Au fil de nos lectures

Vaste pays de glace.
Il m’est encore difficile
Même après tant d’années
d’imaginer la forme
que prendra l’été prochain.

La glace brûle
plus profondément
que le feu
mais l’herbe se souvient
de la caresse du soleil.

Dany Laferrière
L'énigme du retour



livre écrit presque entièrement en courtes phrases..


c'est comme un poème.. c'est beau.. c'est extra..
contente de retrouver la lecture avec ce livre

Il insère des poèmes dans sa narration, Laferrière ?

bix229 a écrit:

Il insère des poèmes dans sa narration, Laferrière ?

non.. le texte est écrit en phrases courtes, ce qui fait une "condensation" d'un texte.. donc, en quelque sorte un poème.. mais c'est un roman.. écrit un peu autrement.. et c'est sublime

Oui, ça donne envie...

Au fait, il écrit en français ou en anglais ?

français

Lorsque nous fumes cinq, notre mère déclara que c' était assez de cette fécondité bénie, elle nous érigea en une communauté autonome, des
éducatrices passagères de langue allemande ou française, en assurèrent, mais insuffisamment, la surveillance ; quant à elle, elle retourna à ses affaires.
Elle s' y connaissait mieux que notre père qui, à dix lieues à la ronde,
portait le surnom de "joli coeur de la banque" (the bank's sweetheart),
d' où l' on peut entre autre conclure que son attrait ressortissait plus de
son charme personnel que de sa capacité à mener les affaires.
C' est ainsi que, en conformité avec les désirs de notre mère et aussi avec nos instincts propres, nous avons grandi dans un monde enfantin dont
les hauts murs étaient transparents pour nous mais pas pour les autres.
Nous nous procurions nous memes tout ce dont nous avions besoin, et
nous nous laissions difficilement imposer quoi que ce soit.
Nos mystères, nos coutumes étaient plus impénétrables que ceux des
Incas ; et ils le sont devenus pour nous maintenant.

De temps en temps il nous arrivait une catastrophe, quelque chose d' au moins comparable à l' invasion d' une plantation par des sauterelles, à une tempete de sable de six jours, à un glissement de terrain menaçant d' engloutir notre monde.
Alors, de la constellation maternelle, située à une distance bienfaisante, une femme descendait, rayonnante de beauté, à peine plus agée que
nous ; avec une sévérité souriante, elle rejetait notre monde enfantin
dans le chaos...
Puis elle se remettait à le batir. Et voici qu' il était plus beau qu' avant.
Nous étions là, tous les cinq, éperdus d' adoration pour cette créature
divine...

René SCHICKELE La Bouteille à la mer, p. 28

Toutes les maisons de la colline sont vides. Les habitants suivent le cercueil de Nina...
Jamais, les vieux comme les jeunes en témoignaient, leur colline n' avait connue un tel convoi funèbre. C' était aussi la première fois qu' ils s' accordaient dans leur opinion..
Si de son vivant Nina avait revé de telles choses, on peut imaginer
qu' elle serait restée cachée des heures entières, non par peur de la mort, mais d' effroi à la pensée de touters ces heures de travail perdues !
De tout le travail en souffrance !
Et que de fleurs gaspillées, et en automne en plus, quand c' est là qu' elles sont le plus cher !

... Le glas funèbre toussait dans le soleil d' automne, tout à fait comme Nina toussait, quant aux heures chaudes, elle s 'asseyait après le repas de midi en contemplant ses mains diaphanes.
Ainsi sommes nous arrivés à l' église.
... Les homme, le visage grave, restèrent dehors sur la place.
Les platanes avaient encore leurs feuilles, il y avait de l' ombre, et, quand
on levait la tete, on reconnaissait entre les branches les cosses de semence, comme de petites cloches rondes, au bout de leurs hampes.
Elles semblaient attendre que le vent se lève pour aller éveiller les échos
des forets de leur grelot discret.

... A un endroit d' où l'on embrassait du regard tout le cimetière, les enfants de Nina, un garçon et une fille, se trenaient par la main, et vetus de leurs habits noirs, ils regardaient fixement en bas, ce qui était arrivé
d' incompréhensible à leur mère.

René SCHICKELE - La Bouteille à la mer. P. 133-135

Citation :

Je dînai fort mal, je m'endormis d'un sommeil agité et me retrouvai au petit matin assis dans le train qui m'emmenait dans la plaine, puis dans la ville.
Vint décembre, la fin de l'année avec ses jours gris, quand les hommes solitaires déclinent les invitations déclinent les invitations à dîner et comme dans une eau froide ou dans quelque horrible forêt, sombrent de plus en plus profond dans leur intolérable solitude, avec l'espoir, en s'y abandonnant ainsi, de s'en délivrer plus vite et de ressortir sain et sauf à l'air libre.

