Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Janet Frame [Nouvelle-Zélande]

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Marko
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 17:22

tom léo a écrit:
maladie ou pas, c'est sécondaire: il y a une créativité qu'on les freins sont enlevés et qu'on reçoit un retour positif. .

Je suis assez d'accord avec toi mais je préciserais que c'est secondaire parce qu'il peut y avoir créativité tout court qu'on soit schizophrène ou pas et même s'il y a des "freins" (autres que sa propre folie). Le parcours solitaire de Séraphine en est un exemple. Antonin Artaud au plus fort de ses délires criait qu'il n'était pas malade mental et entretenait l'idée du complot et que les médecins inventaient sa folie. On a démontré que la maladie mentale ne rendait pas plus (ou moins) créatif que la moyenne des gens mais que les périodes de décompensation de la maladie altéraient la capacité à créer.

Pour Janet Frame comme pour beaucoup d'autres, il me paraît invraisemblable qu'elle ait passé tant d'années en institution psychiatrique "pour rien". Que le diagnostic soit la schizophrénie ou autre chose d'ailleurs. Qu'on lui ait évité la lobotomie par contre c'est bien parce qu'à l'époque on ne savait pas encore comment soigner ces maladies de l'esprit et ça n'aurait servi à rien à part en faire un légume. Mais s'ils avaient proposé ça c'est qu'elle devait faire beaucoup de crises d'agitation ou de délire.

Après on fait des mythes et on préfère en faire une erreur de la médecine plutôt que d'accepter qu'on puisse avoir été créative bien que schizophrène! Car nier sa maladie mentale revient à dire: elle ne pouvait pas être folle puisqu'elle était capable de créer toutes ces choses. Et bien les schizophrènes peuvent créer des choses magnifiques quand ils sont stables et ça ne leur enlève rien de le reconnaitre.

Après il faudrait savoir exactement ce qui s'est passé et là aucun de nous n'y était pour le dire.

Reste son oeuvre et elle rejoint les créations poétiques littéraires ou plastiques d'une Sylvia Plath ou autres Urica Zurn. Inspirée, émouvante, entre naturalisme et symbolisme. Les textes que vous citez ne sont ils pas d'ailleurs de magnifiques témoigages de sa folie et de l'intolérance des gens "du dehors"? D'une certaine violence insitutionnelle également bien sûr qui existait surtout à une époque où les équipes infirmières étaient débordées par l'agitation de patients qu'elles devaient contenir comme elles pouvaient en l'absence de traitements calmant les angoisses, les délires...

Un bel exemple en tout cas de ce que l'art peut permettre pour s'évader par la pensée.
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bix229
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MessageSujet: Janet Frame   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 20:33

On ne préfère rien du tout. Malheureusement.
Les malades mentaux ne sont toujours pas bien traités en hopital psychiatrique.
Manque de moyens, de personnel, manque de compétences, surpopulation.
Les malades mentaux en plus, sont à présent stigmatisés comme dangereux.
Et il vaut mieux qu'ils ne soient pas pauvres, parcequ'ils risquent la prison ou la rue.
Et ça ne va pas s'améliorer : les psychiatres se font rares, les infirmiers
aussi. Et les hopitaux risquent d'etre privatisés à terme...
Alors s'il y a des artistes parmi les malades mentaux, il risque de se faire tard avant qu'on ne le sache...


Dernière édition par bix229 le Sam 13 Déc 2008 - 22:38, édité 1 fois
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Marko
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 20:39

bix229 a écrit:
On ne préfère rien du tout. Malheureusement.
Les malades mentaux ne sont pas bien traités en hopital psychiatrique.
Manque de moyens, de personnel, manque de compétences, surpopulation.
Les malades mentaux sont à présent stigmatisés comme dangereux.
Et il vaut mieux qu'ils ne soient pas pauvres, parcequ'ils risquent la prison.
Et ça ne va pas s'améliorer : les psychiatres se font rares, les infirmiers
aussi. Et les hopitaux risquent d'etre privatisés à terme...
Alors s'il y a des artistes parmi les malades mentaux, il risque de se faire tard avant qu'on ne le sache...

