Un bon début, ça aide...

La jolie redingote à la hongroise que celle d' Ivan Ivanovitch ! Une merveille, bonnes gens ! et quels brandebourgs !
Je parie tout ce qu' on voudra que vous ne trouverez pas leurs pareils.
Regardez-les un peu, surtout quand il engage la conversation avec quelqu' un
regardez-les moi de biais, vous vous en lécherez les doigts.
Je renonce à les décrire : c' est du velours, de l' argent, du feu !
Seigneur mon Dieu, et vous saint Nicolas des Miracles, pourquoi n' ai-je point pareille redingote !
Il se l' est commandée bien avant le voyage à Kiev d' Agathe Fedosseievna, vous savez, Agathe Fedosseivna qui a emprté d' un coup de dents un morceau de l' oreille de notre assesseur ?

Nicolas GOGOL - La Brouille des deux Ivan. Dans le recueil Mirgorod.

Si vous voulez connaitre le Gogol malicieux observateur des paysans et hobereaux de l'Ukraine au début du 19e siècle, lisez Mirgorod, ou plutot
La querelle des deux Ivan.
C'est la veine réaliste, lumineuse de Gogol, merveilleux conteur.
Ensuite ça se gatera... Gogol va devenir mélancolique et sa verve va se teinter de de mysticisme et de férocité.

CHAPITRE PREMIER

Tu lis le journal.
J’aime bien te contempler pendant que tu lis le journal, M’man. Je vois les nouvelles passer sur ton visage, légères, comme elles passent sur l’écran d’un téléviseur exposé à une forte lumière et dont on a coupé le son.
Dans un même journal, « tes » nouvelles ne sont pas les miennes. Parce que tu les accueilles autrement que je ne le fais. Avec indulgence et compassion. Toi, tu n’en veux pas à l’Univers, M’man. Tu pardonnes tout au monde, y compris sa sottise. La misère t’atteint sans éveiller de colère en toi. Car tu es vraiment bonne, tandis que moi, à mes meilleurs moments, j’essaie seulement de l’être.
Dehors, le vent souffle et notre tonnelle ferraille. Parfois, au plus fort d’une bourrasque, tu as un léger sourcillement inquiet, à cause du petit Antoine qui dort, dans ta chambre, sous la grande photo de mon père, et dont tu crains qu’il ne se réveille.
Mais son sommeil tient bon. De même que tes nouvelles ne sont pas mes nouvelles, nos bruits ne sont pas les siens, et la colère des vents ne l’affecte pas.
Tu lis.
Souvent, quand ma vie de flic m’entraîne à dache ou plus loin, j’évoque ton visage de maintenant. Penché, attentif, butineur. Je sais l’éclat de tes lunettes, la branche gauche rafistolée, la pâleur de tes oreilles, ces rides en vol de mouettes à ton front, et tes cheveux si fins qui sentent encore mon enfance.
Parfois, le bruissement léger de ton journal met une touche de réalité dans l’irréalité de l’instant. Le rend présent. Dans le fond, le présent, c’est ce qui reste quand on a mis en réserve le futur.
Car l’homme ne se sépare jamais de son futur.
Sauf pour mourir.
Et alors, il meurt…
Tu lis. Je pense. Dehors il fait grand vent et je suis bien, M’man. Si bien…

Les Con, San-Antonio 1973
Joli moment de la vie...

Cette chronique ne traitant que des plus vastes sujets, je chanterai
aujourd' hui le kangourou.
Le kangourou date de la plus haute Antiquité. Scientifiquement, il se compose, comme l' Auvergnat, de la tete, du tronc et des membres.
Quand Dieu le créa, pour la beauté de la chose, il y prit un plaisir extreme.
Il le regarda d'un air étonné et ravi. Se caressa la barbe avec perplexité.
Puis le prenant entre le pouce et l' index, le laissa tomber sur l' Australie,
patrie des animaux étranges.
Le kangourou rebondit comme une balle de ping pong, ricocha, puis se
fixa dans le sable du désert.
Il y crut et se multiplia. Il fraternisait avec l' ornithorynque, ce canard en forme de rat, paisible habitant des eaux calmes, qui a le caractère fondamentalement doux, une queue de lapin, l' esprit reveur...
Les Anglais mis en sa présence, refusèrent le droit d' exister à ce mulot qui pond des oeufs de poule...
Ils affirmèrent qu' il n' était pas possible et qu' il n' était pas.

Alexandre VIALATTE - Les Kangourous sont arrivés. Dans Eloge du homard et autres insectes utiles.

