Henri Michaux

Kenavo prépare le prochain portail

shéhérazade a écrit:

Kenavo prépare le prochain portail

bon, ce texte serait un peu trop grand pour le mettre avec... mais cette photo a eu un de ces effets sur moi.. du coup, il me fallait quand même déjà la "caser" quelque part!

En tout cas, un beau texte sur une belle photo

Après René Char, il serait bon de réévaluer le cas Michaux. Poète, pas poète, il me semble que le pas est évident... :) J'ai repêché un poème dans la partie de Lointain intérieur qui précède Plume :

«Comme pierre dans le puits»

Henri Michaux, Plume précédé de Lointain intérieur, 2005 (1985), Poésie/Gallimard, p. 100-101. a écrit:

Je cherche un être à envahir
Montagne de fluide, paquet divin,
Où es-tu mon autre pôle? Etrennes toujours
remises,
Où es-tu marée montante?
Refouler en toi le bain brisant de mon intolérable
tension!
Te pirater.

Présence de soi : outil fou.
On pèse sur soi
On pèse sur sa solitude
On pèse sur les alentours
On pèse sur le vide
On drague.

Monde couturé d'absences
Millions de maillons de tabous
Passé de cancer
Barrage de génufléchisseurs et des embretellés;
Oh! Heureux médiocres
Tettez le vieux et la couenne des siècles
et la civilisation des désirs à bon marché
Allez, c'est pour vous tout ça.

La rage n'a pas fait le monde
mais la rage doit y vivre.
Camarades du «Non» et du crachat mal rentré,
Camarades... mais il n'y a pas de camarades du
«Non».
Comme pierre dans le puits mon salut à vous!
Et d'ailleurs, Zut!

Je te sens prêt pour cette expérience, Jack-Hubert. Nous lirons tes choix avec plaisir.
 

Dans l'oeuvre de Michaux, le motif de la nuit prédomine. Il a notamment écrit La nuit qui remue. Je vous livre une poésie assez simple, mais qui révèle bien les dons de sa plume dans ce qui suit la partie principale de Plume :

Henri Michaux, L'espace du dedans. Pages choisies, 2010 (1998), Poésie/Gallimard, p. 104. a écrit:

«Dans la nuit»

Dans la nuit
Dans la nuit
Je me suis uni à la nuit
À la nuit sans limites
À la nuit.
Mienne, belle, mienne.
Nuit
Nuit de naissance
Qui m'emplis de mon cri
De mes épis
Toi qui m'envahis
Qui fais houle houle
Qui fais houle tout autour
Et fume, es fort dense
Et mugis
Es la nuit.
Nuit qui gît, Nuit implacable.
Et sa fanfare, et sa plage,
Sa plage en haut, sa plage partout,
Sa plage boit, son poids est roi, et tout ploie sous
lui
Sous lui, sous plus ténu qu'un fil,
Sous la nuit
La Nuit.

Merci Jack-Hubert de jouer le jeu.
Quel recueil conseilles-tu pour entrer dans l'univers de Michaux?
Et autre question - plus personnelle donc plus vaste - qu'est-ce qui te touche dans sa poésie? Tu disposes, je n'attends pas spécialement de réponse développée.  

Je savais qu'un jour je pencherai sur son œuvre puisque Le Clézio a entamé, il me semble, des recherches sur cet auteur lorsqu'il était étudiant. (vague souvenir)

Esperluette, souvent, nous citons L'espace du dedans comme référence de choix en raison du fait que des choix ont été opérés et puisés dans plusieurs recueils de poésie. La poésie de Michaux me touche dans la mesure où sa prose entrechoque toutes nos conceptions à propos de la poésie. Jacques Brault et Henri Michaux ont parfait l'art d'explorer les limites des genres d'écriture. Il semblerait que Michaux ait visité le Portugal. Il a voyagé et nous pouvons notamment lire Un barbare en Asie dans son oeuvre. Michaux excelle dans l'art de dérouter le lecteur grâce à sa plume.

Merci, Jack-Hubert,   je note donc L'espace du dedans.

C'est parfait pour moi, Michaux, j'aime être déroutée, surprise. René Char excelle en la matière.

Esperluette a écrit:

Merci, Jack-Hubert,   je note donc L'espace du dedans.

C'est parfait pour moi, Michaux, j'aime être déroutée, surprise. René Char excelle en la matière.