Je n'ai pas la même vision des choses, et je ne sais pas d'où tu tires cette vision terrifiante de cet univers, mais ce serait un débat un peu hors sujet ici. Pour ce qui est de la stigmatisation on la doit malheureusement plus au regard des autres qu'à l'institution psychiatrique que les patients perçoivent bien souvent davantage comme un refuge que comme un lieu hostile. Et c'est tout le problème. Celui de l'insertion dans la communauté qui en a peur ou n'en veut pas.
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bix229
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MessageSujet: Janet Frame   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 21:30

Il n' est pas nécéssaire d'avoir été interné dans une prison ou un hopital
psychiatrique pour connaitre la situation de ces institutions.
Elle est de notoriété publique. J'ai entendu des psychiatres à la télé récemment, parler de leur
situation qu'ils ne qualifiaient pas d'apocalyptique, mais d'alarmante et
dans les termes que j'ai moi-meme employés.
Les malades ont rarement droit à la parole mais on les entend aussi.
Et ce n'est pas toujours très agréable.
La presse en parle régulièrement et aussi une émission sur la 5 : Magazine de la santé..
J'ai eu aussi la connaissance directe de certaines situations et en hopital et en clinique privée et ça recoupe sensiblement ce que je viens de dire.

Dernier point, une déclaration de Patrick Pelloux urgentise au SAMU :

"Tous les représentants des psychiatres de France, comme le Dr Pierre
Paresys, de l'Union syndicale des psychiatres, le Dr Pierre Faraggi, président du Syndicat des psychiatres des hopitaux, sont scandalisés
par la volonté de criminaliser des malades.
Et les pédopsychiatres sont révulsés par la répression des enfants qui se met doucement en place...
Pendant ce temps, l'Etat donne de moins en moins de moyens aux hopitaux psychiatriques et aux prisons.
Sans soins ni aide ces malades vont etre emportés par leur folie...
Pour les enfants, pour les malades, pour vous, nous devons défendre l'accès aux soins des malades psychiatriques quels qu'ils soient. La prise en charge des malades psychiatriques, meme dangereux, passe par une réforme pour de meilleurs soins..."

Voilà, c'est juste une réponse à la situation.
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 21:44

Je ne partage pas cette vision et cette tentation de la diabolisation (je ne parle pas spécifiquement de ton avis mais de certaines idées qui circulent plus ou moins par a priori) même si certains aspects son bien réels comme le risque de "criminalisation" des malades par les politiques que tu évoques, mais même là il faudrait peut-être nuancer et ne pas généraliser ce qui vise des questions bien précises.

En revanche pour ce qui est du droit à la parole, il existe au moins des associations de malades et de familles de malades (l'UNAFAM) qui sont très actives et collaborent réellement aux recherches et aux conférences de consensus sur les différents aspects de la maladie mentale et de sa prise en charge.

Le manque de moyen, oui, comme partout mais on fait avec les moyens du bord et c'est déjà pas si mal. Et en tout cas dans le respect de ceux qui souffrent et avec le soucis de les accompagner et de les aider à s' insérer dans la société (c'est d'ailleurs là que les moyens manquent).
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 22:21

Je reviens à Janet Frame et ce long extrait où elle décrit de manière effrayante son expérience de l'institution psychiatrique (à son époque). Tout cela a existé malheureusement:

Visages noyés

Le dortoir des femmes de l'hôpital psychiatrique est paralysé par l'imminence du désastre annoncé: la séance d'électrochocs.

Je ne pourrai pas m'échapper. Ce sera bientôt l'heure de l'électrochoc. Je vois par la baie vitrée passer les infirmières qui viennent de prendre leur petit déjeuner et j'éprouve une vague nausée, un sentiment de désespoir, de désastre irrémédiable à les
regarder marcher, deux par deux ou trois par trois, le long du parterre de gueules-de-loup, devant le cerisier en fleur. J'ai l'impression d'être un enfant qu'on a forcé à avaler une nourriture inconnue dans une maison inconnue, qu'on oblige à dormir dans une chambre inconnue où les draps n'ont pas une odeur familière, où les couvertures ne sont pas bordées du même liséré que d'habitude, et qui, en s'éveillant, le matin, ne reconnaîtra pas le paysage étrange et terrifiant qui lui apparaîtra par la fenêtre.

