Akira Kurosawa

Un enfant pour un autre



Dans ce beau coffret DVD Kurosawa Films noirs après Chien enragé de 49 voici Entre le ciel et l'enfer de 63.C'est une histoire de rapt d'enfant avec rançon.Vaguement inspiré d'Ed McBain (87th precinct) Kurosawa découpe son film,long de 140 minutes en deux parties bien tranchées.La première,très précise et presque huis clos montre les tractations de Gondo,riche industriel rude en affaires,avec ses collaborateurs et son féroce appétit de puissance.Cela nous vaut des affrontements verbaux très efficaces que la caméra épouse au plus près.Une sorte de conseil d'administration comme si on était là,derrière un rideau,à observer la dureté des échanges d'un Japon éconmiquement en plein boum et moralement toujours convalescent.Puis le téléphone...et l'enlèvement du fils de Gondo.Tout bascule,et le film aussi qui va dorénavant laisser libre l'enquête policière et les réactions de l'industriel qui va apprendre que ce n'est "que" le fils de son chauffeur qui a disparu.Cela nous vaut une très belle scène intimiste entre Gondo et sa femme..



Plein d'idées Entre le ciel et l'enfer va nous entraîner dans la tourmentée recherche du ravisseur qui a la particularité géographique de voir la maison de Gondo.Cet extraordinaire artifice de contre-plongée imprime au film un va et vient des plus oppressants.D'autant plus que la vitesse sera un élément majeur de l'évolution de l'histoire.Il fait très chaud dans les bas-fonds de Yokohama que surplombe la splendide villa de Gondo.Parmi les morceaux d'anthologie qu'il ne faut pas trop dévoiler,les scènes dans le train à grande vitesse ont plu à Scorsese et De Palma,à l'évidence.Mais je vous laisse dans cette fournaise urbaine et nippone,dans ces rues encrassées et ces boîtes douteuses.Vous n'oublierez pas ce magistral coup de poing que le maître,décidément à l'aise dans tous les cinémas,nous assène avec génie dans ce noir et blanc éloquent,sans détective héros,sans femme fatale,mais pas sans l'émotion conjuguée du film d'action qui n'oublie pas d'être intelligent.Prochainement le troisième bijou Les salauds dorment en paix.

Ah oui, Entre le ciel et l'enfer... la partie en huis clos est vraiment très longue d'un point de vue chronométrage, mais vraiment très prenante... Je ne l'ai pas vu au cinéma, j'imagine que l'effet claustrophobique en est accentué.

Il me semble qu'il a souvent été critiqué, ce film... un peu mal aimé, je ne sais pas pourquoi...

Magistral, mais je crois que je préfère encore Les salauds dorment en paix.

Rashomon de Kurosawa pour faire pendant à la lecture d'Akutagawa. Les histoires ont été bien triturées, en même temps la fidélité à l'oeuvre littéraire n'est pas un critère de réussite. Certaines images sont impressionnantes, celles du chamane en particulier.

Le plus beau (Ichiban utsukushiku, 1944)
Le deuxième long-métrage de Kurosawa est une oeuvre de propagande pure, époque oblige. Où l'on suit le travail d'ouvrières d'une usine d'armement qui se sont engagées à accroître leur productivité de 50%. A coups de slogans patriotiques et de chants qui ne le sont pas moins, ces jeunes femmes oublient leur fatigue et leurs problèmes personnels pour contribuer à l'effort de guerre. Les éléments de fiction sont pauvres et hautement symboliques de leur dévouement à la cause. On n'en voudra pas à Kurosawa d'avoir réalisé ce film de commande édifiant, qui a au moins le mérite de ne pas être trop mal réalisé, il a heureusement prouvé par la suite quel était son véritable talent.

traversay a écrit:

On n'en voudra pas à Kurosawa d'avoir réalisé ce film de commande édifiant, qui a au moins le mérite de ne pas être trop mal réalisé, il a heureusement prouvé par la suite quel était son véritable talent.

