Mathias Enard

Boussole



J'aurais aimé vous dire que j'ai adoré cette errance intérieur de  Franz Ritter,  musicologue autrichien trop sage. Inféodé à sa Maman, il a pourtant parcouru l'Orient, d’Istanbul à Damas ou Téhéran, frayé, dans la réalité et dans les livres, avec les orientalistes les plus illustres, passés ou contemporains, à commencer par l'insaisissable  Sarah dont la fascination hante cette nuit hallucinée. Tout au long de ces dix heures d'insomnie, menacé par une maladie mortelle à laquelle il oppose un fatalisme plein d'humour, il se vautre  dans une jouissance tant érudite que sensuelle de l'érudition et de l'amour, dans un délice noir et torturé qui rappelle celui du fumeur d'opium .

Cette narration débordante, intelligente, obsessionnelle, cache  un homme-enfant qui n'a  su  s'ouvrir à l'amour, et qui voit arriver tout à la fois la fin de sa vie et la fin d'une époque. De Vienne, première porte ouverte sur l'Orient, il assiste, faute de fondations , à l'effondrement d'un rêve : l'Occident fasciné par l'Orient . L'Occident ayant tellement déchu que l'Orient se défend de lui, maintenant, et s'émancipe dans un rejet dont la violence est terrifiante.

Projet séduisant, magnifique, érudit, brillant. Mais c'est trop. Beaucoup trop. Même pour les mélomanes. Même pour les passionnés d'Orient.

Enard s'écoute écrire, écumant, logorrhéique, démesuré. Il se laisser aller au name-dropping ( qui a certes plus de classe avec Liszt et Wagner qu'avec Pujadas et Beigbeder),  s'emporte dans des anecdotes dont l'accumulation sature, multiplie les personnages, les entrées, les péripéties, se perd sur des chemins détournés. Il y a de nombreux moments magiques, des atmosphères torrides ou drôles, des épisodes passionnants, de splendides phrases à rallonge, mais cette accumulation devient fatras orgiaque et  envahissant, on est totalement submergé, l'indigestion arrive peu à peu (très vite à vrai dire) et l’intérêt se perd pour ce qui se voulait un trésor chatoyant et n'est qu'un capharnaüm  irrespirable .

Je regrette , je regrette beaucoup car de nombreux passages m'ont plu voire emportée, que cette nuit d'insomnie comme écrin à ce noir désespoir était une idée assez géniale, mais ces joyaux ont été totalement noyés comme par un tsunami. Je regrette aussi parce que Mathias Enard a écrit avant des romans magnifiques, où il avait su mettre des limites à sa démesure.

topocl a écrit:

Enard s'écoute écrire, écumant, logorrhéique, démesuré. ,  s'emporte dans des anecdotes dont l'accumulation sature, multiplie les personnages, les entrées, les péripéties, se perd sur des chemins détournés. Il y a de nombreux moments magiques, des atmosphères torrides ou drôles, des épisodes passionnants, de splendides phrases à rallonge, mais cette accumulation devient fatras orgiaque et  envahissant, on est totalement submergé, l'indigestion arrive peu à peu (très vite à vrai dire) et l’intérêt se perd pour ce qui se voulait un trésor chatoyant et n'est qu'un capharnaüm  irrespirable . .

Quel dommage! Il avait déja cette facheuse tendance à la démesure dans Zone, où la brillance de son écriture pouvait se perdre dans des digressions pas toujours indispensables et dans lesquelles il pouvait nous perdre. Mais la concision de son second roman et surtout son dernier que j'avais trouvé éblouissant (Rue des voleurs) pouvait présager du meilleur.

Moi qui me faisais une joie de le redécouvrir, je vais passer mon tour, je crois bien...

En effet je ne t'y vois pas du tout.

Ah zut, il me tentait beaucoup, pourtant… Mais je m'étonnais aussi qu'on n'en parle pas plus, avec un si beau sujet…

Et pourtant il a un tel charme quand on l'entend parler...

donc en résumé, vu que j'ai aimé ZONE je lirai "Rue des voleurs" (en médiathèque) mais il y a aussi Boussole

topocl a écrit:

Et pourtant il a un tel charme quand on l'entend parler...

Il en a beaucoup, en IRL aussi. On etait tombé sur lui dans un petit restau à Manosque, aux "Correspondances", pour la sortie de Rue des voleurs (En 2012, je crois?) et je n'avais pas pu m'empêcher de lui dire combien j'avais aimé son livre. Il était à la fois surpris (qu'on le reconnaisse?) et aussi chaleureux, naturel, sans chichis quoi. Un type bien je pense, son écriture parfois trop chargée contraste avec la simplicité du personnage.

Bédoulène a écrit:

donc en résumé, vu que j'ai aimé ZONE je lirai "Rue des voleurs" (en médiathèque) mais il y a aussi Boussole

Bédou, moi aussi j'avais beaucoup aimé Zone, mais il me semble que ce dernier soit encore plus démesuré, du coup j'hésite!

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Aïe, vos commentaires, ce qu'en disent les médias refroidissent ma curiosité, je n'ai rien lu de cet auteur donc je vais relire ce fil et choisir un premier livre de référence quitte à revenir sur son dernier dont le sujet sur l'Orient (d'actualité) m'interessait cependant. Merci

Je te conseille Rue des voleurs, si tu veux quelque chose de plus classique. Ou Zone si tu as le courage de te prendre une grande claque littéraire dans la figure.
Pour revenir sur Boussole, il me semble que je n'ai pu en apprécier les( nombreuses) qualités que parce que ce n'était pas ma première lecture de Enard. Sinon elles auraient été noyées sous le flux (et je n'aurais peut-être as fini le livre).

Je pense que ce sera Zone (pour son côté historique), hop direct LAL, Merci

Hâte de voir ce que tu en dis!

je me suis fait un cadeau de Noel ce matin : Zone de Mathias Enard

très bonne idée !

après les excellents  commentaires d'Aériale, de Bellonzo, de Topocl et d'autres je n'ai qu'un mot à dire sur "Rue des voleurs" magnifique !

Combien il est vrai, proche Lakhdar, combien la situation sociale et économique des pays Arabes et Européens est décrite avec justesse et intelligence.

topocl a écrit:

Je te conseille Rue des voleurs, si tu veux quelque chose de plus classique. Ou Zone si tu as le courage  de te prendre une grande claque littéraire dans la figure.
Pour revenir sur Boussole, il me semble que je n'ai pu en apprécier les( nombreuses) qualités que parce que ce n'était pas ma première  lecture de Enard. Sinon elles auraient été noyées sous le flux (et je n'aurais peut-être as fini le livre).

j'aurai dû t'ecouter