Sur les écrivains, par eux-mêmes...

Bon, le titre est un peu vague, mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour l'instant.

Pour être un peu plus précis, l'objet de ce fil est de compiler des citations d'écrivains sur d'autres écrivains. Que leurs jugements soient élogieux ou désobligeants (ils le sont quand même plus fréquemment, il faut l'avouer), et peu importe aussi qu'on partage leur avis ou non, le but n'étant d'ailleurs pas de faire une sélection en fonction de cela, mais plutôt de la singularité de ces avis, que ce soit dans leur drôlerie, leur virulence, où simplement l'éclairage qu'ils peuvent apporter sur la personnalité ou le style de leurs auteurs.

Je commence avec Paul Léautaud, qui ne se faisait jamais prier pour exprimer des avis bien tranchés, et qui parle en des termes peu élogieux d'un écrivain qui débutait et n'avait pas encore la renommée qu'on lui connait aujourd'hui : Albert Camus.

" (...) J'entends parler quelquefois aux déjeuners Malakoff d'un nommé Albert Camus. Un des rédacteurs principaux du journal Combat. Un homme de valeur dans les nouveaux venus. Un politique, un écrivain, un théoricien, un esthéticien de marque. Ainsi entends-je. Dans ce numéro, un Henri Hell, que j'ai vu deux ou trois fois aux dits déjeuners, rend compte d'un ouvrage de lui : Lettres à un ami allemand. Il n'en est pas satisfait. On pouvait encore attendre, dit-il, de l'homme qui a écrit : « Ce monde a du moins la vérité de l'homme et notre tâche est de lui donner ses raisons contre le destin lui-même ». Que ce Henri Hell a de la chance de comprendre ce que cela veut dire. (...) "

Samedi 1er Décembre 1945 - Journal littéraire, tome 3.

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" (...) Comme nous parlons de la façon dont on écrit chez les nouveaux venus et que je lui cite Albert Camus, il me dit qu'il a vingt-neuf ans et qu'il est professeur de philosophie. Son charabia prétentieux ne m'étonne plus. (...)

Mardi 11 Décembre 1945 - Journal littéraire, tome 3.

Quelle bonne idée, Hank, de commencer ce fil.

Je continue donc par René Char au sujet de Rimbaud :

Rimbaud ne se sentait ni ne se voulait artiste. Merveilleuse ingénuité à laquelle sa violente nature s'accrochait, se tenait. En se taisant, il le devint malgré lui.
Septembre 1966

Un passage en revue d'un peu plus d'un siècle de littérature (entre autre) en quelques lignes, par Charles Bukowski.

"(...) Bien sûr, on ne peut pas mesurer le goût, ou le manque de goût. Pour un type qui se trouve un trou, il y en a un autre qui se branle. Je ne comprends rien au succès de Faulkner, du base-ball, de Bob Hope, d'Henry Miller, de Shakespeare, d'Ibsen, des pièces de Tchekhov. G.B. Shaw me fait bâiller. Tolstoï aussi. Guerre et Paix est mon bide le plus sanglant depuis Le Manteau de Gogol. Mailer, j'en ai déjà parlé. Bob Dylan, à mon avis, en rajoute, mais je dirai que Donovan a du style. Je n'y comprends rien. Boxe, rugby, basket fonctionnent à l'énergie. Hemingway jeune était bon. Dosto très dur. Sherwood Anderson les yeux fermés. Le Saroyan jeune. Le tennis et l'opéra vous vous les gardez. Les belles bagnoles, du balai. Le fétichisme, mouais. Bagues, montres, mouais. Le très jeune Gorki. D.H. Lawrence, d'accord. Céline pas de problème. Merde aux oeufs brouillés. Artaud quand il s'énerve. Ginsberg à petites doses. La lutte gréco-romaine - hein ??? Jeffers, évidemment. Et ainsi de suite, et qui a raison ? Moi, bien sûr. Mais oui, bien sûr. (...)"

Extrait des Contes de la folie ordinaire.

Ce qui est amusant, et je pense qu'on peut le constater chez beaucoup d'écrivains, c'est que ses points de vue changent, évoluent, se radicalisent d'un texte à l'autre, au fil du temps. Bukowski parle beaucoup de ses références littéraires dans ses livres - cet exemple n'est pas forcément le plus pertinent d'ailleurs, mais il a le mérite d'être drôle (enfin je trouve) - au sujet de certains, il ne varie pas d'un poil (Céline, Dostoïevski, Jeffers, Lawrence, Anderson, Fante...). Pour d'autres, il passe d'une certaine forme de respect à une sorte de dégoût ou plus exactement de l'incompréhension, comme avec Henry Miller. Ou Ginsberg, pour lequel il est assez nuancé dans ce texte, et beaucoup plus virulent dans d'autres...