Ah, je me disais tiens, un Kurosawa inconnu... Mais il y a des raisons, donc.

En ce qui me concerne, je considère Entre le ciel et l'enfer comme l'un des plus grand film de Kurosawa, c'est un authentique, tant par sa réalisation brillantissime (qui passe d'un huis clos psychologique a une séquence "d'action" et de suspense hallucinante, puis a une enquête policière filmé avec une rigueur documentaire) et par les thématique social et moral aborder, qui livre un portrait vraiment sévère sur le Japon des années 60, (de toutes façon la plupart de ses films se déroulant a l'époque "contemporaine" sont des critiques féroces de la société japonaise d'après guerre)

Les sept samouraïs (1954)

Au XVième siècle avant que le Japon ne soit pacifié, les habitants désespérés d'un petit village se décident à recruter trois ou quatre samouraïs affamés et si possible pas trop véreux pour les défendre contre un nouveau pillage par une bande de bandits (anciens samouraïs notamment) prévue pour après la prochaine moisson.

Ils seront finalement sept, plus ou moins samouraïs pour certains, et unis autour de Kanbei qui sera le plus vieux et expérimenté du groupe.

Plusieurs épisodes dans ce grand film de 3h30 : avec le recrutement des sept samouraïs, la préparation de la défense du village, la défense du village et quelques trames intermédiaires pas si secondaires qui développent les relations entre les personnages et donc une bonne partie de ce que nous raconte le film.

Comme avec un bon western le regard social est loin d'être absent (on peut trouver plusieurs personnages à mi chemin pour faire vivre des différences et des tiraillements), de même que le regard humain avec une poignée de rôles modèles plus ou moins sombres (car guerriers aguerris ou ayant déjà été victimes de la violence).

Tout ça ne devant pas faire oublier l'humour très présent à travers plusieurs caractères, un peu d'innocence, des paysans pleutres et grimaçants (mais sérieux aussi) ou les pitreries fantastiques de Toshiro Mifune (Kikuchiyo) qui ne manquent d'ailleurs pas de séduire les gamins du village.

Ce film de classes et au discours plutôt non violent en fin de compte (comme avec un bon western) dégage en outre une vitalité et un souffle puissant et soutenu très bien arrangé autour de sa charpente narrative qui surenchérit juste assez pour conserver le fantastique du conte et faire cohabiter la bonhommie et la gravité.

La fin est évidemment très impressionnante et très sombre.

Expérience scotchante sur grand écran qui fait relativiser des grandeurs cinématographiques et rappelle qu'il faudrait bien se replonger dans cette filmographie... 

(et ce n'est pas très long 3h30 quand c'est comme ça).

Ran

A l'occasion d'une partie de chasse, un seigneur (au passé glorieux et sanglant) annonce devant deux anciens rivaux qu'il passe la main à son fils ainé. Le second semble prendre assez bien la chose, le troisième se moque (de dépit ?).

Mais quels sont les attributs et la rançon du pouvoir ?

Plus le film avance et plus le maquillage de ce visage de vieux est tragique. Accompagné de son toujours fidèle valet/bouffon qui désespéré ne cesse de commenter les événements on le retrouve errant, impuissant alors que les frères s'entretuent.

Une inspiration Shakespearienne (je n'ai pas vu/lu le Roi Lear) pour un film terriblement impressionnant, des évidences millimétrés dans de très réels décors qui semblent plus grand que nature qu'il s'agisse de vertes collines ou de châteaux.

Les scènes de guerres sont terribles, les scènes de conciliabules sont piquantes et tendues d'un trouble morale, les scènes de folie sont ... à part. D'une beauté sidérante. C'est au moins la troisième fois que je vois le film et c'est toujours le même choc, le même magnétisme.

