Un bon début, ça aide...

Ajouté à ma LAL Bix

Constance a écrit:

Citation :

Je mesure un mètre soixante-neuf, je suis bourrée d’alexandrins et de séries noires, je suis une femelle francophone de race blanche.

Je ne veux pas être finie sans avoir commencé, je ne meurs pas en Palestine, j’ai encore en moi toutes mes douves et tous mes pont-levis. Je suis déjà vaccinée et encore majeure. Je n'ai toujours pas de mails; je hais les machines d'une haine primitive, féroce. Je suis une femelle préhistorique, toujours. Je suis pourtant civilisée à en mourir et je porte un déshabillé de soie assez chaste, bien que suggestif.

Portrait de l'artiste en déshabillé de soie de Brigitte Fontaine (Le souffle de l'esprit/Acte sud)


La lecture de l'incipit pourrait laisser à penser que Brigitte Fontaine s'est fourvoyée dans le mainstream nombriliste de l'autobiographie, mais il n'en est rien. Ici, pas de construction narrative, mais un voyage intérieur naviguant entre l'onirisme, la réalité factuelle et les bouffées de souvenirs. Fontaine nous délivre le message de la "druidesse ivre" : un cri d'amour à la vie, alors que la tristesse coule dans ses veines la nostalgie des instants perdus.

Citation :

Rien ne luisait que des larmes dans la pénombre du coeur. (p.32)

Spoiler:

tout cela m'intrigue.. je note!

bix229 a écrit:

TROIS LUMIERES

Ecoutez, le soleil se couche sur le col de l' Assekrem. Jaune, ocre, bleu ciel, bleu outremer, carmin. Ciel, terre, montagnes et vallées.
Tout.
Mais dans le fond des gorges règnent déjà le crépuscule et la nuit. Rose, terre brulée, violet, noir. Le néant, tout en bas.
L' air est si limpide que le froncis du dernier horizon pourrait se trouver à l' autre bout du monde. Si la terre était plate. Et si le fond de la vallée sur lequel repose le rocher de l' Assekrem était le centre de la Terre. Si le coeur de la Terre était froid comme le fond des crevasses, à cette heure du crépuscule.

Maurizio Maggiani : Le voyageur nocturne. - Actes Sud

Après avoir lu ce début, j' ai tout de suite su que je ferai un bout de voyage avec ce voyageur. Et meme bien davantage. Et encore après, le livre terminé...

bonne idée de reparler de cet auteur.. ce livre était un grand coup de coeur pour moi..

PREMIER REVE DE CALVINO

Du haut de plus de trente étages, quelqu' un lance par la fenetre les chaussures de Calvino et sa cravate. Calvino n' a pas le temps de tergiverser; il est en retard : il se jette par la fenetre, comme à leur poursuite. En l' air, il rattrape ses chaussures. D' abord la doite : il l' enfile ; ensuite, la gauche. Tandis qu' il continue sa chute, il tache de trouver la meilleure position pour ses lacets. Avec la chaussure gauche, il échoue une première fois, mais essaie à nouveau et réussit.

Il regarde vers le bas, aperçoit le sol. Avant, pourtant, la cravate. Calvino a la tete à l' envers, mais au prix d' un violent effort, sa main droite parvient à la saisir dans les airs. Ensuite, de ses doigts empressés mais précis, il accomplit les geste nécessaires pour faire le noeud : la cravate est mise.


Nouveau coup d' oeil à ses chaussures : les lacets sont bien attachés. Il rajste une dernière fois sa cravate, juste à temps, c' est le moment : il arrive au sol, impeccable.

Gonçalo M. Tavares : Monsieur Calvino et la promenade. - Viviane Hamy


Irrésistible, non ?

Oh oui alors !!

bix229 a écrit:

Je serai quand meme bientot tout à fait mort enfin. Peut-etre le mois prochain. Ce serait alors le mois d' avril ou mai. Car l' année est peu avancée, mille petits indices me le disent. Il se peut que je me trompe et que je dépasse la Saint Jean et meme le Quatorze Juillet, fete de la liberté.
Que dis-je, je suis capable d' aller jusqu' à la Transfiguration, tel que je me connais, ou l' Assomption. Mais je ne crois pas me tromper en me disant que ces réjouissances auront lieu sans moi cette année. J' ai ce sentiment, je l' ai depuis quelques jours et je lui fais confiance...

