Pierre Drieu La Rochelle

J'ai récupéré Gilles, je compte le lire bientôt (d'ici un mois ou deux).

C'est le premier que j'ai lu de Drieu, en 92 (deux ou trois fois d'affilée ) - pas mon préféré, même si je trouve Gilles Gambier assez touchant; comme souvent chez cet auteur le début est meilleur que la fin... Tu nous diras ce que tu en as pensé ?

En revanche je ne promets pas de le lire deux ou trois fois d'affilée. Il est quand même massif!

C'était une passion de jeunesse, je ne le ferais peut-être plus

Merci pour les extraits Agnès !

ArturoBandini a écrit:

J'ai récupéré Gilles, je compte le lire bientôt (d'ici un mois ou deux).

Curieux de connaître ton avis !

Agnès a écrit:

C'était une passion de jeunesse, je ne le ferais peut-être plus

Pourquoi ? Qu'est ce qui a changé ou mûri ?

GrandGousierGuerin a écrit:

Merci pour les extraits Agnès !  

Je t'en prie Disons que quand j'ai découvert Drieu j'avais vingt ans - j'ai commencé une thèse sur cet auteur, que des contraintes professionnelles et familiales m'ont amenée à interrompre sans l'avoir terminée et je garde un goût assez amer de cet échec. A cet âge j'appréciais sans doute le côté romantique de Drieu, et le fait qu'il ait choisi de mettre fin à ses jours. Le côté très amateur de dames aussi, je trouvais ça plutôt attrayant. Puis j'ai vieilli, je me suis rendu compte qu'en fait il n'aimait pas les femmes, pas la femme, et au bout d'un moment je crois que je me suis lassée de lire certaines choses sous sa plume (du style "Avec quel bon sens je me suis toujours méfié des femmes - bien trop paresseux pour me salir les mains : c'est pourquoi, le bordel.") Je ne parle pas de ses engagements politiques, qui ont été très fluctuants, que je connais mais auxquels je ne me suis pas intéressée de manière universitaire, dirais-je. Bref, c'est un auteur qui me touche encore beaucoup, par bien des côtés, mais dont le point de vue d'homme me met un peu mal à l'aise (dire d'une femme qu'elle a (je cite) "des attaches de bonne jouisseuse", c'est dans le Journal, me semble assez primaire - ceci dit je dois être un peu mijaurée parce que quand j'en parle avec un don juan de mes amis ça ne le choque pas plus que ça ). J'aime toujours le côté un peu bancal de ses fictions, comme s'il n'y croyait pas lui-même, beaucoup se terminent comme le cul d'un canard, ça a son charme... Bref, je m'égare, ça ne ressemble pas à grand-chose ma réponse, mais en fait je n'y avais jamais vraiment réfléchi Merci de m'avoir amenée à le faire

Merci pour ta réponse Agnès ! je n'imaginais pas avoir une réponse si argumentée : tu me gâtes

ma médiathèque ne dispose que de : Le Jeune Européen [Texte imprimé] ; suivi de Genève ou Moscou

et Memoires de dirk raspe (est ce particulier car il est précisé "sur demande" ??

A GrandGousierGuerin : "si argumentée" : ça me paraît exagéré, j'ai plutôt l'impression d'un joyeux désordre Entre temps je me suis souvenue de ce qui m'avait tant parlé chez lui (c'est dans le Journal) :

Citation :

J’ai achevé de me fâcher avec Bernstein. Cela ne s’est point passé dans des conditions très brillantes pour moi. Je manque tout à fait d’esprit de répartie et devant quelqu’un qui m’attaque je reste médusé. Mon égocentrisme, mon introversion, mon dolorisme, ce sont autant de clous qu’un seul coup de marteau enfonce en moi pour me fixer dans la stupéfaction, quand quelqu’un me lance un mot un peu dur. Au lieu de chercher et de trouver promptement une réponse, n’importe laquelle mais bien claironnée, je me sens aussitôt coupable et tombe dans une rêverie verticale sur la vérité possible, probable de ce qui m’est reproché.
J’avais déjà eu une collision avec Bernstein il y a de longues années, dans un dîner chez Jacques Porel. J’avais été en-dessous de tout. Comme J. Porel parlait devant B[ernstein] du livre que je venais de publier avec cette admiration un peu nigaude de l’amateur peu éclairé et qui choque tellement l’homme de lettres à qui elle n’est pas adressée, Bernstein s’écria : « L’Homme couvert de femmes ! Qui a écrit un livre avec un titre aussi grotesque. » Je n’avais pas su réagir et j’avais plongé mon nez dans mon assiette, en rougissant comme un collégien dont la mère vient de découvrir qu’il n’est plus puceau.[/b]