Et bien sûr il y a ces costumes. Chaque frère à sa couleur et les affrontements deviennent de grands mouvements. Dans la couleur et la théâtralité il y a un courant esthétique qui devient peut-être trop dans Dreams et qui semble nourrit dans des grands mouvements façon 60's, et quand on voit un film pareil (et sur grand écran !) on voit ce cinéma en grand : une réalité peinte, racontée, par l'image (la musique aussi) et par l'histoire. Naturel autrement. Sublime.

Et des films pareils, quand c'est le film, il n'y a rien d'autre.

Kurozawa, c' est un peu le Shakespeare et le Dostoievski de l' écran ! D' ailleurs, il s' inspirait d' eux, ce qui lui fut reproché par des japonais japonisants, qui lui préféraient Ozu ou Mizogushi ...

Ran est un chef d'oeuvre et la musique de Toru Takemitsu a rarement été aussi inspirée (dans le domaine de la musique de film en tout cas). Le choc de 2 grands artistes du XXe siècle. Depuis le temps que je veux le revoir... Voilà qui m'en donne l'envie.

Marko a écrit:

Ran est un chef d'oeuvre et la musique de Toru Takemitsu a rarement été aussi inspirée (dans le domaine de la musique de film en tout cas).

Et notamment dans cette lente séquence de bataille et de massacre où seule la musique vit alors que la détresse des hommes est muette. Ran est pour Kurosawa un chant du cygne et certainement un de ses plus beaux films (avec sa tonalité d'une immense tristesse).

Outre les influences citées par bix, il ne faut pas oublier que Kurosawa était aussi un admirateur d'un certain cinéma américain, celui de John Ford, en particulier.

Revu Ran!
Rien à rajouter à ce que vous dites, c'est un film magnifique.
Juste une chose, je l'avais déjà vu il y a longtemps en salle , et si j'avais admiré la beauté des images, l'histoire elle-même du père et des frères , tous les dialogues, je les avais trouvés très longs. Bien sûr. En fait, je l'avais vu en VF, et ça tue tout dès le début, comment rentrer dans cet univers en les voyant parler français? Ce sont des films à voir, impérativement à mon avis , en VO . Sous-titrée bien sûr, sinon arrive très vite un autre problème!

Le garde du corps / Yojimbo (1961)

Une fois passée l'histoire du type fortiche (un ronin) sans le sous qui débarque dans un village au point mort, rongé par la rivalité entre deux gangs (l'un soutenu par un brasseur, l'autre par et un marchand de soie), avec au milieu un fabricants de cercueil, un bistrotier et un inexistant policier... et une poignée de pauvres gens quand même. Et les innombrables remakes ou films inspirés, le plus connu étant signé Sergio Leone, que reste-t-il ?

Un western en huis-clos à l'échelle d'un village ? Une drôle d'histoire ironique et cruelle dans un espace de fiction soigneusement délimité et coupé du monde juste ce qu'il faut ? Une démonstration de suspens avec cet expert qui ne se bat que très peu et préfère attisé le feu qui couve ?

Il y a de tout ça, arrosé d'un humour noir fait de contrastes et d'une belle galerie de types aux mines patibulaires et pelées, une main d'oeuvre à faire peur à un film de zombies ! Il y a aussi le cool assuré de Toshiro Mifune (qui a toujours le chic pour gratter ses puces) et la bande son très d'époque mais diablement efficace.

Surtout il y a le fait que le film s'impose avec une étonnante et rustique simplicité et une aisance qui fait presque oublier sa monstrueuse précision formelle. Sorte de western pop noir qui use et abuse de ressorts populaires (au bon sens du terme) avec ce qu'il faut de grandeur et d'humilité, de coups bas et de justice et un beau sens du romanesque qui fait passer le noir de la pilule.

Coup de chapeau aussi aux contrepoids de l'expérience, notamment le vieux qui tient sa gargote.

Le genre de film qui a du mal à vieillir !