Bien sûr, il va y avoir un peu d'action, car il y a un pays concurrent en ce qui concerne la grandeur et les ambitions territoriales. Sans compter les dissensions entre Gros-Boutiens et Petits-Boutiens. On ne plaisante pas avec la façon correcte de manger un oeuf à la coque ! Une note explique qu'il s'agit d'une référence aux catholiques et aux protestants. De façon plus générale, des notes permettent au lecteur contemporain de comprendre les nombreuses allusions politiques et religieuses que Swift glisse dans son texte. Elles étaient pour un grand nombre transparentes à l'époque. Mais l'intérêt du texte ne réside pas que sur ces allusions, heureusement.
Si l'on y réfléchit un peu, les rêves de grandeur d'un tout petit peuple peuvent nous faire relativiser nos exploits à nous, ou bien nous prêter à sourire, ce que l'on pourra faire avec condescendance. Dans ce cas, le voyage suivant, qui va voir Gulliver arriver à Brobdingnag, va être plus clair : Gulliver se trouve désormais chez des géants ! Que ce qu'il raconte sur la grandeur de l'Angleterre leur paraît puéril... Ecoutons la réaction de Sa Majesté (le roi de Brobdningnag) :
- Citation :
- "Vous avez nettement prouvé que l'ignorance, l'incapacité et le vice sont les qualités que vous requérez d'un législateur, et que personne n'explique, n'interprète et n'applique les lois, aussi bien que ceux dont l'intérêt et le talent consistent à les dénaturer." (page 178).
Le troisième voyage conduira notre héros à Laputa, la fameuse île volante (qui a influencé Le Château dans le Ciel, de Miyazaki : le nom de l'île figurait d'ailleurs dans le titre d'origine nippon, mais a dû être jugé trop peu connu en France, personne n'aurait compris), mais aussi à Balniarbi, Glubbdubdrib, Luggnagg et même au Japon !
Utagawa Kunioshi (1797-1861), Asahina se divertit sur l'île des nains (vers 1847), gravure sur bois en couleurs photographiée au Petit Palais. Dans le quatrième voyage, un des plus connus (dans le monde anglo-saxon), Gulliver se retrouve chez les Houyhnhnms, un peuple de chevaux. On se croirait parfois dans la Planète des Singes du fait de la présence des Yahoos, des hommes primitifs, sans langage. C'est l'occasion d'un autre type de réflexion, puisque les chevaux sont sidérés de se trouver face à un Gulliver, un Yahoo qui montre de la logique et de la compréhension.
Chaque pays permet ainsi de voir notre société d'un point de vue différent, et ce d'autant plus que Gulliver en vient généralement à adhérer aux valeurs du pays dans lequel il réside.
Dans l'édition Folio, le glossaire des langues gullivériennes permet de comprendre comment Swift a créé tous ces mots étranges (Peplom Selan, Slardral, Ynholmhnmrohlnw...). Une notice explicite les emprunts faits à d'autres oeuvres (Homère, Lucien, Solin, Philostrate, les Mille et Une nuits, Rabelais, Cyrano de Bergerac, Foigny...).
Il ne manque que quelques pages qui auraient montré les influences de Gulliver sur la postérité (mais peut-être cela figure-il dans La Pléiade) : les Gros-Boutiens et les Petits-Boutiens ont influencé les appellations "big-endian et" "little-endian", ce qui ne parlera qu'aux informaticiens (voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Endianness ). Par contre, quasiment tout le monde connaît le site yahoo, mais peu savent que ce nom provient de Gulliver.
Un excellent livre, un classique drôle et profond, plein d'imagination et de mauvais esprit.