A Bédoulène : les deux premiers sont des essais (pas au sens rigoureux où on l'entend habituellement, il s'y mêle des témoignages personnels), sans doute un peu datés historiquement. Les Mémoires sont un très beau texte, écrit dans les dernières années (Drieu commençait à être au bout du rouleau), il s'agit un peu de ce qui aurait pu être les mémoires fictifs de Van Gogh. Je le trouve très bien écrit :

Citation :

La ville m’envoûtait, je la parcourais en tous sens et son immensité ne parvenait jamais à épuiser ma force de curiosité, d’observation, de jouissance, d’horreur aussi. […] Tout m’était bon, les lignes et les couleurs. Les figures des passants et les figures des maisons recevaient la même lumière, diffuse, humanisée, tout à fait assimilée à l’enfer humain dont elle semblait, dans le plafond bas du ciel, dans le gris opaque, la réverbération exténuée. Dans cet air humide, liquide, les couleurs étaient rares et choyées. […] C’était soudain un mur de briques d’un rose malade mais obstiné qui s’efforçait vers l’orange et dans un secret triomphe parvenait à le suggérer ; ou bien un beige qui cherchait à me rendre la jouissance de ce « tabac d’Espagne » que j’avais savouré déjà à Aterbury. […] Ces beiges qui s’ensoleillaient dans la bruine, ces roses qui rougeoyaient et découvraient parfois dans leur cœur un pistil de carmin, cela était soutenu par la belle robe baie des grands et forts chevaux pattus et par le cuivre de leurs superbes harnais.

Il n'a rien de particulier (rien de scandaleux politiquement en tout cas, ni rien de contestable); sans doute est-il peu emprunté, je ne vois que ça...

Tu nous diras ?

[quote="Agnès"]A GrandGousierGuerin : "si argumentée" : ça me paraît exagéré, j'ai plutôt l'impression d'un joyeux désordre Entre temps je me suis souvenue de ce qui m'avait tant parlé chez lui (c'est dans le Journal) :

Citation :

J’ai achevé de me fâcher avec Bernstein. Cela ne s’est point passé dans des conditions très brillantes pour moi. Je manque tout à fait d’esprit de répartie et devant quelqu’un qui m’attaque je reste médusé. Mon égocentrisme, mon introversion, mon dolorisme, ce sont autant de clous qu’un seul coup de marteau enfonce en moi pour me fixer dans la stupéfaction, quand quelqu’un me lance un mot un peu dur. Au lieu de chercher et de trouver promptement une réponse, n’importe laquelle mais bien claironnée, je me sens aussitôt coupable et tombe dans une rêverie verticale sur la vérité possible, probable de ce qui m’est reproché.
J’avais déjà eu une collision avec Bernstein il y a de longues années, dans un dîner chez Jacques Porel. J’avais été en-dessous de tout. Comme J. Porel parlait devant B[ernstein] du livre que je venais de publier avec cette admiration un peu nigaude de l’amateur peu éclairé et qui choque tellement l’homme de lettres à qui elle n’est pas adressée, Bernstein s’écria : « L’Homme couvert de femmes ! Qui a écrit un livre avec un titre aussi grotesque. » Je n’avais pas su réagir et j’avais plongé mon nez dans mon assiette, en rougissant comme un collégien dont la mère vient de découvrir qu’il n’est plus puceau.[/b]

C'est un beau désordre en tout cas, un peu comme les récits de Drieu La Rochelle (DLR ?)
Je me suis régalé avec ta citation ... Merci !

Merci à toi
Sur ses doutes, encore : https://orbispictura.wordpress.com/2010/10/31/sacrements/

Je n'arrive pas à le trouver antipathique

merci pour ta réponse Agnès je l' emprunterai dans quelque temps !

Je t'en prie

Agnès a écrit:

Merci à toi
Sur ses doutes, encore : https://orbispictura.wordpress.com/2010/10/31/sacrements/

Je n'arrive pas à le trouver antipathique

Tout pareil ... j'aime son côté un peu gauche, peu assuré, tour à tour exalté puis ironique et cynique ...

Comme cela est dit avec justesse Je suis particulièrement sensible à la peinture qu'il fait de son enfance, de ses relations avec sa mère, avec son milieu familial (il dit des choses atroces : "Ma mère n'a pas assez fait pour que je l'aime." ). J'ai toujours été frappée de sa lucidité sur la formation de sa personnalité - on n'a parlé que de la haine de soi à son propos, mais je crois que ça va au-delà, c'est surtout une distance sans complaisance (et au scalpel). Bon, j'en parlerais des heures (je n'en ai pas parlé depuis des années, je te remercie toi et les autres de m'en donner l'occasion).