Les infirmières pénètrent dans le dortoir. Elles ramassent les dentiers des femmes promises à l'électrochoc, les plongent dans de vieilles tasses fendillées pleines d'eau sur lesquelles elles inscrivent au stylo à bille les noms respectifs de chacune des propriétaires. L'encre bleu pâle glisse sur la surface de la porcelaine, elle s'étale, et les lettres presque illisibles ont l'air bordées de minuscules pattes de mouches. Une infirmière apporte de l'alcool et du savon liquide dans deux petites cuvettes d'émail ébréchées. On va nous en frotter les tempes pour que le choc «prenne». J'essaie de trouver une paire de chaussettes de laine grise, car je sais que je mourrai si j'ai froid aux pieds. Une malade prend la précaution de mettre sa culotte: «Au cas où je lancerais les jambes en l'air devant le docteur», fait-elle. Nous sommes assises sur nos chaises dures et l'on nous tire la tête en arrière pour nous passer sur les tempes un coton imbibé d'alcool. On frotte jusqu'à écorcher la peau, jusqu'à ce que l'alcool nous coule dans les oreilles et nous rende sourdes brusquement.

A la dernière minute, nous nous sentons oppressées par l'approche de l'événement fatal et c'est alors une explosion de cris, un déchaînement de panique. Certaines d'entre nous essaient de s'emparer des restes de déjeuner dédaignés par les malades qui ne quittent pas leur lit. Quand l'infirmière crie: «Aux cabinets, mesdames», la porte du couloir s'ouvre et nous devons faire une brève visite aux cabinets sans portes, sous l'œil des gardes qui restent plantées dans le couloir afin de prévenir toute tentative de fuite. Il y a des malades qui se battent, donnent des coups de pied, essaient de passer quand même, mais elles se rendent compte presque tout de suite qu'elles ne peuvent trouver de refuge nulle part. Les portes qui donnent sur le monde sont hermétiquement fermées. Tout ce qui peut arriver, si l'on essaie de fuir, c'est d'être poursuivie et ramenée de force. Et si, par hasard, c'est miss Glass, l'infirmière chef, qui vous rattrape, elle se mettra en colère: «Tout ce qu'on fait, on le fait pour votre bien. Voulez-vous vous calmer! ... Assez de comédies comme ça! ...» Evidemment, miss Glass n'offre pas de se soumettre elle-même à l'épreuve de l'électrochoc. Elle n'est pas de ces gens qui, pour vous prouver que le gâteau qu'ils vous offrent n'est pas empoisonné, qu'il ne présente aucun danger, vous proposent d'en goûter la première tranche.

On a déplié des paravents à fleurs pour masquer l'extrémité du dortoir où l'on a préparé les lits des condamnées. On a ouvert les draps et rehaussé un peu les oreillers. Tout est prêt pour accueillir la malade inconsciente... Mais voilà que de nouveau tout le monde veut retourner aux cabinets et la peur qui grandit rend ce besoin plus urgent encore... Malheureusement, l'infirmière ferme la porte pour la dernière fois et les cabinets sont désormais inaccessibles. Nous avons une envie terrible d'y aller, de nous asseoir sur la porcelaine glacée de la cuvette et d'essayer, en soulageant notre corps, de soulager notre esprit de la détresse qui l'envahit, comme si le fait d'uriner pouvait dissoudre notre angoisse et la chasser hors de nous-même.

Quelqu'un se met à tousser, en proie à son accès matinal de bronchite. Puis on entend sur le parquet ciré du couloir le bruit amorti d'une paire de chaussures à semelles de caoutchouc qu'accompagne en contrepoint le claquement léger et rapide de petits talons de liège: c'est le Dr Howell et miss Glass. Celle-ci tire le verrou extérieur du dortoir et s'efface pour laisser entrer le docteur. Alors, l'un derrière l'autre, avec une dignité royale, ils vont rejoindre miss Honey qui les attend dans la salle de traitement. Comme on manque de personnel, on a prié à la dernière minute la nouvelle assistante sociale de venir en renfort. La voilà qui entre en sautillant - nous l'appelons la Pavlova.
- Mademoiselle, voulez-vous appeler la première malade?