J' aime beaucoup Vialatte, que j' ai découvert comme tout le monde, après sa mort, quand on entreprit de publier en volume les chroniques qu' il
écrivait pour La Montagne, un journal auvergnat.
On y découvre un humour vraiment unique et aussi une sensibilité qui
doit beaucoup à la nostalgie de l'enfance.
Une mélancolie inguérissable qu'il semblait trainer depuis la naissance,
mais qui s'aggrava beaucoup après la Deuxième guerre mondiale, au
cours de laquelle il fut grièvement bléssé.
Sa culture était grande mais il savait toujours la cacher derrière des
affirmations extravagantes.
Et bref, si vous voulez survivre à cette période chienne, lisez donc ses
chroniques.

Je m' appelle Ruth. J' ai été élevée avec ma soeur cadette, Lucille, par
ma grand-mère, Mme Sylvia Foster, et à la mort de celle-ci, par ses belles
soeurs, Mlles Lily et Nona Foster, puis, une fois ces dernières parties, par
sa fille, Mme Fisher.

Tant que se succèderent toutes ces générations d' ainées, nous vécumes dans une seule maison, la maison de ma grand-mère, construite pour elle par son mari, Edmond Foster, un employé des chemins de fer, qui s' évada de ce monde bien des années avant que j' y fisse mon entrée.
Ce fut lui qui nous fit prendre racine dans ce trou invraisemblable.

Marilynne ROBINSON - La Maison de Noé.

Ce début-là n' a rien d' époustouflant, et pourtant c'est le début d' un livre qui a marqué la rencontre heureuse d' un livre et d'un lecteur.
Et je sais que je n'ai pas été le seul.
Je crois me souvenir que la magie de ce livre tenait au fait qu' il réussissait
à traduire ce qu'il y a de meilleur dans les souvenirs d' enfance, à donner
à une histoire, somme toute banale, un parfum de légende.
A changer l' excentricité en poésie.
Et c'était un premier livre, écrit par une américaine.
20 ans plus tard, elle a écrit un second roman qui vient de paraitre, sous le titre de Gilead. Et je me demande bien
pourquoi elle a attendu si longtemps.

Ma soeur Édith... nous partagions le même père: Louis Gassion. Ce n'était pas un mauvais bougre. Un chaud lapin qui tapait bien de la patte et souvent. Il n'a jamais pu reconnaître tous ses mômes. Il est vrai que ses poulinières n'étaient pas toujours très fixées sur l'identité du père. Il y en avait à lui qui n'étaient pas de lui et d'autres qu'il ignorait. De connus, il en avait compté plus de dix-neuf, mais allez voir pour vous y retrouver! Ça se passait dans un milieu où avant de faire un enfant et après on n'alerte pas les fonctionnaires de la mairie. J'en avais un autre de père, celui de l'état civil, celui qui m'a donné son nom s'il ne m'a pas donné le jour: Jean-Baptiste Berteaut.

Ma mère, marié à quinze ans, divorcée à seize, avait déjà trois filles d'origines indéterminées . A cette époque elle vivait seule dans le même hôtel que le père Gassion, cité Falguière. Il étai mobilisé. J'ai donc été conçue pendant une heureuse permission de détente en 1917.

Du Trottoir de Belleville à la maison de Bernay
Piaf - récit Simone Berteaut

Mon père et ma mère s' étaient rencontrés pour la première fois un peu après 1890, sur un fond mobile et varié de petites ombrelles, de gibus, de cols hauts, d'arbres, les arbres des Cascine, et c' était un dimanche de
juin, vers le coucher du soleil.
La musique municipale, aux casquettes ornées de rubans flottants, placée sur les marches d' un amphithéatre en bois, jouait de lentes valses viennoises, et parmi les guéridons et les chaises en fer, parmi les arbres des allées, cachées jusqu' à la ceinture par les haie de myrtes, marchaient
les belles Florentines, aux bras gantés de noir jusqu'au coude, la gorge
serrée dans une haute collerette de dentelle.

Curzio MALAPARTE - Une femme comme moi.

Malaparte est un auteur italien oublié actuellement, meme s' il reste connu pour
un roman de guerre autobiographique cru, sombre : Kaputt.
Moi, j' ai gardé un bon souvenir des récits de ce recuil : Une femme comme moi, dont le début est une madeleine...
Et pour les autres une invite.

Il y a des choses que je ne m' explique pas dans la vie.
Tout ce qui dépend plus ou moins de la nature est pour moi très compliqué, et les dieux encore plus. C' est eux qui manigancent tous ces phénomènes que nous voyons, que j' ai vus, moi, et qui ont existé pour de bon.

Les dieux sont lunatiques et insatisfaits. Voilà pourquoi il s' est passé ici tant de choses bizarres.
Je me souviens qu' autrefois, à l' époque de l' esclavage, je passais mon temps à regarder en l'air parce que le ciel m'a toujours beaucoup plu, à cause de sa belle couleur. Une fois, il est devenu rouge comme un brasier,
et il y avait une sécheresse terrible.