Les enregistrements, ça va aussi ?

Julien Gracq parle de Breton (1970) - Extraits

Quelques morceaux choisis du Dictionnaire des injures littéraires, que j'évoquais dans un autre fil (forcément, ça donne pas dans l'éloge...) :

Jean Renoir, à propos de Céline (je fais une entorse en tolérant un cinéaste, histoire de montrer patte blanche en faisant taper sur un écrivain que j'aime):
"M. Céline fait beaucoup penser à une dame qui aurait des difficultés périodiques ; ça lui fait mal au ventre, alors elle crie et elle accuse son mari. La force de ses hurlements et la verdeur de son langage amusent la première fois ; la deuxième fois, on bâille un peu ; les fois suivantes, on fiche le camp et on la laisse crier toute seule."

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Vladimir Nabokov à propos de Joseph Conrad :
"Je ne supporte pas le style boutique de souvenirs de Conrad, les bateaux en bouteille et les colliers de coquillage de ses clichés romantiques."

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Louis Ferdinand Céline à propos de Proust :
"Proust explique beaucoup pour mon goût - 300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave c'est trop..."

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Les Frères Goncourt à propos de Verlaine :
"Malédiction sur ce Verlaine, sur ce soûlard, sur ce pédéraste, sur cet assassin, sur ce couard traversé de temps en temps par des peurs de l'enfer qui le font chier dans ses culottes, malédiction sur ce grand pervertisseur qui, par son talent, a fait école dans la jeunesse lettrée, de tous les mauvais appétits, de tous les goûts antinaturels, de tout ce qui est dégoût et horreur !"

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Léon Bloy à propos de Zola :
"Crétin des Pyrénées.
Messie de la tinette et du torche-cul.
Vieille truelle à merde."

Comme souvent, tout en finesse, ce Bloy...


J'ai copié ces extraits sur le site fluctuat.net, n'ayant pas ce bouquin.

Charles Bukowski, à propos de John Fante :

" Un jour j'ai sorti un livre, je l'ai ouvert et c'était ça. Je restais planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l'or à la décharge publique. J'ai posé le livre sur la table, les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Chaque ligne avait sa propre énergie et était suivie d'une semblable et la vraie substance de chaque ligne donnait sa forme à la page, une sensation de quelque chose sculptée dans le texte. Voilà enfin un homme qui n'avait pas peur de l'émotion. L'humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité. Le début du livre était un gigantesque miracle pour moi. J'avais une carte de la Bibliothèque. Je sortis le livre et l'emportai dans ma chambre. Je me couchai sur mon lit et le lus. Et je compris bien avant de le terminer qu'il y avait là un homme qui avait changé l'écriture. Le livre était Ask the Dust et l'auteur, John Fante. Il allait toute ma vie m'influencer dans mon travail. "

Extrait de la préface à la réédition de Demande à la poussière (1979)

La traduction m'a toujours semblé un peu bizarre, ça vient de moi ?

J'ai cett citation de Sartre, s'adressant vigoureusement à Camus :

Citation :

"Un mélange de suffisance sombre et de vulnérabilité a toujours découragé de vous dire des vérités entières … Il se peut que vous ayezété pauvre, mais vous ne l'êtes plus. Vous êtes un bourgeois comme Jeanson et comme moi … Votre morale s'est d'abord changée en moralisme, aujourd'hui elle n'est plus que littérature, demain elle sera peut-être immoralité."

Le sujet de la brouille : L'homme révolté de Camus, jugé révolutionnaire par Sartre.

Steven a écrit:

J'ai cett citation de Sartre, s'adressant vigoureusement à Camus :

Citation :

"Un mélange de suffisance sombre et de vulnérabilité a toujours découragé de vous dire des vérités entières … Il se peut que vous ayezété pauvre, mais vous ne l'êtes plus. Vous êtes un bourgeois comme Jeanson et comme moi … Votre morale s'est d'abord changée en moralisme, aujourd'hui elle n'est plus que littérature, demain elle sera peut-être immoralité."

Le sujet de la brouille : L'homme révolté de Camus, jugé révolutionnaire par Sartre.

Intéressant. Littérairement, je me sens beaucoup plus d'affinités avec Camus (enfin avec ses premiers bouquins), mais la remarque de Sartre me semble pleine de bon sens et de justesse. Et on pourrait l'appliquer à bien des écrivains qui entretiennent artificiellement un tempérament révolté en vieillissant et en s'embourgeoisant. Je ne voudrais pas parler que de Bukowski dans ce fil, mais il me semble avoir été l'un des rares écrivains à avoir regardé les choses d'une manière lucide lorsque le succès est venu à lui. Dans Hollywood par exemple, il s'interroge beaucoup sur les conséquences de son embourgeoisement sur son écriture.

