Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Jacques Réda

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Bédoulène
bix229
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jack-hubert bukowski
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MessageSujet: Re: Jacques Réda   Jacques Réda - Page 2 EmptySam 5 Oct 2013 - 11:00

Je déterre le fil de Jacques Réda. L'herbe des talus est écrite avec une plume sublime. Il faut que je vous montre cet extrait qui commencera d'ailleurs assez bien la deuxième page du fil qu'il nous faut fournir à propos de cette oeuvre un peu méconnue :

Jacques Réda, L'herbe des talus, 1984, Paris : Gallimard, p. 89. a écrit:
Dans «Le chat de Budapest»

En société, je sais bien ce qui me condamne à être de plus en plus muet. Sans doute ai-je plus que certains conscience de n'avoir pas grand-chose à dire, mais même lorsque j'énonce une chose intéressante (qui me semble intéressante, à moi), on dirait que personne ne m'écoute. Par conséquent je me tais. C'est une situation encore plus pénible et légèrement avilissante dans le tête-à-tête. J'ai souvent l'impression de m'exprimer dans une langue que l'autre ne comprend pas. Alors je m'efforce de parler la sienne aussi exactement que possible, et j'ai de bonnes raisons de croire que j'y parviens.
Ainsi commence ce chapitre. Le texte est finement découpé et divisé sous plusieurs chapitres distincts et indépendants des uns et des autres. Nous lisons ces chapitres à mesure et nous dégustons ligne après ligne cette merveille de la langue française.
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jack-hubert bukowski
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MessageSujet: Re: Jacques Réda   Jacques Réda - Page 2 EmptyMer 9 Oct 2013 - 11:16

Au moment de vous faire un avis sur le livre de Jacques Réda que je viens de lire, je me demandais comment décrire L'herbe des talus. Tout au plus, j'y ai saisi un fourmillement de références et un amour de la langue. D'ailleurs, je suis venu à Jacques Réda par l'entremise du poète québécois Jacques Brault je crois. Il faisait l'énumération des poètes en prose.

Puis, je suis tombé sur cette critique de Christine-Marie Lorent qui met ce livre en parallèle avec La liberté des rues. Je vous laisse lire le texte si le coeur vous en dit : http://pppculture.free.fr/reda.html.

Pour ma part, je devais y aller par touches et qui touches dit nécessairement sélection d'extraits du livre.

Tout d'abord, dans «Épisode» :

Jacques Réda, L'herbe des talus, 1984, Paris : Gallimard, p. 127. a écrit:
Celui qui se tenait invisible à l'autre bout de la cuisine a dû maintenant partir. Qui était-ce? On ne sait pas. Un homme, sans doute. Quelqu'un de familier mais d'un peu trop distant pour qu'elle insiste, et relance inutilement la discussion. Elle s'est donc assise comme s'il n'y avait plus rien à faire, à espérer et, les yeux dans le vague, elle grignote des noix, qu'elle prend une à une sur la table dans une corbeille qu'on ne peut pas voir. Leur coque craque comme les ressorts du train qui a repris insensiblement sa marche, glisse de plus en plus vite, va bientôt rompre le fil. Mais soudain, l'espace d'une seconde, la jeune femme lève son regard. Alors, et pour toujours, on devient un épisode de cette histoire perdue dans la lumière, et dont on ne saura jamais rien.
Dans la partie «Au Hvalbar», Jacques Réda introduit une citation de Valery Larbaud. Je note un passage plus loin :

Ibid., p. 175. a écrit:
Mais sans compter tous les ennuis qui m'ont tracassé depuis Moulins, seul un coup de chance aurait pu me conduire sur cette route, dans la hâte et toujours plus ou moins comme un voleur. Et puis se pose une question de frontière. Il est probable que plus personne ne s'en préoccupe aujourd'hui, mais elle reste délicate pour moi qui poursuis ce genre de rêves, et cette ambassade qui se déroule en pleine campagne en tire une rare solennité. Ici en effet s'étendit le territoire d'un État presque imaginaire, mais moins que ceux dont je suis le souverain, et avec lequel je n'ai jamais entretenu de relations diplomatiques : l'État-Libre du Hvalbar qui, du reste, a politiquement disparu, et qui tint pourtant ces bois et ces prairies, inspirant encore le respect. Aussi, au bout du chemin de terre vers lequel à présent on remonte, seul je n'aurais peut-être pas osé décrocher ce fil de fer, et m'engager sous la charmille, puis m'attarder dans le bois dont les rochers, le ravin, le banc vermoulu, la pénombre, font un Port-Royal bourbonnais bien conforme à l'idée de retirance, chère au poète qui vécut là.
Je reviens au coeur du récit, «L'herbe des talus» nous permet notamment de lire :