Un autre jour, une éclipse l'a transformé complètement. Elle a commencé
à 4 heures de l' après midi et a envahi toute l'ile.
On aurait dit que la lune était en train de se bagarrer avec le soleil.
Je me suis rendu compte que le monde tournait à l'envers.
Tout est devenu de plus en plus sombre et puis de plus en plus clair.
Les poules grimpèrent sur leurs perchoirs. Les gens avaient la frousse
et ne désseraient pas les dents. Certains sentirent leur coeur flancher
et d'autres, après cela, ne retouvèrent plus leur langue.

Miguel BARNET - Esclave à Cuba.

Barnet n'est pas l'auteur de ce texte mais c'est lui qui l'a enregistré et
l'a transcrit. Le véritable auteur est Esteban, un cimarron, c'est à dire
un esclave noir fugitif, dans la Cuba coloniale.
Il nous parle des travaux et des jours, de la sorcellerie, des chatiments, des gens qu'il cottoie.
Et grace à lui, on remonte loin dans le temps. Esteban a 104 ans
quand on l'enrgiste en 1963.
Et sans lui, tout un pan de l'histoire vivante serait ignoré.

Jamais je n'ai su comment combler tout ce silence. Dans les mois qui suivirent la grande tragédie de ma vie, tous les matins, je me levais d'un bond pour chausser mes godasses à semelles de liège et naviguer de pièce en pièce en me cognant à tout ce que je pouvais. Le silence évoquait l'absence et l'absence signifiait se souvenir, d'où ce raffut. Les grincements du plancher vermoulu, le bruit mat des fauteuils renversés, les cloisons craquant sous mes coups de poing: autant de petits réconforts quand partout, toujours, le silence me guettait. Avec le temps, j'appris à le morceler.

Histoire de l'oubli - Stefan Merrill Block -
Un bon début pour mon début de lecture.

Pour monter l'escalier, les deux hommes qui portaient la civière ralentirent le pas. Ils étaient furieux, voilà une heure qu'ils étaient de service et ils n'avaient pas même eu droit à une cigarette. D'ailleurs, l'un des deux était chauffeur et n'aurait pas dû servir de porteur. Mais à l'hôpital il n'y avait plus assez de personnel et ils ne pouvaient tout de même pas laisser ce gosse dans l'ambulance ! Il fallait encore transporter un cas urgent d congestion pulmonaire et un amputé qui venait de se suicider. Furieux, les porteurs reprirent soudain leur allure primitive. L'entrée n'était que faiblement éclairée, et bien entendu, cela sentait l'hôpital.
- Après tout, pourquoi l'a-t-on amputé ? bougonna l'un des deux en parlant du suicidé, et l'autre, celui de devant approuva :
- Tu as raison, pourquoi après tout ?
En se retournant, il heurta la porte. Le blessé se réveilla et poussa des cris stridents, des cris épouvantables, des cris d'enfant.

Gloups.

La mort de Lohengrin. Heinrich Böll.

Il va falloir quand même que je prenne le temps un de ces jours de les lire ces premières phrases... Elles commencent à s'accumuler sans pouvoir suivre le rythme! Mais que de tentations en perspective...

Zen Littéraire Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007

Marko a écrit:: Il va falloir quand même que je prenne le temps un de ces jours de les lire ces premières phrases... Elles commencent à s'accumuler sans pouvoir suivre le rythme! Mais que de tentations en perspective...

de même pour moi.. on a envie de découvrir plus... mais 'plus de livres que de vie' comme le dit mon auteur que je suis en train de lire Wink

Je me suis rendu compte qu'il y a plusieurs façons d'attirer l' attention
sur un auteur ou un livre qu'on a lu et qu'on a apprécié.

Le premier, c'est évidemment d'ouvrir un fil au nom de l'auteur, mais
s'il s'agit d'un auteur peu connu ou non réédité, il court le risque de
disparaitre à jamais dans les profondeurs du forum.
Mettre un début prometteur peut etre une incitation pour faire lire un
auteur.
L'idée d' ajouter un petit commentaire m'est venue spontanément, mais
j'ai pensé que ça servirait un livre au long cours et dont le début ne serait pas forcément significatif.
Et encore plus, pour des ouvrages qu'on a peu de chances de trouver
dans toutes les bibliothèques. Tel livre sur l'eslavage, ou sur la paysannerie
en France au 18e siècle que je suis content de trouver ou de retrouver.
L'idée de recopier des passages de livres "au fil de nos lectures" est interessante aussi.
Depuis que je le fais, ma lecture est plus lente mais plus attentive. lire

Zen Littéraire Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007

bix229 a écrit:: il court le risque de
disparaitre à jamais dans les profondeurs du forum.

tiens.. et les nominations/votes qu'on va essayer de faire ce mois essaient de faire remonter quelques uns de ces fils Very Happy

Kenavo

!

Zen Littéraire Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007

Bix

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