Yéléna, celle qui n'était pas, Ivo Andric (dans L'éléphant du vizir)

un petit passage, qui tout seul, n'a peut être pas l'air si génial (... ?) mais c'est une sorte de décor (ce qui ne veut pas dire que c'est gratuit) et une des élégances de l'auteur est de ne pas s'appesantir mais de suivre, moduler, évoluer, construire...

...Qu' en fait, ma femme fut fidèle, j' en donnerais ma main à couper ;
parfois meme son ame semblait etre toute fidélité.
A part ça, elle trichait. Et ça existe, ça, des gens qui comme moi, tentent
vainement de se débarrasser des fatalités inhérentes à leur espèce,
et qui sont fascinés par ça. Par cette fausseté, par cette double nature.
Au point d' en avoir le vertige.
Et c' est d' une telle femme que j' attendais de la constance ou quelque chose du meme genre ?
Moi qui admirais en elle tout le contraire : à la fois plein de haine et
d' envie avide et pourtant désolé, j' admirais sa légèreté, oui, ce divertissement douteux, ce jeu de cache-cache qu' elle pratiquait avec
toutes choses au monde. Et son rire.
Comme elle savait rire ! Et de petits riens, de nimporte quoi. Elle y pataugeait comme les enfants dans l' eau.

Milan Fust - L' Histoire de ma femme.

Une histoire de folie, d' obsession. Une histoire perverse et destructrice.
Un homme se raconte. Un personnage détestable, effrayant et qui essaie
d' expliquer ses souffrances, ses délires, ses plaisirs malsains...

Citation :

Sganarelle
Ah ! Monsieur, c’est le Ciel qui vous parle, et c’est un avis qu’il vous donne.

Dom Juan
Si le Ciel me donne un avis, il faut qu’il parle un peu plus clairement, s’il veut que je l’entende.

Dom Juan de Molière

Je voudrais parfois me réfugier avec tout ce qui vit en moi dans quelques
mots, trouver pour tout un gite dans quelques mots.
Mais je n' ai pas encore trouvé les mots qui voudront bien m' héberger.
C' est ben cela. Je suis à le recherche d' un abri pour moi-meme, et la maison qui me l' offrira, je devrai la batir moi-meme pierre par pierre.
Ainsi chacun se cherche-t-il une maison, un refuge.
Et moi je cherche toujours quelques mots.

J' ai parfois le sentiment que le grand malentendu s' accroit à chaque parole prononçée, à chaque geste.
Je voudrais m' immerger dans un grand silence et imposer le silence à tous
les autres.
Oui, il est des moments où chaque mot accroit le malentendu, sur cette terre trop agitée.

Etty Hillesum - Une vie bouleversée, p. 68

Citation :

Cela faisait des mois que le nouveau gouvernement avait entamé une action d'envergure contre les crimes, l'immoralité, les vices et les maladies physiques. Mais la goutte qui fit déborder le vase, ce fut la campagne de vaccination collective contre le péché originel.

extrait de Grève du mal, nouvelle de Dino Buzzati

mais à qui donc ai-je bien pu penser en lisant ça... ?

Le train de Deventer. La vue de tant de visages autour de moi me donne
envie d' écrire un roman.
Le vaste paysage, paisible et un peu triste -je regardais par la fenetre et c' était cemme de parcourir le paysage de mon ame.
Paysage de l'ame.
J' ai souvent cette impression : le paysage extérieur est le reflet du paysage intérieur.

Etty Hillesum - Une vie bouleversée, Journal, 1941-43

Vendredi soir, 7 heures et demie.
Cet après-midi, regardé des estampes japonaises avec Glassner. Frappée d' une évidence soudaine
: c' est ainsi que je veux écrire. Avec autant d' espace autour du peu de mots.
Je hais l' excès de mots. Je voudrais n' écrire que des mots insérés organiquement dans un grand
silence, et non des mots qui ne sont là que pour dominer et déchirer le silence.
En réalité les mots doivent accentuer le silence. Comme cette estampe avec une branche fleurie
dans un angle inférieur.
Quelques coups de pinceau délicats et tout autour un grand espace, non pas un vide, disosn plus plutot : un espace inspiré.

Hetty Hillesum. - Une vie bouleversée, Journal, 1941-43. P. 121

animal a écrit:

Citation :

Cela faisait des mois que le nouveau gouvernement avait entamé une action d'envergure contre les crimes, l'immoralité, les vices et les maladies physiques. Mais la goutte qui fit déborder le vase, ce fut la campagne de vaccination collective contre le péché originel.

extrait de Grève du mal, nouvelle de Dino Buzzati

mais à qui donc ai-je bien pu penser en lisant ça... ?

Ha ha, je n'avais pas vu ça! Visionnaire notre Buzzati?