Ibid., p. 181. a écrit:
Je l'atteignis juste avant la nuit, et le souci d'une auberge ne tint pas devant une telle rencontre : on ne s'était pas vus depuis cinq ans. Mais fidèles à leur perpétuel changement, les fleuves ne nous reprochent pas nos inconstances. Le matin même, bien sûr, j'avais été vivement touché par l'Yonne; toutefois c'est vers la Loire encore plus féminine que j'allais, vers ses longs membres de sable étendus entre des eaux tantôt peu profondes, mais s'augmentant de l'espace d'en haut, tantôt d'une noirceur insondable sous les reflets d'arbres et de nuages, comme les humeurs et les pensées d'un être qu'on devine à l'éclat de ses regards qui varie, à la grâce diverse en mollesse ou en brusquerie de ses mouvements.
J'ai surtout l'impression que L'herbe des talus est un genre littéraire qui fait appel à la notion de fragment. La dernière lecture qui m'a fait une telle impression, c'est celle de Samuel Archibald et d'Arvida. Jacques Réda apprécie tenir compte de la dimension géographique dans l'écriture de ses oeuvres. Nous pouvons notamment penser aux Ruines de Paris.
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MessageSujet: Re: Jacques Réda   Jacques Réda - Page 2 EmptyMer 9 Oct 2013 - 19:24

j'aime bien les extraits...
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jack-hubert bukowski
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MessageSujet: Re: Jacques Réda   Jacques Réda - Page 2 EmptyLun 12 Oct 2015 - 0:27

Il est difficile de relancer le fil d'une discussion. Il faut donc reprendre quelques discussions laissées en plan sur le fil des lectures d'octobre 2015 qui ont été initiées par Colimasson et poursuivies par Bix229 et moi-même. Voici la poursuite d'un échange sur les suggestions de lecture laissées par Bix :

Bix229 a écrit:
Jack-Hubert Bukowski a écrit:
"Concernant Réda, il faut savoir bien choisir dans la pluralité des recueils qu'il a écrit. Il a une production très diversifiée et qui se promène entre les vers libres et la prose poétique. J'avais apprécié L'herbe des talus qui approche davantage la forme d'une poésie écrite sous forme de roman, mais j'ai l'impression qu'il y a tant à lire et découvrir chez lui."

Tu as raison, JHB, Réda a beaucoup écrit, et L' Herbe des talus est le modèle de cette prose vagabonde qu' il a semée tout au long de
son œuvre et de sa vie.
Réda n' a cessé de se promener, d' errer, à pied ou à bicyclette puis en cyclomoteur, dans une France qui a tendance à disparaitre
sous le bitume des magasins à grandes surfaces et autres enseignes mercantiles qui défigurent le pays.

Lire Réda, c' est prendre la peine de suivre ce voyageur d' un autre temps déjà. Ses titres sont déjà une incitation ou une invitation
à cheminer. A la recherche du temps passé. Voyez plutôt !

Les Ruines de Paris, L' improviste (une histoire personnelle du jazz), P.L.M. et autres textes, Hors les murs, Gares et trains,
Le Bitume est exquis, Beauté suburbaine, Chateaux des courant d' air, Un voyage aux sources de la Seine, Recommandations
aux promeneurs, Aller aux mirabelles, Un paradis d' oiseaux, Le sens de la marche...

C' est un peu comme au marché aux puces, on trouve ce qu' on ne cherche meme pas.

Jacques Réda et quelques poète-sses à la prose qui pourrait sembler malcommode a priori méritent qu'on s'attarde à leurs oeuvres poétiques. Merci de relancer les discussions!
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MessageSujet: Re: Jacques Réda   Jacques Réda - Page 2 EmptyLun 12 Oct 2015 - 16:49

Tu as très bien fait de relancer, JHB et tu le fais aussi très bien et donc, je vais essayer de me procurer des livres de Réda.
Réda et le merveilleux quotidien les yeux grand ouverts... Shocked
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MessageSujet: Re: Jacques Réda   Jacques Réda - Page 2 EmptyLun 12 Oct 2015 - 17:17

