(le moment tant attendu ?)
La grande guerre des Bleus et des Roses / A World Between (1979)
Avec sa couverture disco aux effets métalliques et un titre pareil (vf) il y a de quoi avoir un peu peur, alors autant commencé par ce qui fait mal : c'est haché, assez bordélique et franchement pas fluide avec un registre qui oscille parfois entre le basique et le carrément vulgaire. Pas forcément négligeable il faut aussi prendre en considération quelques éléments plus ou moins pornographiques. Une lecture certes facile mais un peu pénible, surtout sur le début, un bon tiers au moins.
Maintenant de quoi est-ce que ça peut bien nous causer...
Ken et Barbie Royce et Carlotta sont beaux, en pleine forme, elle est présidente de Pacifica, lui est ministre des Médias. Un couple uni, intelligent, ouvert et à la vie sexuelle épanouie. Et Pacifica c'est un peu la Terre mais en mieux, des contrastes géographiques avec des écosystèmes exploités mais pas forcément tous bousillés une vie libre et une
démocratie électronique, comprendre une démocratie assez directe et rapide. Allons-y : c'est un coin de monde occidental en mieux, plus cool, plus de succès. A peine remarque-t-on que ce sont les femmes qui ont l'ascendant et les bonshommes qui font plus souvent office de potiches.
La régulation économique de ce petit monde presque parfait ne nous emmènerait pas bien loin et nos Bleus et nos Roses ne tardent pas à apparaitre. Tout ce petit monde : Pacificains, Transcendentaux (adeptes de la Science Transcendantale) et Femmocrates sont issus de la Terre, nous sommes dans le futur et ça fait quelques générations qu'il y a eu émigration et colonisation de l'espace, tout ça, avec aussi un épisode de gros problème de guerre nucléaire sur la terre dans un passé qui se fait presque oublier.
D'abord les Transcendantaux, avec à leur tête le couple Falkenstein, enfin surtout Roger, le chef de la mission. Avance technologique stupéfiante mais dehors un peu sectaires, pour un monde meilleur il préfèrent formater à leur mode plutôt que partager librement ou commercialement leur précieux savoir qui fait miroiter des au-delà impensables et l'immortalité d'une vie, par-dessus le marché
élevée. Leur arme c'est l'Institut de Science Transcendantale, un truc construit en un claquement de doigt, une université qui est entreprise de sélection et de construction d'une élite qui pourra imposer la Science Transcendantale et ses succès à tous.
Ensuite les Femmocrates, moins fortunées ces lesbiennes militantes venues de la Terre, objectif : réveiller les consciences et se débarrasser du
phallofascisme des
géniteurs. Leur arme : l'implantation de cellules politiques et la formation d'un réseau de militantes.
Leur opposition est bien connue dans la galaxie. Chacun ayant conquis ses planètes et voulant faire pencher la balance en sa faveur s'intéresse naturellement à Pacifica, planète des médias et de la Chaine (croisement de tv et d'internet très ouverts qui inonde donc l'univers de tout et n'importe quoi.
Sur ces bases qui se dévoilent petit à petit en alternant les moments des uns et des autres parmi les têtes de ponts de nos trois forces en présence, avec des moments de vie, de politique ou de spots de matraquage médiatique on peut déjà avec une curiosité pas trop forcée jouer aux sept ou plus différences entre "notre monde" et ceux-là.
On n'aurait pas encore tout. Cette guerre, c'est étonnant ne fait aucun mort, pas un blessé, pas une arme n'apparait ou n'est utilisée sérieusement. Toute la violence est médiatique. Et c'est assez brutal, à la fois ressemblant et dérangeant. C'est là que tout se casse et que le malaise grandit. Grandes campagnes de lavage de cerveaux, propagande massive, mensongère, manipulatrice, capitalisant autant que possible sur le sexe et la pornographie pour mieux capter et asservir les gens. Ici des Pacificains plutôt gentils qui se mettent à entretenir des réactions hostiles chacun voulant son légitime pouvoir, Pacificains contaminés par l'abrutissement des campagnes des Bleus et des Roses.
Sans compter les coups pourris et faux semblant politiques, les manipulations douteuses. Chaque camp aura
son sa repentie de la destruction de l'harmonie de Pacifica, ce qui ne rendra que meilleure la réussite de notre couple politique plus soudé que jamais dans l'adversité et plus riche encore de ses différences mieux comprises... n'empêche, l'autre doute, plus ténu, sera devant le "Pacifica aux Pacificains" qui sera le porte-manteaux de la troisième voix qui sauvera cette planète et cette démocratie, avec son lot choisi de tours médiatiques très gratuits.
Si la lecture commence de façon laborieuse et qu'on sent venir de loin plusieurs évènements (et qu'on s'amuse du folklore de la planète), on se prend plutôt au jeu politique décrit, assez grossier mais assez attachant par son enjeu dans ce tumulte nauséabond. On arrive aussi à avoir besoin de mieux comprendre la gêne légitime ressentie. Brutalité médiatique, doctrines simplistes, formatage inévitable de nos esprits et de nos habitudes, polarisation et opposition à quelles fins... Il y a de gros sabots à l'œuvre (et pas que les grosses pattes des monstres du Godzillaland) et il y a aussi une hébétude face au choc de la violence médiatique, après tout ce qui est décrit est assez proche de ce qui est disponible et de certaines campagnes. Il reste encore à chercher le progrès, entre les extrêmes et dans ce très flou juste milieu avenant. Avenant mais encore un peu inquiétant.
Donc pas si mauvaise lecture, avec des identités collectives pas si basiques qu'il n'y parait. Si on peut assimiler les Bleus aux capitalisto-américains et les Roses à des communisto-soviétiques, l'autre démarcation sexuelle qui la recoupe et la fout un peu en l'air complique en bien les choses.
Bizarre mais je ne regrette pas l'expérience.
Je me demande quand même si le texte en vo ne serait pas plus homogène, Continent perdu (même souci d'inversion dans les mises en situation) a été bien plus agréable à lire (il est plus court aussi).
Et merci Arabella.