorphoses qui éclosent sur la surface du monde, voluptueuses.

J'aime bien ça ! : C’était comme un bruit d’eau, mais si ténu, infime. Ainsi susurrent les sources souterraines, les eaux encloses au fond des gouffres, dans la pénombre, le froid. Eaux invisibles qui suintent au creux des roches millénaires et qui déploient d’étranges résonnances dans l’immensité du silence et du vide.

un peu de Ramuz qui va faire son siècle ?

Citation :

Je songeais, parmi ces dentelles, à la beauté d'un art qui s'en va, lui aussi. Beauté de luxe où il est à l'aise, où les nécessités pratiques ne viennent presque jamais se mettre à la traverse, je me disais combien elle était faite pour la femme et la femme pour elle. C'est à la femme le plus souvent que nous devons cette richesse. Ne pourrait-elle pas continuer à nous la dispenser ? Là toutes ses qualités trouvent à s'exercer. Cet art n'exige rien d'elle qu'elle ne puisse fournir. Tandis qu'à prétendre à un art plus élevé, si le mot est juste et j'en doute, elle sort diminuée de ses échecs successifs, là restant à sa place, elle parviendrait sans peine à s'exprimer complètement.

petite description parisienne dans La main coupée de Cendrars :

Citation :

Dix années plus tard. J'avais passé la nuit à Montmartre. Au lieu de rentrer chez moi, je m'étais installé à la terrasse du bar-tabac qui fait le coin du boulevard des Batignolles et de la rue du Mont-Dore pour boire un dernier verre. Je ne pensais à rien de particulier. J'étais heureux d'être là, à Paris, comme toujours après un grand voyage. J'arrivais du Brésil et le paysage si typiquement parisien du boulevard des Batignolles m'allait droit au cœur car ce sont ces perspectives laides et tristes, ces façades salies que j'évoque de préférence quand je séjourne trop longtemps à l'étranger plutôt que le Paris des grands boulevards ou des grands cafés des Champs-Elysées. L'aube tardait à venir. L'ombre se faisait bleue. Un souffle de printemps passait dans les branches dégarnies. A cette heure indécise le large boulevard paraissait vide. Un bruit de poubelles automobiles venait de la place Clichy et les freins du premier métro patinaient à la station de Rome.

Robert Walser est trop bon... Je vous reproduis un extrait qui attire mon respect :

Sur quelques-uns et sur lui-même, 1994 (1993), Paris : Gallimard, coll. «Arcades», p. 54. a écrit:

Bettina me ressemble; mais elle a l'avantage d'être fille et de pouvoir, plante grimpante, s'enlacer à des hommes justes, intelligents, alors que l'homme en moi se rebelle contre le fond de mon être, dont il n'est évidemment pas bon de parler. Doux et coléreux instrument que je suis! - et je parle, et dans tous mes propos s'étend une steppe de mutisme, je puis me taire, et en vous cela se prolonge comme l'appel d'une voix forte. Je n'aime pas le monde et cependant je l'aime. Si cela était en mon pouvoir, toutes les routes de campagne seraient recouvertes de tapis, la moindre parole s'échappant d'une bouche serait une caresse amoureuse. Mes mains, très belles et fines en effet, sont éprises de moi comme des exaltées qui se font une trop douce idée de l'objet de leur vénération. Elles me servent à écrire des poèmes, à empoigner le loquet des portes, à tirer la corde des cloches, à laver et peigner, et aussi à serrer la main des gens, puisque ainsi le veut la coutume. Si je me promène la nuit dans la campagne, des branches pendantes, emmêlées, fouettent mon visage de leurs bras multiples.

Il y a souvent dans les livres de Dostoïevski des moments plein de cris et de fureur et de vexations bien incompréhensibles mais il y a aussi de ces moments-là qui font que je l’aime.

On rencontre même des cas étranges ; on voit de braves gens, en mal d’originalité, devenir parfois capables d’une bassesse. Voici un de ces malheureux qui est un homme honnête et même bon, qui est la providence de sa famille, qui entretient et fait vivre avec son travail non seulement les siens, mais encore des étrangers. Que lui advient-il ? Il n’a pas de tranquillité pendant toute sa vie ! La conscience d’avoir si bien rempli ses devoirs d’homme n’arrive pas à le rasséréner ; au contraire, cette pensée l’irrite : « Voilà, dit-il, à j’ai gâché mon existence ; voilà ce qui m’a lié bras et jambes ; voilà ce qui m’a empêché d’inventer la poudre ! Sans ces obligations, j’aurais peut-être découvert la poudre ou l’Amérique, je ne sais pas au juste quoi, mais j’aurais sûrement découvert quelque chose ! » Le plus caractéristique chez ces gens-là, c’est qu’ils passent en effet leur vie sans parvenir à savoir exactement ce qu’ils doivent découvrir et qu’ils sont toujours à la veille de découvrir : la poudre ou l’Amérique ? Mais la souffrance où les plonge l’attente angoissée de cette découverte eût suffi à la destinée d’un Colomb ou d’un Galilée.

Mon âme est un orchestre secret ; j’ignore quels instruments je pince et lesquels grincent à l’intérieur de moi. Je ne me connais que comme une symphonie.

Je ne me soucie pas de rimes. Il est rare que deux arbres l’un à côté de l’autre soient égaux.

Le monde ne s’est pas fait pour que nous pensions à lui, mais pour que nous le regardions et que nous soyons d’accord.

Fernando Pessoa

Succomberais-tu toi aussi au charme de Pessoa ?

Merci également pour le texte de Dosto, qui énonce un dilemme parfois bien lourd.

colimasson a écrit:

Succomberais-tu toi aussi au charme de Pessoa ?  

Oui certains fragments me plaisent beaucoup!

Belles citations de Pessoa que tu as là, Pia!

Va bien falloir que je m'y remette un moment donné...

Et moi aussi. Et pas seulement des fragments de ses livres!

Marquis de Sade, La marquise de Gange.

« Et celui qui ne désire des femmes que pour les tromper, qui ne les aime que pour les avoir, qui ne les a que pour les trahir, et qui les méprise dès qu’elles cessent de lui plaire ; qui n’a rien de sacré quand il s’agit de les séduire, et qui n’y parvient que pour les déshonorer ; celui-là, dis-je, sentira-t-il le bonheur d’en prendre une vertueuse, une qui puisse fixer l’irrégularité de ses désirs, et mettre à la place de cette honteuse frivolité la douceur des liens qui captivent, quand ils sont tissés par l’hymen ? Cela est impossible sans doute, et dans cette certitude, nous admettons que, sans jamais être heureux lui-même, l’abbé de Gange fera bien des malheureuses. »