Tant bien que mal enfin j’atteins la place de la Concorde. L’espace devient tout à coup maritime. Même par vent presque nul, un souffle d’appareillage s’y fait sentir. Et, contre les colonnes, sous les balustrades où veillent des lions, montent en se balançant des vaisseaux à châteaux du Lorrain, dont tout le bois de coque et de mâts, et les cordes, et les toiles sifflent et craquent, déchirant l’étendard fumeux qui sans cesse se redéploie au-dessus de la ville. Je vais donc comme le long d’une plage, par des guérets. Et sans doute c’est l’indécision du soir qui m’ouvre cette étendue, toujours pourtant mêlée aux pierres et au fracas de Paris. Car en plein jour, surtout dans les mois mal apprivoisés (février, mars, novembre), quand l’air pâlit comme aux lisières des landes et des marais, les rues creusent dans une lueur d’estuaire de sable : à chaque pas va surgir ce miroitement de perle entre des dunes, et le cœur bat, et d’entières forêts qui transhument, stationnent aux carrefours, puis s’éclipsent d’un bond comme la licorne. Sur tous les monuments une sauvagerie élémentaire mais tendre a subsisté. Réfugiée au ciel qui reste le plus sensible de cette terre, elle émeut jusqu’au marbre ignorant des heures et des saisons. Un angle ébloui saute alors en étrave au milieu de ce flot de métamorphoses, hissant avec lui des palais dans la splendeur du premier jour. Des attelages de bronze vert s’envolent ; on sent, perdus entre deux houles antédiluviennes de fougères, les siècles en proie à leur fragilité, et l’espérance humaine écarquillée devant sa solitude. À présent c’est vraiment la nuit.
In Les Ruines de Paris (1977), © Poésie-Gallimard, 1993, p.10-11
 





[size=15]Chemins perdus

Pareils aux inquiets, aux longs velléitaires
Qui n’auront jamais su choisir un seul chemin,
Tous ceux que j’aperçois, lorsque je passe en train,
Filer à travers bois, dans l’épaisseur des terres,
Me paraissent chacun devenir, tour à tour,
Celui que j’aurais dû suivre sans aucun doute.
Je me dis : la voici, c’est elle, c’est la route
Certaine qu’il faudra revenir prendre un jour.
Mais aussitôt après, sous la viorne et la ronce,
Un sentier couleur d’os ou d’orange prononce
Sa courbe séduisante au détour d’un bosquet,
Et c’est encore un des chemins qui me manquaient.
Puis le bord d’un canal donne une autre réponse
À ce perpétuel élan vers le départ.
Mais je vous aime ainsi, chemins, déserts et libres.
Et tandis que les rails me tiennent à l’écart,
Vous venez vous confondre au réseau de mes fibres.
[/size]



In Retour au calme, poèmes, © Gallimard, 1989, p. 5







Une fois de plus, j’ai bien peur de n’avoir rien appris. Mais demain je saurai peut-être. Et ensuite à nouveau l’oubli. Donc plutôt ce vagabondage, plutôt cette maladie. J’aurai tout essayé pourtant : les médecines, les philosophies ; je ne pense pas qu’on en guérisse. Eh bien tant pis. Guérir de quoi, d’ailleurs ? La poésie est-elle autre chose après tout que la vie elle-même ? Ainsi un jour ça va, un autre ça ne va plus. À chacun son petit pas de danse vers sa limite, son dieu, son précipice.

In Celle qui vient à pas légers, © Fata Morgana, 1985, p. 21
 
 

P.L.M.
Voilà pourquoi j’aime le train. On y est accoudé à une sorte de barrière mobile, scellé dans une torpille d’éternité qui transperce le blindage du temps. On en vient à ne plus même concevoir de départ , d’arrivée : on ne voit qu’une multitude de points qui sont l’une et l’autre à la fois, qui déterminent selon leurs plans une si parfaite polyrythmie de vitesses (des plus lointains, très lents, aux premiers qui se volatilisent), qu’on imagine lire une musique dont mathématiquement, se combinent les mesures et s’enchaînent les accords. Et c’est la musique même de la planète, délivrée par ce plectre énorme contre deux cordes de fer, les harpes sauteuses du télégraphe.
In L’Herbe des talus (1984), dans Poètes d’aujourd’hui, © Seghers, 1986, p. 121-122

 
pierresel.typepad.fr/la.../jacques-réda-entre-désastre-et-merveille.html

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