Il m'est souvent arrivé de demander à passer la première car je savais que mon inconscience serait de brève durée et que je serais déjà réveillée quand la plupart des autres malades en seraient encore à attendre. Et souvent, celles qui attendent, perdues dans un état d'hébétude et d'angoisse, s'imaginent qu'elles ont déjà reçu l'électrochoc, qu'on le leur a fait subir subrepticement sans qu'elles en aient conscience.
Derrière les paravents, les gémissements et les pleurs commencent. On nous «dose» le courant électrique. En attendant qu'on en ait fini avec les malades du Deux, nous nous remémorons les bruits qui courent sur l'électrothérapie: on dit que cela est destiné à nous donner un avant-goût de Sing-Sing, pour le jour où nous serons définitivement reconnues coupables de meurtre, condamnées à mort et ligotées sur la chaise électrique, le jour où l'on nous posera les électrodes à même la peau, à travers les fentes de nos vêtements. A l'instant de la mort, nos cheveux commenceront à roussir et la dernière odeur que nous aurons dans les narines sera l'odeur de notre corps brûlé. Pour beaucoup, la terreur vient accroître la folie. On dit aussi que la séance d'électrochoc a pour but de nous faire parler, que l'on note nos secrets sur des fiches et que l'on garde ces fiches dans la salle de traitement. Moi, je suis sûre que c'est vrai. J'ai vu ma fiche un jour que je traversais la salle en portant un panier de linge sale. «Impulsive et dangereuse.» Voilà ce que j'ai lu. Pourquoi? Comment l'ont-ils su?

Mon tour arrive. Je vais attendre devant la porte de la salle, car il y a tant de candidates à l'électrochoc que le docteur ne peut tolérer le moindre retard. Quand il y a une malade à la porte, une sur le billard et la troisième en train de se faire frictionner les tempes une dernière fois avant de prendre la place de celle qui va entrer, le rendement, si l'on peut s'exprimer ainsi, est bien meilleur...

Et voilà que retentit le hurlement, l'inévitable cri, derrière les portes fermées... Quelques minutes plus tard, les portes s'ouvrent brusquement pour laisser passer le chariot sur lequel Mrs. Gregg, Mollie ou Goldie ronfle, le visage convulsé. Je ferme les yeux très fort, mais je ne peux m'empêcher de voir. Je ne peux pas non plus détourner mon regard des lits où sont allongées celles qui sont déjà passées. Les unes sont plongées dans un lourd sommeil et les autres, éveillées et geignantes, ont le visage cramoisi, les yeux injectés de sang. J'entends quelqu'un gémir et pleurer. C'est une femme qui s'est réveillée en ayant perdu la notion de l'heure et qui ne reconnaît pas l'endroit où elle est. L'électrochoc, je ne le sais que trop, ôte le sens des réalités. On se sent abandonné, aveugle, dans un vide total. Il faut alors essayer de retrouver son chemin en tâtonnant, comme un animal nouveau-né qui s'éveille aux premières sensations. On ouvre les yeux avec l'impression d'être un tout petit enfant effrayé et, pris d'un chagrin sans nom, on ne peut retenir ses larmes.

Voici, tout près de moi, le lit où l'on me mettra tout à l'heure. Les draps sont ouverts, et l'oreiller préparé... On m'y portera sans que je m'en rende compte. Je le regarde comme s'il fallait que nous fassions connaissance tous les deux. Peu de gens peuvent à l'avance jeter un coup d'œil sur leur cercueil. S'ils le pouvaient, peut-être seraient-ils tentés de glisser dans le satin qui le capitonne quelques babioles personnelles qui les empêcheraient d'oublier qui ils ont été. En ce qui me concerne, je glisse en esprit sous l'oreiller de mon lit de torture un ticket de consigne qui me permettra de retrouver à mon réveil - si jamais je me réveille - la notion du temps et d'espace, pour m'empêcher de me perdre complètement dans ces ténèbres où je ne saurai plus ni qui je suis ni si j'existe.

Bon, c'est à moi... J'entre dans la salle. Voyez comme je suis courageuse! Tout le monde me félicite pour mon courage! Je monte sur le billard. Je m'efforce de respirer profondément et régulièrement. C'est ce qu'il faut faire, paraît-il, quand on a peur. J'essaie de rester indifférente en entendant miss Glass murmurer d'une voix rauque, une voix d'assassin, à l'une des infirmières: «Vous avez le bâillon?»