Entretien de Paul Léautaud avec Robert Mallet, au sujet de Verlaine

" P. L. - (...) c'est une langue si pure ! Vous connaissez les poèmes dédiés à sa femme. C'est d'une langue parfaite. La langue de Verlaine est non seulement parfaite mais elle est d'une exactitude absolue, merveilleuse.
R. M. - Vous lui reconnaissez un pouvoir d'envoûtement ?
P. L. - Je lui reconnais ce que je dis, pas ce que vous dites. Enfin, il y a des choses très émouvantes. Et puis c'est vraiment l'émanation, c'est la poésie, la chose vague, la chose imprécise, oui... (...) "

Retranscription des Entretiens avec Robert Mallet (1951) ; Mercure de France.

Spoiler:

Toujours Paul Léautaud (il faut dire que c'est une source quasi inépuisable dans le genre), sur Flaubert cette fois :


" (...) Il faut le reconnaître : Flaubert était un véritable ébéniste littéraire qui astiquait partout pour que ça brille. Résultat : médiocrité, ennui. (...)


Entretiens avec Robert Mallet (Dix-huitième entretien) ; Mercure de France (1951).

un fil intéressant et étonnant par le langage .

J'ai plus la phrase exacte en tête, il faudrait que je la retrouve, mais ça donne un truc du genre:

"qu'un homme ait pu s'amouracher de cette latrine est bien le signe d'abaissement des hommes de ce siècle"

Baudelaire, parlant de Musset et de Sand.
Bravo Charles !

Leporello a écrit:

J'ai plus la phrase exacte en tête, il faudrait que je la retrouve, mais ça donne un truc du genre:

"qu'un homme ait pu s'amouracher de cette latrine est bien le signe d'abaissement des hommes de ce siècle"

Baudelaire, parlant de Musset et de Sand.
Bravo Charles !

Oh! le monstre ! je suis scandalisé Tout de même, « on ne peut pas le laisser dire ça », c'est une honte. Il faut porter plainte, qu'il soit condamné à titre posthume et qu'on retire tous ses livres des bibliothèques et librairies, on ne peut pas s'en prendre impunément à l'image des latrines de cette manière.

Je découvre enfin le fil ! Très bonne idée Hank

Hank a écrit:

Louis Ferdinand Céline à propos de Proust :
"Proust explique beaucoup pour mon goût - 300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave c'est trop..."

J'aime beaucoup aussi la citation de Bukowski, très décomplexante en ce qui concerne la norme du bon goût en matière de littérature et centres d'intérêts.

A mon tour de proposer quelques jugements d'écrivains...

Louis-Ferdinand Celine à propos d'André Malraux :

Citation :

Je vois que Malraux est ministre. C'est un méchant bougre. Avec un petit talent journalistique d'ailleurs assez cafouilleux et gauche il a fait les Conquérants qui étaient bien réussis - depuis peau de lapin - que des ratés - mais quelle presse et quel cabotinage - et quel impérieux pitre ! en colonel, en explorateur, en Penseur - maintenant en ministre! Ajalbert l'a vu dans un autre personnage, en voleur avec menottes entre deux gendarmes à Saïgon [...] C'est un mythomane bluffeur féroce - envieux au délire [...] un petit fifre littéraire qui joue les orchestres - les Pascals, les Bakounine

Victor Hugo à propos d'Emile Zola :

Citation :

Tant qu'il n'aura pas dépeint complètement un pot de chambre plein, il n'aura rien fait.

Marc-Edouard Nabe à propos de Michel Houellebecq :

Citation :

Houellebecq lui-même me l'avait bien expliqué :

- Si tu veux avoir des lecteurs, mets-toi à leur niveau! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux que lui. C'est le secret, Marc-Édouard. Toi, tu veux trop soulever le lecteur de terre, l'emporter dans les cieux de ton fol amour de la vie et des hommes!... Ça le complexe, ça l'humilie, et donc il te néglige, il te rejette, puis il finit par te mépriser et te haïr...

Michel avait raison. Un best-seller a toujours raison.

Roman à thèse + écriture plate + athéisme revendiqué + critique de son temps (mais pas trop) + culture rock-pop + défense du capitalisme + attaque des Arabes = succès garanti.

Pierre Jourde à propos de Christine Angot :

Citation :

Angot, c'est du vrac, du tas. Du tas de quoi? On ne sait pas trop, conversations téléphoniques sans fin et sans sujet, détails dépourvus de sens, confidences sexuelles, etc. C'est un peu l'esthétique du "Loft". Et ça obtient le prix France Culture (il y a quelques années), ce qui en dit long sur la haine de certains intellectuels envers l'esprit.

Tout cela trouvé sur le site Bibliobs