Samuel Beckett : Malone meurt. - Minuit

Je comptais lire Watt, mais ce début est irrésistible et je lirai Malone meurt. On se rend compte aussi à quel point nombre d' écrivains des éditions de Minuit, comme Toussaint ou Oster lui doivent...

Je te comprends ... C'est l'effet chouquette, une fois que tu commences, impossible de s'arrêter avant la fin

Un bon début n' est pas forcément déterminant. Mais quand meme, on perçoit assez souvent la marque d' un grand écrivain...Son style, sa façon de raconter et qui laissent présager ce qui suivra....

bix229 a écrit:

Un bon début n' est pas forcément déterminant. Mais quand meme, on perçoit assez souvent la marque d' un grand écrivain...Son style, sa façon de raconter et qui laissent présager ce qui suivra....

Toujours l'effet chouquette ... Au bout d'un certain temps cela peut devenir roboratif

BILL



J' ai toujours aimé les Noirs.

Le noir, couleur de mystère, s' inscrit dans l' ombre de toutes choses et les pénètre comme un philtre, les ramenant à la grande nuit des origines. La race noire est bénie, elle exalte sur le poli des corps de basalte le renoncement à la lumière et la chaleur nocturne où toutes les souffrrances viennent s' anéantir.
La couleur noire n' existe pas.

La puissance de sa négation confond toutes les existences et les absorbe en elle plus surement que le jour.

Grisélidis Réal : Le noir est une couleur. - Folio

Je crois que Grisélidis plaira à quelques uns. Je lis avec beaucoup d' interet ses souvenirs de prison.

Le dernier jour fut gris et rose, d' un gris d' ombre plate, d' un rose chancreux. L' année, minime fragment temporel, est maintenant éparpillée en un mouvement centrifuge d' étoille , en un motif qui ne peut etre saisi que par la force de sa propre dispersion. C' est en brèves touches enlevées sur leur lancée, projetées en un éclatment dynamique infini, qu' il faudrait peindre. Le tableau correspondra bien moins à une symphonie qu' à une suite -suite anecdotique sinon meme accidentelle - dont les éléments mélodiques seraient eux-memes soumis à des variations.

Chaque jour est un arbre qui tombe : Gabrielle Wittkop. - Folio

Voilà un début harmonieux et tranquille... Mais ne vous y fiez pas ! Ceux qui connaissent Gabrielle Wittkop savent déjà comment cette femme peut etre terrible. Plus qu' aucun autre à ma connaissance... ?

En souvenir de Caroline Oates (1916-2003)

la derniere fois

La dernière fois que vous voyez quelqu' un sans savoir que ce sera la dernière fois. Et tout ce que vous savez maintenant, si seulement vous l' aviez su alors. Mais vous ne saviez pas, et maintenant il est trop tard. Et vous vous dites Comment aurais-je pu savoir, je ne pouvais pas savoir.

Vous vous dites.

Je raconte ici comment ma mère me manque. Un jour d' une façon qui ne sera qu' à vous, ce sera aussi votre histoire.

Joyce Carol Oates : Mère disparue. - Stock/La Cosmopolite

Un bon début, je trouve. Et qui me fera lire probablement Mère disparue plutot que Bellefleur. Et aussi, seulement 490 pages contre 783 pour Belle fleur, saga familiale avec 2 pages sur l' arbre généalogique de la famille Bellefleur !

Paris, décembre 1914

Elle voulait savoir, elle voulait comprendre.
Je découvrais une femme exaspérée dont la colère seule semblait pouvoir détourner et raisonner la douleur.

 Elle attendait de moi que je l'encourage à porter plainte non contre l'armée, mais contre le destin.La tâche était trop lourde, et j'étais si las. Je me contentai, ce jour-là, de compatir avec elle et d'approuver , en hochant la tête, une démarche procédurière dont, naturellement rétif à toute idée de Providence, je ne voyais guère l'issue. Car je venais de perdre sous les orages d'acier mes dernières illusions sur un hypothétique gouvernement céleste. Croyait-elle vraiment pouvoir intimider Dieu et faire condamner, pour la mort de son garçon, le juge suprême?

Bleus Horizons ,Jérôme Garcin