Alors, en moi-même, je dis et redis des vers que j'ai appris à l'école quand j'avais huit ans. C'est pour éloigner de moi la mort que je récite cette poésie et que je porte des chaussettes de laine grise. Ces vers n'ont rien de bien profond, mais c'est souvent dans les moments les plus tragiques que l'on consacre toute son attention à des futilités. Le mourant s'inquiète de ce que les gens vont penser quand ils lui couperont les ongles des orteils. Le désespéré trompe son chagrin en comptant méthodiquement les petites fleurs d'une grappe de lilas. Je revois le visage de miss Swap, la maîtresse qui nous avait appris ces vers. Sur le côté du nez, elle a un grain de beauté qui ressemble à une minuscule miche de pain surmontée d'une touffe de poils roux. Je me revois enfant en train de réciter debout derrière mon pupitre. Je sens le rebord de la vieille table vernie contre moi, contre mon trou-de-ventre où il y a de petits grains de sable quand je mets le doigt dedans. Du coin de l'œil gauche j'aperçois le plumier de ma voisine, ce plumier que je convoite parce qu'il est à trois étages et que son couvercle s'orne d'une rose décalquée et d'un joli petit creux, de la taille du pouce, pour qu'on puisse le faire glisser.
«Pommes au clair de lune...»
«Par la fenêtre du grenier, la lune ronde
Entre pour regarder les pommes alignées
Fruits de rêve, irréels, couleur des mers profondes.»

Je ne vais pas plus loin que ces trois lignes. Le docteur impatient s'affaire auprès des manettes et des interrupteurs. Il a du respect pour la machine. Elle est son alliée dans le combat qu'il mène contre le surmenage et les ennuis, contre les dépressions, les obsessions et les manies d'un millier de femmes. Mais, avant de donner le signal à miss Glass, il prend tout de même le temps de sourire et de dire «Bonjour!» d'un ton las.
«Fermez les yeux!» me dit l'infirmière chef.
Je les garde ouverts, attentive au signal secret, accablée par mon impuissance, tandis que miss Glass et les quatre infirmières, avec Pavlova, m'appuient sur les épaules et sur les genoux... Je sens que je tombe... C'est comme si l'on venait d'ouvrir une trappe sur les ténèbres. Et, pendant ma chute, j'ai l'impression que mes yeux se révulsent, que chacun d'eux regarde l'autre et le prend à témoin d'un aspect différent de la réalité qu'ils auraient découvert à mon insu. Désincarnée, j'émerge ensuite de la nuit pour m'agripper, comme s'agrippe une plante parasite, à mon identité. Je cherche à retrouver sa forme et sa position dans l'espace et dans le temps. Au début, je ne sais plus le chemin qu'il faut prendre. Je ne suis plus à l'endroit où je me suis quittée. On a fait disparaître toute trace de mon existence. Je pleure.

On me verse de force dans la gorge une tasse de thé très sucré. J'attrape le bras de l'infirmière.
- Alors, c'est fait? C'est fait?
- Oui, c'est fait, répond-elle. Allons, maintenant, dormez. Vous vous êtes réveillée trop tôt. [...]

Je craignais qu'on m'envoyât au pavillon Deux. On y mettait non seulement les femmes qui n'avaient pas «collaboré», mais aussi toutes celles chez qui les séances renouvelées d'électrochoc n'avaient amené aucune amélioration. La preuve de cette amélioration, on la voyait en général dans une soumission totale. Salle de jour, mesdames. Debout, mesdames. Au lit, mesdames. Nous apprenions avec sérieux, avec ferveur, à nous «adapter», à ne pas pleurer devant tout le monde, à nous déclarer au contraire contentes de tout, et à demander de temps en temps si nous allions bientôt rentrer chez nous, ce qui pouvait laisser à penser que nous nous sentions mieux et que, par conséquent, il était inutile de nous expédier un beau soir en grand mystère au pavillon Deux.

Nous apprenions à exécuter les corvées: à faire les lits, à mettre les couvertures du bon côté, à rentrer bien proprement les coins du couvre-pieds et à passer la lourde cireuse pour «briquer» le dortoir et le couloir, cette cireuse sous laquelle on mettait un morceau de lainage déchiré, plein d'encaustique jaune. C'était une encaustique à l'odeur puissante, pénétrante, qui chaque semaine imprégnait le panier à provisions, où la boîte voisinait avec les pots de confiture, les bonbonnes de vinaigre, le gros morceau de fromage et la motte de beurre. Mrs. Pilling et Mrs. Everett prenaient la motte de beurre et la coupaient avec un couteau qu'on sortait spécialement du tiroir aux couverts fermé à clé d'habitude.