 Si j' osais...J' ose !  Michaux t'étonnera, oui oui... Et donc, je te suggérerai Plume -pour l' humour- et puis Façon d' endormi façon d' éveillé -

"Reves : amas de fait-divers, des petits faits-divers de la personne répétés en vrac, en vitesse,  faits divers qui renvoient à d' autres faits de toutes de toute date, de faits passés où l' on trouva à reidre, par quoi on fut attaqué, troublé. Reve-réponse qui renvoie a balle. Aors pourquoi voulir à tout prix interpréter ? Un sage arabe répond : "Un reve non interprété ressemble à un oiseau qui plane au-dessous de la maison, sans se reposer".

Merci au passage à Nezumi qui m' avait conseillé ce livre...
Sans oublier les livres consacrés aux expériences avec la mescaline et qui permettent aussi d' admirer les dessins de cet artiste  hors normes. On en a jamais fini avec lui !  

Merci Bix pour ce poème complémentaire! C'est toujours un plaisir d'avoir d'autres avis, bien sûr. J'avais oublié la richesse de ce forum.
Je vais voir ce que je peux dénicher dans les rayonnages de ma médiathèque!

 

Dans «Tranches de savoir», qui se retrouve dans Face aux verrous et que nous pouvons également recueillir dans l'anthologie L'espace du dedans, nous pouvons lire ceci :

Henri Michaux, L'espace du dedans. Pages choisies, 2010 (1998), Poésie/Gallimard, p. 334-335. a écrit:

On ne voit pas les virgules entre les maisons, ce qui en rend la lecture si difficile et les rues si lassantes à parcourir.

La phrase dans les villes est interminable. Mais elle fascine, et les campagnes sont désertées des laboureurs autrefois courageux qui maintenant veulent se rendre compte par eux-mêmes du texte admirablement retors, dont tout le monde parle, si peu aisé à suivre, le plus souvent impossible.

Ce qu'ils tentent de faire pourtant, ces opiniâtres travailleurs, marchant sans arrêt, lapant au passage les maladies des égouts et la lèpre des façades, plutôt que le sens qui se dérobe encore. Drogués de misère et de fatigue, ils errent devant les étalages, égarant parfois leur but, leur recherche jamais... et ainsi s'en vont nos bonnes campagnes.

Henri Michaux nous donne un aperçu de son parcours poétique dans cet extrait.

Dans L'espace du dedans, il y a plusieurs recueils. L'un d'eux, Peintures, a été raccourci. Je vous cite l'extrait de «Paysages». Nous pourrons mieux comprendre l'intérêt de Robert Bréchon et les rapprochements qu'il fait entre les oeuvres d'Henri Michaux et de Fernando Pessoa.

Henri Michaux, L'espace du dedans. Pages choisies, 2010 (1998), Poésie/Gallimard, p. 251. a écrit:

«Paysages»

Paysages paisibles ou désolés
Paysages de la route de la vie plutôt que de la surface de la Terre
Paysages du Temps qui coule lentement, presque
immobile et parfois comme en arrière.
Paysage des lambeaux, des nerfs lacérés, des
«saudades».
Paysages pour couvrir les plaies, l'acier, l'éclat,
le mal, l'époque, la corde au cou, la mobilisation.
Paysages pour abolir les cris.
Paysages comme on se tire un drap sur la tête.

Indirectement, l'héritage laissé par Henri Michaux a permis à une artiste sourde française bien connue, Emmanuelle Laborit, de signer une poésie adaptée de Face aux verrous. Nous pouvons voir un film bref d'une qualité assez quelconque vu que cette performance date un peu...

L'écrivain et son double menant une vie apparemment paisible, Michaux (ici vu par Claude Cahun en 1925) s'adonna à des expériences extrêmes : consommateur de mescaline sous contrôle médical, il ramena de ses « voyages » hallucinés d'innombrables livres et dessins en tous genres.








Dans qui je fus (1927) le poète témoigne d'une volonté d'inventer un nouveau langage poétique.

Le Grand Combat

Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage tape à ri et ripe à ta.
Enfin il l'écorcobalisse.

L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et on vous regarde
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

Qui je fus - 1927


J'aime particulièrement ce court poème tiré de Lointain intérieur

J’étais autrefois bien nerveux

J’étais autrefois bien nerveux.
Me voici sur une nouvelle voie :
Je mets une pomme sur ma table.
Puis je me mets dans cette pomme.
Quelle tranquillité!

(«Magie», Lointain intérieur)