- Citation :
- Jeronimo Salmerón Tristante est né à Murcie en 1969. Professeur de biologie et de géologie, il ne voue pas moins un amour sans faille à la littérature. Après avoir écrit deux romans, Cronica de Jufré (2003) et El Rojo en el azul (2005), il se lance dans le polar historique avec Le Mystère de la maison Aranda, premier volet des aventures du détective Victor Ross Le second, Le Mystère de la veuve noire, a paru aux éditions Phébus.
source: editeur
Je vais finir par me demander si je n'ai pas un fond de masochisme en matière de littérature policière. Ou bien si mon flair s'est émoussé au point que je tends à acheter des livres policiers qui me laissent tiède.
Ou bien encore si je suis frappé d'une surdose de polars qui entraîne que je suis de plus en plus difficile à contenter dans ce domaine.
Dernier exemple en date,
Le mystère de la maison Aranda, de
Jerónimo Salmerón Tristante (éditions 10-18, 2009, ISBN 978-2-264-04905-6 ; titre original,
El misterio de la casa Aranda, 2007). Pour l'anecdote, j'ignore pourquoi son nom porte un accent tonique sur l'« i » de « Tristante » dans la couverture française ; pour une fois que le titre en VF est fidèle au titre original, il a fallu que l'on écorche le nom de l'auteur !
Nous voici plongés dans la ville de Madrid des années 1880, une époque encore secouée de tensions politiques, soubresauts nés de la crise dynastique à la mort de Ferdinand VII, des guerres carlistes, de la première République espagnole, puis de la restauration des Bourbons sur le trône d'une monarchie constitutionnelle au profit d'Alphonse XII. Un arrière-plan politique qui n'est pas présenté en détail dans le livre et qui manquera peut-être à certains lecteurs français, qui se demanderont à quoi riment les nombreuses allusions que l'auteur met dans la bouche de ses personnages à ce sujet ; toutefois, cet arrière-plan n'a rien d'essentiel du point de vue « policier ».
Dans cette ville de Madrid, capitale d'une Espagne en tension, un jeune sous-inspecteur de police va mettre son nez dans des enquêtes criminelles dont le lecteur sera témoin. Jerónimo Tristante nous a mitonné un ragoût policier que m'a laissé une impression très contrastée une cuisine trop riche sous certains aspects, et trop fade sous d'autres.
Trop riche parce que voulant, à mon avis, embrasser trop de choses à la fois :
- le héros est un jeune policier qui avait commencé par la petite délinquance avant d'être ramené dans le droit chemin par un policier au cœur d'or qui est devenu son mentor ;
- ce jeune policier est, bien sûr, un libéral, dans cette Espagne qui cherche sa voie, ce qui en fait un personnage quasiment avant-gardiste, presque anachronique ;
- le jeune homme ni croit ni à dieu ni à diable (ce que je ne saurais lui reprocher), lit les journaux libéraux et fréquente les demoiselles aux amours tarifées chez Madame Rosa ;
- issu des classes populaires, le jeune homme va bien sûr tomber amoureux d'une jeune aristocrate (qui lui fait presque oublier les filles de chez Madame Rosa). Amour impossible ? Non, pensez donc. La donzelle est, elle aussi, conquise par les idées libérales et son père, tout aristocrate qu'il est, ne pense qu'au bonheur de sa fille et non à une union d'intérêt ;
- avant-gardiste sur le plan politique, le jeune homme l'est aussi en techniques policières, capable d'acquérir en quelques semaines des bases de sciences criminalistiques (médecine légale, balistique, chimie, etc.) qui lui seront, bien entendu, d'un immense secours dans son enquête ;
- le jeune policier n'est pas confronté à une seule enquête, mais à deux en même temps : d'un côté, les meurtres en série de prostituées (ce à quoi la hiérarchie policière ne, bien évidemment, aucun intérêt, mais à quoi le jeune homme, porté par son grand cœur lui aussi, va consacrer son énergie pour les beaux yeux que quelques filles publiques) et de l'autre, une maison frappée par une malédiction à laquelle une strophe de
La divine comédie de Dante ne serait pas étranger ;
- des suspects venus des lointaines Philippines et sur lesquels ils flottent un parfum de santeria et de vaudou, ou de jeunes aristocratiques oisifs aux mœurs dépravées.
Ouf, rien que ça...
Trop fade parce que sous ces ingrédients surabondants, les deux intrigues retombent comme des soufflés oubliés par le cuistot. Les habitués des polars auront reniflé à dix lieues à la ronde le tueur de prostituées à peu près dès l'instant où le personnage en question apparaît dans le roman. Quand au mystère de la maison Aranda, qui donne son titre au livre, il est vraisemblable dans ses raisons mais invraisemblable dans sa mise en œuvre.
Et Jerónimo Tristante me fait le coup de ce que je déteste par-dessus tout dans les romans policiers : le chapitre où l'enquêteur explique par le menu son raisonnement, les indices trouvés et la façon dont ils s'emboîtent dans le puzzle que lui seul avait la lucidité pour le comprendre, le tout renforcé par la confession, par le menu également, du coupable qui explique tout ce que le lecteur n'avait pas pu apprendre dans les 300 pages précédentes et dont l'enquêteur lui-même n'avait qu'une confuse idée.
En résumé, en dehors de ce cadre madrilène qui peut dépayser les lecteurs français, ce
Mystère de la maison Aranda n'a rien que de très classique. Les amateurs de pâtisserie à la crème lourde et de chapitre final « spécial révélations » apprécieront peut-être l'ensemble. De mon côté, je me suis préparé une tisane digestive, en espérant faire meilleure pioche la prochaine fois que ma main empoignera un polar sur un rayon de libraire.