Nous apprenions à nous soumettre à la routine quotidienne: il fallait savoir que c'était «comme ça», qu'on prenait, par exemple, son bain le mercredi, mais que celles en qui l'on avait confiance et qui se lavaient plus loin que le poignet avaient le droit de se baigner n'importe quel soir. Dans la grande salle de bains dont le plafond était si haut qu'il faisait penser à un hall de gare, il y avait côte à côte trois baignoires profondes dont les robinets étaient cachés dans une espèce de boîte fermée. On avait collé au mur la liste de règles à observer pendant le bain. Elle était écrite en tout petits caractères, sans doute pour qu'on pût la prendre pour l'horaire de chemins de fer... C'était une vieille liste, elle datait du début du siècle et contenait quatorze règles qui établissaient, par exemple, qu'aucune malade ne devait se baigner sans la présence d'un membre du personnel, qu'il fallait mettre quinze centimètres d'eau dans la baignoire - eau froide, d'abord - et surtout qu'il ne fallait jamais utiliser une brosse pour laver une malade...

Nous prenions donc notre bain trois par trois, sans paravent, et chacune regardait avec curiosité le corps de sa voisine, les seins avachis, le ventre flétri, les touffes de poils décolorés, les formes lourdes et molles, ces formes qui sont pour toutes les femmes le rappel constant et irritant de la flétrissure de leur chair, de leur destin terrestre.
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptySam 13 Déc 2008 - 22:39

Pfiou...C'est dur...

Les nouvelles du Lagon sont extrêmement touchantes...Ecrites dans ce contexte-là...

J'aimerais vraiment voir le film de Jane Campion, Un ange à ma table...réalisé à partir des autobiographies de Janet FRame.

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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 0:32

Oui je suis moi aussi touchée par l'écriture de Janet Frame, que je découvre. Très belle écriture, vraiment. Janet Frame apparait pleinement consciente de ce qui se passe, de ce qu'on lui fait subir et le décrit dans toute son horreur. En tout cas, pas l'écriture d'une déséquilibrée.

Pour en revenir à ce que disait Bix, j'ai été frappée l'autre jour en regardant un reportage sur les sdf (envoyé spécial, je crois) d'entendre qu'1 sdf sur 3 était atteint de schizoprénie !! Et que ceci s'expliquait par le fait qu'il n'y avait plus assez de lits (suppression de lits) pour accueillir les schizo dans les hopitaux psy ?? Et le commentateur de poursuivre qu'il suffirait souvent d'un suivi adapté pour que la personne malade, puisse reprendre une vie à peu près normale.


Dernière édition par mimi le Dim 14 Déc 2008 - 1:51, édité 1 fois
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MessageSujet: Janet Frame   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 1:07

Mimi, les gardiens de prison eux memes se déclarent dépassés par le cas des jeunes incarcérés dans les prisons et dont certains se suicident.
Ils disent que ces jeunes sont incontestablement des malades mentaux, qu'ils ont des problèmes graves qui ne peuvent pas etre évidemment traités en prison et surtout pas par eux ni par l'administration pénitentiaire.
Les problèmes de promiscuité et de surpopulation étant déjà largement
ingérables.
Je crois que la situation actuelle de précarité sociale développe les troubles psychiques et peut meme servir de facteurss déclanchant dans certains cas.
Pour en revenir à Janet Frame, j'aimerais lire son autobiographie pour en apprendre davantage sur elle...
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Marko
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 11:56

mimi a écrit:
Oui je suis moi aussi touchée par l'écriture de Janet Frame, que je découvre. Très belle écriture, vraiment. Janet Frame apparait pleinement consciente de ce qui se passe, de ce qu'on lui fait subir et le décrit dans toute son horreur. En tout cas, pas l'écriture d'une déséquilibrée.

Etre schizophrène ou "déséquilibré" comme tu le dis n'empêche pas d'écrire des choses lucides et magnifiques. J'ai beaucoup lu des textes et des poèmes de patients, j'ai vu leurs dessins, leurs peintures et si beaucoup de malades ne créent pas (idem pour les gens dits "normaux"), le talent de certains n'est pas incompatible avec leur maladie. Mais ils créent essentiellement dans les périodes de stabilité. C'est ce que j'essayais d'expliquer plus haut.

