César doit mourir
Une nouvelle preuve (s'il en fallait encore), de l'universalité et de la validité éternelle des oeuvres de Shakespeare. Ces détenus-acteurs franchement doués donnent chair, humanité, intensité, vérité à une pièce politique très rhétorique et assez abstraite à la seule lecture. Les thèmes centraux de liberté et d'honneur (et des entorses faites à ce dernier) revêtent bien sûr une dimension particulière, à la fois poignante et trouble, au regard de la situation de ces hommes, en bonne partie incarcérés pour association mafieuse et purgeant de longues peines.
S'ils nourrissent la pièce de leur histoire personnelle, celle-ci prend en retour possession de leur vie, de leur routine carcérale, à mesure qu'ils s'imprègnent du texte et de leurs personnages. Leurs échanges, leurs disputes prennent une étonnante tonalité théâtrale. L'illusion dramatique s'étend aux lieux-mêmes: les couloirs grillagés de la prison deviennent les dédales des rues populaires de la Rome antique; une cour de promenade dépouillée se transforme en forum inondé de lumière; accrochée aux barreaux des fenêtres ce n'est plus la foule des détenus qui hurle, mais celle des Romains, prompte à acclamer comme à conspuer, si facilement retournée par un orateur habile...
La conclusion de cette aventure exaltante est cependant glaçante: une fois les lumières de la scène éteintes, les lourdes portes des cellules se referment sur chaque acteur comme sur autant d'animaux dangereux en cage et un détenu constate, amer mais résigné, que depuis qu'il a découvert l'art, sa cellule est devenue une prison...