Il fait beau et j'ai donc lu Bégout !
L'accumulation primitive de la noirceur
Bruce Bégout nous fait pénétrer (à travers une vingtaine de nouvelles toute plus performative et inventive les unes que les autres) dans le monde étrange et angoissant des fans, des collectionneurs, des maniaques, des compulsifs, des fanatiques, des accrocs, des obsessionnels, des suiveurs, des terroristes et des admirateurs.
Ecrit dans une langue extrêmement raffinée, au rythme hypnotique, qui n'hésite pas à aller fouiller dans les recoins perdus de nos dictionnaires intérieurs à la recherche de corybantes ou de dieu Pan, Bruce Bégout manie la langue avec précision et un large vocabulaire.
Parsemé de petites sentences astucieuses, voire philosophiques, le texte invite à la réflexion et à la synthèse.
A cela, Bégout mêle un aspect, un évènement, un personnage éminemment étrange, étrangers, bizarre, illogique, qui brise la frontière du naturel et nous interroge sur notre capacité à lire la magie dans la vie, dans la ville. Expérience irréelle, fantasmée, vécue (parce qu'on a parfois l'impression d'avoir vu ce que l'auteur raconte) d'un monde entre chaos et lisibilité qui étreint et retient, interroge et palpite à la frontière du réel.
Mais ça c'est pour la première partie.
La seconde :
Glissements est d'un abord plus difficile (!!). Il s'agit (je crois) de décrire la manière dont la ville, mais surtout les lieux péri-urbains, sorte de no man's land dépourvus d'attraits (station d'épuration, parking, villes saccagées par des émeutes) peuvent agir sur l'attitude des gens qui fréquentent ses endroits. Bruce Bégout semble s'être lancé dans la recherche d'un équilibre possible entre la nature, l'homme et la ville ; c'est ce qui semble transparaitre à travers le non-personnage de cette jeune fille au pair inconnue de tous, de ce fou-prophète délaissant la cité pour aller affronter une fin sordide dans une campagne qui le repousse lui, sa famille, ses amis, ses fidèles… Jusqu'à ces deux êtres qui se croisant dans un parking retrouvent les gestes primitifs de la chasse et réinventent un être-au-monde sauvage et instinctif. Car que fait-on de notre animalité au cœur de la ville ?
Cette seconde partie m'a un peu moins séduite à la lecture mais à la réflexion, chaque nouvelle s'achève par un retournement des perceptions qui rend l'ensemble non seulement intriguant parce que paradoxal mais également fascinant parce que peut-être possible (comme l'idée que la Révolution pourrait venir de nos élites intellectuelles ?).
Parce que Bruce Bégout n'hésite jamais à lier le politique à son discours, certains passages prennent (sans démagogie aucune) l'aspect de libelle, mais ça s'est plutôt ce que l'on trouve dans la troisième partie :
Basculements.
Apprivoiser l'étrange, autopsier le moment où
l'abrogation de la familiarité nous apparait elle-même au bout du compte comme familière. Retracer ce moment de basculement où l'évènement surnaturel trouve sa place, son équilibre, dans l'ordre du monde, de la vie, de la ville et finit par s'inscrire dans une normalité anormale, un décalage, comme une forme inattendue d'extralucidité, telle semble être le bon plaisir et la quête de l'auteur. Ce passage est évidemment pour le lecteur un moment fascinant, proche du grand frisson éprouvé après coup, lorsque l'on comprend que l'on vient subitement d'entrevoir une explication à l'inexplicable, sensation qui ne dure qu'un instant, mais semble nous donner l'impression que le monde s'ordonne instantanément et qu'il devient de bout en bout lisible.
Instant évidemment éphémère et peut-être factice, mais qui ravit le lecteur tombé sous le charme de ce drôle de conteur à la belle langue et aux dérapages étranges et inventifs.
Incontestablement, Bégout nous propose une autre manière de voir...