En revanche Janet Frame a écrit des passages véritablement hallucinatoires dans certains de ses textes. Après qu'elle ait été schizophrène ou non importe finalement assez peu même si ça a conditionné son écriture. L'histoire de l'art est remplie de grands créateurs qui avaient des troubles mentaux.
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 12:09

Oui Marko mais il m'a semblé que tu as dit plus haut (?) qu'elle écrivait une sorte de journal pendant son internement. Elle prenait donc des notes... sur ce qui se passait. Elle était donc consciente de son sort et pas du tout dans un état schyzo à ce moment là, non ?
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 12:32

coline a écrit:
J'aimerais vraiment voir le film de Jane Campion, Un ange à ma table...réalisé à partir des autobiographies de Janet FRame.

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Si tu ne l'as pas encore vu - oui, faut le faire.. c'est un des films qui restent en mémoire.. pendant longtemps.. et qui est pour moi un des films à retenir dans un best of de l'histoire du cinéma

il y en a quelques extraits sur youtube - mais je n'en ai pas trouvé un qui donne vraiment envie de voir le film en entier.. si tu as la chance de le voir ailleurs.. faut en profiter Very Happy
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 12:37

mimi a écrit:
Oui Marko mais il m'a semblé que tu as dit plus haut (?) qu'elle écrivait une sorte de journal pendant son internement. Elle prenait donc des notes... sur ce qui se passait. Elle était donc consciente de son sort et pas du tout dans un état schyzo à ce moment là, non ?

Mais beaucoup de schizophrènes ont parfaitement conscience de ce qui leur arrive et en parlent très bien. Il ne faut pas avoir l'image du fou complètement détaché de la réalité. C'est loin d'être le cas même si certains délirent complètement. Beaucoup de schizophrènes ne délirent pas d'ailleurs et on peut délirer en étant "normal" au cours d'une dépression ou d'un choc émotionnel...

Le drame de cette maladie c'est la souffrance qu'elle génère, les angoisses et de fait la tentation du suicide. Janet Frame a très bien pu décrire tout cela quand elle en était capable. Elle a peut être aussi noirci le trait dans un sentiment de persécution par exemple. Mais certains asiles surtout à cette époque devaient offrir cette image là.
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 12:46

kenavo a écrit:
coline a écrit:
J'aimerais vraiment voir le film de Jane Campion, Un ange à ma table...réalisé à partir des autobiographies de Janet FRame.

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Si tu ne l'as pas encore vu - oui, faut le faire.. c'est un des films qui restent en mémoire.. pendant longtemps.. et qui est pour moi un des films à retenir dans un best of de l'histoire du cinéma

il y en a quelques extraits sur youtube - mais je n'en ai pas trouvé un qui donne vraiment envie de voir le film en entier.. si tu as la chance de le voir ailleurs.. faut en profiter Very Happy

Le film est très beau et montre justement la manière dont Janet perçoit le monde de manière très décalée, insolite et inquiétante parfois. Elle montre aussi l'engrenage qui l'amène à l'hôpital psychiatrique, les électrochocs qu'on pratiquait sans anesthésie à l'époque... Puis sa soif d'écriture et sa sortie de l'hôpital grâce à la reconnaissance de son talent. Mais on ne nous dit pas ce qu'elle est devenue après. Ceci dit certains schizophrènes se stabilisent bien après un certain âge même spontanément. Un personnage terriblement attachant.
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MessageSujet: Re: Janet Frame [Nouvelle-Zélande]   Janet Frame [Nouvelle-Zélande] - Page 2 EmptyDim 14 Déc 2008 - 12:47

Marko a écrit:
Mais beaucoup de schizophrènes ont parfaitement conscience de ce qui leur arrive et en parlent très bien. Il ne faut pas avoir l'image du fou complètement détaché de la réalité. C'est loin d'être le cas même si certains délirent complètement. Beaucoup de schizophrènes ne délirent pas d'ailleurs et on peut délirer en étant "normal" (c'est sûr Very Happy ) au cours d'une dépression ou d'un choc émotionnel...

Je n'ai pas l'impression qu'elle ait noirci le tableau. Son écriture parait tout à fait réaliste, ne serait-ce que par son attachement aux petits détails dans ses descriptions. Il faut de la mémoire, de l'observation, une vivacité d'esprit. Si être schyzo c'est posséder toutes ces facultés, c'est quoi être normal ? laugh
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